Discours Nobel » de Saint-John Perse

Transcription

Discours Nobel » de Saint-John Perse
Laurent FELS
Le « Discours Nobel » de Saint-John Perse :
une conception épistémologique
de la poésie
2012
Déclaration
Le soussigné déclare avoir réalisé le présent travail par ses propres moyens et avoir
mentionné toutes les sources d’information utilisées pour son élaboration.
Laurent FELS
Candidat-professeur de littérature française
au Lycée classique d’Echternach
Dissertation de candidature
Le « Discours Nobel » de Saint-John Perse :
une conception épistémologique
de la poésie
Sous la direction de
Monsieur le Professeur Jean-Michel WITTMANN
Université Paul Verlaine – Metz
Echternach
2012
Pour Nic Klecker
in memoriam
TABLE DES MATIERES
Remerciements
9
Résumé
11
Introduction
17
Chapitre Ier – Le savant et le poète
25
1. 1. La posture du savant dans la société
25
1. 2. Le poète et la société
30
1. 3. Le savant et le poète, des « frères ennemis » ?
36
Chapitre II – La poésie comme mode de connaissance
49
2. 1. Connaître et savoir
49
2. 2. L’épistémologie
55
2. 3. Poésie et connaissance
60
Chapitre III – La poésie comme mode de vie
75
3. 1. Habiter le monde en poète
76
3. 2. L’écrivain et l’Histoire
83
3. 3. Le poète comme « mauvaise conscience de son temps »
93
Conclusion
99
Bibliographie
103
Index des noms
117
7
Remerciements
Je tiens à remercier le Professeur Jean-Michel WITTMANN (Université de
Metz) d’avoir accepté la direction du présent travail et de m’avoir fait bénéficier de
ses précieux conseils durant les dix-huit mois de recherches ininterrompues que
cette étude m’a demandé.
Une vive pensée de gratitude va à mes amis et complices de longue date,
Ferdinand STOLL et René WELTER.
J’adresse mes remerciements aussi au service du prêt national et au service du
prêt international de la Bibliothèque nationale de Luxembourg.
Merci à Madame Arlette VENTRE de la Fondation Saint-John Perse (Aixen-Provence).
Je remercie ma femme de son soutien indéfectible.
9
Résumé
La lecture du « Discours Nobel » où Saint-John Perse précise que, chez le
savant aussi bien que chez le poète, « l’interrogation est la même qu’ils tiennent sur
un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation diffèrent », nous a incité à
approfondir l’analyse des influences des savoirs scientifiques sur la poésie de SaintJohn Perse, d’autant plus que, plus loin, l’écrivain fait directement allusion à Einstein
et à la physique quantique. Fernand Hallyn souligne dans son ouvrage La structure
poétique du monde : Copernic, Kepler qu’« [u]ne poétique s’occupera de la formation
d’une hypothèse en tant que phénomène global, débordant largement les cadres
constitués et s’organisant d’une manière propre : résultat, certes, de déterminations
et de conditionnements logiques et autres, mais également configuration unique,
synthèse originale qui, en tant que totalité, demande une étude sui generis de la
structuration et de l’interaction des éléments qui l’encadrent et l’informent ». Dans
Les structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell, il ajoute que « [l]a poétique n’est
pas à exclure totalement de la science : celle-ci possède, au contraire, une poétique
propre, pourvue de règles et de valeurs spécifiques ». Autrement dit, il y a
interaction entre la vérité poétique et la vérité scientifique, les « modes
d’investigation » (Saint-John Perse) des deux étant différents, mais l’objet de la quête
restant le même.
Ce que Saint-John Perse met en évidence dans son « Discours Nobel », c’est
une conception épistémologique de la poésie. Nous avons tenté d’analyser les
principales thèses qu’il défend dans ce discours à retentissement international.
11
Sigles employés
Pour des raisons de facilité, nous emploierons les sigles suivants pour renvoyer aux
différentes œuvres de Saint-John Perse :
– OC
Œuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade, 1972)
– EL
Éloges
– GR
La Gloire des rois
– AN
Anabase
– EX
Exil
– VE
Vents
– AM
Amers
– CH
Chronique
– OI
Oiseaux
– CL
Chanté par celle qui fut là
– CE
Chant pour un équinoxe
Nous indiquerons derrière le sigle la partie exacte du poème dont la citation est
extraite.
Que le langage purifié de la science, ou même que le langage
encore plus riche de la littérature puisse jamais suffire à la
détermination du monde et de notre expérience, c’est, par la
nature même des choses, impossible. Acceptons ce fait de
bon cœur, avançons ensemble, hommes de lettres et hommes
de science, de plus en plus loin dans les régions toujours plus
étendues de l’inconnu.
Aldous HUXLEY, Littérature et science, 1963.
Il faut rebaptiser ces fleurs ; les détacher des réseaux de la
science pour les réinsérer dans le réseau du monde où mes
yeux les ont vues.
Philippe JACCOTTET, Et néanmoins, 2001.
Introduction
« Unité retrouvée, présence recouvrée »
AM, « Chœur », I, 2
L’attribution du prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse en 1960 nous
oblige à reconsidérer la fonction de la poésie en général. Quinze ans, à peine, après
le premier bombardement des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, voici
qu’un poète se propose de redéfinir, dans son « Allocution au Banquet Nobel »1, les
rapports qui unissent les sciences et la poésie, auxquels l’« homme des âges
atomiques »2 semble être devenu insensible. Le Discours de Stockholm, tel que Perse
choisira de le nommer, en 1972, dans l’édition de la Pléiade et qui sera d’abord
publié, en 1961, aux Éditions Gallimard sous le titre générique – quoique très
éloquent – de Poésie, connaîtra un retentissement international à tel point que non
seulement les acteurs de la vie littéraire, mais également les plus éminents
représentants des cercles scientifiques y trouveront leur point d’appui3 ; car, même si
la poésie touche un public considérablement plus restreint que le discours
scientifique, l’on est conscient, du moins dans certains milieux intellectuels, que les
deux poursuivent un même objectif : tenter d’éclairer le mystère de la vie qui
soulève maintes questions d’ordre physique et métaphysique. « Car l’interrogation,
écrit Perse, est la même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation
1
Cf. OC, p. 443-447.
2
Ibid., p. 445.
3
Il est toutefois surprenant de constater que Paul Braffort, dans son livre Science et littérature : les
deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, Paris, Diderot Éditeur, Arts et Sciences, coll.
« Jardin des Sciences », 1998, ne mentionne pas le discours persien.
17
diffèrent »1, affirmation qui aura toute son importance dans le rapprochement des
pensées scientifique et poétique, comme nous tâcherons de le montrer dans la
présente étude.
Pour bien saisir l’importance que revêt cette haute considération témoignée
par l’Académie suédoise à Saint-John Perse – dans laquelle nous voyons le
couronnement suprême non seulement d’un homme de lettres dont l’œuvre se met
en évidence par son « envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne
un reflet visionnaire de l’heure présente »2, mais aussi d’un genre littéraire qui reste trop
souvent en marge de la scène littéraire –, il faut aussi replacer les événements dans
leur contexte historique. Si la campagne menée par deux éminences grises proches
de Saint-John Perse a été longue et incertaine, elle illustre l’acharnement de quelques
intellectuels de l’époque pour la reconnaissance d’une œuvre certes exigeante, mais
dont le référent – c’est-à-dire la vie elle-même – ne l’est pas moins, et qui ouvre une
voie nouvelle en redéfinissant la fonction – tout aussi exigeante – du poète et du
savant dans une « société soumise aux servitudes matérielles »3.
L’idée du prix Nobel de Littérature pour Saint-John Perse émane de Henri
Hoppenot, diplomate, poète et ami de longue date d’Alexis Léger, qui, en 1952, est
désigné « chef de la délégation française auprès de l’O.N.U. à New York »4. C’est à l’O.N.U.,
précisément, que les choses commencent à prendre leur cours, car en 1953, Dag
Hammarskjöld, diplomate et poète, nommé à l’Académie suédoise et au Comité
Nobel, devient Secrétaire général des Nations-Unies, où il succède à Trygie Lie. Sa
1
OC, p. 443.
2
« Motif de l’affectation », in Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de
l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », Aix-enProvence, Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, décembre 2010,
p. 19.
3
OC, p. 443.
4
Henriette LEVILLAIN, introduction à Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire
de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit.,
p. 12.
18
candidature a été appuyée par Hoppenot lui-même. Grâce à ce dernier1, Alexis
Léger et Hammarskjöld entrent en contact et une amitié qui dépasse les cadres
politique et littéraire se noue rapidement entre les deux diplomates et fins
appréciateurs des Belles-Lettres. Hammarskjöld qui, jusque-là, a seulement eu
l’occasion de découvrir Anabase, recevra en 1954 d’autres œuvres de Saint-John
Perse par l’entremise de Hoppenot avec le commentaire suivant :
Voici les œuvres poétiques complètes de mon candidat au prix Nobel. Vous y
trouverez les poèmes qui ont précédé et suivi Anabase, ces grands textes tout
brillants d’images et de visions, dont les derniers sont à la mesure du plus vaste
regard de l’homme sur le monde et sur l’histoire.2
Dès 1954, donc, Perse est « candidat » pour Henri Hoppenot au prix Nobel et
il en a été question lors d’une conversation téléphonique entre Léger et Hoppenot à
laquelle Léger fera référence dans sa missive du 15 février 1955 :
Votre voix affectueuse prolonge pour moi l’heureuse surprise d’une
communication3 que je n’aurai pas de peine à garder secrète.
L’écart, la dissociation même où je me tiens à l’égard de toute « vie
littéraire » ne me permettent guère d’augurer trop d’une éventualité comme
celle que vous évoquez. Elle signifierait évidemment beaucoup pour moi. (Mes
moyens de subsistance en Amérique expirent dans 8 mois, et en France même
ma pension de retraite est déjà insuffisante pour faire vivre l’un des miens.)
Mais Gide n’est plus, qui seul eût pu faire le nécessaire du côté français. Et
quant aux Académiciens français, ils connaissent trop mon irréductibilité à
l’égard de leur milieu, qui a déjà eu occasion de s’affirmer plusieurs fois depuis
deux ans. Je n’ai pas davantage de caution universitaire pour ces Messieurs du
Nord, dont je ne sais rien.
Je ne veux donc pas me faire trop d’illusions. Mais quoi qu’il advienne de
tout cela, c’est beaucoup pour moi – je ne puis vous le dire assez simplement –
1
Il consacrera par ailleurs une petite plaquette à Saint-John Perse – D’Alexis Léger à Saint-John
Perse, Liège, Dynamo, 1960 – dans laquelle il qualifiera l’œuvre du poète d’« exaltation de
l’homme, immesurable à toute autre mesure que lui-même » (p. 13).
2
Cité par Marie-Noëlle LITTLE dans son introduction à SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec
Dag Hammarskjöld, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1993, p. 23.
3
Hélène Hoppenot, l’épouse de Henri, précise dans son Journal (entrée du 19 février 1955) que
« [c]et événement extraordinaire est la suite d’une conversation téléphonique qu’H[enri] a eue
avec lui [Alexis Léger] pour le prévenir qu’il avait suggéré à Dag Hammarskjöld, il y a déjà un
certain temps, de lui faire obtenir le prix Nobel. », cité par Marie France MOUSLI, in SAINTJOHN PERSE, Correspondance avec Henri Hoppenot - 1915-1975, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers
Saint-John Perse », 2009, p. 125, note 1.
19
que votre affectueuse et agissante pensée ait à s’exercer pour moi en pareille
circonstance.[…]
– Je vous fais suivre, avec quelque documentation critique, une collection
complète d’éditions bilinguales [sic] franco-anglaises qui peuvent faciliter l’accès
au texte pour le milieu intéressé. S’il en fallait plus d’exemplaires il me serait
facile de les faire tenir par votre discrète entremise. […]1
Dans un autre courrier à Hoppenot, daté du 17 février 1955, Perse fait
directement allusion à Dag Hammarskjöld :
Vous recevrez lundi un paquet de quatre de mes livres, en éditions bilingues,
traduction anglaise, pour la commodité de votre Ami Nordique ou de ses
correspondants.2
L’initiative des premières traductions suédoises de son œuvre, Saint-John
Perse la doit à Hammarskjöld, car ce dernier agit en intermédiaire entre lui et Erik
Lindegren – traducteur et poète lui-même 3 – qui transposera, dans un premier
temps, les poèmes Exil, Vents et Amers en langue suédoise. Par ailleurs, il fait la
liaison entre la Fondation Bollingen4 aux États-Unis et le Comité Nobel. Selon
Hammarskjöld, la première étape à franchir, en vue du prix Nobel, consiste à faire
connaître la poésie de Saint-John Perse à la critique et au public de Suède. De son
côté, Saint-John Perse semble accueillir l’idée de Hoppenot « avec une évidente fausse
modestie »5, alors que, nous venons de le voir, il ne ménagera désormais plus ses
1
Ibid., p. 125-126.
2
Ibid., p. 127 [c’est nous qui soulignons].
3
Dans sa correspondance avec Hammarskjöld, mais aussi dans les lettres qu’il envoie directement
à Lindegren, Saint-John Perse revient à plusieurs reprises sur les qualités poétiques de son
traducteur, comme le souligne le passage suivant : « Cher Erik Lindegren // J’ai bien souvent
pensé à vous, depuis que vous êtes devenu pour moi figure vivante de poète. », missive du 19
mai 1957, in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 219.
4
Plusieurs œuvres de Saint-John Perse ont paru dans les « Bollingen Series » (Princeton
University press) alors qu’il prolongeait volontairement son exil aux États-Unis.
5
Henriette LEVILLAIN, introduction à Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire
de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit.,
p. 13. Une lecture attentive de la correspondance de Saint-John Perse montre qu’à maintes
reprises, il semble être indifférent – voire hostile – aux suggestions de traduction et de
publication venant de la part de ses connaissances littéraires, alors que, discrètement, il les y
convie lui-même. Citons, à titre d’exemple, un passage d’une missive à Dag Hammarskjöld du
26 février 1960 dans laquelle il est question du projet de Lindegren de traduire d’autres œuvres
de Saint-John Perse : « De Lindegren, j’ai eu une bonne lettre et de bonnes nouvelles, en
20
efforts pour procurer à Hammarskjöld et à Lindegren les traductions anglaise,
allemande et espagnole de certains de ses poèmes, avec comme arrière-pensée, sans
doute, le dossier de candidature que le Secrétaire de l’O.N.U. prépare pour le
Comité Nobel.
Toutefois, les efforts de Dag Hammarskjöld ne seront pas couronnés de
réussite pendant près de cinq ans1. C’est surtout l’attribution du prix Nobel à Albert
Camus, en 1957, qui semble compromettre la candidature de Saint-John Perse : on a
fini par croire que, dans les milieux intellectuels suédois, la prose l’a définitivement
emporté sur la poésie. Grande est donc la surprise lorsque, en 1960, Dag
Hammarskjöld reçoit un télégramme d’Uno Willers – Secrétaire du Comité Nobel
pour le prix de Littérature de 1947 à 1957 – dans lequel on lui signale que le prix
Nobel de cette année venait d’être attribué au poète Saint-John Perse :
Je me réjouis d’un prix Nobel qui ne peut rien ajouter à la gloire d’un grand
maître et très cher ami mais par l’acceptation duquel il honore une institution
qui me paraît importante comme gardienne des valeurs de l’esprit en ce temps
de déchéance de la plus noble des libertés de l’homme.2
Et Saint-John Perse de lui répondre, visiblement ému, en des termes qui
tendent vers le silence : « Pour vous mon cher Dag toute ma pensée sans mots »3. Perse
n’oubliera d’ailleurs jamais que ce haut témoignage littéraire est le fruit d’une longue
campagne menée en sa faveur par ses amis Henri Hoppenot et Dag Hammarskjöld,
Novembre [sic] dernier. Il me parlait de ses ballets, de son opéra, de son Hamlet, et de son désir
de me traduire encore… Je n’ai pas voulu le prendre au mot, me faisant toujours grand scrupule
de détourner à mon profit un vrai poète de son œuvre propre. J’aurais pourtant été très heureux de le
voir traduire, même pour une simple publication en revue, mon dernier poème, CHRONIQUE, qui n’est pas
long, et dont il me parlait avec ferveur. », in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld,
op. cit.,., p. 169-170 [c’est nous qui soulignons].
1
Voici les noms des écrivains nobélisés entre 1955 et 1959 : Halldór Laxness (1955), Juan Ramón
Jiménez (1956), Albert Camus (1957), Boris Pasternak (1958, contraint de refuser le prix Nobel)
et Salvatore Quasimodo (1959). Précisons toutefois que Saint-John Perse s’est vu décerner, en
1959, par André Malraux le « Grand Prix National des Lettres françaises » qu’il a fini par
accepter, malgré quelques réticences initiales (cf. lettre du 16 août 1959 à Dag Hammarskjöld,
op. cit., p. 158-159).
2
Télégramme de Dag Hammarskjöld à Saint-John Perse du 26 octobre 1960, in SAINT-JOHN
PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 183.
3
Ibid., télégramme du 26 octobre 1960.
21
auxquels viennent s’ajouter l’appui de la Fondation Bollingen aux États-Unis et, en
France, celui de Roger Martin du Gard et de François Mauriac, respectivement prix
Nobel en 1937 et en 1957, sollicités tous les deux par Hammarskjöld.
Désormais, Saint-John Perse se consacrera à la composition de son
« Allocution au Banquet Nobel » dont nous proposerons quelques modestes pistes
de lecture dans les chapitres qui suivront. Le texte de ce discours, rappelons-le, aura
un retentissement mondial et Perse se soucie tout particulièrement de la traduction
anglaise – destinée à la presse internationale – dont il craint qu’elle ne soit très
imparfaite, étant donné le peu de temps dont disposent les services compétents
pour traduire un texte d’une telle complexité. Aussi propose-t-il à Uno Willers de lui
fournir la version anglaise, réalisée préalablement par W.H. Auden et corrigée par
ses propres soins.
Dans son discours, Saint-John Perse insiste surtout sur la relation étroite qui
unit la science à la poésie. Selon lui, la vie constitue une unité dont chaque discipline,
qu’elle soit de nature scientifique ou littéraire, devra se contenter de n’analyser
qu’une partie qui sera toujours complémentaire et tributaire de l’autre.
Pour l’heure, un certain nombre de travaux ont été consacrés, entre autres, au
Discours de Stockholm de Saint-John Perse. Citons, à titre d’exemples, l’ouvrage
collectif Saint-John Perse (1945-1960), une poétique pour l’âge nucléaire (2005)1, mais aussi
la monographie d’Esa Christine Hartmann, Les manuscrits de Saint-John Perse. Pour une
poétique vivante2, dans laquelle l’auteur adopte une approche génétique des manuscrits
des œuvres poétiques, mais aussi du Discours de Stockholm. La même signe un autre
article à ce sujet – « Poésie et vérité : une lecture des manuscrits du Discours de
Stockholm » 3 – dans la revue La nouvelle anabase. Finalement, à l’occasion du
1
Henriette LEVILLAIN et Mireille SACOTTE (éds.), Saint-John Perse (1945-1960), une poétique pour
l’âge nucléaire, Paris, Klincksieck, 2005.
2
Esa Christine HARTMANN, Les Manuscrits de Saint-John Perse. Pour une poétique vivante, Paris,
L’Harmattan, 2007.
3
Esa Christine HARTMANN, « Poésie et vérité : une lecture des manuscrits du Discours de
Stockholm », in La nouvelle anabase. Revue d’études persiennes, Paris, L’Harmattan, 2010, n°6, p. 65-78.
22
cinquantenaire de l’attribution du prix Nobel de Littérature au poète, l’Association
des Amis de la Fondation Saint-John Perse a publié, en 2010, un numéro spécial de
la revue Souffle de Perse 1 qui regroupe les principaux articles consacrés à cet
événement ainsi qu’à l’« Allocution », tous parus au fil de ce demi-siècle dans
différentes revues.
Notre étude se proposera d’examiner les trois grandes thèses défendues par
Saint-John Perse dans son « Allocution » :
1. le savant et le poète ne sont pas des « frères ennemis » ;
2. la poésie est un « mode de connaissance » ;
3. elle est aussi, et surtout, un « mode de vie – et de vie intégrale ».
Nous essaierons d’abord de mettre l’accent sur les rôles du savant et du poète
dans la société. Puis, nous nous interrogerons sur la dimension « épistémologique »
de la poésie, c’est-à-dire en quelle mesure elle permet d’appréhender le réel. Nous
tâcherons également de proposer une définition de l’« épistémologie ». Finalement,
nous examinerons la position du poète face à l’Histoire en nous interrogeant plus
particulièrement sur la question de la « mauvaise conscience » sur laquelle s’achève le
Discours de Stockholm et qui fait l’objet d’une analyse remarquable de Henriette
Levillain2.
Précisons d’emblée que Saint-John Perse prend les mots « poète » et « poésie »
dans leurs acceptions étymologiques respectives de « création » et de « créateur » au
sens large : « Au vrai, toute création de l’esprit est d’abord “poétique” au sens propre du
mot […] »3. Ce qu’il affirme au sujet de la poésie concerne à la fois la science, la
littérature, la peinture et les autres domaines de l’art dans la mesure où ils
constituent tous des « créations de l’esprit ».
1
Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de
Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit.
2
Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la
mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, ibid., p. 153-170.
3
OC, p. 444.
23
Chapitre Ier
Le savant et le poète
« J’ai vu le signe sur ton front et j’ai considéré
ton rôle parmi nous. »
GR, « Amitié du Prince », I
Saint-John Perse choisit d’ouvrir son « Allocution au Banquet Nobel » par un
hommage à la poésie : « J’ai accepté pour la poésie l’hommage qui lui est ici rendu, et que j’ai
hâte de lui restituer »1. Dans les lignes qui suivent, il tente d’expliciter les raisons pour
lesquelles « [l]a poésie n’est pas souvent à l’honneur »2. Dans cet ordre d’idées, sa réflexion
l’amène à comparer le discours scientifique au discours littéraire. Depuis plus d’un
demi-siècle, il est vrai, le progrès de la science a atteint un niveau tel qu’il lui est
devenu impossible de se soustraire à des interrogations d’ordre philosophique et
moral. Si le poète met, nous allons le voir, la science et la poésie à pied d’égalité, cela
revient à dire que les deux constituent, selon lui, des outils complémentaires
permettant de sonder le réel. Or, une telle vision des choses nous oblige à réévaluer
le rôle du savant et celui du poète dans la société.
