Centre Henri Pousseur - Festival Images Sonores 2015

Transcription

Centre Henri Pousseur - Festival Images Sonores 2015
Mot de bienvenue
Notre société actuelle est
dominée par les médias
numériques et virtuels.
La musique contemporaine n’échappe pas à ce
phénomène. Les compositeurs ne se limitent
plus aux seuls paramètres
classiques de la musique,
bien s’en faut. Dans leur
quête incessante et
souvent individuelle de
renouveau, tant les compositeurs que les interprètes et les techniciens
explorent de nouvelles
formes d’expression. Le
canon classique et les
principes qui le fondent
sont explicitement remis
en question. Et si la
musique mixte suppose
nécessairement une
extension aux possibilités
de l’instrument, force est
de constater que, dans ce
domaine également, les
compositeurs s’appliquent
à rechercher de nouvelles
dimensions. Une des op2
tions récurrentes est celle
de la « performance »,
qui prend parfois l’allure
d’un Gesamtkunstwerk
revisité et dans laquelle
la théâtralité et les
extensions médiatiques
(en particulier la vidéo)
semblent occuper une
place prépondérante.
Effet de mode, vraie
tendance ou évolution
nécessaire ? Quoi qu’il
en soit, le programme
de ce festival – nous en
sommes déjà à la 17e
édition – tente de rendre
compte de la diversité
actuelle, avec une attention particulière portée
aux jeunes générations.
Nous sommes persuadés que ces trois journées de concerts seront
parsemées de moments
surprenants et de rencontres intéressantes, en
présence des nombreux
compositeurs nationaux
et internationaux qui auront fait le voyage.
Je vous souhaite des
expériences (auditives)
passionnantes.
Stijn Boeve
Directeur général
Centre Henri Pousseur
Programme
Préambule
p.5
Jeudi 12 novembre
Ça Balance Classique 2015 / ConTimbre – The Virtual Orchestra
p.6
Thomas Hummel, L’orchestre virtuel de Sinaida Kowalenka
Roberto David Rusconi, Mnemosyne
Rand Steiger, La coalescence de technologie et acoustique
Vendredi 13 novembre
We are from Belgium
p.16
Daan Janssens, (Paysages-Etudes)
Conservatoire de Liège, Trois créations
Samedi 14 novembre
Hello !
p.22
Performance = Art
Johannes Kreidler, Créer, c’est interpeller
Steven Kazuo Takasugi, The Man Who Couldn’t Stop Laughing
Les compositeurs
p.31
Les interprètes
p.31
3
Préambule
La musique est un reflet
de la société – les Grecs
anciens l’avaient déjà
remarqué. Le train-train
quotidien de chacun a
toujours eu un impact
indéniable sur la façon
dont les compositeurs
improvisent, raisonnent
et finalement créent.
La musique de Bach
dégage ainsi maîtrise,
force et piété – la musique était en effet pour
lui un cadeau de Dieu,
et non de l’homme. Pour
sa symphonie Eroica,
Beethoven s’est inspiré de
la grandeur de Napoléon
– du moins avant qu’il ne
s’autoproclame empereur. La Deuxième Guerre
mondiale a imposé aux
compositeurs des règles
à respecter si l’on voulait
que sa musique soit un
jour entendue. Mais la
technologie contemporaine exerce elle aussi
une influence sur la
façon dont on fait et vit
la musique. Dès le début
du XXe siècle, les compositeurs ont cherché
à intégrer les progrès
technologiques à la
musique. Le mot « machine » n’était désormais
plus étranger à l’homme ;
les machines devenaient
nécessaires dans la société et devaient donc l’être
aussi dans les arts. Elles
devaient prendre part au
progrès artistique et musical. Les futuristes italiens
rêvaient à l’âme musicale
des usines, des trains, des
voitures, des avions, etc.
Ils en vinrent pratiquement à idolâtrer l’électricité et défendirent les
qualités poétiques et musicales du progrès industriel. Cette idéologie ne
rencontra hélas pas grand
écho à cette époque. Lors
des débuts en musique
futuriste du pianiste
Leo Ornstein à Londres
en 1914, le journal britannique Daily Sketch recommanda que seules les
personnes complètement
sourdes assistent à son
prochain récital!
Après la Deuxième Guerre
mondiale, cet amour de la
technologie et des outils
électroniques connut un
renouveau. Avec ses Cinq
études de bruit, le Français Pierre Schaeffer fut
un des pionniers de la
musique concrète, un
genre où les bruits de
l’environnement forment
le matériau de base de
la composition. Schaeffer
enregistrait des bruits
de trains, de tourniquets,
de bateaux et de casseroles, les coupait et
les arrangeait, donnant
naissance à de nouvelles
expériences musicales.
Les sons se sont ainsi
progressivement libérés
de leur tradition et de
plus en plus l’homme et
la machine se rencontrent
en musique.
Aujourd’hui, la production
du bruit dans un contexte
musical n’est plus évidente. Le charisme transparent propre au musicien
sur scène est esquivé. On
désarticule l’espace musical des instruments et les
personnes qui en jouent ;
il en résulte une illusion.
La musique actuelle est
fractionnée, amplifiée, copiée-collée, accumulée ;
les bruits deviennent des
objets que le compositeur
peut sculpter, le matériau
devient une illustration et
un critère du métier de
compositeur. Les sons et
les images générés par
ordinateur constituent une
extension des capacités
humaines ou peut-être
plutôt des limites de
l’interprète. L’interprète
est tout à la fois opprimé
et libéré. La musique est
ainsi un reflet poétique de
notre monde numérique.
Nico Couck
5
Jeudi 12 novembre
19h00
Présentation du Prix Ça Balance Classique 2015
Guillaume Auvray, 6 Tableaux Funestes – I. Le Ruisseau **
pour ensemble et électronique (2015)
Edwin Pierard, Invention pour ensemble (2014)
20h30
ConTimbre – The Virtual Orchestra
(Introduction au concert à 20h00)
João Pedro Oliveira, Towdah *
pour ensemble et électronique (2009)
Johannes Kreidler, Klavierstück 5 *
pour piano et électronique (2005)
Thomas Hummel, Sinaida Kowalenka *
pour ensemble et orchestre virtuel « ePlayer » (2014)
Pause
Rand Steiger, Concatenation *
pour basson et électronique (2012)
Roberto David Rusconi, Mnemosyne **
pour ensemble, orchestre virtuel, électronique et vidéo
(vidéo par Metka Sumandl) (2015)
(réalisation informatique musicale :
Patrick Delges, Centre Henri Pousseur)
6
19h00
Ensemble Musiques Nouvelles
Thomas Van Haeperen, direction
Berten D’hollander, flûte
Charles Michiels, clarinette
David Foiche, cor
Eric Sluys, violon
Laurent Houque, violon
Antoine Combot, alto
Jean-Pol Zanutel, violoncelle
Simon Drachman, percussion
Centre Henri Pousseur, électronique live
20h30
Ensemble Aventure
Martina Roth, flûte
Walter Ifrim, clarinette
Wolfgang Rüdiger, basson
Rudolf Mahni, trompette
Nicholas Reed, percussion & direction
Akiko Okabe, piano
Friedemann Treiber, violon
Beverley Ellis, violoncelle
Centre Henri Pousseur, électronique live
* création belge
** création mondiale
7
Thomas Hummel
L’orchestre virtuel de Sinaida Kowalenka
Sinaida Kowalenka est
une fermière biélorusse âgée, et la dernière
personne à vivre dans
son village dans la zone
interdite autour de Tchernobyl. Tous les autres
habitants ont été évacués
depuis longtemps. Elle
vit seule au milieu d’une
nature apparemment
merveilleusement intacte
et vierge, mais en réalité
radioactive.
