Faire ses devoirs
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Faire ses devoirs
groupe départemental « Maîtrise de la langue » Jean-Marie Vigouroux juin 2011 nous avons lu pour vous... Faire ses devoirs auteurs : Patrick RAYOU (sous la direction de) éditeur : P.U.R., 2009 Les temps du passé en CM2, Sylvie Cadolle et Janine Reichstadt (pages 103 à 126) L’article rend compte d’une recherche visant à analyser le couplage entre une leçon de grammaire et les devoirs donnés aux élèves suite à cette leçon. Deux séances de classe ont été observées en CM2. Ces leçons avaient toutes les deux pour objet l’étude des temps du passé. Les chercheurs ont posé les questions suivantes : ce qui a été fait et dit en classe permet-il à tous les élèves de réussir l’exercice demandé hors la classe et les objectifs des enseignants ont-ils été atteints ? Les leçons Le manuel utilisé est référé aux programmes 2002 : « Parcours ORL cycle 3. CM2 ». Les deux leçons s’appuient sur le texte suivant, extrait de H. Montardre, Un chien contre les loups, Rageot. Deux jours plus tard, alors qu’elle rentrait de l’école, un drôle de nuage attira l’attention de Marie. Cette fois sa mère n’était pas là : Gévaudan était seul à l’attendre au bout du chemin. Cela avait surpris Marie. Elle avait caressé la tête du chien et ils avaient tous deux emprunté le chemin, comme autrefois. Des traînées grises s’élevaient au-dessus du bois tandis que Marie approchait le nez en l’air. La porte de la maison était ouverte, mais la grande pièce était vide. Elle appela : – Maman ! Maman ! – Sa voix résonna et nul ne répondit. Elle posa son cartable, ressortit, inspecta la cour, fit le tour de la maison. Son père et sa mère étaient là, la main en visière au-dessus des yeux. Les traînées provenaient en fait d’une fumée qui s’élevait, depuis la colline d’en face, et qui s’épaississait de seconde en seconde. – C’est quoi ? demanda-t-elle. – La maison, répondit son père brièvement. – La maison abandonnée ? fit-elle, la gorge sèche. Son père hocha la tête. 1/5 – Mais pourquoi ? Il se tourna vers elle. – Les hommes sont revenus aujourd’hui pour demander si on avait vu quelqu’un. Ils ont parlé de la maison, m’ont demandé si j’y étais allé récemment. – Qu’est-ce que tu as répondu ? Elle criait presque. – Que ni moi, ni personne de ma famille n’y étions allés depuis des années. C’est la vérité n’est-ce pas ? Les deux leçons observées comportent quelques petites différences mais celles-ci ne sont pas significatives. Dans chacune des classes le déroulement est à peu près le suivant : après la lecture (silencieuse puis à voix haute) du texte, le premier travail demandé aux élèves consiste à rechercher les verbes conjugués au passé (les élèves surlignent ces verbes). Puis les élèves doivent fournir à l’oral l’infinitif du verbe et son sujet. Le professeur valide les bonnes réponses et corrige les mauvaises. La tâche suivante consiste à remplir un tableau dans lequel les différents temps du passé sont désignés : Temps simples Imparfait Elle rentrait Elles s’élevaient Passé simple Il attira … Temps composés Plus que parfait Il avait surpris Elle avait caressé Passé composé Ils sont revenus Tu as répondu Le tableau est ensuite complété collectivement à partir des autres verbes du texte proposés par des élèves. Dans une des leçons, l’ordre des colonnes est différent (imparfait, passé composé puis passé simple et plus que parfait) car « les deux derniers temps n’ont pas encore été appris dans la progression du manuel ». Pour finir, les élèves recopient le tableau. Faute de temps, une trace écrite de la leçon est fournie l’après-midi, ainsi que les consignes du travail à faire après la classe. Éléments d’analyse des leçons Le sens du texte est évacué dans les deux leçons. De toute façon, on peut remarquer que cet extrait est en tant que tel incompréhensible, puisque cet épisode de l’histoire fait de nombreuses références à un contexte qui n’est pas présenté. Cela n’interdit pas d’étudier le temps des verbes, mais le lien entre le sens grammatical (pourquoi tel temps est utilisé ?) et le sens premier du texte ne pourra pas apparaître. L’observation montre que plusieurs élèves semblent ignorer ce qu’est un verbe et ce que c’est que le passé. Les usages de la langue à l’oral et la compréhension implicite des temps du verbe ne sont jamais sollicités (par exemple dans des opérations de 2/5 substitution, déplacement, transformation…). En particulier la distinction entre imparfait et passé simple n’est pas clarifiée (d’autant que ce dernier temps n’est jamais utilisé à l’oral). La particularité des temps composés (passé composé et plus que parfait) n’est pas étudiée. Certains élèves donnent l’infinitif « avoir » dans la phrase « Cela a surpris Marie ». Seule la conjugaison au futur (« surprendra ») est utilisée pour rectifier cette erreur dans une des leçons. Observation du travail donné en « devoirs » Les deux professeurs demandent aux élèves de faire une phrase pour chacun des temps du passé. Les observations ci-dessous ont été faite ou bien au domicile des enfants ou bien dans le cadre de l’aide aux devoirs. Andréi a écrit sur son cahier de textes une consigne incompréhensible : « des frasé un verbe il un et ou cernier et passé et composé ». Il est incapable d’identifier ce qu’il a à faire. Il montre dans la discussion qui s’ensuit qu’il n’a pas compris que chacune des phrases doit illustrer un des