1. 1. La posture du savant dans la société
Le Grand Robert définit le savant comme une « personne qui par ses connaissances
et ses recherches contribue à l’élaboration, au progrès d’une science, et plus spécialement d’une science
1
OC, p. 443.
2
Ibid.
25
expérimentale ou exacte »1. Selon une idée communément admise, le rôle du savant
consiste à améliorer la condition humaine et à rendre service à la société2. Ce n’est
donc pas un hasard si Pierre Mendès France a déclaré, en 1954, que la république a
besoin de savants qui assurent le progrès scientifique, économique et culturel du
pays. Grâce à ses découvertes novatrices dans les domaines médical, chimique,
physique et autres, qui participent au développement qualitatif de la vie, le savant
apparaît, selon André Kaspi, dans la société comme un « héros [qui] apprivoise la nature,
la transforme au bénéfice de ses semblables. […] il est le bienfaiteur de l’humanité »3. Autrement
dit, les hommes de science dédient leur savoir au bonheur, au bien-être et, surtout, à
la survie de l’humanité. Le cancérologue, par exemple, met le fruit de ses recherches
au service de la lutte contre le cancer, permettant ainsi à des milliers de souffrants de
bénéficier d’un traitement approprié, bien que, pour l’instant, la médecine n’ait pas
encore trouvé de vaccin préventif contre la « peste du XXIe siècle ». De son côté, le
physicien et l’ingénieur participent au développement de nouvelles sources d’énergie
durables et moins polluantes, rendant service, par-là, non seulement à la société
contemporaine, mais contribuant en même temps à la préservation de
l’environnement pour les générations futures. Ainsi, certaines régions de la planète
consomment déjà de l’énergie provenant d’éoliennes, d’hydroliennes ou de cellules
photovoltaïques et les industries de l’automobile cherchent un substitut efficace au
moteur à combustion. Dans cet ordre d’idées, être un « savant » devient presque
synonyme de « sauveur » de l’humanité, même si nous sommes encore loin –
mentalement et économiquement parlant – de renoncer entièrement à l’exploitation
en masse des énergies fossiles.
1
Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. VI, p. 220.
2
« Ensemble des individus entre lesquels existent des rapports durables et organisés, le plus
souvent établis en institutions et garantis par des sanctions […] », ibid., p. 499.
3
André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier », in
Problématique des relations entre Science et Société, p. 14 [actes du colloques consultables en ligne à
l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/ 1_RelationsSciencesSociete.pdf ;
dernière consultation : 27.03.2012].
26
Il est toutefois intéressant de noter que l’historien Kaspi qualifie le savant de
« héros »1, terme appartenant plutôt au registre littéraire – voire mythologique – que
scientifique, alors que la démarche des sciences est considérée comme la référence
par excellence en matière d’exactitude, c’est-à-dire de résultats tangibles et
vérifiables :
L’époque moderne tient la science en haute estime. La croyance que la science
et ses méthodes ont quelque chose de particulier semble très largement
partagée. Le fait de qualifier un énoncé ou une façon de raisonner du terme
« scientifique » lui confère une sorte de mérite ou signale qu’on lui accorde une
confiance particulière.2
Sans doute est-ce pour cette raison que nous lisons sur l’une des façades de la
faculté des sciences sociales de l’Université de Chicago l’inscription suivante : « Sans
la possibilité de mesurer, le savoir n’est qu’une peau de chagrin »3. Autrement formulé, tout ce
qui n’est pas analysable et contrôlable à l’aide d’un instrument de mesure est
considéré comme inexistant et, par conséquent, sans valeur ajoutée. Telle est, du
moins, l’opinion d’un grand nombre de nos contemporains.
Pour que son œuvre soit couronnée de succès, le scientifique doit se garder
de perdre le contact avec le monde extérieur. Afin de ne pas devenir un être en
marge de la collectivité, il doit éviter, dans le meilleur des cas, de se calfeutrer dans
son laboratoire : il doit définir, au contraire, ses conjectures, expliciter sa démarche
1
Rappelons que le mot dérive du grec hêrôs dont le premier sens est « maître, chef, noble », le
second « demi-dieu » et le troisième « tout homme élevé au rang de demi-dieu ». Même s’il est
vrai que le substantif « héros » est entré dans le registre courant pour désigner un homme aux
capacités hors du commun, il n’empêche que celui qui l’utilise, inconsciemment ou non, dans un
contexte scientifique rapproche deux univers – littéraire et scientifique – qui, dans une
conception largement répandue – quoique erronée –, sont profondément distincts. À ce niveau,
la terminologie employée par André Kaspi sert la première thèse que Saint-John Perse avance
dans son Discours de Stockholm, à savoir que le savant et le poète se trouvent à pied d’égalité (cf.
point 3 du présent chapitre).
2
Alan F. CHALMERS, Qu’est-ce que la science ? Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Paris, La
Découverte, coll. « Biblio Essais », 1987, p. 13.
3
Cité par Thomas S. KUHN, « The Function of Measurement in Modern Physical Science », in
Isis, 1961, n°52, p. 161.
27
et divulguer ses résultats, tout en étant en accord avec l’éthique et la déontologie1.
Exceller dans le domaine de la science revient donc à dire qu’il faut privilégier le
contact avec ses semblables et le monde qui les entoure. Dans cet ordre d’idées, les
propos du plus célèbre scientifique du XXe siècle, Albert Einstein, sont d’une
importance capitale :
Quand je réfléchis à mon existence et à ma vie sociale, je découvre clairement
mon étroite dépendance intellectuelle et pratique. Je dépends intégralement de
l’existence et de la vie des autres. […] Moi, en tant qu’homme, je n’existe pas
seulement en tant que créature individuelle, mais je me découvre membre d’une
grande communauté humaine. Elle me dirige corps et âme depuis ma naissance
jusqu’à ma mort. Ma valeur consiste à le reconnaître. Je suis réellement un
homme quand mes sentiments, mes pensées et mes actes n’ont qu’une finalité :
celle de la communauté et de son progrès. Mon attitude sociale déterminera
donc le jugement qu’on porte sur moi, bon ou mauvais.2
Outre les résultats concrets, c’est-à-dire vérifiables, auxquels aboutissent les
recherches en sciences exactes, le savant se voit investi de la noble tâche consistant à
accroître la connaissance qu’ont les hommes du monde et de son fonctionnement.
En combinant la curiosité intellectuelle aux découvertes qui servent la collectivité, le
scientifique devient la principale référence dans une « société de la connaissance ». Il faut
toutefois se garder de conférer à cette expression un sens réducteur : dans
« connaissance », nous lisons « co-(n)naître », c’est-à-dire « naître avec ». Il ne s’agit donc
pas, comme le souligne Paraskevas Caracostas, d’un simple enchaînement
d’apprentissages qui résultent de l’observation – et, par conséquent, de l’imitation –,
mais d’un développement des savoirs acquis, tout en les confrontant à des
connaissances issues d’autres domaines (ce sont, pour ainsi dire, des savoirs qui
1
Alan F. Chalmers nous met pourtant en garde : souvent, les scientifiques, « emprisonnés dans
leurs laboratoires modernes, examinent le monde à travers les barreaux des nombres entiers,
sans se rendre compte que la méthode qu’ils tentent de suivre n’est pas seulement stérile et
improductive mais, pis, qu’elle n’est pas celle à laquelle la physique doit son succès. », op. cit.,
p. 15.
2
Albert EINSTEIN, « Communauté et personnalité », in Comment je vois le monde, Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 1979, p. 11-12.
28
« naissent » ensemble et qui s’enrichissent mutuellement) ; bref, il convient de
transformer la matière apprise en une nouvelle création de l’esprit :
La notion de « société de la connaissance » que je vise à appréhender de façon
prospective encapsule donc la définition dynamique du terme « connaissance »
comme « acte de connaître », d’apprendre et de création intellectuelle et non pas
une vision purement patrimoniale qui mettrait l’accent sur le volume de savoir
produit et accumulé qu’il s’agirait de bien gérer1.
Le savant doit donc éviter de se lancer dans une investigation purement suiréférentielle et autosuffisante – une sorte de « science pour la science » –, mais de
favoriser une recherche fondée qui mène à des fins utiles. C’est là que se situe,
comme le souligne Saint-John Perse dans son « Allocution au Banquet Nobel », le
grand avantage de la science par rapport à la littérature :
La poésie n’est pas souvent à l’honneur. C’est que la dissociation semble
s’accroître entre l’œuvre poétique et l’activité d’une société soumise aux
servitudes matérielles. Écart accepté, non recherché par le poète, et qui serait le
même pour le savant sans les applications pratiques de la science.2
Si la science n’avait donc pas cette utilité tangible, elle connaîtrait le même
sort que la poésie. Doit-on conclure de cette constatation que tous les hommes sont
animés exclusivement par une attitude profondément égoïste, ne s’intéressant qu’à
ce qui leur est vitalement et matériellement utile ? Dans ce cas, les différents
domaines de l’art ne seraient-ils pas irrémédiablement réduits à néant et le contact
interhumain ne se limiterait-il pas à un échange purement mercantile ? En outre, si
l’être humain trouvait sa motivation exclusivement dans la satisfaction de ses
aspirations matérielles et sanitaires, ne ferait-on pas de lui ce qu’Einstein appelle
« une machine utilisable mais non une personnalité »3 ? Et le physicien de répondre :
Il importe qu’il [l’homme] acquière un sentiment, un sens pratique de ce qui
vaut la peine d’être entrepris, de ce qui est beau, de ce qui est moralement droit.
1
Paraskevas CARACOSTAS, « Une prospective de la société de la connaissance », ibid., p. 26.
2
OC, p. 443.
3
Albert EINSTEIN, « Éducation pour une pensée libre », in Comment je vois le monde, op. cit., p. 25.
29
Sinon il ressemble davantage, avec ses connaissances professionnelles, à un
chien savant qu’à une créature harmonieusement développée. Il doit apprendre
à comprendre les motivations des hommes, leurs chimères et leurs angoisses
pour déterminer son rôle exact vis-à-vis des proches et de la communauté.1
C’est donc là que quelqu’un d’autre devra prendre la relève du savant,
quelqu’un qui sache apprendre aux hommes à sentir et à reconnaître l’importance
des sentiments de l’autre. Telle est la tâche qui incombe au poète, bien que sa
personnalité ainsi que son apport à la société soient – nous le verrons – très
controversés.
1. 2. Le poète et la société
Commençons par une analyse de la façon dont le poète et la poésie sont
perçus par la plupart de nos contemporains. La place du poète dans la société est
loin d’être enviable. Au IVe siècle avant notre ère déjà, Platon rejetait le poète de la
cité idéale parce qu’il le considérait comme un imitateur :
Il semble donc que si un homme capable par son talent de se transformer de
mille manières et d’imiter toutes sortes de choses venait en personne dans notre
cité avec le projet d’y représenter ses compositions poétiques, nous le
vénérerions comme un être sacré, merveilleux, délicieux, mais nous lui dirions
qu’il n’y a pas d’homme comme lui dans notre cité, et qu’il n’est pas conforme à
la loi qu’il s’y intègre. Nous l’enverrions dans une autre cité, non sans avoir oint
sa tête de parfums et l’avoir couronné de tresses de laine. En ce qui nous
concerne, nous exigerons un poète plus austère et moins plaisant, et un
raconteur d’histoires utile, qui n’imiterait pour nous que la manière de
s’exprimer de l’homme vertueux, et qui proposerait ses discours selon ces
modèles que nous avons prescrits dans nos lois dès l’origine, lorsque nous
avons entrepris de former nos guerriers.2
1
Ibid.
2
PLATON, La République, 398a, in Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 2008, p. 1559.
30
Le principal grief que Platon formule à l’encontre du poète est donc celui de
pratiquer la mimesis, terme grec signifiant « imitation »1. En effet, selon le philosophe
grec, toute imitation est fallacieuse, car elle ne constitue qu’un reflet imparfait et, par
conséquent, mensonger du réel. Aussi Platon songe-t-il à interdire aux artistes la
création si leur production relève de l’imitation :
Mais les poètes […] sont-ils les seuls que nous devrons soumettre à des règles
et contraindre de ne présenter dans leurs compositions poétiques que les
images du caractère vertueux, ou alors de s’abstenir de présenter des
compositions chez nous ; ou devrons-nous soumettre aussi à des règles les
autres artisans, et leur interdire de représenter dans leur production le caractère
vicieux, l’intempérance, la servilité, l’absence de grâce, que ce soit dans les
images des êtres vivants, dans l’architecture, ou dans tout autre genre de
représentation artisanale, ou alors, s’ils ne peuvent l’éviter, ne pas permettre
qu’ils produisent chez nous ?2
De nos jours, la considération que la collectivité témoigne au poète n’est
guère bienveillante non plus. Bien que ce soit moins le problème de l’imitation qui
fasse cliver les opinions, il s’agit plutôt de la figure même de l’artiste ainsi que de la
question de l’hermétisme stylistique de la poésie et de son apport matériel à la société
qui font que les hommes du XXIe siècle ne portent qu’un intérêt très limité à la
création poétique. Pourquoi se fatiguer à lire des textes compliqués et elliptiques
dans lesquels les auteurs soit nous chantent, entre autres, un amour idéal – donc
inaccessible – ou malheureux, soit nous dépeignent un monde morbide que, de
toute façon, nous sommes contraints d’éprouver au quotidien ?
En 1973, Jean Kobs, dans l’un des sonnets constituant la somme poétique du
Kobzar de l’Exil, définit d’une façon très pertinente le jugement que la société porte
sur le poète :
1
Précisons que la mimesis n’a pas le même statut chez Platon – qui la condamne – que chez
Aristote selon lequel l’imitation se trouve à la base de toute création artistique (cf. ARISTOTE,
Poétique, chapitres Ier et VI) .
2
PLATON, La République, 401b, op. cit., p. 1563.
31
Le poète authentique est un être isolé
D’un âge à qui ne plaît trop souvent que l’utile
S’imaginant que l’art est un songe futile
Et l’esprit créateur un doux crâne fêlé.1
Cette idée, certes, n’est pas nouvelle et elle a préoccupé les artistes de toutes
les époques. Il n’est donc pas étonnant qu’un écrivain comme Baudelaire, considéré
comme le père de la poésie moderne, compare le poète à un « albatros » torturé par
les « hommes d’équipage »2. Ce sonnet est, en réalité, une métaphore de la posture de
l’homme de lettres dans la société : une fois qu’il est sorti de sa chambre de travail et
se mêle à la foule, il est « gauche et veule », car incompris et méprisé.
Il convient désormais de s’interroger sur les raisons qui font que la poésie a
mauvaise presse. S’il fallait trouver un dénominateur commun aux reproches qui
sont formulés à l’encontre de l’art poétique, l’on pourrait citer, en premier lieu, celui
de la futilité : la poésie ne sert à rien, sinon à divertir. Qui a besoin de poèmes à une
époque où les pays sont menacés de toutes sortes de crises et de guerres, où le
chômage connaît un taux jusque-là inégalé, où la criminalité s’embrase comme un
toit de paille et où les hommes sont rongés plus que jamais par la maladie – bref, à
une époque où « chacun la porte en soi, la peste, parce que personne […] au monde n’en est
indemne »3 ? Dans un tel contexte crépusculaire, qui se caractérise par un malaise
social des plus profonds, quelle solution pourrait donc apporter la poésie aux fléaux
énumérés ci-dessus ? Ce ne seront pas les vers qui nous sortiront de la crise
économique ou qui nous guériront de nos maladies. « Un […] fossé s’est peu à peu
creusé, écrit Jean-Louis Joubert, entre les créateurs et le public potentiel »4. Autrement dit,
aux yeux de la société, la poésie est inutile, car elle n’aboutit à aucun résultat concret
1
Jean KOBS, « Artiste », in Le Kobzar de l’Exil, Paris, Éditions de la Revue Moderne, coll. « Points
et Contrepoints », 1973, t. 1, p. 108.
2
Cf. Charles BAUDELAIRE, « L’Albatros », in Spleen et Idéal, Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 9-10.
3
Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1947, p. 228.
4
Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand Colin/Gallimard, coll. « Folio Formes », 1977,
p. 12.
32
permettant d’améliorer la condition humaine. Et Saint-John Perse d’écrire dans
Vents : « Je t’ai pesé, poète, et je t’ai trouvé de peu de poids »1 (VE, I, 7). Que vient donc
faire la beauté, dont se réclame la poésie, dans ce monde placé sous l’étoile noire du
malheur ? « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie »2, constate Théophile
Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin. Et pourtant, « qui voudrait […] qu’il
n’y eût plus de fleurs »3 ?
Nous voilà surpris de constater que la poésie, malgré son apparente stérilité
sociale et son manque de pouvoir, a pu survivre depuis l’Épopée de Gilgamesh (XVIIIe
ou XVIIe siècle avant J.-Chr.) jusqu’à nos jours. Et si elle n’était pas si inutile et
inefficace que certains semblent le penser ? « Le poète existait dans l’homme des cavernes, il
existera dans l’homme des âges atomiques : parce qu’il est part irréductible de l’homme »4, écrit
Saint-John Perse dans son Discours de Stockholm. N’oublions pas qu’au début, la
poésie avait surtout une fonction mnémotechnique : les rimes ainsi que les formes
rythmées permettaient de retenir plus facilement un texte, surtout dans les sociétés
qui avaient une importante tradition orale5. La voix est donc indissociable de la
poésie et nous comprenons mieux, à présent, la raison pour laquelle, dans la
légende, les abeilles se posent, au berceau, sur les lèvres de Pindare et de Platon.
Dans Anabase, le poète est représenté comme un « homme à la flûte, homme aux abeilles ;
celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix » (AN, X). Voilà donc une première utilité
1
Précisons que ce vers, tiré de son contexte, pourrait également être interprété de façon positive :
Nietzsche, dans Le Cas Wagner, n’a-t-il pas écrit que « tout ce qui est bon est léger » ? Cette idée
de la légèreté sera d’ailleurs développée par Saint-John Perse dans Oiseaux. Or, dans la citation
de Vents que nous venons de donner, le contexte et le vocabulaire employé excluent, à notre
avis, une interprétation positive : « abîme », « doute », « défaillir », « brûlure », « malheur »,
« bruit », etc.
2
Théophile GAUTIER, Mademoiselle Maupin, préface, in Romans, contes et nouvelles, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 230.
3
Ibid.
4
OC, p. 444-445.
5
Jean-Louis JOUBERT mentionne à ce sujet « l’ancienne tradition malgache du hain-teny, forme de
poésie dialoguée qui sert à régler des querelles par le recours au combat de mots », in La Poésie,
op. cit., p. 15.
33
pratique de la poésie sur laquelle Saint-John Perse ne manquera pas de revenir à
plusieurs reprises dans son œuvre :
Quelqu’un au monde n’élèvera-t-il la voix ? Témoignage pour l’homme…
Que le poète se fasse entendre, et qu’il dirige le jugement ! (VE, III, 4)
Au fil du temps, les poètes ont cherché à affirmer la légitimité de leur art.
Ainsi, dans Les Rayons et les Ombres, Victor Hugo écrit à propos du poète que
C’est lui qui, malgré les épines,
L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine,
A pour feuillage l’avenir.1
Ce que l’on a le plus souvent reproché aux poètes, c’est de pratiquer « l’art
pour l’art », notamment, en n’écrivant que pour leurs semblables et en se bornant à
donner à leurs œuvres une portée purement autoréférentielle : ils écrivent pour le
plaisir d’écrire et le poème n’a d’autre référent que lui-même. Si cela a été
partiellement vrai pour les Parnassiens dont le but principal a été la recherche de la
beauté, la poésie du XXe siècle – et surtout celle de Saint-John Perse – ne saurait
être affublée d’une telle étiquette. Cela reviendrait à faire table rase de toute une
tradition de poésie engagée, que ce soit sur le plan politique, social ou humain.
Même si la poésie de Saint-John Perse ne présente aucun lien apparent avec
l’actualité politique de son temps2, elle n’est pas exempte, pour autant, d’un message
1
Victor HUGO, « Fonction du poète », II, in Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons
et les Ombres, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1970, p. 249.
2
Bien qu’Alexis Léger fût diplomate, il tenait à ce que sa carrière professionnelle fût strictement
séparée de son activité littéraire, à tel point qu’à partir de son œuvre Anabase, il signait ses textes
du pseudonyme « Saint-John Perse ». Précisons que les premiers écrits publiés (« Images à
Crusoé ») furent présentés au public sous le nom de « Saint-Léger Léger » ou « SaintlégerLéger », autre nom de plume du poète plus transparent, il est vrai, que celui qu’il choisira pour
signer ses œuvres postérieures.
34
précis que le poète adresse à l’humanité. Sa leçon est d’optimisme et ses textes sont
marqués de la présence humaine :
… Mais c’est de l’homme qu’il s’agit ! Et de l’homme lui-même quand
sera-t-il question ? – Quelqu’un au monde élèvera-t-il la voix ?
Car c’est de l’homme qu’il s’agit, dans sa présence humaine ; et d’un
agrandissement de l’œil aux plus hautes mers intérieures.
Se hâter ! se hâter ! témoignage pour l’homme ! (VE, III, 4)
La pensée du poète moderne est entièrement libre, car elle est « désintéressée »1.