Nom : Thomas Hummel
Né : 1962, Köln, Allemagne
Formation : Composition à la Hochschule für Musik,
Freiburg ; Hochschule für Musik, Köln
Professionnellement : Ingénieur de son et réalisateur
en informatique musicale au SWR Experimentalstudio
Freiburg ; Prix de composition à la Villa Concordia Bamberg et Musikprotokoll Graz
Performances : Ensemble Court-Circuit, Holst Sinfonietta, Ensemble SurPlus, Kairos Quartett, Orchestre de
la Radio de Stuttgart, e.a.
Plus d’informations: www.thomashummel.net
8
L’œuvre Sinaida Kowalenka
est conçue pour six
instruments et orchestre
« ePlayer », qui repose
sur une grande base de
données des sonorités de
l’orchestre contemporain,
conTimbre. Elaborée entre
2007 et 2012, conTimbre
est le plus grand orchestre virtuel au monde,
comprenant plus de
86.000 sons, 4.000
techniques de jeu, et 150
instruments d’orchestre.
Il permet notamment
de jouer des partitions
orchestrales de musique
nouvelle.
D’un point de vue musical,
l’orchestre « ePlayer » a
ici pour tâche d’étoffer et
de compléter le mélange
de timbres d’instruments
authentiques ou de se
trouver en concurrence
avec eux.
Plus généralement cependant, l’utilisation d’un
orchestre contemporain
artificiel en lien avec
l’orchestre s’inscrit dans
l’actuel débat culturel sur
la disparition des (vrais)
orchestres, et sur les
tendances de la musique
nouvelle instrumentale,
dont les compositeurs
exigent actuellement
une spécialisation et une
flexibilité toujours plus
poussées de l’orchestre
contemporain. Enfin, le
caractère artificiel de l’orchestre « ePlayer » et son
souhait de paraître naturel
correspondent à la nature
radioactive et à ses deux
facettes dans les récits
d’Alexievitch.
Thomas Hummel
« Je vis seule depuis sept
ans. Cela fait sept ans
que les gens sont partis…
Dans la nuit, il m’arrive
de rester éveillée jusqu’à
l’aube. Et de penser, de
penser. Cette nuit aussi,
je suis restée assise toute
la nuit sur mon lit, courbée comme un crochet,
et puis je suis sortie pour
voir comment allait être
le soleil. Que puis-je vous
dire d’autre ? La chose
la plus juste au monde,
c’est la mort. Personne ne
peut se cacher d’elle. La
terre reçoit tout le monde,
les bons et les mauvais,
les pécheurs. Mais il n’y
a aucune autre justice
au monde. J’ai travaillé
durement et honnêtement toute ma vie. J’ai
vécu selon ma conscience. Mais je n’ai obtenu
aucune justice. Dieu a fait
le partage quelque part
et, lorsque mon tour est
arrivé, il ne restait plus
rien à me donner.
Nous avons pensé qu’il
s’agissait d’une maladie et
que celui qui en souffrait
mourrait aussitôt. Non,
nous a-t-on expliqué, c’est
une chose qui s’insère
dans le sol, mais qu’on ne
peut pas voir. L’animal le
peut, il la voit et l’entend,
mais pas l’homme.
Mais c’est faux ! Moi, je
l’ai vue… Il y avait de ce
césium dans mon potager
jusqu’à ce que la pluie l’ait
mouillé. »
Svetlana Alexievitch1,
La Supplication :
Tchernobyl, chroniques
du monde après l’Apocalypse
Le jeudi 8 octobre 2015, l’auteure
bélarusse Svetlana Alexievitch a
reçu le Prix Nobel de littérature.
1
Création belge le jeudi
12 novembre à 20h30
par l’ensemble Aventure et le Centre Henri
Pousseur.
9
Roberto David Rusconi
Mnemosyne
Nom: Roberto David Rusconi
Né: 1976, Venezia, Italie
Formation: Cours de composition, piano, direction
de chœur et musique électronique au Conservatoire
de Padua; doctorat en composition au Kings College
London
Professionnellement: Premier Prix au Concours de
Composition ZEITKlang (Wien) avec De Arte Respirandi;
Troisième Prix dans le cadre du Prix de la Fondation
BBVA, avec Memento; finaliste du Concours européen
ECPNM 2012 (composition de pièces électroacoustiques en temps réel) et du concours de composition
Isang Yun 2013
Performances: Klangforum Wien, David Alberman,
Rohan De Saram, Garth Knox, Burkard Weber, JACK
Quartet, KAIROS Quartett, Amar Quartett, Ensemble
Aventure, BIT20, Insomnio, e.a.
Plus d’informations: www.robertodavidrusconi.co.uk
10
Mnemosyne est une œuvre
cérémonielle (é)-vocative.
Dédiée à la déesse de la
mémoire, Mnemosyne est
poétiquement ancrée
dans l’œuvre d’Aby Warburg et dans les concepts
du biologiste Rupert
Sheldrake. Cette œuvre
se présente comme un
effort intime, extrême et
pourtant subtil de mêler
des instruments acoustiques et virtuels, reliant
des projections sonores
alternatives et des perspectives spatiales afin de
dessiner des trajectoires
dans un temps défini par
l’écoute, tout en réagissant émotionnellement à
des mécanismes déclencheurs cachés. Glisser
dans un état de perceptions alternatif se mue
en évocation très réelle
d’une déesse chthonienne
qui manie avec fermeté
l’essence éternelle de
l’univers : sa mémoire.
Les processus du souvenir d’événements rituels
et mnémoniques sont
difficiles à décrire, et résistent à toute explication
philosophique, psychologique ou vernaculaire.
