Bertrand Runtz - Reine d`un jour

Transcription

Bertrand Runtz - Reine d`un jour
Le Magazine des Livres, n° 27 – Novembre / décembre 2010
Reine d’un jour, Bertrand Runtz
Éditions Finitude
Fin de reine
Par Marc Villemain
Qui connaît un peu leur travail ne sera pas surpris que les
éditions Finitude accueillent les univers très sensibles de
Bertrand Runtz. A première vue, la nostalgie prime ; elle est
même revendiquée. Mais ce sont des univers où l’hier résonne
bien trop durement dans l’aujourd’hui pour être simplement
éplorés. La crudité et la justesse du sentiment donnent toute son éclat et son intérêt à cette
Reine d’un jour hors des modes. « Dans la famille, on ne remplace pas les disparus » :
l’ouverture est grave, définitive, mais on ne saurait la dire amère. Sans paradoxe dans les
termes, la sécheresse factuelle du constat n’est pas neutre : elle dit aussi, sans doute, la forme
ténue du respect, à tout le moins de la considération, pour une certaine doctrine familiale.
Jusqu’à éventuellement constituer un fondement où poser sa propre appréhension de
l’existence.
Nous tournons donc en même temps que Bertrand Runtz les pages de ce cahier d’histoire,
probablement la sienne. Et partons en sa compagnie à la rencontre de quelques personnalités
aux destins aussi communs qu’exceptionnels – le propre, peut-être, de tout destin individuel.
Enfin, quand même. Il y a cette tante, qui fera tant causer, ou au contraire dont l’existence,
brimée, bridée, tue, acculera chacun à tenir le silence, fût-ce en taisant l'abjection, « cette
femme au visage triste et marqué, la couronne légèrement de guingois, encadrée par les
ombres portées du lustre, mais qu’on dirait plutôt produites par des grilles ou bien des bois
d’animaux fantastiques », et qui commença sa vie de malheur en venant « au monde toute
tordue, la tête collée sur une épaule. » C’est elle, cette improbable reine, dont le sombre
souvenir nous saisit à peine le livre ouvert, elle dont le narrateur dit qu’il la « fixe pour
l’éternité, dans l’odeur sucrée et un peu amère de la frangipane réchauffée. » Son histoire est
une chose, et une chose terrible – qui s’achèvera dans cette « Maison d’Humanité Publique »
où il la visitera, péniblement, à rebours, taraudé par un infini sentiment de culpabilité : « Du
coin de l’œil, je l’observais détremper soigneusement ses petits-beurre dans le jus de pomme
– mais cependant pas trop car sinon ils auraient risqué de se déliter au fond du verre – avant
de les porter vivement à sa bouche qui s’ouvrait en frémissant aux commissures en les voyant
s’approcher, comme douée d’une vie propre. C’était fascinant à observer. J’en avais le cœur
au bord des lèvres. » Il n’y aurait sur la vie cette femme rien d’autre à éprouver que de la
compassion, parfois de la pitié. Et c’est aussi à travers ses yeux que Bertrand Runtz raconte
cette histoire, avec une sensibilité très juste, très précise, et sans se faire jamais le moindre
cadeau. Car tout au long de cette Reine d’un jour, l’enfance n’en finit pas d’envoyer ses
missiles, ces flammèches perçantes qui interdisent tout repos. Il y a du ressassement, donc, et
c’est aussi dans ce ressassement que puise l’auteur, afin peut-être de pouvoir mieux vivre.
C’est écrit très joliment, sans autres manières que celles que la pudeur commande ; je ne sais
si notre époque tapageuse saura l’entendre. Je l’espère.
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