Contrairement à la condition qui était celle des hommes de lettres des siècles
précédents – ils furent tributaires du mécénat d’un souverain qui aimait à être
flatté –, les poètes, de nos jours, ne vivent plus de leur plume, mais ils ont presque
tous un métier qui les occupe à temps plein. Voilà pourquoi leur écriture s’est
affranchie de la tutelle du bienfaiteur d’autrefois. Ceci leur permet de créer des
ponts intellectuels entre les hommes, les idées et les civilisations du monde. Car,
contrairement à l’opinion collective, « le poète, instinctivement, ne se sépare jamais des
hommes »2, comme le souligne à juste titre René Ménard. Dans cet ordre d’idées, la
poésie et, par extension, l’art en général constituent ce que J.-L. Joubert appelle un
« phénomène social »3. Que veut-il dire par là ? Selon la définition du Grand Robert, on
désigne par phénomène
[c]e qui se manifeste à la conscience, que ce soit par l’intermédiaire des sens
(phénomènes extérieurs, physiques, sensibles) ou non (phénomènes
psychologiques, affectifs…). Au sens plus large, on nomme phénomène tout
fait qui peut-être l’objet de connaissance rationnelle, de science.4
1
Cf. OC, p. 443 : « Mais du savant comme du poète, c’est la pensée désintéressée que l’on entend
honorer ici ».
2
René MENARD, « Les incompatibilités du poète », in Le Poète et la Société – Der Lyriker und die
Gesellschaft, journées de Mondorf, Luxembourg, Saint-Paul, 1962, p. 107.
3
Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, op. cit., p. 12.
4
Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. V, p. 588.
35
Autrement dit, si le poème constitue un « phénomène social », il doit, selon le
sens que le dictionnaire attribue au substantif phénomène, être perceptible par les sens
et il peut faire l’objet d’une « connaissance rationnelle, de science ».
La poésie conduit à une interrogation sur le langage, c’est bien évident. Mais
une poésie de pure réflexion ou manquant absolument de spontanéité nous
éloigne du but dont elle voulait nous rapprocher. Notre langage ne sera pas a
priori un langage au deuxième ou au troisième degré, un langage qui se
dégagerait, privé de tout parfum, des choses signifiées pour n’être plus que le
symbole d’une signification.1
L’interrogation que le poète porte sur le langage est en même temps une
interrogation sur la société dont il est à la fois le produit et le reflet. La « spontanéité »,
c’est-à-dire la faculté de réagir avec promptitude dans une situation donnée, qui est
l’une des principales exigences de la science, est ici revendiquée pour la création
poétique. Y aurait-il donc, contre toutes attentes, un lien entre la poésie et la
science ? La première serait-elle finalement devenue utile ? Et si le poète était,
comme le savant, un « héros [qui] apprivoise la nature, la transforme au bénéfice de ses
semblables » 2 , selon l’expression d’André Kaspi ? Pour mieux saisir la portée
ontologique de la science et de la poésie, il importe d’examiner la relation entre le
savant et l’homme de lettres.
1. 3. Le savant et le poète, des « frères ennemis » ?
Dans son « Allocution au Banquet Nobel », Saint-John Perse est bien
conscient de l’antagonisme qui oppose la science à la poésie et dont nous venons
d’énoncer les raisons. Aussi précise-t-il d’emblée le projet explicite de son discours :
1
Serge BRINDEAU et Jean BRETON, Poésie pour vivre, Paris, La Table Ronde, 1964, p. 71-72.
2
André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier », in
Problématique des relations entre Science et Société, p. 14 [actes du colloques consultables en ligne à
l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/1_RelationsSciencesSociete.pdf ;
dernière consultation : 27.03.2012].
36
« Qu’ici du moins ils ne soient plus considérés comme des frères ennemis »1. Dès le départ, donc,
Perse cherche à concilier les deux – le savant et le poète –, car « l’interrogation est la
même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation diffèrent » 2 .
L’expression « frères ennemis » peut surprendre, car elle relève, à première vue, de
l’oxymore. Aussi convient-il de s’interroger d’abord sur la signification du substantif
« frère ». D’après le Grand Robert, frère est « [c]elui qui est né des mêmes parents (que la
personne considérée) »3. L’idée mise en évidence par les auteurs du dictionnaire est donc
celle de l’origine commune : les frères sont nés du même sang. Rien, a priori, ne
devrait les opposer, car ils constituent l’exemple parfait de l’union et de la solidarité.
À cet égard, l’expression « frères ennemis » semble complètement absurde. Pourtant, la
leçon que nous tirons des mythologies chrétienne et païenne nous apprend le
contraire : l’idée des « frères ennemis » remonte au contexte biblique où, d’après la
Genèse selon saint Jean, Caïn élimine son frère Abel parce qu’il est jaloux de lui4. Plus
tard, l’historiographe romain Tite-Live nous raconte, dans son Histoire romaine,
l’inimitié entre les frères jumeaux Romulus et Rémus : le premier tue le second et
devient, selon la légende, le premier roi de Rome5. Au XVIIe siècle, Jean Racine met
en scène, dans sa tragédie La Thébaïde ou les Frères ennemis, l’hostilité entre les deux
frères Étéocle et Polynice. Dans les trois exemples que nous venons de citer, la
fraternité est rompue par la mort violente de l’un, infligée par l’autre6.
L’image de l’amour fraternel absolu est, nous le voyons, souvent démentie
dans les œuvres à tel point que l’appellation « frères ennemis » a fini par devenir un
topos littéraire. Examinons maintenant la raison pour laquelle Saint-John Perse y a
1
OC, p. 443.
2
Ibid.
3
Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. III, p. 1046.
4
Cf. La Bible, « Genèse », chap. IV, 2-8.
5
Cf. TITE-LIVE, Histoire romaine, Livre Ier, chap. 6.
6
La littérature nous livre d’autres exemples de « frères ennemis ». Citons, entre autres, l’histoire
de Pierre et Jean de Guy de Maupassant ou encore celle de Jules et Jim de Henri-Pierre Roché.
37
recours pour définir la relation entre le savant et le poète, en commençant par
étudier ce qui les unit :
Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l’un équipé de
l’outillage scientifique, l’autre assisté des seules fulgurations de l’intuition, qui
donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence ? La réponse
n’importe. Le mystère est commun.1
Selon Saint-John Perse, le scientifique et le poète constituent « deux aveuglesnés ». Il ajoute qu’ils sont issus tous les deux de la « nuit originelle ». Autrement
formulé, ils émanent d’une même origine et peuvent ainsi être considérés comme
des frères. De surcroît, ils poursuivent un même objectif, celui de la quête de la
vérité ou, du moins, de son reflet le plus fidèle (« phosphorescence »). Leur point de
départ est donc identique et aucun des deux ne se trouve dans une situation
privilégiée par rapport à l’autre. Ils sont tous les deux « aveugles » et contraints de
« tâtonner » dans le noir pour trouver quelques repères. Comme le suggère Saint-John
Perse en filigrane, la connaissance n’est pas une connaissance a priori, c’est-à-dire qui
repose sur des données innées qui précèdent l’expérience, mais plutôt le résultat
d’une investigation expérimentale. Le savant aussi bien que le poète doivent
« tâtonner » dans la « nuit originelle », errer, se heurter contre tel ou tel obstacle, revenir
au point de départ et confronter leurs expériences pour construire des hypothèses :
Nous avons marché seuls sur les routes lointaines ; et les mers nous portaient
qui nous furent étrangères. Nous avons connu l’ombre et son spectre de jade.
Nous avons vu le feu dont s’effaraient nos bêtes. Et le ciel tint courroux dans
nos vases de fer.
(CH, III)
C’est ainsi que naît la connaissance 2 . « [U]ne même fonction, ajoute Perse,
s’exerce, initialement, pour l’entreprise du savant et pour celle du poète »3. La question sousjacente qu’il pose est celle de la « brève phosphorescence ». Si la « phosphorescence » renvoie
1
OC, p. 444.
2
Voir à ce sujet le second chapitre de la présente étude.
3
OC, p. 444.
38
à la lumière – donc, métaphoriquement parlant, à la compréhension – que le savant
et le poète projettent devant eux pour explorer la « nuit originelle », ce qui va émerger
des ténèbres, ce ne seront que les fragments reflétés d’une réalité en mouvement,
« cet autre mouvement plus vaste que notre âge » (VE, I, 6) tel qu’il est évoqué dans Vents.
Sans doute est-ce pour cette raison que Saint-John Perse fait précéder le substantif
« phosphorescence » de l’adjectif « brève » : la réalité – et, par conséquent, la vérité –
évolue en permanence et l’éclairement que les deux « frères » y apportent n’est que
provisoire et passager ; en d’autres termes, l’objet d’investigation commun à la
science et à la poésie est la vie en train de se faire.
Le seul aspect qui les différencie, c’est « l’outillage » dont ils sont pourvus : le
premier dispose d’instruments scientifiques alors que le second s’appuie sur les
« fulgurations de l’intuition ». C’est de cette différence, précisément, au niveau de
l’équipement, permettant à chacun d’explorer le « mystère commun », que naît
l’opposition qui s’est ancrée dans la mentalité collective et dont ils ont, à présent, du
mal à se défaire. À la rigueur, à la nécessité et à l’objectivité de la science – nous
l’avons montré –, les hommes opposent la subjectivité de la poésie qu’ils qualifient
souvent, à tort, d’« activité de dilettante, aussi inutile que distrayante »1. Peter Medawar,
prix Nobel de médecine en 1960 – qui est aussi, rappelons-le, l’année de la
nobélisation de Saint-John Perse –, écrit dans The Hope of Progress : A Scientist looks at
problems in Philosophy, Literature and Science2 :
De façon dont les choses se présentent aujourd’hui, il n’est simplement pas bon
de prétendre que la science et la littérature représentent des entreprises
complémentaires et qui se soutiennent mutuellement en vue d’un but commun.
Au contraire, là où l’on pourrait s’attendre à ce qu’elles coopèrent, elles
1
Pierre MACHEREY, « Une poétique de la science », in Méthodes, n°6, 2006, p. 3 [revue en ligne :
http://methodos.revues.org/473 ; dernière consultation : 09.04.2012]
2
Peter MEDAWAR, The Hope of Progress : A Scientist looks at problems in Philosophy, Literature and
Science, New-York, Anchor Press, 1972.
39
rivalisent. Je le regrette beaucoup, je pense que cela n’est pas nécessaire et je
voudrais qu’il en soit autrement.1
Ce que les détracteurs de la création poétique ne voient pas, c’est que toute
activité scientifique s’inscrit, d’abord, dans une démarche poétique. Loin d’être des
« machines à calculer », les scientifiques vivent dans un milieu déterminé par la
culture auquel ils ne sauraient être entièrement insensibles. La science et
l’imagination poétique ont notamment en commun cet étonnement sur lequel
insiste, par exemple, André Du Bouchet2 ; cette curiosité pure et cette admiration
motrice qui constituent autant de points de départ à toute entreprise de l’esprit dont
le propos est quête de la vérité, quelle qu’en soit la nature. Albert Einstein y revient
lui aussi en mettant l’accent sur le sentiment qui amorce la recherche scientifique :
Seul, celui qui peut évaluer les gigantesques efforts et, avant tout, la passion
sans lesquels les créations intellectuelles scientifiques novatrices n’existeraient
pas, peut évaluer la force du sentiment qui seul a créé un travail absolument
détaché de la vie pratique. Quelle confiance profonde en l’intelligibilité de
l’architecture du monde et quelle volonté de comprendre, ne serait-ce qu’une
parcelle minuscule de l’intelligence se dévoilant dans le monde, devait animer
Kepler et Newton pour qu’ils aient pu éclairer les rouages de la mécanique
céleste dans un travail solitaire de nombreuses années. Celui qui ne connaît la
recherche scientifique que par ses effets pratiques conçoit trop vite et
incomplètement la mentalité des hommes qui, entourés de contemporains
sceptiques, ont montré les routes aux individus qui pensaient comme eux.3
Un travail détaché de la « vie pratique » – c’est-à-dire de son application
concrète –, mais non de l’homme. Pour défendre une idée semblable dans son Discours
de Stockholm, Saint-John Perse cite, sans le nommer, Einstein qui va jusqu’à
revendiquer, pour la démarche scientifique, une « vision artistique » :
Quand on mesure le drame de la science moderne découvrant jusque dans
l’absolu mathématique ses limites rationnelles ; quand on voit, en physique,
1
Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour
l’an 2000, op. cit., p. 255.
2
André DU BOUCHET, Carnets (1952-1956), Paris, Plon, 1990, p. 48 : « La poésie n’est qu’un
certain étonnement et les moyens de cet étonnement ».
3
Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 19.
40
deux grandes doctrines maîtresses poser, l’une un principe général de relativité,
l’autre un principe « quantique » d’incertitude et d’indéterminisme qui limiterait
à jamais l’exactitude même des mesures physiques ; quand on a entendu le plus
grand novateur scientifique de ce siècle, initiateur de la cosmologie moderne et
répondant de la plus vaste synthèse intellectuelle en termes d’équations,
invoquer l’intuition au secours de la raison et proclamer que « l’imagination est
le vrai terrain de germination scientifique », allant même jusqu’à réclamer pour
le savant le bénéfice d’une véritable « vision artistique » – n’est-on pas en droit
de tenir l’instrument poétique pour aussi légitime que l’instrument logique ?1
Et Peter Medawar d’insister, lui aussi, sur l’importance de l’imagination dans
le domaine scientifique :
[T]outes les avancées dans la compréhension scientifique, à tous les niveaux,
commencent avec une aventure spéculative, une préconception imaginative de
ce qui pourrait être vrai – une préconception qui toujours, et nécessairement, va
un petit peu (et parfois beaucoup) au-delà de ce pour quoi nous disposons
d’une autorité logique ou factuelle qui nous permette d’y croire.2
Certains objecteront qu’en poésie, tout est permis alors qu’en science, les
idées doivent sortir du cadre de l’imaginaire ; à défaut, il s’agirait d’une discipline
incertaine, privée de la faculté de valider ses moyens d’investigation ainsi que ses
résultats. Autrement dit, là où le savant s’impose des méthodes et des règles fixes, le
poète n’obéit qu’à son intuition. Or, l’épistémologue Paul Karl Feyerabend nous
met précisément en garde contre le danger que présentent ces règles :
L’idée que la science peut, et doit, être organisée selon des règles fixes et
universelles est à la fois utopique et pernicieuse. Elle est utopique, car elle
implique une conception trop simple des aptitudes de l’homme et des
circonstances qui encouragent, ou causent, leur développement. Elle est
pernicieuse en ce que la tentative d’imposer de telles règles ne peut manquer de
n’augmenter nos qualifications professionnelles qu’aux dépens de notre
humanité. En outre, une telle idée est préjudiciable à la science, car elle néglige les
conditions physiques et historiques complexes qui influencent en réalité le
changement scientifique. Elle rend notre science moins facilement adaptable et
1
OC, p. 443-444.
2
Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour
l’an 2000, op. cit., p. 255.
41
plus dogmatique. […] Toutes les méthodologies ont leurs limites, et la seule
« règle » qui survit, c’est : « Tout est bon ».1
Ainsi, ce que l’on reproche d’un côté à la poésie, on le revendique de l’autre
pour la science. L’abîme qui s’est creusé, au fil du temps, entre les hommes de
science et les hommes de lettres est donc moins la conséquence d’une mésentente
hypothétique entre les premiers et les seconds que le résultat d’une conception
erronée provenant de l’extérieur. Ce ne sont ni les scientifiques ni les poètes – les
exemples que nous empruntons aux uns et aux autres l’illustrent abondamment –
qui cherchent à donner la primauté de leur domaine sur celui des autres, mais c’est
l’opinion de ceux qui ne sont ni savants ni poètes qui a discrédité l’art au profit de la
science. Une telle attitude est d’autant plus inquiétante que le progrès scientifique –
nous l’avons dit – a connu un tel essor au cours des dernières décennies qu’il lui est
devenu indispensable de se soumettre au regard philosophique et moralisateur de
l’artiste. Nous pouvons donc affirmer, avec Rabelais, que « science sans conscience n’est
que ruine de l’âme »2. Et Einstein d’ajouter :
Je crois même que l’exagération de l’attitude férocement intellectuelle,
sévèrement orientée sur le concret et le réel, fruit de notre éducation, représente
un danger pour les valeurs morales. […] Le perfectionnement moral et
esthétique, l’art plus que la Science, peut le vouloir et peut s’efforcer de
l’atteindre. La compréhension d’autrui ne progressera qu’avec le partage des
joies et des souffrances.3
Dans cet ordre d’idées, la poésie devient – pour reprendre le jugement de
Saint-John Perse à propos d’un écrit reçu de la part de Dag Hammarskjöld – une
« saisissante synthèse de notre temps, en cours vers l’expansion en même temps que vers l’unité.
1
Paul Karl FEYERABEND, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Paris,
Seuil, 1979, p. 332-333.
2
François RABELAIS, Pantagruel, chap. VIII, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 245.
3
Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 21-22.
42
[…] [Des] méditations [qui] battent, de haut, le rythme d’une époque, et j’aime vous rejoindre
là »1. L’expansion qu’il évoque est double :
Des astronomes ont pu s’affoler d’une théorie de l’univers en expansion ; il
n’est pas moins d’expansion dans l’infini moral de l’homme – cet univers.2
Cette analogie entre l’univers cosmique et l’univers mental n’est pas sans
nous rappeler la réflexion de Pascal sur l’étroite relation entre l’infiniment grand et
l’infiniment petit :
Tout le monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la
nature. Nulle idée n’en approche ; nous avons beau enfler nos conceptions audelà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la
réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la
circonférence nulle part.3
Comme la science, la poésie peut seulement exister si elle ne se coupe pas du
monde extérieur, c’est-à-dire si elle ne s’enferme pas dans une posture purement
autoréférentielle. Jean-Pierre Lemaire l’a bien dit :
L’expression de soi que permet le poème n’est vraiment libératrice, on le voit,
que si elle n’est pas étrangère à la réalité du monde. Ici, on haussera peut-être
les épaules ou le sourcil : réalistes, les poètes ? Mais oui, si l’on veut bien se
rappeler que la réalité excède parfois nos mesures et si l’on croit que les poètes
essaient d’être attentifs à ce que René Char appelait « le grand réel ».4
Précisons que, dans l’œuvre de Char, le terme de « réel » renvoie, comme le
souligne Isabelle Ville, « aux lectures de la réalité proposées par le poète »5, acception qui
pourrait également s’appliquer à la poésie de Saint-John Perse.
Des réflexions qui précèdent, nous pouvons déduire, avec Pierre Macherey,
l’idée que le savant et le poète se partagent la tâche :
1
SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 149-150.
2
OC, p. 444.
3
Blaise PASCAL, Pensées, frag. 185, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2004, p. 154.
4
Jean-Pierre LEMAIRE, Marcher dans la neige. Un parcours en poésie, Montrouge, Bayard, 2008, p. 20.
5
Isabelle VILLE, René Char, une poétique de résistance : Être et Faire dans les Feuillets d’Hypnos, Paris,
Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 330.
43
à la poésie, il revient de cultiver [l]es schèmes imaginaires et d’en entretenir la
mémoire en en effectuant la retraduction de façons indéfiniment variées et
affinées, alors que la science, qui, pour devenir science, aura dû apprendre à
s’en détacher en pratiquant ce que Bachelard appelle une « philosophie du
non », s’installe sur un tout autre terrain, où elle peut inventer, et non seulement
découvrir, ses formes propres de rationalité, formes qui sont non pas
rencontrées mais produites au cours de processus qui en déterminent au fur et à
mesure la nécessité.1
Le scientifique analyse et dépouille alors que le poète compose et embellit, comme
le souligne d’Alembert dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie. Outre les
applications pratiques auxquelles aboutissent, généralement, les découvertes
scientifiques, il s’agit, en l’occurrence, de deux procédures d’opération éminemment
distinctes sur un même objet. L’univers imaginaire donne aux pensées scientifiques
leurs formes spécifiques, en ayant recours à un système de métaphores comme
traduction idéelle de la pensée scientifique2.
Dans le contexte de la relation entre l’homme de science et l’artiste, le poème
« Amitié du Prince », qui constitue le second des cinq volets du recueil La Gloire des
rois, pourrait nous offrir, en filigrane, quelques pistes de réflexion. Ce texte, qui a
probablement été conçu entre 1917 et 1921 alors que le poète était en Chine, mais
dont la finalisation n’a été accomplie qu’après le retour d’Alexis Léger en France
entre 1921 et 19233, est subdivisé en quatre fragments. Il décrit la rencontre de deux
hommes de rangs différents : le Prince et le sage, le second étant l’alter ego du
premier. Une lecture attentive du texte nous montre que certains passages de cette
œuvre annoncent des idées qui seront reprises et développées, quelque quarante ans
plus tard, dans le Discours de Stockholm. Ainsi, le sage évoque la figure du Prince, « vêtu
de [s]es sentences » et « docile aux souffles de la terre » (GR, « Amitié du Prince », I), en
insistant sur la gloire qui est la sienne :
1
Pierre MACHEREY, « Une poétique de la science », in Méthodes, n°6, op. cit., p. 5.
2
Cf. ibid., p. 7.
3
Cf. Joëlle GARDES-TAMINE (dir.), Saint-John Perse sans masque. Lecture philologique de l’œuvre,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2006, p. 194-195.
44
[A]ux soirs de grande sécheresse sur la terre, lorsque les hommes en
voyage disputent des choses de l’esprit adossés en chemin à de très grandes
jarres, j’ai entendu parler de toi de ce côté du monde, et la louange n’était point
maigre :
« … Nourri des souffles de la terre, environné des signes les plus fastes et
devisant de telles prémisses, de tels schismes, ô Prince […] »
(GR, « Amitié du prince », I)
Il n’y a pas de doute : derrière le personnage du Prince se cache celui du
poète. Cela permet notamment à Perse de s’interroger sur la triple fonction du poète
dans la société :
« Tu es le Guérisseur et l’Assesseur et l’Enchanteur aux sources de
l’esprit ! Car ton pouvoir au cœur de l’homme est une chose étrange et ton
aisance est grande parmi nous.
J’ai vu le signe sur ton front et j’ai considéré ton rôle parmi nous. »
(Ibid.)