Cette performance trouve
son origine dans une
approche éthologique
de l’expérience musicale – c’est-à-dire le
traitement de la musique
comme un comportement évolutif d’humains
ancestraux, contribuant à
leur survie et au succès
de la reproduction. Je fais
notamment allusion à des
similarités intéressantes
et suggestives entre le
processus évolutionniste
(biologique) de ritualisation dans la communication animale, et à l’utilisation rituelle (culturelle) du
comportement musical
dans les rites ou cérémonies humains. Dans le rite
comme dans la ritualisation, sons, images et mouvements stylisés (c’est-àdire formalisés, répétés
de façon rythmique, exagérés et élaborés) sont
des outils importants
pour modeler la réponse
des participants. La
conception éthologique
de l’émotion comme
moteur du comportement apporte de même
une approche originale à
l’utilisation en composition de nouvelles sources
d’émotion musicale, permettant la création d’une
première « taxonomie
éthologique » liée aux diverses réponses émotionnelles à la musique.
ses acteurs et de son public. Des caves et arènes
primitives aux théâtres
grecs et aux cercles de
Stonehenge, des maisons d’opéra à l’arche de
Renzo Piano pour Prometeo de Luigi Nono : le lieu
et la disposition du public
ont toujours été soigneusement pris en compte
par toutes les personnes
désireuses non seulement d’influencer l’aspect
passif de la réalisation,
mais aussi de chercher
la véritable incarnation et
la réception psychophysique de la communication artistique.
Mnemosyne commence
dans le noir le plus
complet, l’absence de
connaissance. Le lieu,
l’écran, les lumières, la
cérémonie : un univers
infini sans mémoire ; nous
sommes l’enfant perdu.
Lentement, sortant du
néant, les caminantes
entrent dans le lieu : le rite
commence !
Roberto David Rusconi
Création mondiale le
jeudi 12 novembre à
20h30 par l’ensemble
Aventure et le Centre
Henri Pousseur.
L’un des aspects-clés du
rite est la disposition de
11
Rand Steiger
La coalescence de
technologie et acoustique
Nom: Rand Steiger
Né: 1957, Queens, New York
Formation: Manhattan School of Music;
California Institute of the Arts
Professionnellement: Professeur de composition
à l’Université de California, San Diego; titulaire de la
Chaire présidentielle au département de musique, UC
San Diego, lauréat de la Fondation Guggenheim 2015
Performances: LA Philharmonic, International Contemporary Ensemble (ICE), Talea Ensemble, Ensemble
Intercontemporain, New York New Music Ensemble,
Southbank Sinfonia, American Composers Orchestra,
e.a.
« J’ai longtemps été
fasciné par la façon dont
nous percevons la fusion
de deux sons distincts
en un seul son – la façon
dont une texture contrapuntique complexe peut
se muer en continuum
quand on l’entend dans
un environnement réverbérant, ou la façon dont
des notes réglées avec
précision se fondent en
un timbre unique. Ce point
de perception délicat
entre un accord et un
timbre présente un intérêt
tout particulier pour moi,
et c’est l’une des raisons
pour lesquelles je m’appuie sur les intervalles
naturels des séries harmoniques comme principal guide de structures
sonores. De même, mon
désir d’explorer la confusion des événements m’a
conduit à travailler avec
le traitement de signaux
en temps réel, de façon à
pouvoir modifier l’environnement acoustique dans
lequel on entend ma musique au fil d’une pièce. »
Rand Steiger
Plus d’informations: www.rand.info
12
Technologie et
acoustique
Les innombrables pratiques de composition, de
performance et d’écoute
qui découlent du phénomène collectivement
qualifié de « musique
électronique » se sont,
d’une façon ou d’une
autre, affirmées avec une
provocation intrinsèque
et essentielle : la coexistence d’une technologie « artificielle » et de
résonances plus « organiques » de la tradition
musicale et de l’expérience humaine. Il se peut
que l’on ait pour première
impression que la technologie, et les innombrables
possibilités esthétiques
qu’elle représente, s’installe catégoriquement au
royaume du « surnaturel ». Bien sûr, comparée
aux qualités résolument
humaines des pratiques
vocales et instrumentales acoustiques, elle
peut sembler quelque
peu étrangère. Mais en
réalité, c’est seulement
une facette de l’équation
– ou, plus précisément,
un point stratégique au
sein du spectre plus large
de ce qui est « réel » et
de ce qui ne l’est pas.
Car, tout comme elle a
favorisé de nouvelles
approches du son et de
la structure musicale, la
technologie a également
ouvert des fenêtres sur
le monde naturel, sur le
geste brut et l’harmonie
organique, et, au-delà, sur
le domaine esthétique
complexe de notre être
intérieur. Une relation
véritablement symbiotique entre technologie
et acoustique peut nous
sensibiliser au fait que ce
que nous croirions être
des goûts « naturels »
sont en fait tout aussi
« artificiels » que des processus de manipulation et
de nouvelle synthèse de
signaux numériques.
Pour Rand Steiger, la
technologie est l’un
de ces véhicules vers
l’au-delà. Son répertoire
explore un grand nombre
de médias, du solo au
petit ensemble mixte, certains incluant le traitement
live, et d’autres « purement » acoustiques.
Mais des réseaux de similitudes entre les œuvres
apparaissent rapidement – l’oreille de Steiger
sensible aux textures
intenses et chatoyantes,
aux migrations de timbre
radicales, aux délicates
nuances d’intonation
et aux riches refrains
harmoniques unissent la
musique dans une grande
œuvre d’interdépendance
flexible entre naturel et
surnaturel, où la technologie constitue la base
essentielle de résonance
et de coalescence.
Daniel Tacke
Le système de traitement des signaux audio de Miller Puckette
« Le traitement des
signaux audio est le fruit
de ma collaboration de
longue date avec mon
ami et collègue Miller
Puckette, qui a réalisé
quelques contributions
majeures au développement de la technologie de
l’informatique musicale.
Dans toutes les pièces,
les musiciens jouent dans
des micros. Les signaux
sont ensuite transmis à
un ordinateur équipé du
logiciel pd (Pure Data)
de Puckette. Le son des
instruments est transformé de diverses manières
puis diffusé par huit hautparleurs disposés tout
autour de l’auditorium.