temps du passé. Il n’a pas repéré qu’il y avait plusieurs temps du passé. Il ne comprend pas la différence simple/composé et ne sait pas ce qu’est un auxiliaire. A l’oral il parvient à produire des énoncés corrects au passé. Shahid a oublié son cahier de texte mais se souvient : « il faut que je fasse une phrase avec un verbe en « ait », une phrase avec un verbe en « it », une phrase avec « sont », une phrase avec « ont ». Pour la phrase avec verbe en « it », Shahid propose « il est partit » qui est pour lui un exemple de passé simple, puisqu’on entend « i » à la fin. Les phrases suivantes comportent « sont » et « ont » mais pas en tant qu’auxiliaires au passé composé. Shahid s’appuie sur des indices donnés dans les exemples de la leçon, mais sans savoir de quoi ces exemples sont les exemples et sans rien comprendre au sens de la conjugaison des verbes. Esther trouve rapidement une phrase pour l’imparfait « elle partait dans sa chambre » et une autre « il posa le sel » pour le passé simple, sur le modèle de l’exemple « elle posa » donné dans la leçon. Mais « ils était de retour à la plage » est pour elle une phrase qui contient un passé composé. Elle ne sait pas ce que sont un participe passé et un auxiliaire. Dans le texte de la leçon elle avait souligné « vérité » comme un verbe. Vincent imagine des phrases à partir d’un verbe à l’infinitif et ça vient tout seul pour l’imparfait, le plus que parfait et le passé composé. Mais il y a difficulté pour le passé simple : il propose « j’alluma ma chambre », désinence en « a » calquée sur le modèle donné en exemple dans la leçon (« elle posa »). 3/5 Laura réussit correctement en reprenant les verbes donnés dans la leçon et en changeant les autres mots. A la question « comment tu as fait ? » elle répond : « j’ai regardé la leçon et j’ai regardé la terminaison du verbe et j’ai fait une phrase avec d’autres mots ». José a écrit : Passé composé : je vais être malade Imparfait : elle posa une carte au marchand de journaux Passé simple : je vais au marché Exemples de commentaires faits à l’oral par d’autres élèves à partir de leurs phrases. « Je cherchais mon porte-monnaie c’est de l’imparfait car ça se termine par ais : ais, ais, ait » « Il donna un cadeau d’anniversaire c’est du passé simple car ça se termine par a ». « Ils sont revenus (exemple pris dans la leçon) de vacances c’est du passé composé parce que c’est déjà passé » « Elle avais caressé (verbe de la leçon) son adorable petit chien c’est du plus que parfait parce que ça finit par ait ». « Ils sont revenus de l’école : passé composé à cause de sont ». « Elle avait écrit, plus que parfait parce que avait se termine par ait ». « Il rentrait à la maison, imparfait car ça se termine par ait » Une élève a écrit : « Hier, ils ont chantai ». Après discussion avec l’intervenante de l’aide aux devoirs, elle propose : « Hier je suis allais ». CONCLUSION Ce que ces leçons montrent : l’impasse sur la compréhension du fonctionnement de la langue. Les élèves s’appuient essentiellement sur le contenu de la leçon avec ses exemples qui leur servent de modèle à reproduire quasiment à l’identique. Ils n’ont pas de critère pour discriminer imparfait et plus que parfait puisqu’on ne leur a donné que des exemples et qu’on a attiré leur attention seulement sur la marque des temps, la terminaison du verbe. Les élèves ont déjà appris l’imparfait et le passé composé mais dans la leçon, ils n’en ont pas distingué les emplois selon le sens. Le passé simple et le plus que parfait ont été approchés uniquement par leur caractère de temps composé ou non (la 4/5 progression du manuel reporte leur étude à plus tard). Sans regard particulier sur les contenus et les apprentissages réels des élèves il aurait été possible d’avoir l’impression que ces classes bénéficiaient d’une pratique pédagogique de forte mise en activité de recherche : elles semblaient actives, il y avait toujours plusieurs élèves qui levaient le doigt avec impatience pour répondre, mais, en fait, cette activité a beaucoup tourné à vide dans la mesure où les appropriations grammaticales essentielles n’ont pas été mises en place. Les entretiens avec les maîtres montrent leur désir de se mettre à la portée de leurs élèves (dont beaucoup sont en difficulté), en privilégiant l’imprégnation par les bonnes réponses, sur la base de critères simples tels que « ce qu’on entend à la fin du verbe » ou « la présence de deux mots pour les temps composés ». Tout se passe comme si le nombre des exemples devait finir par faire construire par les élèves la signification de l’usage des différents temps. Le « spécifique » des exemples ou des tâches doit assurer le passage au « générique » des concepts mis en jeu. Tout se passe comme s’il fallait éviter d’entrer dans toutes les complexités nécessaires à l’élaboration des concepts, au motif que cela serait trop difficile pour ces élèves qui « travaillent très, très lentement », ne comprennent pas vite et pas bien. De là l’absence de travail explicite sur les catégories grammaticales mises en jeu et visant à faire comprendre le sens et la fonction de chaque temps dans la parole ou l’écriture. Le texte n’a été qu’un prétexte : chacun des verbes du texte aurait pu être isolé et reproduit au tableau, cela n’aurait pas changé la nature du travail tel qu’il a été mené. Les temps des verbes et l’histoire, les raisons du choix de tel ou tel temps ne sont pas apparus. 5/5