Le fait que Saint-John Perse mette une majuscule aux trois avatars du Prince
nous oblige à nous lancer dans une analyse plus poussée. Désigner le Prince par le
terme de « Guérisseur », n’est-ce pas lui attribuer des qualités de savant dans la mesure
où il doit disposer d’un savoir scientifique indispensable à la guérison des
souffrants ? En outre, le « Guérisseur » est nécessairement au service d’autrui et
s’inscrit donc parfaitement dans la conception collective des applications utiles de la
science.
De l’autre côté, nous avons l’« Enchanteur », c’est-à-dire le mage ou le
chamane, dont les pouvoirs sont souvent rapprochés, dans la poésie de Saint-John
Perse, de ceux du poète1. D’ailleurs, l’« Enchanteur » n’est-il pas celui qui « enchante » le
monde, c’est-à-dire qui le transpose en chant ou en poème ? Il est à l’écoute de la voix
cachée de la nature, manipule les forces occultes de la terre, influe sur la réalité des
choses par la seule puissance évocatoire du langage et, par conséquent, tient
1
Cette idée apparaît de façon plus ou moins régulière à partir du poème Anabase. Cf., par
exemple, EX, « Pluies », VII : « Tel s’abreuve au divin dont la lèvre est d’argile ».
45
commerce avec la surréalité. Perse ne manquera pas de revenir sur cette idée dans le
Discours de Stockholm :
Par la pensée analogique et symbolique, par l’illumination lointaine de l’image
médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille chaînes de réactions
et d’associations étrangères, par la grâce enfin d’un langage où se transmet le
mouvement même de l’Être, le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être
celle de la science.1
Le poète, chez Saint-John Perse, est généralement présenté comme un
« … [h]omme très simple parmi nous ; le plus secret dans ses desseins ;
dur à soi-même, et se taisant, et ne concluant point de paix avec soi-même,
mais pressant,
errant aux salles de chaux vive, et fomentant au plus haut point de l’âme
une grande querelle… »
(GR, « Amitié du prince », II)
Cette réserve est peut-être responsable, elle aussi, de la déconsidération qui
menace le poète dans la société. La « querelle » auquel il fait allusion doit être
comprise au sens héraclitéen du terme : de la confrontation des contraires naît
l’action2. Et le sage conclut :
« … Tel sous le signe de ton front, les cils hantés d’ombrages immortels et
la barbe poudrée d’un pollen de sagesse, Prince flairé d’abeilles sur sa chaise
d’un bois violet très odorant, il veille. Et c’est là sa fonction. Et il n’en a point
d’autre parmi nous. »
(GR, « Amitié du prince », II)
Le poète agit donc par sa seule présence ; sa tâche consiste à « veiller » dans la
double acception du terme : se priver de somme, mais aussi faire preuve de
vigilance. C’est à cet endroit qu’il convient d’étudier la fonction du troisième attribut
du Prince, à savoir l’« Assesseur ». Ce n’est certainement pas un hasard qu’il soit placé
au milieu du vers et relié au « Guérisseur » et à l’« Enchanteur » par la double répétition
de la conjonction de coordination « et », comme s’il était le pivot de deux éléments
1
OC, p. 444.
2
Cf. à ce sujet l’ouvrage de Colette CAMELIN, Éclat des contraires. La poétique de Saint-John Perse,
Paris, CNRS, coll. « CNRS Littérature », 2006.
46
qui devraient être en équilibre. L’« Assesseur » apparaît comme l’intermédiaire et le
médiateur, en quelque sorte, entre le savant et le mage. Il siège aux côtés de chacun,
assiste l’un et l’autre dans ses activités respectives, mais, en même temps, il
n’appartient à aucun des deux. Son regard externe lui permet d’assurer la fonction
de juge qui veille à maintenir l’équilibre entre le progrès scientifique et les
interrogations morales que celui-ci suscite1. Il est, en quelque sorte, la « mauvaise
conscience de son temps »2 sur laquelle s’achève le Discours de Stockholm3. Et le sage
d’ajouter :
et un très grand besoin de toi nous tient aux lieux où tu respires, et de plus
grand bien-être qu’avec toi nous n’en connaissons point…
(GR, « Amitié du prince », I)
Le moment clé du poème est certainement la rencontre du Prince et du sage
qui a lieu après le long voyage du second pour rejoindre le premier. Dans sa
réponse, le Prince y fait directement allusion :
La guerre, le négoce, les règlements de dettes religieuses sont d’ordinaire la
cause des déplacements lointains : toi, tu te plais aux longs déplacements sans
cause.
(GR, « Amitié du prince », III)
Par les « longs déplacements sans cause », faut-il entendre la « pensée désintéressée » de
l’un et de l’autre ? Ils discutent « des choses de l’esprit » (III), « [c]hoses probantes et peu
sûres » (III), et le Prince désire vérifier si la « science » du sage « encore s’est accrue » (III).
Ce passage n’annonce-t-il pas la question que soulèvera Saint-John Perse dans son
« Allocution au Banquet Nobel » en 1960 : « qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de
brève phosphorescence ? »4. La réponse est, nous l’avons vu, sans intérêt et dès le départ,
« l’amitié est agréée » (III). Sachant que la « condition de l’homme est obscure » (III), leur
1
À propos du regard externe, voir la figure de l’Étranger dans l’œuvre de Saint-John Perse et
surtout dans Anabase.
2
OC, p. 447.
3
Cf. troisième chapitre de la présente étude.
4
OC, p. 444.
47
entretien est comparé aux « abeilles [qui] quittent les cavernes à la recherche des plus hauts
arbres dans la lumière » (IV). Le poème s’achève sur une constatation à la fois
encourageante et décevante :
Et il n’est plus question d’agir ni de compter, mais la faiblesse gagne les
membres du plus fort ; et d’heure plus vaste que cette heure, nous n’en
connûmes point…
(GR, « Amitié du prince », IV)
Encourageante, parce que les deux ne se considèrent pas comme des « frères
ennemis » – l’homme de science et le poète se trouvent réunis dans le personnage du
Prince – ; et décevante, étant donné que la recherche qu’ils mènent de front –
quelles que soient les méthodes d’investigation mises à l’œuvre – se heurte contre
ses propres limites : « Et la nuit vient avant que nous n’ayons coutume de ces lieux » (IV).
Qui, donc, est le « plus fort » dont les membres deviennent faibles ? Nul ne le sait.
L’essentiel, c’est que la « lampe » (IV), qui réapparaîtra dans le Discours de Stockholm
sous la forme d’une « lampe d’argile »1, continue d’éclairer le « [s]euil de la connaissance »
(AM, « Strophe », II).
La création poétique peut-elle donc servir la connaissance et, le cas échéant,
peut-elle être investie d’une fonction épistémologique ?
1
OC, p. 447.
48
Chapitre II
La poésie comme mode de connaissance
« Une heure en nous se lève que nous n’avions
prévue. »
AM, « Strophe », V
Comme nous avons essayé de le montrer dans le chapitre qui précède, l’être
humain éprouve le désir constant de contrôler la nature dans le but d’améliorer sa
propre condition de vie. Dans cet ordre d’idées, les savants bénéficient d’un statut
privilégié dans la société, étant donné que leurs recherches aboutissent souvent à des
fins pratiques et donc utiles. Or, dans son Discours de Stockholm, Saint-John Perse
attire notre attention sur le fait que la fonction qui incombe à l’homme de lettres
n’est pas moins importante que celle du scientifique et que son œuvre peut, elle
aussi, servir la connaissance que nous considérons trop souvent comme l’apanage
exclusif de la science et de son progrès. Plus les savants réussissent à repousser les
limites du savoir, plus on estime que la connaissance de l’humanité s’accroît. Or, une
telle conception ne relève-t-elle pas d’une confusion entre connaître et savoir ?
2. 1. Connaître et savoir
Selon la définition que propose Le Grand Robert du verbe « connaître », il
s’agirait d’« [a]voir présent à l’esprit un objet (réel ou vrai, concret ou abstrait ; physique ou
mental) » ou encore « [d’]être capable de former l’idée, le concept, l’image de [l’objet en
49
question] »1. Les auteurs ajoutent, pour l’expression « connaître une chose » : « [s]e faire une
idée, soit par l’expérience, soit par des informations, de manière précise ou imprécise (mais toujours
de manière pertinente) »2. Cette définition, bien qu’elle soit relativement vague, a le
mérite de mettre en évidence une idée importante : la connaissance est une
représentation « précise ou imprécise », mais toujours « pertinente » d’un objet dont on va
former « l’idée, le concept, l’image ». Conceptualiser le réel, c’est établir des structures
sémantiques dont l’expression se fera par le biais d’un langage déterminé. Il peut
s’agir, notamment, d’un langage elliptique (en science comme en poésie), narratif,
pictural, musical ou autre. Toutefois, ne commet-on pas un paradoxe si l’on
rapproche les adjectifs « imprécis » et « pertinent » ? La pertinence ne devrait-elle pas
être la conséquence logique d’une réflexion scrupuleuse qui, par conséquent, relève
de la précision ? Et la représentation du réel qui en découle, ne devrait-elle pas être
la plus fidèle possible ?
Voyons, pour comparer, comment le dictionnaire définit le verbe « savoir »
dont est dérivé le substantif « savant » et que l’on donne souvent comme synonyme
du verbe « connaître » : « Avoir présent à l’esprit un objet de pensée (qu’on identifie et qu’on tient
pour réel) ; pouvoir affirmer l’existence de… » 3 . Cette définition introduit un nouvel
élément important, à savoir la question du réel : savant est celui qui est dépositaire
d’un « objet de pensée […] qu’[il] tient pour réel ». Or, tenir quelque chose pour réel,
n’est-ce pas formuler l’hypothèse de son existence sans pour autant la prouver de
façon irréfutable ? Même si l’on « identifie » son « objet de pensée », c’est-à-dire si on lui
confère une identité propre qui permette de le distinguer de tous les autres, il n’est
pas certain que cette identification soit la même pour tous les êtres pensants. À titre
d’exemple, nous pourrions mentionner les couleurs : en parlant du rouge, tout le
monde perçoit-il cette couleur exactement de la même façon ? Certains y verraient
1
Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. II, p. 455.
2
Ibid.
3
Le Grand Robert, op. cit., t. VI, p. 222.
50
peut-être des nuances de brun (lorsqu’il s’agit d’un rouge foncé) ou d’orange (dans le
cas d’un rouge clair). Le réel – le seul prétendu référent unique et fiable en matière
de savoir – ne serait-il donc pas le même pour chacun d’entre nous, car tributaire de
notre sensibilité ? Finalement, le réel sur lequel s’appuie la science serait-il différent
de celui de la poésie, le premier étant plus tangible et le second relevant plutôt de
l’abstraction ? En tout cas, la subjectivité du sujet ne peut jamais être complètement
exclue du processus d’identification du réel, fût-il concret ou abstrait, scientifique ou
poétique. C’est cette idée, sans doute, qui a amené Émile Zola à affirmer – en
parlant du roman réaliste – qu’« une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un
tempérament »1.
De ce qui précède, nous pouvons déduire les propriétés suivantes de la
connaissance et du savoir :
– la connaissance permet de forger l’idée2 ou l’image d’un objet de pensée ;
autrement dit, elle constitue le vecteur conceptualisant du processus
cognitif en assurant la liaison entre le référent concret ou abstrait et sa
forme de représentation tangible ou mentale. Elle met à la disposition du
sujet les outils sémiotiques qui lui permettent de traduire dans un système
codifié – quel qu’en soit le support – les structures de la réalité qui ont été
déterminées. Par conséquent, la connaissance est toujours en devenir, car
elle relève de la vie en train de se faire : celle à laquelle s’intéressent,
notamment, les hommes de science et les poètes et à laquelle renvoie,
peut-être, ce vers de Chronique : « Et nos actes s’éloignent dans leurs vergers
d’éclairs… » (CH, VIII) ;
– le savoir, quant à lui, est le résultat de l’appréhension subjective du réel
permettant d’identifier les objets (concrets ou abstraits). Il représente les
1
Émile ZOLA, « M. H. Taine, artiste », in Mes haines : Causeries littéraires et artistiques, Paris,
Charpentier, 1893, p. 229.
2
À noter que le substantif « idée » dérive étymologiquement du grec « eidos » dont le premier sens
est « l’aspect extérieur », mais aussi « la forme du corps ou d’une chose ».
51
données de base qui viennent nourrir le processus cognitif et qui
aboutissent – une fois confrontées avec d’autres données – à la
connaissance. Mais le savoir ne peut devenir connaissance que s’il
s’affranchit de l’utopie d’une objectivité absolue tant au niveau des
perceptions qu’à celui de leur représentation. Toute expérience – qu’elle
soit de nature scientifique ou artistique – ainsi que sa représentation sont
sujettes à une certaine forme de subjectivité sans laquelle le processus
cognitif serait stagnant et intellectuellement stérile : il s’agirait, le cas
échéant, d’un savoir figé et passif, et qui serait le même pour l’homme de
science que pour le poète. La richesse intellectuelle de l’être humain se
verrait réduite à un simple inventaire de savoirs passifs divers. Nous
comprenons mieux, à présent, l’importance de la « vision artistique » et de
l’« imagination » sur lesquelles insiste Saint-John Perse lorsqu’il cite
Einstein.
En somme, la différence entre le savoir et la connaissance pourrait être résumée
de la façon suivante : le premier est le résultat de l’appréhension externe du monde,
qu’elle relève de l’expérience sensorielle ou de l’analyse scientifique. Nous savons,
par exemple, que la lumière rend visibles les choses qui nous entourent et nous
sommes même en mesure de l’analyser d’un point de vue scientifique (c’est
l’ensemble des ondes électromagnétiques dont la longueur est comprise entre 380
780 nm, perceptibles par l’œil humain, etc.). La connaissance, en revanche, pourrait
être considérée comme la somme des savoirs une fois qu’ils auront été mis en
relation les uns avec les autres, mais aussi avec le contexte culturel et humain. Ainsi,
la lumière qui, nous venons de le voir, peut faire l’objet d’une analyse scientifique,
est susceptible – outre son rôle premier qui est celui d’éclairer et de chauffer – de
donner lieu à une perception différente de la réalité : en fonction de la façon dont
nous projetons la lumière sur tel objet, nous le verrons de façons différentes. Il nous
apparaîtra sous une autre lumière. À cela s’ajoute que la lumière joue un rôle
52
prépondérant dans certaines cultures qui vont jusqu’à voir en elle l’origine de la vie
ou la manifestation d’une divinité. C’est dans la confrontation des savoirs
scientifiques, culturels et, dans certains cas, métaphysiques que la connaissance puise
son originalité et sa puissance. Autrement dit, l’intérêt du seul savoir est limité. Il ne
commence à prendre toute son importance et une autre valeur – polyvalente – que
s’il est mis en relation avec d’autres données scientifiques, culturelles et humaines.
C’est aussi ce que souligne Moritz Schlinck dans sa Théorie générale de la connaissance :
dans le cas de la connaissance, l’essentiel consiste précisément en ce que celui qui
connaît établit une relation entre plusieurs objets. Le fait de parler de la connaissance
comme d’une saisie est donc en général une image trompeuse. Elle n’est justifiée qu’à
condition d’entendre par là qu’il s’agit de capturer ou de cerner l’objet connu par des
concepts, et de lui assigner ainsi une place univoque en leur sein.1
Pour les francs-maçons – auxquels la critique a tendance à associer SaintJohn Perse, sans qu’elle soit toutefois en mesure d’en livrer des preuves irréfutables,
alors que l’œuvre poétique contient un nombre impressionnant d’allusions à des
symboles franc-maçonniques2 : même s’il n’est pas certain que Saint-John Perse ait
appartenu à une obédience, il a toutefois manifesté un intérêt particulier pour les
symboles et les rites des francs-maçons –, la différence entre savoir et connaissance se
définit ainsi :
Les savoirs sont constitués de concepts, de procédures ou de méthodes qui
existent hors du sujet connaissant et qui sont généralement codifiés dans des ouvrages
de référence, manuels, encyclopédies, dictionnaires…
Les connaissances, par contre, sont indissociables du sujet connaissant.
Ce n’est que lorsqu’une personne intériorise un savoir, en en prenant connaissance
que précisément elle transforme ce savoir en connaissance.
L’acteur de cette construction en devient le possesseur unique, car un savoir
identique construit par une autre personne ne sera jamais tout à fait le même.3
1
Moritz SCHLINCK, Théorie générale de la connaissance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de
Philosophie », 2009, p. 141.
2
Une étude d’ensemble mériterait d’être consacrée à ce sujet.
3
Planche de G. D. publiée sur le site L’Édifice – La Bibliothèque maçonnique du net. Voir
http://www.ledifice.net/7007-2.html [dernière consultation : 05.05.2012].
53
Il reste à préciser que le critère – contrairement à ce que l’on aurait pu
imaginer – n’est pas celui de la précision de la représentation, voire de sa rigueur
scientifique, mais plutôt celui la « pertinence ». Or, comment la définir s’il n’existe pas
de critère de validité universel ? Certes, une expérience physique ou chimique peut
être refaite partout dans le monde et les observations seront probablement les
mêmes dans les grandes lignes, mais la façon dont ces expériences seront perçues et
vécues restera tributaire de l’environnement culturel et spirituel. C’est là,
précisément, que le travail de l’artiste prend toute son importance. Si le scientifique
définit avec rigueur les structures du réel, l’artiste, de son côté, va s’appuyer sur le
travail de son « frère » et essaiera d’arranger ces structures d’une façon plus souple
(ou « imprécise », pour reprendre l’adjectif que nous trouvons dans la définition du
dictionnaire, quoiqu’il soit, à notre avis, mal approprié : la vision que propose
l’artiste du réel n’est pas moins précise que celle du scientifique ; elle est tout
simplement de nature différente) en proposant d’autres combinaisons possibles, car
ce sont elles qui procurent à l’existence humaine toute sa richesse et toute sa beauté.
N’oublions pas que ce sont avant tout l’étonnement et la surprise qui – Einstein et Du
Bouchet nous l’ont rappelé – constituent le moteur de toute démarche intellectuelle.
Il s’agit là d’un point important qui est souvent négligé : outre les résultats concrets et
démontrables auxquels aboutissent les investigations scientifiques, l’on n’est pas
toujours conscient de l’importance que peut revêtir une découverte scientifique au
niveau de la culture alors que toute entreprise de l’esprit, qu’elle soit d’ordre
scientifique ou artistique, est nécessairement ancrée dans un environnement culturel
et humain déterminé. Ainsi, comme le note Pierre Della Faille, « [l]a Connaissance ne
consiste pas seulement à conquérir l’Univers, mais, avant lui, l’HOMME »1 . « Conquérir
l’homme », cela signifie ne pas faire abstraction de l’être humain, mais tenir compte du
bagage culturel et de la personnalité qui lui sont propres. Il nous semble percevoir
un écho de cette idée dans le passage suivant de Vents :
1
Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, Bruxelles, Le Cormier, 1985, p. 21.
54
Et si un homme auprès de nous vient à manquer à son visage de vivant, qu’on
lui tienne de force la face dans le vent !
(VE, I, 6)
Les découvertes en science se trouvent considérablement enrichies sous
l’effet du rapprochement entre le savoir et la culture, prolégomènes indispensables à
la naissance de la connaissance. C’est précisément cette prise de conscience qui est à
l’origine d’une réflexion sur ce qu’Auguste Comte définit comme la « marche
progressive de l’esprit humain »1 et que nous avons tendance à appeler de nos jours
l’épistémologie.
2. 2. L’épistémologie
Le terme « épistémologie » dérive du grec epistêmê dont le premier sens est, selon
Anatole Bailly, celui de « science ; art, habileté ; connaissance, savoir acquis par l’étude » alors
que la seconde acception met l’accent sur l’« application de l’esprit »2. Nous voyons que
le substantif grec met sur un même plan la connaissance et le savoir, en précisant
toutefois que le dernier constitue le fruit d’une étude préalable. Le deuxième sens
que donne le dictionnaire présente une ouverture intéressante : faut-il entendre le
substantif « application » au sens d’« appliquer », c’est-à-dire d’« étendre » son esprit sur
un objet déterminé ou s’agit-il plutôt du sens de « zèle » ou d’« acharnement » qui doit
être déployé dans toute entreprise intellectuelle ? La réponse importe peu, au fond,
car le premier apparaît comme la suite logique du second : une interrogation
poussée qui se veut fructueuse exige toujours une certaine persévérance de l’esprit.
Dans le mot « épistémologie », nous retrouvons également la notion de « logos »
que l’on a coutume de traduire par « discours, langage, jugement ». Autrement dit,
l’épistémologie apparaît d’un côté comme un discours tenu sur la science et, de
l’autre côté, comme une étude de la connaissance. Toutefois, l’idée de « jugement »
1
Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, Paris, Hermann, 1975, 1re Leçon, t. 1, p. 21.
2
Anatole BAILLY, Abrégé du dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1901, p. 345.
55
n’est pas à négliger : jugement de validité des énoncés, certes, mais aussi jugement
moral. L’épistémologie s’inscrit donc clairement dans le domaine de la philosophie
de la connaissance.
Le terme – un néologisme à l’époque – apparaît pour la première fois dans sa
forme anglaise d’« epistemology » sous la plume du métaphysicien écossais James
Frederick Ferrier (1808-1864) dans les Institutes of metaphysics (1854) 1 . Il faudra
attendre le XXe siècle et la traduction française de l’Essai sur les fondements de la
géométrie 2 de Bertrand Russell (1872-1970) pour que le mot apparaisse pour la
première fois dans la version française d’« épistémologie ». Bien que les interrogations
philosophiques et morales que suscite le défi scientifique aient préexisté à l’étiquette
dont elles se trouvent affublées depuis lors, l’épistémologie apparaît comme un
véritable « champ disciplinaire spécifique »3 seulement au début du XXe siècle. Dans sa
monographie qu’elle a consacrée à ce sujet, Léna Soler définit les caractéristiques de
l’épistémologie en ces termes :
– Elle est un discours réflexif, c’est-à-dire un discours faisant retour sur les
sciences. L’épistémologie présuppose donc la science et vient forcément après
elle.