Cette configuration me
permet de varier de façon
dynamique les conditions acoustiques dans
lesquelles on entend
la musique, et aussi de
déplacer le son de façon
dynamique dans la pièce,
souvent en fonction de
la forme dynamique des
gestes musicaux. Parmi
les processus que j’utilise,
on trouve des filtres
résonants (une sorte de
résonance piano simulée,
provoquée par les instruments de l’ensemble),
des retards et des échos,
et une harmonisation fine
qui crée des accords de
notes simples. Je cherche
13
à ce que ces sons transformés se mêlent au son
naturel non amplifié pour
produire un tissu sonore
instrumental en continuelle transformation, qui
apporte une plus grande
expressivité aux gestes
musicaux. »
Cycle de coalescence
Dans une coalescence,
deux choses, au moins,
s’unissent en une seule,
plus importante. Rand
Steiger travaille avec
des coalescences de
performance instrumentale et de transformation
électronique depuis plus
de dix ans, période durant
laquelle la plupart de ses
pièces, qu’elles soient
pour soliste, ensemble ou
orchestre, ont impliqué
un traitement informatique. L’effet ne vise pas
tant à brouiller le son qu’à
l’élargir, à dilater l’espace
dans lequel le musicien
peut jouer, à ajouter à
l’ampleur et la générosité caractéristiques de
Steiger, en marge de son
évident plaisir du son.
Composé spécialement
pour ICE (International
Contemporary Ensemble),
Coalescence Cycle compte
six pièces (solistes et
d’ensemble) et explore
le concept de fusion par
la performance. Deux de
ces pièces seront jouées
durant cette édition du
Festival Images Sonores.
14
Concatenation (2012), pour
basson et électronique,
revisite une approche
que Steiger a explorée
dans de précédentes
pièces solistes, appelées
« études gigognes », dans
lequel un ensemble de
matériaux contrastants,
chacun pouvant faire
l’objet d’une étude, sont
exposés et entrelacés
dans une conversation
continue. Cette pièce
utilise sept matériaux
différents, chacun associé
à une approche unique du
traitement de signaux :
brouillard : des phrases
rapides ou lentes se font
écho et résonnent dans
une texture riche qui évolue rapidement entre les
haut-parleurs ;
fleur : une unique note
longue expressive
s’épanouit en un accord
complexe ;
ascension : le geste
s’enroule autour des
haut-parleurs en devenant plus aigu ;
palpitation : des trémolos retentissent et se
déplacent ;
métal : notes graves avec
distorsion ;
cri : des notes longues en
glissandos excitent des
filtres résonants ;
débandade : des gestes
fugaces sont harmonisés
en tricordes et filés.
Après l’exposition initiale,
ces éléments musicaux
réapparaissent dans des
ordres variés, et avec
des longueurs de phrase
différentes au fur et à
mesure de la pièce, débouchant sur une conversation élaborée entre les
divers éléments.
Rand Steiger
Performance le jeudi
12 novembre à 20h30
par Wolfgang Rüdiger
(Ensemble Aventure) et le Centre Henri
Pousseur.
Light on Water (2012)
pour flûte, piano et
électronique
« Je vis près du marais
Los Peñasquitos à San
Diego, Californie ; je le
longe tous les jours et
j’ai été frappé par les
multiples façons dont la
lumière se reflète sur la
surface de l’eau. Parfois,
elle renvoie l’ennuyeuse
grisaille du matin ; à d’autres moments, lorsque
le soleil brille et que le
niveau de l’eau est haut,
il produit des taches
éclatantes et scintillantes.
Cela peut créer une forme
de beauté déconcertante,
et c’est avec ces impressions et images en tête
que j’ai conçu le matériau
de la pièce. »
Rand Steiger
Performance
le samedi 14 novembre à 19h par Ine
Vanoeveren (flûte),
Frederik Croene
(piano) et le Centre
Henri Pousseur.
15
Vendredi 13 novembre
19h30
We Are From Belgium
(Introduction au concert à 19h00)
Luigi Nono, …sofferte onde serene…
pour piano et électronique (1976)
Daan Janssens, (Paysages-Etudes) I
pour violoncelle et piano (2010)
Guillaume Auvray, Corpuscules **
pour violoncelle, piano et électronique (2015)
Daan Janssens, (Paysages-Etudes) V
pour flûte, violoncelle et piano (2011)
Pause
François Couvreur, Au centre **
pour ensemble et électronique (2015)
(réalisation informatique musicale :
Jean-Marc Sullon, Centre Henri Pousseur)
Daan Janssens, (Paysages-Etudes) IV
pour ensemble (2011)
Stefan Hejdrowski, Héros-Limite **
pour ensemble et électronique (2015)
(réalisation informatique musicale :
Jean-Marc Sullon, Centre Henri Pousseur)
Daan Janssens, (l’espace d’une page) - (Paysages - études) II
pour cymbalum et ensemble (2014)
Pause
Martin Matalon, Traces IX *
pour violoncelle et électronique (2014)
Daan Janssens, (…nada.) - (Paysages - études) III
pour violoncelle, piano et électronique (2015)
(commande du Centre Henri Pousseur,
réalisation informatique musicale : Jean-Marc Sullon)
16
19h30
Ensemble Aton’&Armide
Sara Picavet, piano
Benjamin Glorieux, violoncelle
Luigi Gaggero, cymbalum
Eugénie Defraigne, violoncelle
Lena Kollmeier, piano
Benedetto Parisi, cor
Rémi Lafosse, percussion
Romain Garitte, percussion
Ensemble Hopper
France Collignon, piano
Rudy Mathey, clarinette
Roxanne Leuridan, violon
Nathalie Angélique, alto
Bruno Bragato, violoncelle
Sofia Gantois, flûte
François Deppe, direction
Centre Henri Pousseur, électronique live
* création belge
** création mondiale
17
Daan Janssens
(Paysage - Etudes)
Le cycle en cinq mouvements (Paysages – études)
a vu le jour entre 2010 et
2015. Il se compose de
trois pièces de musique
de chambre :
(Paysages – études) I
pour violoncelle et piano
(2010) ; (...nada.) –
(Paysages – études) III
pour violoncelle, piano et
électronique live (2015) ;
(Paysages – études) V
pour flûte, violoncelle et
piano (2011) ;
et de deux compositions
d’ensemble :
©Isabelle Françaix
Nom: Daan Janssens
Né: 1983, Brugge
Formation: Composition au « Koninklijk Conservatorium
Gent »
Professionnellement: Doctorant au « Koninklijk
Conservatorium Gent »
Performances: Spectra Ensemble, Ensemble Intercontemporain, Aton’&Armide, Ensemble Orchestral
Contemporain, Neue Vocalsolisten Stuttgart, Ensemble
Musiques Nouvelles, Vocaallab, Gulbenkian Orchestra
Lisbon, Symfonieorkest Vlaanderen, Nadar, e.a.