– Elle est un discours critique : elle ne se contente pas de décrire les
sciences sans les juger : elle s’emploie de surcroît à discuter du bien-fondé et de la
portée des propositions et des méthodes scientifiques.
L’épistémologie étant un discours sur les sciences, il conviendra :
– De spécifier la nature du discours considéré (est-il philosophique ?
scientifique ? quels sont ses moyens ?).
– De caractériser l’objet de ce discours (que faut-il entendre par « science » ?
Quelles disciplines concrètes range-t-on dans la catégorie de science ?).4
Quatre notions clés ressortent de cet aperçu : le discours que l’épistémologie
tient sur les sciences est à la fois « réflexif » et « critique » (il reflète donc la portée des
sciences de façon objective) et elle se propose d’en définir la « nature » ainsi que
1
Cf. Dominique LECOURT, La philosophie des sciences, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2010, p. 16.
2
Bertrand RUSSELL, An essay on the foundations of geometry, traduction française : Essai sur les
fondements de la géométrie, Paris, Gauthier-Villars, 1901.
3
Léna SOLER, Introduction à l’épistémologie, Paris, Ellipses, coll. « Philo », 2009, p. 16.
4
Ibid., p. 16-17.
56
l’« objet ». Avant de comparer cette démarche à celle de la poésie, essayons de
proposer une définition de la science telle que la conçoivent les épistémologues.
L’on fait, généralement, la distinction entre la science a posteriori ou descriptive
et la science a priori ou normative :
La première […] prend pour point de départ l’ensemble des pratiques qui,
de fait, sont considérées comme des sciences, décrit le plus fidèlement possible
les produits de ces pratiques, identifie leurs points communs, et élabore à partir
des caractéristiques communes une définition de la science. […]
La seconde […] prend pour point de départ une norme de scientificité
(spécifie ce que devrait idéalement être une science), puis compare les
disciplines dites scientifiques à cet idéal et décide dans chaque cas si l’on a ou
non affaire à une science […].1
D’une façon générale, la science est, comme la poésie, un regard porté sur le
réel. À l’intérieur de la science, les différentes disciplines sont subdivisées en deux
grands groupes : les sciences formelles (mathématiques, logique) et les sciences empiriques
(physique, biologie, psychologie, sociologie, économie, etc.). Les sciences formelles
sont indépendantes de la réalité matérielle et de l’expérience sensible2. Elles ne
s’intéressent qu’au fonctionnement et à la méthode d’un raisonnement, mais non
pas à son contenu. Autrement dit, leur objet d’étude est de nature purement
conceptuelle. De l’autre côté, les sciences empiriques s’intéressent à « certains aspects
spécifiés de l’expérience sensible » 3 . Contrairement aux sciences formelles, leur objet
d’étude n’est pas purement conceptuel, mais il se manifeste par le biais de
l’observation. Parmi les sciences empiriques figurent d’un côté les sciences de la nature
(physique, chimie, sciences de la vie) et de l’autre côté les sciences de l’homme et de la
société (psychologie, sociologie, ethnologie, anthropologie, économie, linguistique,
histoire, droit, etc.).
Pour prolonger la réflexion, nous pouvons mentionner l’opposition qui
existe entre le naturel et l’humain : la nature n’obéit pas à des motifs, elle n’est pas
1
Ibid., p. 24.
2
Ibid., p. 26.
3
Ibid., p. 27.
57
orientée par des valeurs morales et elle ne présente aucune faculté de symbolisation.
Or, elle est le « médiateur privilégié du dialogue entre tous les domaines de la connaissance »1.
L’homme, au contraire, est à même de symboliser (nous retrouvons cette idée,
notamment, dans les mythes et les rituels). Par ailleurs, il peut aller contre ses
intérêts personnels pour la noble cause et peut énoncer ses intentions, tout comme
il peut se laisser guider dans ses actions par un questionnement moral.
Maintenant que nous avons donné un bref aperçu des structures du champ
scientifique, interrogeons-nous sur les étapes de l’appréhension intellectuelle du réel,
c’est-à-dire sur la façon dont le savoir (scientifique) est converti en connaissance.
Descartes propose une structure dualiste du problème en définissant deux pôles qui
se trouvent dissociés dans un premier temps (savoir), mais qui seront bientôt mis en
relation (connaissance). Ces deux pôles sont, comme le rappelle Léna Soler,
le sujet de la connaissance et l’objet à connaître. Pour connaître, le sujet doit
d’une manière ou d’une autre entrer en relation avec l’objet. De quels moyens
dispose-t-il pour ce faire ? On sépare traditionnellement ce qui a trait au
corporel ou au sensible (la constitution physique, les cinq sens, etc.) et ce qui se
rapporte au spirituel ou à l’intellect (les idées et la manière dont l’homme les
enchaîne, le jugement, la raison, l’entendement, etc.).
Considérons le cas de la physique. L’objet visé est la nature inanimée.
L’homme y accède par l’intermédiaire de ses cinq sens, en parle, et élabore des
théories à son propos. On a donc d’un côté le monde sensible, de l’autre un
ensemble d’énoncés proférés par un sujet à propos du monde sensible ; d’un
côté une réalité existant telle quelle indépendamment de tout langage (pôle
extralinguistique), de l’autre des affirmations à propos de cette réalité (pôle
linguistique). Quand les énoncés du sujet décrivent fidèlement l’objet, on dit qu’ils
sont vrais […].2
Par conséquent, le processus cognitif peut être subdivisé en deux étapes :
1. réceptivité du sujet qui observe et enregistre les faits sans les dénaturer. Il y
a, à ce stade du processus, une séparation claire et nette entre le sujet et
l’objet. C’est ainsi que naît le savoir ;
1
Suzanne MERIAUX, Science et poésie, Paris, L’Harmattan, coll. « Écologie et agronomie
appliquées », 2003, p. 50.
2
Léna SOLER, Introduction à l’épistémologie, op. cit., p. 33-34.
58
2. explication et interprétation des données enregistrées : le sujet tisse des liens,
forge des hypothèses, élabore des théories, etc. En un mot, il devient actif
et passe de l’étape du savoir à celle de la connaissance (qui ne sera,
rappelons-le, jamais figée). Le sujet et l’objet entretiennent désormais une
relation très étroite.
Le point de départ est donc l’observation à partir de laquelle le sujet
s’approprie intellectuellement l’objet. Cette étape est avant tout contemplative. La
deuxième consiste à analyser les observations dans leur contexte et de les mettre en
relation avec d’autres données. Seulement, en quoi consiste le travail de la poésie
dans le processus cognitif ? Le naturaliste américain John Burroughs (1837-1921)
nous donne la réponse :
[À] moins que la science ne soit mélangée d’émotion et ne fasse appel au cœur
et à l’imagination, elle n’est que matière inorganique morte ; mais quand elle se
mélange et se transforme ainsi, elle est littérature. […] [L]es intérêts des deux [le
vrai poète et le vrai savant] dans l’univers sont largement différents, pourtant ils
ne sont en aucune façon hostiles ou mutuellement destructeurs.1
Dans son ouvrage Literature and Science (1963), Aldous Huxley rappelle que
la condition préalable à l’établissement d’une relation fructueuse entre la
littérature et la science est la connaissance. […] Et, cela va sans dire, le flot du
savoir et de la compréhension entre les Deux Cultures doit aller dans les deux
sens – de la science vers la littérature aussi bien que de la littérature vers la
science.2
S’il y a donc échange entre la science et la poésie – soulignons, au passage,
l’importance du substantif « compréhension » (action de saisir ensemble) dans la réflexion
de Huxley –, ce que l’épistémologie met en avant pour les sciences, cela s’applique-til également aux créations émanant du domaine de l’art ? Autrement dit, serionsnous en droit de parler d’une « épistémologie poétique » ?
1
Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour
l’an 2000, op. cit., p. 18.
2
Cité et traduit par Paul BRAFFORT, ibid., p. 29.
59
2. 3. Poésie et connaissance
S’il est relativement aisé de proposer une définition de la science, la poésie,
quant à elle, semble résister à toute tentative qui consiste à vouloir la figer dans un
moule bien défini. Ainsi, Roger Bodard souligne que « [q]ui veut la définir ne peut rien
faire qu’errer au hasard dans ce no man’s land qui sépare ces deux terres mal connues : la poésie et
la vérité » 1 . Car définir la poésie, c’est donner des confins à quelque chose qui,
précisément, ne saurait en avoir. La poésie est toujours en mouvement et elle est
mouvement elle-même. Souvenons-nous, précisément, d’un passage de la lettre du
4 août 1911 à Valery Larbaud dans laquelle Saint-John Perse écrit à propos du poète
anglais Patmore :
C’est surtout le « mouvement », dans l’art de Patmore, qui m’avait échappé. À
vous je dis cela, car je me rappelle bien, à propos d’un Latin, l’importance que
vous saviez accorder comme moi à cette chose : mouvement, qui demeure
après tout, au dernier terme de l’analyse, l’intérêt le plus pur auquel on puisse
réduire le goût des choses de ce monde.2
Plus tard, dans une missive (fictive ?) à sa mère 3 du 27 janvier 1917, en
parlant de la Chine où il a été envoyé comme diplomate, il reviendra sur
l’importance du mouvement qui, du reste, se reflète partout dans son œuvre
poétique :
Non, rien, dans tout cela, pour l’esthétique ni pour le pittoresque. Mais c’est le
spectacle, moi, qui me passionne : celui d’une évolution, là, sous mes yeux,
d’une vieille société humaine en pleine mutation. Là où s’exerce le mouvement
est toujours pour moi l’intérêt.4
1
Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », in Arts et Lettres. Revue trimestrielle, Luxembourg,
Section des Arts et des Lettres de l’Institut grand-ducal, 1965, n°1, p. 21.
2
OC, p. 790.
3
La critique persienne estime que les Lettres d’Asie avaient toutes été (ré)écrites pour le volume de
la Pléiade que Saint-John Perse avait constitué lui-même de son vivant. Même si elles ne sont
donc pas forcément authentiques, elles nous livrent des renseignements précieux sur certains
thèmes que le poète a développés dans son œuvre. Cf. Catherine MAYAUX, Les Lettres d’Asie,
Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1994.
4
OC, p. 833.
60
Ce passage fait écho à une idée qui sera reprise, en 1960, dans le Discours de
Stockholm, à savoir que « [l’]inertie seule est menaçante. Poète est celui-là qui rompt pour nous
l’accoutumance »1. Autrement dit, par opposition à la science, la poésie ne peut être
saisie par l’outillage scientifique. Sans doute est-ce pour cette raison que Montaigne,
dans ses Essais, parle du genre poétique comme d’un « ravissement » et d’un « ravage »
de notre jugement :
Voicy merveille : nous avons bien plus de poëtes, que de juges et interpretes de
poësie. Il est plus aisé de la faire, que de la cognoistre. À certaine mesure basse,
on la peut juger par les preceptes et par art. Mais la bonne, l’excessive, la divine
est au-dessus des regles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d’une
veuë ferme et rassise, il ne la void pas, non plus que la splendeur d’un esclair.
Elle ne pratique point nostre jugement ; elle le ravit et ravage.2
Or, dire qu’il est plus facile de faire de la poésie que d’en parler, cela ne
revient-il à prétendre qu’au fond, l’écriture poétique échappe à son créateur ?
Autrement dit, là où la science maîtrise ses outils avec une assurance remarquable, le
poète serait-il finalement dépassé par sa création qui, dans cet ordre d’idées, n’aurait
alors plus aucune valeur épistémologique ? En réalité, les choses sont beaucoup plus
complexes qu’elles n’en ont l’air à première vue. Bien que la poésie ne puisse être
définie de la même manière ni selon les mêmes critères que la science, elle n’en a pas
moins une nature et une fonction qui, elles, peuvent être clairement déterminées.
Voici comment Pierre Della Faille évoque le problème :
Une question cruelle saute à l’esprit : la poésie échappe-t-elle à ceux qu’encore
aujourd’hui on appelle des « poètes » ? En quittant l’épopée, le récit, le mythe,
s’attachant à l’analyse intérieure, à la confession, à sa description subtile des
moments fugaces, les poètes actuels n’ont-ils pas changé la nature de la poésie
qui, d’un acte créateur par excellence, s’est muée en technique d’analyse et, par
ses sujets, rapprochée du roman psychologique ?3
1
OC, p. 446.
2
Michel de MONTAIGNE, Essais, Livre Ier, chap. XXXVII, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 227-228.
3
Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, op. cit., p. 22-23.
61
La poésie semble donc bel et bien investie d’un pouvoir analytique. Par
opposition au domaine scientifique, son travail s’opère à la fois sur le sujet et sur
l’objet. Parmi toutes ces « choses sur la terre à entendre et à voir, choses vivantes parmi nous »
(AN, X), la poésie est, comme le précise le mathématicien Basarab Nicolescu
(*1942), « la suprême approche quantique du monde. La mécanique quantique décrit la
mécanique de l’univers, tandis que la poésie révèle sa dynamique secrète »1. Et il ajoute :
Les poètes sont les physiciens du sens. Ils prennent les mots pour instrument
d’investigation de l’au-delà des mots – Nature universelle dont l’univers
physique n’est qu’une de ses [sic] facettes. […] Le sens ne commence pas là où
les mots s’arrêtent, mais là où les mots sont en équilibre avec les autres facultés
de l’homme.2
Par opposition au langage scientifique, le mot poétique doit être en
« équilibre avec les autres facultés de l’homme ». Il s’agit donc plus d’une forme de
connaissance que d’une forme de savoir, d’après les définitions des deux notions que
nous avons proposées plus haut. En outre, selon Nicolescu, « [l]a connaissance émerge
de l’unité entre l’observateur et ce qui est observé »3. La poésie, en tant que moyen de
connaissance, est – comme l’épistémologie – réflexive et critique : réflexive, car elle
tient une interrogation non seulement sur elle-même, mais aussi sur ses moyens et
son objet d’investigation ; critique parce qu’elle suscite un jugement non pas de
valeur, mais de rectitude morale. En ce sens, il ne serait peut-être pas aberrant de
parler d’une « poésie épistémologique » ou encore d’une « épistémologie poétique ». À partir
de l’interdépendance du sujet et de l’objet dont émane la connaissance, le discours
poétique propose sa vision du réel. À l’instar de la science, la poésie est – comme le
précise Suzanne Mériaux – une « connaissance du Réel, de l’Être, malgré la représentation –
1
Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, Monaco, Éditions du Rocher, 1994, p. 64.
2
Ibid., p. 45.
3
Ibid., p. 36.
62
le Paraître – qui en est différente »1. Il serait désormais plus juste – et plus prudent – de
s’engager dans la voie que suggère Basarab Nicolescu :
Petit changement d’attitude, qui équivaut à une grande révolution : se
considérer plutôt comme un participant au mouvement du sens et non comme
l’unique propriétaire du sens.2
Encore faudrait-il mettre au clair la notion de réel qui est indissociable à la
fois de la science et de la poésie à tel point qu’elle constitue – nous l’avons vu – le
point de clivage entre les deux. « Le réel n’est jamais donné, écrit Gilles Cyr, il est toujours
produit ; la littérature et la science constituent deux modes particuliers de production du réel »3. Si
le réel, en tant qu’objet, n’existe donc pas a priori, c’est-à-dire s’il est « produit », cela ne
veut-il pas dire qu’il est forcément tributaire de la subjectivité de tout sujet qui
cherche à se l’approprier ? Dans ce cas, parler de « réel absolu », comme le fait SaintJohn Perse dans le Discours de Stockholm, ne relève-t-il pas du paradoxe ?
[…] si la poésie n’est pas, comme on l’a dit, « le réel absolu », elle en est bien la
plus proche convoitise et la plus proche appréhension, à cette limite extrême de
complicité où le réel dans le poème semble s’informer lui-même.4
Pourtant, afin que le réel ait un sens dans la connaissance que les hommes ont
du monde, il importe de lui trouver un dénominateur commun sans lequel il serait
impossible de l’appréhender, que ce soit d’un point de vue scientifique ou littéraire.
Parfois, il y a même abus dans la mesure où, pour une raison d’intérêt collectif ou
privé, une conception déterminée du réel nous est imposée. Ainsi, Philippe Sollers
écrit que
la notion de réalité [est] elle-même une convention et un conformisme, une
sorte de contrat tacite passé entre l’individu et son groupe social : est déclaré
réel, dans des circonstances historiques données, ce que le plus grand nombre à
1
Suzanne MERIAUX, Science et poésie, op. cit., p. 9.
2
Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, op. cit., p. 51.
3
Gilles CYR, « Littérature et science », in Liberté, vol. 12, n°1, 1970, p. 58.
4
OC, p. 444.
63
travers le nombre au pouvoir, et pour des raisons économiques précises, est
obligé de tenir pour réel.1
Si la perception du réel se fait essentiellement par la voie sensorielle, il faudra
s’interroger sur ce que Wittgenstein appelle une « donnée des sens » :
Le moment est venu d’exercer notre critique sur le mot « donnée des sens ».
C’est une donnée des sens que l’apparition de cet arbre, que « réellement il y a là
un arbre » ou que ce soit une attrape, un mirage, une hallucination, etc. C’est
une donnée des sens que l’apparition de l’arbre et ce que nous voulons dire,
c’est que sa re-présentation [sic] par le langage n’est qu’une description, mais non
la description essentielle.2
Cette description est le produit de la subjectivité du sujet qui, comme le
souligne Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation
(1819), nous empêche de voir le monde tel qu’il est réellement et indépendamment
de notre volonté individuelle. Voilà pourquoi la représentation du réel est
étroitement liée à la connaissance à tel point que, comme le précise Michel Foucault,
[l]e signe, puisqu’il est toujours ou certain ou probable, doit trouver son espace
à l’intérieur de la connaissance. […] Le signe n’attend pas silencieusement la
venue de celui qui peut le reconnaître : il ne se constitue jamais que par un acte
de connaissance.3
À quoi donc se fier si toute représentation du réel n’est que le produit de la
subjectivité ? Finalement, « la terre livrée aux explications » (AN, VIII) ne serait-elle
qu’une simple utopie ? Et le « doute [qui] s’élève sur la réalité des choses » (AN, III) ne
serait-il que la conséquence de « beaucoup de choses entreprises sur les ténèbres de l’esprit –
beaucoup de choses à loisir sur les frontières de l’esprit » (AN, VIII) ? Le danger consiste
précisément à vouloir instituer – comme se le propose parfois la science – un seul
réel et une seule vérité possibles. Sans doute est-ce pour cette raison que Saint-John
1
Philippe SOLLERS, « Le roman et l’expérience des limites », in Tel Quel, printemps 1966, n°25,
p. 26.
2
Ludwig WITTGENSTEIN, Remarques philosophiques, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975, p. 257.
3
Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll.
« Tel », 1966, p. 73.
64
Perse qualifie les « Comptables » et les « Maîtres du nombre » de « Divinités furtives et
fourbes » (AM, « Strophe », II). Au lieu de vouloir limiter la richesse du monde par
une conception moniste et donc réductrice, il conviendrait plutôt d’admettre la
pluralité des réels et, par conséquent, des vérités. Il vaudrait mieux parler, dès lors, avec
le peintre et mathématicien polonais Léon Chwistek (1884-1944) d’une « pluralité de
réalités ». La vérité n’est, selon Michael Edwards, « pas une abstraction mais quelque chose
qu’il faut vivre »1. Selon Roger Bodard,
[i]l y a beaucoup de chemins qui mènent à la vérité. Le philosophe cherche à
atteindre le vrai en établissant des rapports d’idée à idée, l’homme de science
des rapports de faits, le musicien des rapports de sons, le peintre des rapports
de couleurs, le poète des rapports de mots.2
Cela voudrait-il dire que, comme le suggère Basarab Nicolescu, « [l’]homme est
le chaînon manquant des différents niveaux de Réalité »3 ? Une telle interprétation des
choses serait pourtant très proche de la conception persienne du genre poétique :
« Poésie, science de l’être ! Car toute poétique est une ontologie »4, écrit Saint-John Perse dans
son « Discours pour l’inauguration du Congrès international réuni à Florence à
l’occasion du 7e Centenaire de Dante (20 avril 1965) », après avoir affirmé dans
l’« Allocution au Banquet Nobel » qu’il
n’est rien de pythique dans une telle poésie. Rien non plus de purement
esthétique. Elle n’est point art d’embaumeur ni de décorateur. Elle n’élève point
des perles de culture, ne trafique point de simulacres ni d’emblèmes, et
d’aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Elle s’allie, dans ses voies, la
beauté, suprême alliance, mais n’en fait pas sa fin ni sa seule pâture. Se refusant
à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action, elle est
passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour
1
Michael EDWARDS, « Dialectique du rêve et du réel », in Vérité poétique et vérité scientifique, sous la
direction d’Yves BONNEFOY, André LICHNEROWICZ et M.-P. SCHÜTZENBERGER, Paris, PUF,
1989, p. 96.
2
Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », op. cit., p. 23.
3
Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, op. cit., p. 8.
4
OC, p. 453.
65
est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation.
Elle ne se veut jamais absence ni refus.1
Dans cet ordre d’idées, la poésie n’est pas artificielle (elle ne relève pas de l’art
pour l’art). Comment expliquer alors le grief qui est souvent formulé à l’égard des
poètes, à savoir que leur art est abstrait et, par conséquent, hermétique ? À ses
détracteurs, Saint-John Perse répond dans un passage d’Amers, tout en faisant
allusion à Héraclite : « Ils m’ont appelé l’Obscur et j’habitais l’éclat »2 (AM, « Strophe », II).
La comparaison qu’il fait, dans Oiseaux, avec la peinture est éloquente à ce sujet : la
peinture moderne – tout comme la poésie – n’est pas le résultat d’une « abstraction »
ou d’une « ellipse » voulue, mais plutôt le fruit d’une « synthèse » :
… Toutes choses connues du peintre dans l’instant même de son rapt,
mais dont il doit faire abstraction pour rapporter d’un trait, sur l’aplat de sa
toile, la somme vraie d’une mince tache de couleur.