Plus d’informations: www.daanjanssens.be
18
(l’espace d’une page) –
(Paysages – études) II
pour cymbalum et huit
instruments (2014) ;
(Paysages – études) IV,
étude d’après Maurice
Maeterlinck, pour sept
instruments (2011).
Le violoncelle et le piano
occupent une place centrale dans les trois compositions de musique de
chambre. Je les ai écrites
pour Aton’&Armide, l’ensemble du violoncelliste
Benjamin Glorieux et de la
pianiste Sara Picavet.
Les deux pièces d’ensemble ont été commandées par le Spectra
Ensemble.
(Paysages – études) I pour
violoncelle et piano (2010),
et (Paysages – études) V pour
flûte, violoncelle et piano
(2011) ont vu le jour sous
la forme d’études pour
mon opéra de chambre
Les Aveugles (2011). J’ai repris presque littéralement
dans cet opéra de longs
fragments de ces compositions d’études, en ajoutant aux lignes musicales
de flûte, violoncelle et/ou
piano déjà existantes de
nouvelles parties vocales
et instrumentales. Ainsi, le
premier mouvement de
(Paysages – études) I revient
presque intégralement
dans la quatrième scène
des Aveugles, et j’ai repris
une grande partie du
deuxième mouvement
de (Paysages – études) I
dans la deuxième scène
de l’opéra de chambre.
Il existe également des
liens musicaux internes
entre les deux études.
Ainsi, un fragment du
premier mouvement de
(Paysages – études) I revient
dans (Paysages – études) V.
Les parties de violoncelle
et de piano y sont alors
agrémentées d’une partie
de flûte.
J’ai appliqué un principe
inverse à (Paysages – études)
IV. Cette composition part
du matériau des Aveugles.
J’ai réécrit les lignes
vocales et instrumentales
de la deuxième scène
de l’opéra de chambre
pour un ensemble de
sept instruments tout en
conservant intégralement
la dramaturgie et le développement musical de la
composition d’origine.
Tout comme (Paysages –
études) IV, les compositions
ultérieures (l’espace d’une
page) – (Paysages – études) II
(2014) et (...nada.)
– (Paysages – études) III
(2015) s’appuient sur le
matériau des Aveugles.
Dans ces deux œuvres,
j’ai utilisé un processus
différent de celui appliqué
aux mouvements précédents. Contrairement aux
compositions antérieures,
où je reprenais à la lettre
ou réécrivais des blocs
de musique, le matériau
de base de (l’espace d’une
page) et de (...nada.) est
beaucoup plus abstrait :
un motif arpégé au piano
et aux percussions, une
succession de notes
chromatiques, une reprise
de quelques notes... Ce
matériau a ensuite servi
de point de départ à la
création d’une structure
dramatique entièrement
nouvelle, complètement
indépendante du développement musical
formel de la composition
d’origine.
J’ai composé (l’espace d’une
page) pour trois vents, trois
cordes et trois instruments « à percussion »
(cymbalum, piano et percussions). Le cymbalum
fonctionne tout au long
de l’œuvre comme un
« quasi-soliste ». Il existe
par moments une relation
claire entre le soliste et
l’ensemble, tandis qu’à
d’autres, cette hiérarchie
disparaît, ou d’autres
instruments reprennent le
rôle soliste du cymbalum.
Dans (...nada.), la composition la plus récente et
aussi la plus imposante
de la série – elle dure à
elle seule presque aussi
longtemps que les quatre
autres mouvements du
cycle réunis –, j’ai ajouté de l’électronique aux
instruments acoustiques.
Le point de départ de la
partie électronique est
constitué d’enregistrements de fragments de
(Paysages – études) I et de
(Paysages – études) V, joués
par Benjamin Glorieux
et Sara Picavet. J’y ai
ensuite ajouté d’autres
enregistrements, autant
de musique écrite que
d’improvisations de Benjamin et Sara. Tout au long
de la pièce, les instruments live et l’électronique dialoguent de trois
façons différentes. Dans
le premier mouvement,
la partie instrumentale
se distingue clairement
de la ligne électronique.
Dans le deuxième mouvement, les deux parties
se mêlent, puis, dans le
troisième mouvement,
19
l’électronique joue un rôle
central. Enfin, une longue
« cadenza » électronique
est suivie d’une coda
entièrement basée sur le
premier mouvement du
cycle. Les instruments
reprennent le matériau du
deuxième mouvement de
(Paysages – études) I tandis
que la partie électronique
repose entièrement sur
des enregistrements de
cette même œuvre.
Daan Janssens
Conservatoire
de Liège
Trois créations
S. Hejdrowski
Héros-Limite
« La mort, la mort folle,
la morphologie de la
méta, de la métamort, de
la métamorphose ou la
vie, la vie vit, la vie-vice,
la vivisection de la vie »
étonne, étonne et et et est
un nom, un nombre de
chaises, un nombre de 16
aubes et jets, de 16 objets
contre, contre la, contre la
mort ou, pour mieux dire,
pour la mort de la mort
ou pour contre, contre,
contrôlez-là, oui c’est mon
avis, contre la, oui contre
la vie sept, c’est à, c’est
à dire pour, pour une vie
dans vidant, vidant, dans
le vidant vide et vidé, la
vie dans, dans, pour une
vie dans la vie. »
Performance
le vendredi
13 novembre à 19h30
20
Ghérasim Luca
F. Couvreur
Au centre
G. Auvray
Corpuscules
Au centre, est une pièce
conçue en trois parties.
La première présente
successivement deux
sortes d’impacts dont
l’ harmonie (éclatée dans
le spectre entre le médium et le sur-aigu) et la
rythmicité se morcellent
petit à petit. L’ensemble
instrumental et les effets
électroniques forment un
tout harmonique et rythmique, qui se rétracte ou
Corpuscules est une pièce
déstructurée ou plutôt à
structure semi-variable.
La musique en tant que
langage a pour but de
véhiculer un message,
une pensée, une idéologie, une revendication,
mais également à nouveau – après l’extrémisme
antipathique dans le sens
étymologique du terme,
de certaines Écoles de
la fin du siècle dernier –
se délaye dans le temps.
Le processus mène à
un ostinato qui conduira
toute la deuxième partie
de la pièce dans une ambiance contemplative. Des
accords y apparaissent
au compte goutte puis
disparaissent en laissant
leurs résonances se mêler
aux autres. La troisième
partie est une presque
redite de la première.
des élans émotifs. Ceci
n’est possible que par un
retour à une dialectique
intelligible du discours
musical. Cette cohérence
discursive est présente
par une continuité stratégique entre chacune
des cellules offertes aux
musiciens. Ce sont ces
derniers qui donneront
l’identité finale à chaque
prestation de l’œuvre
grâce au déroulement
des corpuscules. C’est
avec des agrégats cellulaires que les musiciens
François Couvreur
construiront une phraséologie en fonction de leurs
singularités de musiciens
et d’ensemble instrumental.