Tache frappée comme d’un sceau, elle n’est pourtant chiffre ni sceau,
n’étant ni signe ni symbole, mais la chose même dans son fait et sa fatalité –
chose vive, en tout cas, et prise au vif de son tissu natal : greffon plutôt
qu’extrait, synthèse plutôt qu’ellipse.
(OI, III)
Il reviendra d’ailleurs sur le problème de l’obscurité dans le Discours de
Stockholm :
L’obscurité qu’on lui [à la poésie] reproche ne tient pas à sa nature propre, qui
est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer :
celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain. Son expression
toujours s’est interdit l’obscur, et cette expression n’est pas moins exigeante que
celle de la science.3
Puis, dans une interview accordée à Pierre Mazars, publiée dans Le Figaro
littéraire du 5 novembre 1960 sous le titre « Une journée à la villa Les Vigneaux » et
1
OC, p. 445. C’est d’ailleurs le propos d’Anabase. Cf. à ce sujet notre étude Quête ésotérique et
création poétique dans Anabase de Saint-John Perse, Bruxelles, Bern, Francfort…, Peter Lang, 2009.
2
Cette affirmation est répétée deux fois dans AM, « Strophe », II, en alternance avec la suivante :
« Ils m’ont appelé l’Obscur, et mon propos était de Mer ». À noter que dans la deuxième
occurrence, Saint-John Perse supprime la virgule après « l’Obscur ».
3
OC, p. 445-446.
66
reprise, en partie, dans la Pléiade en 1972, il se prononce – visiblement préoccupé
par la question – en ces termes à propos de l’obscurité en poésie :
Le poète a parfaitement le droit, et même le devoir, d’aller explorer les
domaines et les plus obscurs ; mais plus il va loin dans cette direction, plus il
doit user de moyens d’expression concrets. Aussi loin qu’il pénètre dans l’audelà irrationnel ou mystique, il est tenu de s’exprimer par des moyens réels,
même tirés de sa vie expérimentale. Gardez votre emprise au sol et bâtissez
avec tout cela une œuvre hors du temps, hors du lieu, édifiée dans cette
recréation.1
Il n’est donc pas surprenant que les poètes apparaissent, sous la plume de
Saint-John Perse, comme des « suiveurs de pistes » (AN, I) à qui « tous les chemins du
monde […] mangent dans la main » (AN, VIII). Ils savent que « la terre enfante des
merveilles » (AN, VII) et qu’« en ses graines ailées, [la terre] comme un poète en ses propos,
voyage… » (AN, V).
Comparons cette idée à celle du philosophe allemand Hegel (1770-1831) qui
affirme que
[c]e que les œuvres d’art provoquent maintenant en nous, ce n’est pas
seulement du plaisir immédiat, mais aussi le jugement, car nous soumettons à
notre méditation le contenu et les moyens de la manifestation de l’œuvre d’art,
ainsi que leur adéquation ou inadéquation mutuelle. […] L’art nous convie à la
méditation, non pas dans le but de recréer l’art, mais pour le connaître
scientifiquement.2
Connaître scientifiquement le monde, voilà ce qui était considéré comme
l’apanage exclusif de la science. Conférer un tel objectif à la poésie, c’est reconnaître
que la poésie seule est capable de rendre compte des « mille chaînes de réactions et
d’associations étrangères »3 et que « le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la
science »4 ; bref, c’est s’ouvrir enfin – comme le dit Jean-Pierre Luminet en citant le
1
OC, p. 576.
2
G. W. F. HEGEL, Esthétique, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques de la Philosophie »,
1997, p. 62.
3
OC, p. 444.
4
Ibid.
67
poète et mathématicien persan Omar Khayyâm (1048-1131) – à « toutes les voies qui
s’offrent au cheminement vers la connaissance, car toute voie à sens unique menait à l’impasse »1.
Lisons, pour prolonger la réflexion, quelques vers extraits de l’Art poétique de
Guillevic :
Si j’écris, c’est disons
Pour ouvrir une porte.
Le plus curieux :
J’ignore
À quel moment se fait
Cette ouverture.
– D’ailleurs, ce qui se lève
C’est peut-être un rideau.
Quand j’écris,
C’est comme si les choses,
Toutes, pas seulement
Celles dont j’écris,
Venaient vers moi
Et l’on dirait et je crois
Que c’est
Pour se connaître.2
Cette idée rejoint les propos de l’algébriste Jacob Bronowski (1908-1974)
dans The Creative Process (1958). Il insiste notamment sur le rapprochement entre
l’homme de lettres et le scientifique :
[…] la façon qu’a l’artiste de regarder le monde est devenue proche de celle du
savant. Par exemple, la science telle que je l’ai décrite se préoccupe moins de
faits que de relations, moins de nombres que d’arrangements. Cette vision
1
Jean-Pierre LUMINET, « Les doubles profondeurs », préface à l’ouvrage de Maurice
COUQUIAUD, L’horizon poétique de la connaissance, Paris, L’Harmattan, coll. « Critiques Littéraires »,
2003, p. 7.
2
GUILLEVIC, Art poétique précédé de Paroi et suivi de Le Chant, Paris, Gallimard, coll. « Poésie »,
2001, p. 148-149.
68
nouvelle, cette recherche de structures est également marquée dans l’art
moderne.1
En matière d’art, il convient de ce citer, à cet endroit, quelques passages du
« Testament » qu’Auguste Rodin a dicté, en 1911, à Paul Gsell à l’intention des
générations futures d’artistes et dans lequel il soutient que
[t]out est beau pour l’artiste, car en tout être et en toute chose, son regard
pénétrant découvre le caractère, c’est-à-dire la vérité intérieure qui transparaît
sous la forme. Et cette vérité, c’est la beauté même. Étudiez religieusement :
vous ne pourrez manquer de trouver la beauté, parce que vous rencontrerez la
vérité. […]
L’art n’est que sentiment. Mais sans la science des volumes, des
proportions, des couleurs, sans l’adresse de la main, le sentiment le plus vif est
paralysé. Que deviendrait le plus grand poète dans un pays étranger dont il
ignorerait la langue ? Dans la nouvelle génération d’artistes, il y a nombre de
poètes qui, malheureusement, refusent d’apprendre à parler. Aussi ne font-ils
que balbutier. […]
Soyez vrais, jeunes gens. Mais cela ne signifie pas : soyez platement exacts. Il
y a une basse exactitude : celle de la photographie et du moulage. L’art ne
commence qu’avec la vérité intérieure. Que toutes vos formes, toutes vos couleurs
traduisent des sentiments.
L’artiste qui se contente du trompe-l’œil et qui reproduit servilement des
détails sans valeur ne sera jamais un maître. Si vous avez visité quelque campo
santo d’Italie, sans doute avez-vous remarqué avec quelle puérilité les artistes
chargés de décorer les tombeaux s’attachent à copier, dans leurs statues, des
broderies, des dentelles, des nattes de cheveux. Ils sont peut-être exacts. Ils ne
sont pas vrais, puisqu’ils ne s’adressent pas à l’âme. […]
Soyez profondément, farouchement véridiques. N’hésitez jamais à exprimer ce que
vous sentez, même quand vous vous trouvez en opposition avec les idées
reçues. Peut-être ne serez-vous pas compris tout d’abord. Mais votre isolement
sera de courte durée. Des amis viendront bientôt à vous : car ce qui est
profondément vrai pour un homme l’est pour tous. […]
L’art est encore une magnifique leçon de sincérité.
Le véritable artiste exprime toujours ce qu’il pense au risque de bousculer
tous les préjugés établis. Il enseigne ainsi la franchise à ses semblables.2
1
Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour
l’an 2000, op. cit., p. 27.
2
Auguste RODIN, « Testament », in L’Art, entretiens réunis par Paul GSELL, Paris, Grasset, coll.
« Les Cahiers Rouges », 1911, p. 201-207 passim [c’est nous qui soulignons].
69
Voilà une belle définition de cette « saisissante dialectique […] qui de l’homme
engage plus »1, évoquée par Saint-John Perse dans son « Discours Nobel ». L’être
humain, qui est capable de la plus grande précision extérieure dans le domaine de la
science, va s’appuyer plus que jamais sur l’expression artistique afin de réussir une
représentation vraie et sincère, c’est-à-dire qui repose entièrement sur la « vérité
intérieure ». Nous rejoignons là le propos de Confucius qui propose de puiser en soimême l’idée de ce qu’on peut faire pour autrui2. C’est ainsi que l’être partiel peut
aspirer à devenir un homme complet. Pour Pierre Emmanuel, l’œuvre poétique
apparaît dès lors comme une interrogation sur soi-même :
Et quelqu’un, là-derrière, ne l’a pas écrite simplement pour mettre en forme des
idées ; il l’a écrite, cette œuvre – on peut conjecturer, en tout cas, dans
beaucoup de cas – qu’il l’a écrite, poussé par un certain besoin, animé par une
force intérieure, et que cette œuvre, en formulant ce qu’on peut appeler des
pensées, mais qui n’est pas nécessairement de l’ordre de la pensée, lui
permettait de se voir lui-même, de s’interroger lui-même, de se libérer.3
Le poète va s’exprimer dans un « langage où se transmet le mouvement même de
l’Être »4. Or, que Saint-John Perse entend-il par « l’Être » ? Qu’est-ce que l’Être d’un
objet ? Pour le philosophe Marcel Conche (*1922), c’est surtout le fait d’exister et de
se distinguer de toute autre objet :
Que signifie « être » pour la pierre, la clé, la bougie, etc. ? Cela signifie,
pour une pierre, peser, faire obstacle, etc., pour une clé, permettre l’ouvrir, etc.,
pour une bougie, permettre d’éclairer, etc., soit se comporter en pierre,
fonctionner comme clé, comme bougie, bref exister pierre, exister clé, exister
bougie. Et que signifie « exister clé », « exister bougie » ? Cela signifie, parmi
tous les existants, dont l’ensemble est ce qui se montre comme « monde », jouer
son rôle de « clé », son rôle de « bougie ». Autrement dit, c’est, dans le monde,
1
OC, p. 444.
2
Cf. Entretiens de Confucius, traduit du chinois par Anne CHENG, Paris, Seuil, coll.
« Points Sagesses », 2004, Livre VI, 28. À noter que Saint-John Perse était un lecteur attentif des
sages d’Asie.
3
Pierre EMMANUEL, La poésie comme forme de la connaissance, première conférence, Strasbourg,
Association des Publications près les Universités de Strasbourg, 1984, p. 8.
4
Ibid.
70
prendre place, avoir sa place, compter pour quelque chose. Pour être, il faut
être quelque chose ; si l’on n’est rien, on n’est pas. […]
L’être signifie donc l’essence – l’essence existante, l’ousia, mot qui n’est
bien traduit ni par « essence », ni par « substance », et qu’il vaut mieux ne pas
traduire, tout comme Dasein.1
Si l’essence ne peut être traduite linguistiquement ni sémantiquement, il n’est
donc possible que rendre compte de son « mouvement ». Tel est, selon Saint-John
Perse, l’objectif de l’art : « Ô mouvement vers l’Être et renaissance à l’Être ! »2. Autrement
dit, c’est la recherche de l’unité du langage qui est visée ici. Et ce langage, ce n’est
pas celui de la science – précis, certes, mais humainement infécond –, mais bien celui
de la poésie. Il serait aberrant, de toute façon, de vouloir exprimer dans un langage
figé un réel qui, lui, est toujours en mouvement. Voilà pourquoi le vrai savant a
recours au langage de la poésie pour décrire et expliquer ses découvertes
scientifiques. Cette idée ressort clairement du dialogue entre le physicien allemand
Werner Heisenberg (1901-1976) et son collègue danois Niels Bohr (1885-1962) :
W. Heisenberg : Mais que signifient alors les images d’atomes que vous nous avez
montrées tous ces derniers jours au cours de vos conférences, en les discutant
et en allant jusqu’à les justifier ? Que vouliez-vous dire vraiment ?
Niels Bohr : Ces images ont été déduites ou, si vous préférez, « devinées » à
partir de faits expérimentaux ; elles ne sont pas le fruit de quelconques calculs
théoriques. J’espère que ces images décrivent la structure des atomes aussi bien
– mais seulement aussi bien – que cela est possible dans le langage visuel de la
physique classique. Nous devons nous rendre compte que nous ne pouvons
nous servir ici du langage qu’à la manière des poètes qui, eux aussi, ne cherchent
pas à représenter les faits de façon précise, mais seulement à créer des images
dans l’esprit de leur public, et à établir des connexions sur le plan des idées.3
1
Marcel CONCHE, Quelle philosophie pour demain ?, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2003,
p. 95.
2
« Sécheresse », in OC, p. 1398 [édition de 1982].
3
Werner HEISENBERG, La partie et le tout : le monde de la physique atomique, souvenirs 1920-1965, Paris,
Albin Michel, coll. « Les Savants et le monde », 1972, p. 65.
71
Cette question du recours au langage poétique en science a également
préoccupé le poète français Paul Éluard qui insiste, lui aussi, sur l’importance des
mots dans la manière d’appréhender scientifiquement le monde :
On a dit que partir des mots et de leurs rapports pour étudier scientifiquement
le monde, ce n’est pas notre droit, c’est notre devoir. Il aurait fallu ajouter que
ce devoir est celui même de vivre […] en faisant corps avec l’univers, avec
l’univers en mouvement, en devenir.1
Dans le poème Cohorte qu’il joint à une missive adressée à Jacques Rivière le
21 décembre 1910, Saint-John Perse mentionne la puissance évocatoire du langage
et du nom. Dire le monde, c’est à la fois le rendre présent et l’appréhender ; bref, en
faire l’expérience et le faire sien :
[…] nous vous hélions, Passants, et vous nommions ! vous appelions tout
haut de vos noms de toujours et de vos noms d’ailleurs. Ou vous nommions,
soudain ! d’un nom nouveau, plus vrai que chez les Doctes.
Dix noms, vingt noms jetés par-dessus bord […]. Ah çà ! nous direz-vous
le vrai de votre appellation ? parcelles vives arrachées au tout de l’Innomé…
[…]
Nommer, créer ! Qui donc en nous créait, criant le nom nouveau ?
Langage aux fourches du langage… montées d’abîme pétillant parmi les poches
de sel bleu…2
La question de la connaissance ne concerne donc pas seulement le domaine
de la science, mais elle est également – et surtout – liée à la création poétique. Selon
Gaston Bachelard, « c’est par un échange sans fin, et dans les deux sens, entre l’objet et le sujet
que s’accroît la connaissance. [C’est] un tissu où réalité et pensée s’impliquent et se soutiennent »3.
1
Paul ÉLUARD, « Avenir de la poésie », in Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 523.
2
OC, p. 683. Renée Ventresque a toutefois montré que le poème Cohorte, tel qu’il figure dans les
OC, n’a pas été écrit en 1907, mais plutôt en vue de l’édition de la Pléiade, l’écriture du texte ne
correspondant pas à l’écriture de jeunesse d’Alexis Léger. Cf. « Décidément, Cohorte n’a pas été
écrit en 1907 », in Souffle de Perse, Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John
Perse, Aix-en-Provence, janvier 2000, n°9, p. 47-51.
3
Gaston BACHELARD, Essai sur la connaissance approchée, Paris, Librairie philosophique J. Vrin,
1981, p. 267-268.
72
D’après ce qui précède, il apparaît que la poésie est à la fois connaissance et
création ; une création qui s’appuie sur la connaissance, mais aussi une connaissance
qui devient créatrice. En poésie, la preuve se trouve dans le sujet lui-même alors
qu’en science, elle est à chercher à l’extérieur. Chacune des deux – poésie est science
– essaie d’« objectiver l’idée de base »1, c’est-à-dire de la rendre accessible à l’autre. C’est
là que « réalité et pensée » se rejoignent, la pensée étant, selon Pierre Della Faille, le
« fruit de l’intelligence fécondée par la sensibilité, c’est un fruit de l’homme total »2. Dans une
telle optique, « un poème, c’est toujours un regard jeté sur la vie »3. Et Bodard d’ajouter :
La connaissance poétique est une connaissance totale, de l’intelligence et du
cœur, du corps et de l’âme. On peut même dire que la connaissance n’est
poétique que dans la mesure où elle est totale, où elle est connaissance de l’être
tout entier par l’être tout entier. La connaissance scientifique n’est valable que
dans la mesure où elle ne procède que de la raison et de l’observation. La
connaissance poétique, elle, au contraire, procède de toutes les facultés qui
permettent à l’homme d’appréhender la vie.4
À lire ces lignes, nous remarquons que l’auteur met, avant tout, l’accent sur la
relation entre la poésie et la vie. La poésie serait-elle, finalement, un « mode de vie »5
indispensable à la vie elle-même ?
1
Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, op. cit., p. 60.
2
Ibid., p. 33.
3
Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », op. cit., p. 26.
4
Ibid.
5
OC, p. 444.
73
Chapitre III
La poésie comme mode de vie
« De la violence sur la terre il nous est fait si
large mesure… »
EX, « Poème à l’Étrangère », II
Si Saint-John Perse, dans son « Allocution au Banquet Nobel », évoque la
fonction épistémologique de la poésie telle que nous avons essayé de la définir au
chapitre précédent, il insiste également sur le fait qu’elle est « d’abord mode de vie – et de
vie intégrale »1. Considérer la poésie comme « mode de vie », c’est poser la question
sous-jacente du rapport du poète au monde, tout en affirmant le triomphe de la vie
sur la mort. Là où l’homme de science est contraint de s’en tenir au réel, c’est-à-dire à
ce qui est extérieur et, par conséquent, scientifiquement démontrable, le poète, quant
à lui, « s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la science »2. Évoquer la surréalité de
la poésie, c’est mettre l’accent sur sa capacité d’aller au-delà des apparences et de
s’intéresser à ce qui résiste à l’explication rationnelle ; bref, c’est lui permettre
d’habiter le monde dans la mesure où elle est dans le monde (« Dasein ») et non
seulement à sa surface, comme c’est généralement le cas de la science. Cela voudraitil dire que l’homme, malgré ses innovations scientifiques et technologiques, aurait
besoin, somme toute, de poètes pour habiter le monde ? Quels seraient, le cas
échéant, le devoir et la responsabilité du poète face à l’Histoire ?
1
OC, p. 444.
2
Ibid.
75
3. 1. Habiter le monde en poète
« Ainsi, par son adhésion totale à ce qui est, écrit Saint-John Perse, le poète tient pour
nous liaison avec la permanence et l’unité de l’Être » 1. Le poète est celui qui « habite
poétiquement le monde », expression que nous devons au poète et philosophe allemand
Friedrich Hölderlin qui, dans son poème « En bleu adorable » (1823), écrit que
« Telle est la mesure de l’homme. / Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre
habite l’homme ». Or, que Saint-John Perse et Hölderlin veulent-ils dire par-là ? Même
à travers les siècles qui les séparent, les deux affirmations semblent se faire
mystérieusement écho. Pour le poète, adhérer totalement « à ce qui est », c’est
« flair[er] le monde entier des choses » (VE, I, 1)2 et s’attacher physiquement, mais aussi
mentalement à « toutes choses périssables, [à] toutes choses saisissables » (ibid.). L’expérience
est loin d’être négative et la leçon du poète est d’optimisme : « Appelant toute chose, je
récitai qu’elle était grande, / appelant toute bête, qu’elle était belle et bonne » (EL, « Pour fêter
une enfance », II). Saint-John Perse rejoint donc l’idée de son aîné – Hölderlin –
pour lequel le verbe « habiter » n’est pas seulement synonyme d’occuper un endroit
déterminé, mais plutôt de vivre pleinement (dans) le monde entier, c’est-à-dire nourrir
sa vie et son expérience de tout ce qui l’entoure. On pourrait dire, avec Guillevic,
poète contemporain de Perse, qu’il s’agit notamment de
[t]rouver à la vie – sa vie – une certaine tonalité, un certain prolongement, une
certaine exaltation ; vivre tout événement quotidien dans les coordonnées de
l’éternité, c’est pour moi la poésie.3
Pour l’auteur de Terraqué, habiter le monde et produire de la poésie vont donc
de pair. Or, quelle différence y a-t-il entre habiter poétiquement et habiter tout court ?
Selon le philosophe Jean-Claude Pinson, l’adverbe « poétiquement », devient, dans le
1
Ibid., p. 446.
2
L’expression « le monde entier des choses » est aussi reprise dans le Discours de Stockholm (cf. OC,
p. 446).
3
GUILLEVIC, Vivre en poésie ou l’épopée du réel, entretien avec Lucie ALBERTINI et Alain
VIRCONDELET, Pantin, Le Temps des Cerises, 2007, p. 11.
76
contexte, synonyme d’« authentiquement » ou d’« intégralement ». N’oublions pas que
Saint-John Perse, dans le Discours de Stockholm, précise que « la poésie est d’abord mode de
vie – et de vie intégrale »1 : l’idée de « vie intégrale » semble très importante à ses yeux,
puisqu’il la détache du reste de la phrase par un tiret2. Pour approfondir sa réflexion,
Pinson s’appuie sur Être et temps de Martin Heidegger :
Habiter, en effet, n’est pas un comportement de l’homme parmi d’autres. C’est
le trait fondamental de l’existence du Dasein, comme le souligne déjà Être et
temps. […] Habiter « authentiquement », c’est à la fois : « sauver » la terre (et non
s’en faire le maître absolu) ; « accueillir » le ciel, c’est-à-dire laisser être librement
le cours des saisons et l’alternance des jours et des nuits qui rythment
l’existence (et non s’en éloigner toujours davantage dans l’artificialité croissante
d’un univers technique) ; c’est demeurer attentif aux signes du divin (et non
s’enfermer dans l’orgueil d’une raison positiviste évinçant toute possibilité d’un
sacré) ; c’est enfin s’assumer comme mortel (et non fuir le souci de la mort).3
Le lecteur attentif aura remarqué les cinq notions clés qui définissent, selon
Pinson, l’idée d’« habiter poétiquement le monde » : c’est le « trait fondamental de l’existence »
qui consiste à « “sauver” la terre », à « “accueillir” le ciel », à « demeurer attentif aux signes du
divin » et, au bout du compte, à « s’assumer comme mortel ». Ainsi la vision de Pinson
renvoie-t-elle directement à la naissance et à la fonction des mythes et des religions
dans les sociétés humaines.
Beaucoup de définitions du mythe ont été proposées ; certaines sont plus
convaincantes que d’autres. L’une parmi celles qui paraissent satisfaisantes à nos
yeux a été donnée par l’historien, mythologue et philosophe Mircea Eliade (19071986). Elle est la fois assez précise pour cerner efficacement la fonction du mythe et
assez vague pour ne pas l’enfermer dans un cadre figé, car ce serait en réduire
considérablement la portée :
1
OC, p. 444.
2
Qu’il se trouve en tête de vers ou au milieu d’une phrase, le tiret, chez Saint-John Perse, marque
toujours une mise en évidence.
3
Jean-Claude PINSON, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, Seyssel, Champ Vallon,
1995, p. 67.
77
Personnellement, la définition qui me semble la moins imparfaite, parce que la
plus large, est la suivante : le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un
événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des
« commencements ». Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux
exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la
réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce
végétale, un comportement humain, une institution. C’est donc toujours le récit
d’une « création » : on rapporte comment quelque chose a été produit, a
commencé à être. Le mythe ne parle que de ce qui est arrivé réellement, de ce qui
s’est pleinement manifesté. Les personnages des mythes sont des Êtres
Surnaturels. Ils sont connus surtout par ce qu’ils ont fait dans le temps
prestigieux des « commencements ». Les mythes révèlent donc leur activité
créatrice et dévoilent la sacralité (ou simplement la « sur-naturalité ») de leurs
œuvres. En somme, les mythes décrivent les diverses, et parfois dramatiques,
irruptions du sacré (ou du « sur-naturel » [sic]) dans le Monde. C’est cette
irruption du sacré qui fonde réellement le Monde et qui le fait tel qu’il est
aujourd’hui.1
Dans son essai Le sacré et le profane, Eliade ajoute l’idée suivante :
En narrant comment les choses sont venues à l’existence, on les explique et on
répond indirectement à une autre question : pourquoi sont-elles venues à
l’existence ?2
On pourrait désormais se poser la question si, d’après la définition proposée
par Mircea Eliade, le mythe ne serait pas une sorte de dénominateur commun entre
l’investigation scientifique et l’écriture poétique, la première cherchant à construire
des savoirs et la seconde visant à connaître le monde. Autrement dit, si les mythes
expriment – souvent de façon hyperbolique – la genèse du monde tout comme les
vertus et les défauts humains, cela ne témoigne-t-il pas de la volonté de l’homme de
se mettre à la recherche de ses propres origines et de les exprimer en se servant du
langage métaphorique « à la manière des poètes »3, pour reprendre l’expression de Niels
Bohr ? Dans chaque mythe, Eliade l’a souligné, se cache une parcelle du divin.
Même si la notion de divin ne renvoie pas forcément à une divinité au sens religieux
1
Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1963, p. 16-17.
2
Mircea ELIADE, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1965, p. 86.
3
Werner HEISENBERG, La partie et le tout : le monde de la physique atomique, souvenirs 1920-1965, Paris,
Albin Michel, coll. « Les Savants et le monde », 1972, p. 65.
78
du terme, elle traduit, pour le moins, une réalité qui échappe à l’entendement. Là où
le savoir et même la connaissance – donc le fait de nommer le réel – rencontrent leurs
limites, l’être humain éprouve le besoin de compenser ce manque en affublant ce
qui résiste à sa compréhension du nom d’une divinité ou d’un principe créateur.
Nous voyons que le fait d’appréhender linguistiquement le monde est pour lui de
prime importance, à tel point que là où « [s]a parole n’a point cours et [s]on or est sans
titre » (EX, « Exil », VI) – bref, dans un monde qui n’est pas fait pour lui et qui, par
conséquent, lui échappe – le narrateur d’« Exil », derrière lequel nous devinons
aisément l’avatar du poète, répond aux « questionnaires du port » : « J’habiterai mon nom »
(ibid.), ce qui n’est pas sans nous rappeler le livre de l’Exode où Dieu – d’une façon
tautologique en apparence – dit à Moïse : « Je suis celui qui est »1. Celui qui habite son
nom, c’est celui qui est. Il est l’homme de partout et de nulle part, l’« homme d’absence
et de présence »2 à la fois. Une telle conception des choses fait dépendre l’existence
intégralement de l’acte performatif du dire : dire (nommer), c’est faire exister et
rendre présent ; ne pas dire équivaudrait, le cas échéant, à ne pas donner vie. Ainsi, il
n’est pas surprenant que le substantif latin nomen (« nom ») soit souvent rapproché de
numen (« puissance agissante »)3. Pour l’homme, par opposition aux règnes animal et
végétal, l’existence dépend donc intégralement du fait d’être dépositaire d’un nom4.
L’origine des religions remonte d’ailleurs à cette même idée de départ : pour les
croyants, il y a nécessairement un être surnaturel qui soit à l’origine de toute
création. Einstein s’est prononcé lui aussi sur la question :
Des hommes reconnaissent […] quelque chose d’impénétrable à leur
intelligence mais connaissent les manifestations de cet ordre suprême et de
1
Ex., 3,14 : « ‫ «( » אֶ ֽ ְה ֶי֑ה ֲא ֶ ֣שׁר אֶ ֽ ְה ֶי֖ה‬Ehyéh Acher Ehyéh »).
2
« Pour Dante », in OC, p. 454.
3
Cf. ibid., p. 450 : « Il y a, dans l’histoire d’un grand nom, quelque chose qui s’accroît au-delà de
l’humain : “Nomen, numen…” imminence sacrée – frémissement d’âme dans le bronze et comme
un son d’éternité… ».
4
Nous renvoyons le lecteur désireux d’approfondir la question au remarquable livre de Claude
HAGEGE, L’homme de paroles. Contribution linguistique aux sciences humaines, Paris, Gallimard, coll.
« Folio/Essais », 1985.
79
cette Beauté inaltérable. Des hommes s’avouent limités dans leur esprit pour
appréhender cette perfection. Et cette connaissance et cet aveu prennent le
nom de religion.1
Pour les chrétiens, c’est Dieu qui a créé le monde ex nihilo en nommant les
différentes parties qui devaient le constituer. Nous voilà dans ce temps primordial
auquel font allusion Jean-Claude Pinson et Mircea Eliade. C’est à ce temps-là que
renvoient les idées créationnistes (pour ne pas dire poétiques, au sens étymologique du
terme). Saint-John Perse, lorsqu’il dit que le poète était déjà présent dans l’homme
des cavernes, ne fait-il pas allusion précisément à cet âge lointain et pourtant très
proche :
De l’exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-mêmes,
et par la grâce poétique, l’étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain.
Quand les mythologies s’effondrent, c’est dans la poésie que trouve refuge le
divin ; peut-être même son relais.2
L’on comprend mieux désormais pourquoi le poète est celui qui « habite la
gorge d’un dieu » (EL, « Éloges », IX). Même si les « mythologies »3 – c’est-à-dire le
métadiscours que l’on tient sur les mythes – s’effondrent, les mythes eux-mêmes ne
sauraient disparaître, car, selon Eliade, « [o]n est toujours contemporain d’un mythe dès
lors qu’on le récite ou qu’on imite les gestes des personnages mythiques »4. Cette idée trouve son
écho et, peut-être, sa confirmation ainsi que son prolongement dans les
élucubrations de Pinson :
Ainsi, toute habitation est fondamentalement tributaire de la poésie.
L’habitation poétique elle-même, qui survient avec l’excès de calcul et la
1
Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1979, p. 10.
2
OC, p. 445.
3
On lira avec profit la monographie de Gilberte AIGRISSE, Saint-John Perse et ses mythologies, Paris,
Imago, 1992 ; mais aussi le livre de Roger CAILLOIS, ami et critique de Saint-John Perse : Le
mythe et l’homme, Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », VI, 1938.
4
Mircea ELIADE, Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1957, p. 30 [c’est
l’auteur qui souligne].
80
démesure propres à la rationalité technique, est toujours sur fond de cet
« habiter » poétique primordial.1
En réalité, l’objectif commun aux mythes et aux religions est de « montr[er]
peut-être au jour la place où fut moulée de nuit la face du dieu qui couchait là… »2. Or,
comment cela se fait-il que le mythe soit souvent associé à la poésie ? De par son
étymologie – muthos, en grec, signifie « récit » –, ne s’attendrait-on pas plutôt à ce qu’il
soit rapproché de la prose ? Certes, mais c’est la poésie, comme le rappelle JeanLouis Joubert, qui procure au mythe sa « véracité transcendante » :
Paradoxe du mythe : qu’il relate les aventures de Zeus ou de Don Juan, il est
une histoire inventée et partout il dit une vérité, reconnue comme telle, sur
laquelle se fonde l’ordre d’une culture. Le mythe n’exige pas d’être produit par
une forme poétique, puisqu’il semble se définir d’abord comme récit. Mais, dès
l’origine, la formalisation poétique lui a prêté sa puissance de nomination, sa
richesse d’organisation et surtout son autorité. Rythme devenant rite, image
s’épanouissant en symbole, la parole poétique magnifie le récit mythique et lui
confère sa véracité transcendante.3
Habiter le monde, c’est donc faire pleinement l’expérience de l’existence
humaine, aussi bien sur le plan physique que spirituel, avec tous les aléas qui la
déterminent ; c’est accepter, selon Saint-John Perse, l’« adhésion totale à ce qui est »4.
Pourquoi le poète est-il prêt à courir ce risque ? « Car c’est dans la souffrance – comme
dans la jouissance –, écrit Jean-Michel Longneaux, qu’on se tient au plus près de la vie »5.
Ainsi, le poète est celui qui, toujours se tenant sur le seuil entre deux extrêmes (deux
abîmes) – la vie et le trépas, l’être et le non-être –, définit son projet en ces termes :
« – Nous qui mourrons peut-être un jour disons l’homme immortel au foyer de l’instant » (AM,
« Dédicace »), car c’est là toute la « [f]ierté de l’homme en marche sous son fardeau d’éternité »
1
Jean-Claude PINSON, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 68.
2
« Sécheresse », in OC, p. 1398 [édition de 1982].
3
Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand Colin/Gallimard, coll. « Folio Formes », 1977,
p. 18.
4
OC, p. 446.
5
Jean-Michel LONGNEAUX, L’expérience du mal, Namur, Les Éditions namuroises, coll. « Tous
comptes faits », 2004, p. 43.
81
et « d’humanité »1. Le rôle du poète dans la société a donc changé : sa tâche consiste
aujourd’hui plus que jamais à créer de l’espoir, à revaloriser la condition humaine là
où elle se trouve stigmatisée par les affres causées par les guerres, les épidémies ainsi
que les crises sociales et économiques. Dès lors, comme le souligne Jean-Michel
Maulpoix, lecteur attentif et auteur de plusieurs études consacrées à Saint-John
Perse, il incombe au poète de rassembler ce qui est épars, c’est-à-dire de proposer une
vision du monde qui repose pleinement sur l’habitation authentique et intégrale :
Le poète d’aujourd’hui n’est évidemment plus ce prince spirituel ou ce prélat
laïque, initié aux vérités du monde invisible, qu’il fut à l’âge romantique. S’il
continue d’œuvrer dans l’univers naguère mystique des correspondances, c’est
simplement pour avoir compris que la poésie dit les choses les unes à travers les
autres, et travaille obstinément à conjoindre cela qui dans la réalité apparaît
séparé. La moindre lecture en témoigne : le texte est réseau, jointures, plans et
étagements ; il ouvre au vif du langage des perspectives intellectuelles et
sensibles qui semblent celles d’un arrière-monde. Procédant par affinités électives,
il œuvre à maintenir l’idée d’une propriété ou d’une habitation spécifiquement
humaine dans un monde que l’histoire paraît avoir vidé des promesses que les
œuvres des hommes y avaient inscrites.2
Plus loin, il ajoute :
Parce qu’il demeure cet objet du langage qui sans relâche défait et réinvente des
réseaux singuliers de significations, le poème réaffirme nos désirs et nos raisons
d’être.3
On essaie donc de ramener à la poésie ce qui, jadis, relevait du domaine de la
mythologie et de la religion : l’espoir que l’on puisait dans les croyances, on va
désormais le chercher dans la poésie qui semble avoir pris la relève. Nous
retrouvons cette idée aussi chez Yves Bonnefoy qui s’est toujours montré un grand
admirateur de Saint-John Perse :
1
OC, p. 445.
2
Jean-Michel MAULPOIX, La poésie comme l’amour. Essai sur la relation lyrique, Paris, Mercure de
France, 1998, p. 131.
3
Ibid., p. 132.
82
Il faut […] réinventer un espoir. Dans l’espace secret de notre approche de
l’être, je ne crois pas que soit de poésie vraie qui ne cherche aujourd’hui, et ne
veuille chercher jusqu’au dernier souffle, à fonder un nouvel espoir.1
Toutefois, si le poète se trouve investi d’une tâche aussi noble et lourde à la
fois, cela veut dire que sa responsabilité envers l’humanité est de taille et que « rien du
drame de son temps ne lui est étranger »2.
3. 2. L’écrivain et l’Histoire
Dans L’image du monde dans la physique moderne, le savant allemand Max Planck
(1858-1947) définit l’époque contemporaine :
C’est un monde singulier où nous vivons. Où que nous portions nos regards
dans les domaines matériels et spirituels de la culture, nous sommes entrés dans
une époque de crises graves qui marquent du sceau de l’inquiétude et de
l’insécurité notre existence privée aussi bien que notre vie publique. Certains
voient dans ce phénomène le présage d’une ère de progrès grandioses, d’autres
l’amorce d’un destin inéluctable.3
D’aucuns voient même dans les XXe et XXIe siècles le prolongement de
l’« âge de fer » tel qu’il nous est dépeint par Hésiode dans la Les Travaux et les Jours. En
résumé, il s’agit d’une époque obscure se caractérisant par une menace constante qui
plane au-dessus de l’existence humaine et qui risque de l’anéantir complètement.
Tout est voué à disparaître sous la puissance destructrice des éléments. Le destin des
hommes semble donc sérieusement compromis, de sorte que l’on pourrait se
demander si la vie vaut réellement la peine d’être vécue. Or, une telle vision
pessimiste de l’existence ne conduirait-elle pas inévitablement à l’inertie que SaintJohn Perse a toujours condamnée ? Autrement dit, à quoi serviraient les innovations
1
Yves BONNEFOY, L’acte et le lieu de la poésie, in L’Improbable, Paris, Mercure de France, 1971,
p. 170.
2
OC, p. 446.
3
Max PLANCK, « Positivisme et monde extérieur réel », in L’image du monde dans la physique moderne,
Paris, Gonthier, coll. « Médiations », 1963, p. 95.
83
de l’esprit – les grandes découvertes scientifiques tout comme les œuvres d’art les
plus sublimes – si, de toute façon, elles vont être réduites à néant ?
Nous avons vu que Saint-John Perse cherche toujours à transmettre un
message d’optimisme qui se reflète également dans sa conception de l’Histoire. Bien
qu’il ne nie pas le côté obscur de la condition humaine – son œuvre poétique et sa
correspondance en témoignent –, il est persuadé que tout, dans l’univers, repose sur
un vaste mouvement harmonieux :
Une même loi d’harmonie régit pour lui [le poète] le monde entier des choses.
Rien n’y peut advenir qui par nature excède la mesure de l’homme. Les pires
bouleversements de l’histoire [sic] ne sont que rythmes saisonniers dans un plus
vaste cycle d’enchaînements et de renouvellements. Et les Furies qui traversent
la scène, torche haute, n’éclairent qu’un instant du très long thème en cours.
Les civilisations mûrissantes ne meurent point des affres d’un automne, elles ne
font que muer. L’inertie seule est menaçante.1
Envisager les choses sous l’angle du changement et du renouvellement,
certes, n’est pas nouveau. Il suffit de se rappeler la maxime d’Anaxagore de
Clazomènes : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se
séparent de nouveau », idée qui trouvera d’ailleurs son écho dans une phrase que l’on
attribue au chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), à savoir que
« [r]ien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Si tout est en mouvement, à quoi cela
sert-il alors de s’intéresser à l’Histoire : la guerre d’aujourd’hui fera peut-être la paix
de demain… Et pourtant, le poète n’est-il pas celui qui « se trouve aussi lié, malgré lui,
à l’événement historique »2 ? En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.
Pour analyser la façon dont le poète se trouve mêlé à l’Histoire, il est
intéressant de se reporter à un ouvrage qui figurait dans la bibliothèque personnelle
de Saint-John Perse et qui présente des marques de lecture manifestes3. Il s’agit, en
l’occurrence, de l’essai du philosophe Manuel De Diéguez (*1922), Chateaubriand ou
1
OC, p. 446.
2
Ibid. [c’est nous qui soulignons].
3
Le livre peut être consulté à la Fondation Saint-John Perse à Aix-en-Provence.
84
le poète face à l’Histoire (1963). Bien que le Discours de Stockholm soit antérieur à la
publication du livre de De Diéguez, Saint-John Perse semble y trouver la
confirmation de quelques idées qu’il a évoquées lui-même de façon plus elliptique
dans son « Allocution au Banquet Nobel ». Ce que Manuel De Diéguez écrit à
propos de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe est vrai, en même temps, pour un poète
comme Saint-John Perse que le critique cite d’ailleurs explicitement 1 . Ainsi, la
première tâche de l’écrivain devant l’Histoire consiste à
donner un sens à notre durée. […] De quoi le poète – donc l’homme – serait-il
le créateur si ce n’était d’une signification du temps ? – Car l’homme est
l’étrange artisan d’un règne sur son propre écoulement.2
Qu’est-ce que l’Histoire sinon « une forme de la mémoire humaine »3, un regard
porté sur le caractère éphémère de la vie et la prise de conscience de notre propre
finitude ? Sans le travail du poète, la vie aurait peu de sens, comme le souligne
Manuel De Diéguez :
Car, dit le poète, comment la vie elle-même aurait-elle un sens si l’Histoire n’en
avait pas, et si nos marées tumultueuses, renouvelées d’hécatombe en
hécatombe, s’abîmaient toutes dans le néant ?4
Il semble donc y avoir une relation entre l’univers intime du poète et
l’événement historique, le premier étant déterminé en grande partie par le second.
Autrement dit, même l’écrivain qui essaie de se calfeutrer au plus profond de sa
bibliothèque ne saurait rester complètement insensible à ce qui se passe autour de
lui. Bien qu’il ait toujours manifesté la volonté de séparer rigoureusement sa carrière
1
Cf. Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, Paris, Plon, 1963, p. 212.
2
Ibid., p. 9.
3
Marguerite YOURCENAR, L’Écrivain devant l’Histoire, « Conférence faite devant Messieurs les
Recteurs, les Inspecteurs d’Académie et les Directrices et Directeurs d’Écoles normales » le 26
février 1954, Paris, Publication du Centre national de Documentation pédagogique, 1954. Le
texte est également consultable en ligne sur le site du Centre International de Documentation
Marguerite Yourcenar à l’adresse suivante : http://www.cidmy.be/index.php?option=com_content&
view=article&id=42:conference-1&catid=4:discours-conferences&Itemid=34
18.05.2012].
4
[dernière
Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 10.
85
consultation :
diplomatique de son activité littéraire, Saint-John Perse n’a pas pu empêcher que
l’action politique de son temps fasse irruption, par moments, dans sa poésie. Ainsi,
le poème Exil amorce une réflexion, entre autres, sur la guerre – la Deuxième
Guerre mondiale qui constitue peut-être le point de départ de la méditation, mais
aussi et surtout la guerre en général – et la condition de l’exilé. Composées entre
1941 et 1944, alors que le poète était précisément en exil aux États-Unis pour des
raisons politiques, les différentes parties qui constituent le recueil – « Exil », « Poème
à l’Étrangère », « Pluies » et « Neiges » – dénoncent la guerre tout en témoignant de
la volonté de Perse « de ne pas réduire l’œuvre aux références vite périmées à son époque, mais
de leur donner une portée valable à toutes les époques »1 :
Vannez, vannez, à bout de caps, les grands ossuaires de l’autre guerre, les
grands ossuaires de l’homme blanc sur qui l’enfance fut fondée.
Et qu’on évente sur sa chaise, sur sa chaise de fer, l’homme en proie aux
visions dont s’irritent les peuples.
(EX, « Pluies », V)
Plutôt que de donner à son texte l’aspect d’une simple chronique qui n’a
d’intérêt que par rapport à son contexte historique, Saint-John Perse se reconnaît
aisément dans le regard que Manuel De Diéguez porte sur l’œuvre de
Chateaubriand dont il souligne « la volonté de l’esprit de donner un sens au destin des
hommes »2. Il s’agit là d’une bien noble vision de la poésie que l’auteur d’Amers ne
peut que partager. L’extrait suivant de Vents en apporte la preuve :
Et le Poète aussi est avec nous, sur la chaussée des hommes de son temps.
Allant le train de notre temps, allant le train de ce grand vent.
Son occupation parmi nous : mise en clair des messages. Et la réponse en
lui donnée par illumination du cœur.
Non point l’écrit, mais la chose même. Prise en son vif et dans son tout.
Conservation non des copies, mais des originaux. Et l’écriture du poète
suit le procès-verbal.
(Et ne l’ai-je pas dit ? les écritures aussi évolueront. – Lieu du propos :
toutes grèves de ce monde.)
(VE, III, 6)
1
Colette CAMELIN, Saint-John Perse. L’imagination créatrice, Paris, Hermann, 2007, p. 110.
2
Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 13.