Guillaume Auvray
21
Samedi 14 novembre
18h00
HELLO !
Part one
Peter Ablinger, Renate Fuczik (extrait)
pour piano et 1 haut-parleur (2006-2026)
François Sarhan, Vice Versa
(texte & body percussion) (2008)
Cathy van Eck, Pièce d’Ameublement
pour piano, plantes et électronique (2011)
Peter Ablinger, The Real as Imaginary
pour voix & noise (2012)
Mark Applebaum, Aphasia
for muted singer and tape (2010)
Ine Vanoeveren, voix
Frederik Croene, piano
Tom De Cock, performer
Nico Couck, performer
Centre Henri Pousseur, électronique live
19h00
HELLO !
Part two
Mauricio Pauly, Another Celibate Machine *
pour ensemble et électronique (2013)
João Pedro Oliveira, Burning Silver *
pour flûte, guitare et électronique (2014)
Johannes Kreidler, Klavier Study
pour piano, vidéo et électronique (2011)
Rand Steiger, Light on Water *
pour flûte, piano et électronique (2012)
Pause
22
Steven Kazuo Takasugi, The Man Who Couldn’t Stop Laughing *
théâtre musical pour ensemble et électronique (2009-2014, rév. 2015)
Katharina Rosenberger, The Line *
pour vidéo et électronique (2002, 2003)
Brian Ferneyhough, Mnemosyne
pour flûte basse et électronique (1986)
Johannes Kreidler, Stil 1f *
pour ensemble et électronique (2013)
Pause
Per Bloland, Solis Overture *
pour ensemble et électronique (2014)
Sam Hayden, Schismatics II
pour violon électrique et électronique (2007, rév. 2010)
Mauricio Pauly, Sky Destroys Dog *
pour guitare électrique et électronique (2014)
Alexander Schubert, Hello 2.0 **
pour ensemble, électronique et vidéo (2015)
(vidéo par Evy Schubert)
Nico Couck, guitare
Ine Vanoeveren, flûtes
Frederik Croene, piano
Stijn Saveniers, violoncelle
Tom De Cock, percussion
Takao Hyakutome, violon
Centre Henri Pousseur, électronique live
* création belge
** création mondiale
23
Performance
= art
L’art de la performance insistant sur l’aspect
musical a vu le jour dans les années 1960, à la
suite du mouvement artistique Fluxus (latin :
flux, courant). Ces performances où se mêlent
diverses disciplines artistiques, peu conventionnelles pour cette époque, ont souvent laissé au
public un sentiment troublant et inconfortable.
Comment décrire autrement la réaction de stupéfaction (voire d’embarras) du public quand
Yoko Ono se met à crier au milieu du MoMa à
New York (Voice Piece for Soprano, 2010) ?
L’idée de combiner des disciplines artistiques,
et tout particulièrement d’ajouter un facteur
théâtral à une œuvre d’art musicale, a inspiré
les générations suivantes de compositeurs.
Outre les paramètres connus en musique
(dynamique, rythme, registre et tempo), l’incarnation physique est devenue une dimension
importante en musique nouvelle.
Brian Ferneyhough,
compositeur britannique
connu pour son écriture
rythmique et mélodique
excessivement complexe,
exige une composante
physique (incarnée),
tout simplement dans la
mesure où les éléments
purement musicaux ne
sont pas suffisamment
nombreux pour traduire
son écriture dense. Dans
Mnemosyne, pour flûte
basse et électronique, l’interprète fait l’équilibre sur
24
la frontière ténue entre
explication audible et
explication visuelle de la
question complexe de la
mémoire et du souvenir.
D’autre part, le compositeur nippo-américain
Steven Kazuo Takasugi
fait totalement fi des
limites traditionnelles
d’un concert de musique
classique. La structure
musicale de sa pièce The
man who couldn’t stop laughing est construite sur une
bande électronique. Les
musiciens sur scène sont
des acteurs qui, fort à
propos, jouent d’un instrument. Écouter la musique
ne suffit pas ; il faut la voir
afin de sentir l’implication
physique.
Dans Hello 2.0, le compositeur Alexander Schubert et la vidéographe
Evy Schubert, installés à
Berlin, transposent l’aspect théâtral à un court
métrage qui fait office de
partition musicale. Les
artistes adaptent leur
interprétation de la partition écrite au scénario du
film, en utilisant toutes les
extensions instrumentales
qui leur viennent à l’idée,
de type techniques étendues, accessoires et voix.
La voix joue un rôle majeur dans l’interprétation.
C’est un instrument que
nous possédons tous, un
outil que nous pouvons
tous exploiter.
Les compositeurs
contemporains cherchent
souvent la controverse :
jouer avec virtuosité est
admirable, mais est-ce
intéressant ? En utilisant
de nouvelles techniques,
appelées techniques
étendues, des outils inhabituels comme du papier
de verre, des chaînes et
des vibrateurs, et les voix
non travaillées des instrumentistes, les compositeurs parviennent à ouvrir
de nouvelles fenêtres
dépolies sur une expérience musicale.
Certaines pièces sont
spécifiquement écrites
comme des (non)action
performances. En 1952,
John Cage a écrit 4’33”,
où le pianiste est assis
« silencieusement » à son
piano durant 4 minutes et
33 secondes. Mais cela
ne veut pas dire que le
résultat de la pièce est
le silence. Interprètes et
public entendent tous
leur cœur battre dans leur
cou, le bruit des pieds, la
toux ou le rire embarrassé
du public, le bourdonnement des projecteurs...
Une fois que l’on a dépassé le trouble du départ, on
peut commencer à faire
l’expérience de la puissance du silence et de la
pureté du bruit.
De systèmes d’irrigation
électronique (van Eck) à la
réalité imaginaire d’Ablinger ; d’une horloge parlante (Ablinger) à un duo
de claques (Sarhan) et à
une pantomime extériorisante (Applebaum) : ces
pièces sont supposées
impliquer. Les interprètes
attirent le public dans un
univers artistique inconnu,
inconfortable, qui transcende la scène musicale
traditionnelle.
Ine Vanoeveren
25
Johannes Kreidler
Créer, c’est interpeller
©Esther Kochte
Nom: Johannes Kreidler
Né: 1980, Esslingen am Neckar, Allemagne
Formation: Hochschule für Musik, Freiburg; Institut
de Sonologie Den Haag; Albert-Ludwigs-Universität
Freiburg
Professionnellement: Enseigne la théorie musicale et
la musique électronique à l’Université de Musique et
Théâtre de Rostock, à la Hochschule für Musik de Detmold ainsi qu’à la Hochschule für Musik und Theater à
Hanovre
Performances: Donaueschingen festival, Internationales Musikinstitut Darmstadt, Ultima Festival Oslo,
Musica Strasbourg, Gaudeamus Music Week Utrecht,
Huddersfield Contemporary Music Festival, e.a.
Plus d’informations: www.kreidler-net.de
26
Johannes Kreidler fait
partie de ces ‘nouvelles
figures de musiciens’ et
de compositeurs intégrant
les nouvelles technologies dans sa boite à
outils poïétique et fait de
l’informatique musicale le
moyen quasi exclusif pour
concevoir une approche
personnelle et engagée
dans son rapport à l’art et
au monde. Ses œuvres
ou performances étonnantes, parfois drôles ou
provocatrices interpellent
notre sens critique, sans
concession, sur les nouvelles technologies et
les rapports complexes
qu’elles entretiennent
avec nos sociétés. ‘Créer,
c’est interpeller’, nous
rappelle Kreidler.
L’internet pour J. Kreidler,
c’est un investissement
(au propre comme au
figuré), une vitrine de sa
créativité musicale (compositions, performances)
et de ses engagements
intellectuels (conférences,
interviews) sur un mode
rare chez un musicien. Le
E-learning et les réseaux
sociaux (déclinés par
chaque artiste dans leurs
utilisations en fonction
de leur positionnement
idéologique et poïétique)
chez Kreidler exacerbent
son geste, sa pratique.
Se dessine le portrait d’un
franc-tireur aux visages
multiples (mais cohérents,
unifiés quant aux
idéaux sous-jacents) et un
provocateur mesuré déployant une vraie stratégie
de communication
exhibant ses créations à la
croisée des ‘genres’.
Pure data, son logiciel
musical fétiche, lui sert à
expérimenter et à bousculer son corps sur scène
sans pudeur émotionnelle.
Sa rencontre avec l’informatique musicale se fit
dans le cadre de l’école
qui mettait à la disposition
de ses élèves des postes
sur lesquels Max/MSP
étaient installés. Mais
seule Pure data à cette
époque était disponible
sur PC et sa gratuité finit
de le convaincre en lui
ouvrant de nouvelles
possibilités quant au
traitements complexes
rendus possibles par le
traitement numérique des
sons. Celui-ci va devenir son logiciel fétiche
de prédilection offrant
un environnement non
seulement facile d’accès
de par sa gratuité et sa
souplesse (puisque chacun construit un projet en
fonction de ses besoins
partant d’une fenêtre vide
sur l’écran : un patch) mais
également de par toute
la communauté internationale d’utilisateurs se
retrouvant sur différents
forums permettant de
trouver aide et ressources
disponibles gratuitement
(tutoriels, patchs, conseils
techniques etc.).
Pour Johannes Kreidler, la
première utilisation qu’il
fit de Pure data fut celle
« du simple plaisir de
l’expérimentation » (sic) ;
le logiciel a l’avantage de
ne pas avoir de couleur
esthétique spécifique car
il n’y a pas de son Pd,
« no Pd sound » (sic).
Le « son » qui résulte du
projet artistique est celui
que l’artiste a construit et
élaboré. Cette absence
de « signature » esthétique lui offre un espace de
liberté exceptionnel dans
lequel il va élaborer le
programme COIT
(« calculated objects in
time ») à l’origine de beaucoup de ses réalisations musicales et artistiques. Une autre de ses
préoccupations concerne
la notion de propriété et
de copyright liés à toute
création musicale qui
fait aujourd’hui débat et
qu’internet questionne.
Kreidler va lui aussi poser
ce problème notamment
au-travers du sample, de
l’échantillon (ce court ou
très court fragment audio
émanant d’une pièce de
musique quelconque) qui
devient presque emblématique de toutes les
problématiques juridiques
et artistiques découlant
de la libre utilisation de
ces « emprunts » dont
il est parfois difficile de
reconnaître ou d’identifier l’origine et l’auteur
précis. Sur ce sujet,
Kreidler revendique la
libre utilisation de ces
samples en menant un
combat original (sa propre
mise en scène d’un artiste
pince-sans-rire) ou il va
engendrer le rire et un
sentiment de ridicule
auprès des autorités allemandes. Au-delà de cet
aspect purement formel,
ce sample ou échantillon
fascine littéralement cet
artiste dans la mesure ou
il est comme un « précipité culturelle » digne
d’être manipulé, déformé,
exhibé sur scène dans
des performances assez
étonnantes et rares ;
Kreidler nous propose une
« théâtralisation » d’une
problématique, presque
choquante par son caractère décalée ou burlesque
créant un espace d’interrogations chez l’auditeur
coincé entre le rire et la
perplexité.
Jean-Pierre Quinquenel
27
Steven Kazuo Takasugi
The Man Who Couldn’t Stop Laughing
©Zvia Fridman
Nom: Steven Kazuo Takasugi
Né: 1960, Los Angeles, California
Formation: Université de California, Los Angeles;
Brooklyn College Conservatory of Music, New York;
Université de California, San Diego
Professionnellement: Professeur (Associate) au département de musique de l’Université de Harvard; directeur de l’Institut d’été de Composition.
Professeur à l’Académie Schloss Solitude Stuttgart
Performances: Salt Festival Victoria; Ensemble Dal
Niente; Forma; Spark Festival; MusikFabrik; Acousmain;
E-werk; Transit Festival; Ultraschall et MaerzMusik;
HaTeiva; Stockholm New Music; State Theater; Bludenz
Festival; Ferienkurse für Neue Musik Darmstadt, e.a.
Plus d’informations: www.steventakasugi.com
28
The Man Who Couldn’t Stop
Laughing (L’homme qui
riait) est avant tout une
œuvre de théâtre musical inscrite dans une
performance de musique
de chambre aux allures
d’attraction (phénomène)
de foire. Elle est extrême,
parfois « exagérée » dans
ses représentations et démonstrations théâtrales,
tout particulièrement pour
une pièce de musique de
chambre donnée dans un
lieu dédié à la musique
classique ; pourtant, son
impitoyable maîtrise est
salvatrice.
Divers actes joués sur
scène pourraient se
solder par des résultats
comiques, étranges ou
grotesques, mais les
tentatives d’un interprète
d’être fou, mignon, mélodramatique, ou histrionique ne s’en approchent
jamais. Bien au contraire :
c’est un théâtre extrêmement austère, évoquant
davantage le théâtre nô
japonais ou la cérémonie
du thé. (À en juger par les
personnages dépeints
par la perspective des
acteurs, ce théâtre n’a
rien de drôle, mais plutôt
quelque chose de fataliste ou d’absurdement
tragique.)
Basé sur les travers obscurs des parcs d’attraction
de Coney Island au début
du XXe siècle, The Man
Who Couldn’t Stop Laughing
est une réflexion sur la
virtuosité, les spectacles
de monstres, le divertissement, l’entreprise du
spectacle et les sacrifices
que l’on fait pour survivre
dans le monde.
Un cycle de quatre aphorismes du satiriste viennois Karl Kraus (1874-1936)
sert de sous-texte tout au
long de l’œuvre :
1. « Ein Gourmet sagte
mir: was die Crême der
Gesellschaft anlange, so
sei ihm der Abschaum
der Menschheit lieber. »
(Un gourmet m’a dit qu’au
regard de la crème de la
société, il préférait la lie
de l’humanité.)
2. « Wenn Tiere gähnen, haben sie ein
menschliches Gesicht. »
(Quand des animaux
bâillent, ils ont un visage
humain.)
3. « Der Fortschritt macht
Portemonnaies aus
Menschenhaut. » (Le progrès fait des porte-monnaie de peau humaine.)
4. « In einen hohlen Kopf
geht viel Wissen. » (Dans
une tête vide, il entre
beaucoup de savoir.)
Les personnages de
l’attraction :
- Géant
(aux poumons énormes)
- Avaleur d’épées
(expert en sabre ; possède
même un fourreau)
- Araignée humaine
(né avec huit mains)
- Nain bégayant et
Propriétaire du spectacle/
Annonceur
Table des matières
Mouvement I :
The Man Who Couldn’t
Stop Laughing
A. Lead-in (0:00)
B. ‘The Man Who Couldn’t
Stop Laughing’ (0:08)
C. Kraus Aphorism I : ‘Ein
Gourmet Sagte Mir…’ (1:32)
D. ‘The Man Who Couldn’t
Stop Laughing, Part II’
(3:21)
E. Interlude I: ‘A Queasy
Ascent’ (6:03)
F. Kraus Aphorism II :
‘Wenn Tiere Gähnen…’
(7:15)
G. Kraus Aphorism III : ‘Der
Fortschritt…’ (8:29)
or ‘The Fat Man’ or ‘The
Obese Genius’ (16:29)
L. Interlude III : ‘Night’s
Glimmering City’ (17:19)
Steven Kazuo Takasugi
Création belge le
samedi 14 novembre à
19h00 par Nico Couck
(guitare), Ine Vanoeveren (flûte), Stijn Saveniers (violoncelle),
Takao Hyakutome (violon), Frederik Croene
(piano), Tom De Cock
(percussion) et le Centre Henri Pousseur.
Mouvement II :
Sodom by the Sea
H. Interlude II : ‘Premonition: Morning after the
Inferno (with View of Sea)’
(9:52)
I. ‘The Contortionist’ (14:52)
J. Kraus Aphorism IV :
“In Einen Hohlen Kopf…”
(16:08)
K. ‘The Sideshow Giant’
29
Centre Henri Pousseur
Fondé en 1970 à l’initiative
de Henri Pousseur et de
Pierre Bartholomée, le
Centre Henri Pousseur
(anciennement « Centre de Recherches et de
Formation musicales de
Wallonie ») a joué un rôle
de pionnier et s’est engagé dès sa création dans la
réalisation et la diffusion
d’œuvres de musique
électronique et, tout particulièrement, de musique
mixte.
Lieu d’expérimentations,
d’échanges et de réalisations contemporaines,
le Centre Henri Pousseur
accueille des projets d’artistes de la Fédération
Wallonie-Bruxelles, ainsi
que des autres régions du
pays et de l’étranger.
Plusieurs commandes
sont lancées chaque
année par le Centre à
des compositeurs de
Communauté française et
étrangers. Depuis 2009, il
décerne tous les deux ans
le Prix Henri Pousseur à un
jeune lauréat d’un Conservatoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
30
Au travers de projets propres, comme le Festival
Images Sonores, le Centre
soutient la diffusion des
créations réalisées dans
ses studios, sans négliger
pour autant le répertoire.
Les activités du Centre Henri Pousseur sont
réalisées avec l’aide
de la Fédération de la
Communauté Wallonie-Bruxelles (Direction
générale de la Culture,
Service de la Musique).
Stijn Boeve
directeur général
Jean-Marc Sullon
Patrick Delges
informatique musicale et
électronique live
Les compositeurs
Peter Ablinger
Mark Applebaum
Guillaume Auvray
Per Bloland
François Couvreur
Cathy van Eck
Brian Ferneyhough
Sam Hayden
Stefan Hejdrowski
Thomas Hummel
Daan Janssens
Johannes Kreidler
Martin Matalon
Luigi Nono
João Pedro Oliveira
Mauricio Pauly
Edwin Pierard
Katharina Rosenberger
Roberto David Rusconi
François Sarhan
Alexander Schubert
Rand Steiger
Steven Kazuo Takasugi
Les interprètes
Musiques Nouvelles
Thomas Van Haeperen
Ensemble Aventure
Ensemble Aton’&Armide
Luigi Gaggero
Eugénie Defraigne
Lena Kollmeier
Benedetto Parisi
Rémi Lafosse
Romain Garitte
Ensemble Hopper
François Deppe
Nico Couck
Ine Vanoeveren
Takao Hyakutome
Frederik Croene
Stijn Saveniers
Tom De Cock
www.ablinger.mur.at
www.markapplebaum.com
www.perbloland.com
www.cathyvaneck.net
www.edition-peters.com/composer/Ferneyhough-Brian
www.samhaydencomposer.com
www.thomashummel.net
www.daanjanssens.be
www.kreidler-net.de
www.martinmatalon.com
www.luiginono.it (Fondation - Archives)
www.jpoliveira.com
www.mauriciopauly.com
www.krosenberger.ch
www.robertdavidrusconi.co.uk
www.fsarhan.com
www.alexanderschubert.net
www.rand.info
www.steventakasugi.com
www.musiquesnouvelles.com
www.ensemble-aventure.de
www.aton-armide.com
www.cimbalom.eu
www.nicocouck.com
www.inevanoeveren.com
www.takao.co.nr
www.frederikcroene.com
www.stijnsaveniers.com
Les biographies sont disponibles sur le site
www.images-sonores.be
Traductions: Emilie Syssau - Maxime Schouppe
Graphisme: www.toykyo.be
31
Centre Henri Pousseur
5 Quai Banning
4000 Liège
+32 4 223 22 98
[email protected]
www.centrehenripousseur.be
Le Festival Images Sonores
est organisé par le Centre Henri Pousseur
avec l’aide de

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