86
Si c’est donc « la chose même », c’est-à-dire les « originaux », et non pas « l’écrit »
ou les « copies », que le poète est censé conserver, cela signifie que nous ne sommes
pas dans l’imitation, mais bien dans la création proprement dite. Dans cet ordre
d’idées, l’artiste doit créer dans son œuvre des structures et des rythmes analogues à
ceux qui scandent la vie. La poésie n’est donc pas une production artificielle destinée
au seul divertissement, mais elle est, comme l’a confié Saint-John Perse à Pierre
Mazars, « un objet de vie »1. Voilà pourquoi la poésie ne saurait jamais être figée ; elle
est le reflet d’un monde où tout est en perpétuelle « métamorphose » :
Par la poésie, l’esprit se donne du champ, écarte la fatalité qu’il se connaît, se
rêve autre qu’il ne se voit, se cloue en altitude et se transfigure en « myriades de
merveilles » faute d’altérer jamais le verdict qui l’attend : et ce jeu réussit,
puisque ce n’est plus la chose arrêtée, mais le prodige que la mort exécute – le
prodige d’un réseau instable et subtil de métamorphoses conquises avec lenteur,
défendues avec passion et brandies jusqu’au supplice dans un acharnement
grandiose.2
Voici qu’une nouvelle idée vient s’ajouter à ce que nous venons de dire.
Puisqu’il est impossible d’échapper à la mort, il vaut mieux voir en elle le « prodige »
qu’elle est réellement. Loin de constituer l’anéantissement ou le néant absolu que
beaucoup d’hommes ont coutume de voir en elle, la mort est d’une importance
capitale dans le cycle de la vie. C’est grâce à elle qu’il y a renouvellement et
régénération. « Et ceci reste à dire, écrit Saint-John Perse, nous vivons d’outre-mort, et de
mort même vivrons-nous » (CH, II). Si la mort n’existait pas, le perpétuel changement
dont parlent Perse et Manuel De Diéguez ne pourrait se concrétiser : la vie serait
stagnante et aucune évolution ne serait possible. Ainsi, la mort ne marque pas la
disparition intégrale d’un élément, mais elle l’engage plutôt dans une transformation
sans fin. Perse est très explicite à ce sujet :
1
OC, p. 576.
2
Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 17-18.
87
Il n’est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n’est rien de vivant qui
de néant procède, ni de néant s’éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni
mesure, sous l’incessant afflux de l’Être.1
Nous avons montré que le Discours de Stockholm reprend souvent des idées qui
avaient déjà été énoncées dans les poèmes antérieurs, respectivement qui seront
développées dans textes postérieurs à 1960. Ainsi, nous lisons dans Vents :
… C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands
vents à l’œuvre parmi nous,
Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de
vivre, ah ! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril,
Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes
nouveaux, à nos façons nouvelles.
C’étaient de très grandes forces au travail, sur la chaussée des hommes –
de très grandes forces à la peine
Qui nous tenaient hors de coutume et nous tenaient hors de saison, parmi
les hommes coutumiers, parmi les hommes saisonniers,
Et sur la pierre sauvage du malheur nous restituaient la terre vendangée
pour de nouvelles épousailles.
(VE, IV, 6)
Nous avons là une vision positive de l’Histoire qui repose sur une
affirmation de la vie : « Et mon avis est que l’on vive ! » (VE, III, 5). Tout serait donc
pour le mieux s’il n’y avait pas l’autre versant, celui des atrocités que les hommes
commettent intentionnellement à l’égard de leurs prochains et des dégâts qu’ils
causent à l’environnement. Désireuse de repousser les bornes, l’humanité souffre –
peut-être plus que jamais – d’une hybris presque maladive qui menace aujourd’hui
toute existence sur Terre. Malgré leur implication directe dans le progrès
scientifique, certains intellectuels, dont le physicien Einstein, sont conscients des
dangers qui menacent l’avenir des hommes et de la planète : « Et notre humanité
civilisée découvre le nouveau sens du mot paix : il s’appelle survie »2. Plus loin, il nous met en
1
OC, p. 446.
2
Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 51.
88
garde : « Mais aujourd’hui la guerre s’appelle l’anéantissement de l’humanité »1. Préoccupé, lui
aussi, par cette situation qui ne cesse de s’aggraver, Saint-John Perse constate dès la
première partie de Vents :
« Enlèvement de clôtures, de bornes… Apaisement au cœur du Novateur… Et
sur le cercle immense de la terre, un même cri des hommes dans le vent,
comme un chant de tuba… Et l’inquiétude encore de toutes parts… Ô monde
entier des choses… »
(VE, I, 6)
L’allusion au péril que représente le nucléaire est plus ou moins directe. Le
« Novateur », c’est l’« homme nouveau » qui est omniprésent dans le poème. Il est
devenu le principal danger qui guette ses semblables, car il détient le pouvoir
d’anéantir sa propre espèce. Ce sont les « hommes de science – physiciens, pétrographes et
chimistes » qui cherchent dans « les graphites et dans l’urane […] le minuit d’or où secouer la
torche du pirate » (VE, III, 2). Vents a été publié en volume en 1946 : nous ne sommes
pas loin des recherches qui ont été menées pendant la Seconde Guerre mondiale sur
la fission de l’uranium. En outre, le 16 juillet 1945, « [l]a première bombe atomique a
explosé dans l’Ouest, près de Los Alamos (New Mexico) »2. Saint-John Perse, qui est alors
aux États-Unis dont il ne reviendra qu’en 1957 pour s’installer temporairement aux
Vigneaux (Presqu’Île de Giens), n’est pas insensible à ces événements, ce que prouve
d’ailleurs le dossier intitulé « Ère atomique » qu’il a constitué et qui est conservé à la
Fondation à Aix-en-Provence. Un autre passage de Vents est très explicite sur la
nouvelle conquête :
… Et voici d’un autre âge, ô Confesseurs terrestres –
Et c’est un temps d’étrange confusion, lorsque les grands aventuriers de l’âme
sollicitent en vain le pas sur les puissances de matière. Et voici bien d’un autre
schisme, ô dissidents !…
« Car notre quête n’est plus de cuivres ni d’or vierge, n’est plus de houilles
ni de naphtes, mais comme aux bouges de la vie le germe même sous sa crosse,
1
Ibid., p. 52.
2
Joëlle GARDES-TAMINE (dir.), Saint-John Perse sans masque. Lecture philologique de l’œuvre, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2006, p. 311.
89
et comme aux antres du Voyant le timbre même sous l’éclair, nous cherchons,
dans l’amande et l’ovule et le noyau d’espèces nouvelles, au foyer de la force
l’étincelle même de son cri… »
(VE, III, 2)
Voilà un nouvel exemple qui montre que par moments, l’événement
historique – la quête du nucléaire, mais aussi les premières grandes découvertes en
génétique – fait intrusion dans l’œuvre poétique. Plus loin, l’« homme nouveau », celui
qui « fait son ombre sur la chaussée des hommes » (VE, IV, 2), est même qualifié
d’« Exterminateur », avec une allusion aux physiciens qui ont permis le
développement de l’arme atomique, mais peut-être aussi à celui qui a ordonné
l’extermination de plusieurs millions de juifs :
– Et l’Exterminateur au gîte de sa veille, dans les austérités du songe et de
la pierre, l’Être muré dans sa prudence au nœud des forces inédites, mûrissant
en ses causses un extraordinaire génie de violence,
Contemple, face à face, le sceau de sa puissance, comme un grand souci
d’or aux mains de l’Officiant.
(VE, III, 3)
Saint-John Perse est conscient de l’extrême puissance que représente
l’énergie nucléaire et l’expression qu’il emploie dans le Discours de Stockholm devient
presque une affirmation à l’épreuve : « “Ne crains pas”, dit l’Histoire, levant un jour son
masque de violence »1. Si l’homme est capable de commettre les pires atrocités, peut-il
faire matière intégrante de la poésie ? Autrement dit, le poète, sous prétexte
d’écouter le « battement rythmique » que l’Histoire « imprime, novatrice, à la grande phrase
humaine en voie toujours de création »2, a-t-il le droit de montrer l’horreur dans ses
œuvres, même dans un but moralisateur ? Faire entrer la cruauté dans le poème,
n’est-ce pas la valoriser, voire la glorifier ? Saint-John Perse est formel à ce propos :
la poésie ne peut accepter l’horreur, ni la reproduire telle quelle : « c’est démesure encore
1
OC, p. 446.
2
Ibid.
90
et mauvais goût dans la chronique du poète. – S’en aller ! s’en aller ! Parole du Prodigue » (VE,
II, 4). Il rejoint par-là le point de vue de Manuel De Diéguez :
Mais le refus demeure, chez le poète, de se décharger du fardeau de sa liberté.
Dans cet instant où tout s’arrête pour l’élévation poétique, la poésie n’est pas
une acceptation de l’horreur. Le poète ne dit pas « Je n’y suis pour rien, je ne
suis que le peintre ». Sinon, le dernier mot de la poésie serait ce fatalisme qui
ouvre toute grande la porte à tous les visages du crime dans l’Histoire.1
Au lieu de rendre compte directement de la cruauté, le poème se voudra
plutôt une mise en garde, c’est-à-dire un regard critique porté sur l’événement
historique. On pourrait citer à cet endroit un passage de l’entrée qu’Einstein fit, en
1932, dans le livre d’or de la fille de son voisin, alors que les nazis étaient sur le
point de le priver de tous ses biens : « Ouvre tes yeux, ton cœur, tes mains, et évite le poison
de l’Histoire que tes aïeux ont absorbé avec tant d’avidité »2. Voilà une belle définition que
l’on pourrait donner de la fonction de la poésie dans la société, et Robert SchaackÉtienne parle d’une véritable « mission » du poète :
Mais le poète a aussi comme mission, comme devoir, de donner l’alerte en face
d’une réalité qui s’avère dangereuse ou pernicieuse. […] Donner l’alerte en
poésie, n’est-ce pas le cas aussi à propos de la science née de l’intelligence
pratique et je vise la technique avec son cortège de résultats meurtriers, malgré
son apport au progrès (engins de guerre, pollution, manipulation génétique et
d’autres réalisations) ?3
« Donner l’alerte », cela n’est possible que si le poème relève de ce « temps
étranger à toute chronologie »4 dont parle Anise Koltz. Faire de la poésie événementielle,
ce serait confiner l’œuvre à une époque précise en dehors de laquelle elle perdrait
toute sa valeur et sa raison d’être ; bref, ce serait lui ôter son caractère intemporel. Le
1
Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 44.
2
Albert EINSTEIN, Correspondance, présentée par Helen DUKAS et Banesh HOFFMANN, Paris,
Inter Éditions, 1980, p. 43.
3
Robert SCHAACK-ÉTIENNE, « Les deux cultures », in Poëzie en Wetenschap – Poésie et Science –
Poetry and Science, Kessel-Lo, sept.-déc. 1989, n°3-4, p. 42-43.
4
Anise KOLTZ, « Le poète demeure le gardien de l’imaginaire et de la mémoire », in Struga.
International poetry review, 1993, vol. III, n°3, p. 23.
91
vrai problème n’est pas celui d’une conception « harmonieuse » de l’Histoire que l’on
n’a d’ailleurs pas manqué de reprocher à Saint-John Perse, ni celui de l’absence
d’allusions historiques dans le poème. « La tragédie n’est pas dans la métamorphose ellemême », écrit le poète, « [l]e vrai drame du siècle est dans l’écart que l’on laisse croître entre
l’homme temporel et l’homme intemporel »1. Il dit bien « intemporel » et non « atemporel ».
L’être humain n’est pas uniquement le produit d’une époque, mais il est la
conséquence d’une évolution ininterrompue à travers les siècles et les millénaires.
Or, les hommes ont tendance à penser par étapes plutôt que par continuité. La
plupart des humains ne se soucient que de leur court passage sur Terre, comme si
toute l’Histoire se résumait à leur existence individuelle. Tel est le « drame du siècle »
dont parle Saint-John Perse et qui fait que la « maturation forcée » de l’homme « dans
une communauté sans communion, ne sera […] que fausse maturité »2. Et il va même jusqu’à
revendiquer pour le « poète indivis » – celui qui n’est pas atteint du schisme qu’il
dénonce chez les autres – le devoir « d’attester parmi nous la double vocation de
l’homme »3 ; celle qui fait précisément la « saisissante dialectique »4 de l’homme et qui
vise d’un côté le moment présent et, de l’autre côté, l’homme de tous les temps :
« [c]’est associer enfin plus hardiment l’âme collective à la circulation de l’énergie spirituelle dans le
monde »5. Une tâche pareille s’annonce lourde et délicate, car le poète assume par-là
une très grande responsabilité. Sa « lampe d’argile »6 devra rivaliser désormais avec
l’énergie nucléaire. Cette image, anodine en apparence, est pleine de sens. Il s’agit de
l’association de l’humain – la lampe est conçue par l’homme – et du divin : dans la
Bible, c’est avec de la terre que Dieu a créé Adam. L’argile et la lampe sont deux
éléments très importants qui comptent 29, respectivement 38 occurrences dans
l’œuvre poétique de Saint-John Perse. Ils renvoient à l’importance de la création
1
OC, p. 446.
2
Ibid.
3
Ibid., p. 447.
4
Ibid., p. 444.
5
Ibid., p. 447.
6
Ibid.
92
artistique tout comme à la mission du poète qui consiste à éclairer ce qui demeure
dans l’obscurité. Mais la leçon que nous donne l’auteur est d’optimisme : la lampe
du poète peut remplir sa fonction, « si d’argile se souvient l’homme »1, c’est-à-dire si l’être
humain se rappelle sa propre finitude, mais aussi la relation étroite entre l’humain et
le divin, entre l’homme de maintenant et l’homme de tous les âges.
3. 3. Le poète comme « mauvaise conscience de son temps »
À l’instar de l’incipit du Discours de Stockholm, la phrase sur laquelle s’achève la
réflexion de Saint-John Perse n’est constituée que de deux lignes, tout en étant
détachée du reste du texte par un blanc : « Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise
conscience de son temps » 2 . Cette affirmation, qui est à l’origine de nombreuses
interprétations, a fait et continue de faire l’objet de citations dans les contextes les
plus variés. Le lecteur pressé, il est vrai, serait tenté de voir une forme condensée de
la pensée persienne dans cette maxime finale. Pourtant, la critique nous met en
garde3 : le risque est grand de faire dire à Saint-John Perse ce qu’il a toujours récusé
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Cf. Claude THIEBAUT, « Dieu que la science est jolie ! », in Saint-John Perse (1945-1960) : une
poétique pour l’âge nucléaire, textes réunis et présentés par Mireille SACOTTE et Henriette
LEVILLAIN, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque contemporaine », 2005, p. 166 :
« Paradoxalement, la formule sur laquelle se termine le “Discours de Stockholm”, “Et c’est
assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps”, échappe à notre propos, les
scientifiques à ma connaissance ne s’y référant pas spécialement. Quand elle est citée par eux,
elle illustre, ainsi que le font généralement tous ceux qui la citent, un appel à un engagement très
militant des philosophes, entre autres intellectuels. Certes, Saint-John Perse venait d’affirmer que
du poète, “rien du drame de son temps ne lui est étranger”, mais s’il “se trouve lié à l’événement
historique”, il le précise, c’est “malgré lui”. Manifestement, ce n’est pas au niveau politique ni
social que se situe son engagement. » ; et Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve :
‘Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse,
hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à SaintJohn Perse, 10 décembre 1960 », Aix-en-Provence, Revue de l’Association des Amis de la
Fondation Saint-John Perse, décembre 2010, p. 154 : « Nous serons donc amenée à examiner
par quel malentendu cette clausule, à force d’être citée dans les discours officiels, donnée
comme thème de dissertation aux malheureux candidats des concours d’enseignement, a fini par
être considérée comme la formule qui synthétise la poétique de Saint-John Perse, voire même, à
cause de l’aura du prix Nobel, comme une pensée vraie et universelle (c’est la définition de la
sentence par Quintilien), et donc incontestable. Or, détachée de son contexte, il y a fort à gager
qu’elle prête à toutes les interprétations, sauf à celle qu’a voulue Saint-John Perse ».
93
avec véhémence. En la détachant de son contexte, on verrait volontiers dans la
formule un appel à l’engagement. Cela nous rappelle le militantisme de Jean-Paul
Sartre :
Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée : à présent je connais mon
impuissance. N’importe, je fais, je ferai des livres ; il en faut, cela sert tout de
même. La culture ne sauve rien ni personne. Mais c’est un produit de l’homme ;
il s’y projette, s’y reconnaît ; seul ce miroir critique lui offre son image.1
Pourtant, Saint-John Perse a toujours refusé de mettre sa plume au service
d’une littérature « engagée ». Ainsi, dans sa missive du 3 mai 1949 à Jean Paulhan,
Perse, en faisant allusion à la Lettre aux Directeurs de la Résistance, exprime sa révolte
contre tout engagement politique ou philosophique en littérature :
Mais de grâce, qu’avez-vous à faire d’« engager » tout cela, et vous-même (si
c’est vous), sur ce plan immédiat de l’actualité politique ? N’est-ce pas exceller
hors de propos, à vos dépens et contre vous-même ? Double dommage, en tout
cas, de substituer à tort, aux simplifications légitimes de l’ordre public, les
exigences également légitimes, mais ici fourvoyées, de l’ordre littéraire. La
polémique va-t-elle vous enferrer sur le plan extra-littéraire, par le jeu même de
vos exigences littéraires ? […] – en un temps où l’« œuvre » littéraire est déjà
trop sacrifiée à « l’action » littéraire, comprise elle-même comme un dépendance
de l’action politique.2
Mêler la littérature à l’actualité politique est donc vu comme un acte impur et
indigne de l’œuvre littéraire. Henriette Levillain a montré qu’en réalité, cette dernière
phrase du Discours de Stockholm constitue plutôt une critique des idées à la mode dans
les milieux intellectuels « de son temps ». Il s’agit, notamment, d’une réponse d’abord
et surtout au nihilisme et à l’existentialisme. Saint-John Perse n’a jamais accepté les
théories aboutissant au nihilisme matérialiste et à l’existentialisme. Le personnage
1
Jean-Paul SARTRE, Les mots, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1988, p. 208. Une idée semblable est
toutefois évoquée par Saint-John Perse dans une lettre à Dag Hammarskjöld du 15 mai 1958 :
« Mais qu’est-ce qu’une plume littéraire – et de poète ! – pour servir, en pareil temps, même de
très loin et d’infime façon, le pays qu’on porte au cœur ? », in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance
avec Dag Hammarskjöld, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1993, p. 135.
2
OC, p. 1023. Un passage de cette même lettre est également cité par Henriette Levillain dans
l’article susmentionné.
94
qu’il vise tout particulièrement avec cette phrase est donc bel et bien Sartre1. Cette
idée rejoint ce qu’il avait écrit dans sa lettre du 1er août 1949 à Paul Claudel où il dit
clairement quel est, pour lui, le devoir du poète :
La fonction même du poète, en tant que mode de connaissance, n’est pour moi
qu’une règle de vie qui nous tienne plus vivant, fût-ce à vif, sur l’autre versant
de l’apparence. Mais quelle amère entreprise, aux marches de l’esprit, que cette
exploration sans « reconnaissance » et ces évasions sans terme, ces « issues »
sans issue ! Nul recul possible, ni résignation, pour qui hait trop, de tout son
être, l’abdication matérialiste. Plutôt cette fatalité, en toutes choses, d’une
imprégnation « divine » sans accès ni recours. (Est-il besoin de vous dire jusqu’à
quel point m’écœure toute philosophie « existentialiste » – autant qu’en art toute
esthétique « naturaliste » ?)2
En même temps, la clause finale de l’« Allocution » est une réponse à Albert
Camus qui, en 1957, avait proclamé dans son Discours de Suède :
Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis
l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses
compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice,
construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé
entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les
créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de
l’histoire [sic]. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites
et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir.
La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons
marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de
nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la
bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?3
Ce qui différencie surtout le discours de Camus de celui – prononcé trois ans
plus tard au même endroit– de Saint-John Perse, c’est la vision que le premier a de
l’écrivain et de sa mission. Si, pour Camus, l’homme de lettres, « vulnérable mais
1
Cf. Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la
mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, op. cit., p. 164. D’ailleurs, le 15
novembre 1960, il écrit à Dag Hammarskjöld : « Ce texte (de 12 minutes) est d’ailleurs trop
abstrait ou concentré, trop peu usuel, pour de telles circonstances, et j’ai trop pensé peut-être à
l’oreille des critiques littéraires français chez qui il est très attendu et très guetté », in SAINTJOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 189.
2
OC, p. 1017.
3
L’intégralité du discours est consultable en ligne à l’adresse : http://www.nobelprize.org/nobel_
prizes/literature/laureates/1957/camus-speech-f.html [dernière consultation : 20.05.2012].
95
entêté », doit continuer sa lutte pour ériger son l’œuvre contre le « mouvement
destructeur » de l’Histoire, Saint-John Perse, pour sa part, n’établit pas de rapport
direct entre la création artistique et l’événement historique. Rappelons que, pour lui,
le poète se trouve lié « malgré lui » à l’Histoire. Autrement dit, là où Camus voit dans
la littérature le rôle d’apporter une tentative d’amélioration, aussi modeste soit-elle, à
la vie des hommes – l’œuvre littéraire se trouve ainsi mise au service de la
collectivité –, Saint-John Perse estime que le poème doit garder sa fonction première
qui est celle de réconcilier « l’homme temporel » avec « l’homme intemporel ». En outre, si
l’auteur de L’Homme révolté est conscient des « défaillances » qui vont l’accabler « sur un
si long chemin », Perse, pour sa part, replace les « pires bouleversements de l’histoire [sic] »1
dans un contexte cyclique plus vaste qui, lui, est à considérer comme une véritable
affirmation de la vie :
Qu’à tous il [le poète] dise clairement le goût de vivre ce temps fort ! Car
l’heure est grande et neuve, où se saisir à neuf. Et à qui donc céderions-nous
l’honneur de notre temps ?…2
Après avoir montré que la chute du Discours de Stockholm constitue une double
réponse à Sartre et à Camus, il convient aussi de l’analyser indépendamment de son
rapport avec le contexte philosophique de l’époque en la replaçant dans la
problématique qui se trouve au centre de la présente étude et qui, rappelons-le, fait
l’objet de l’exposé de Saint-John Perse à Stockholm : la relation entre la littérature et
la science. Dans une telle optique, il ne faudrait pas négliger les propos de Jean
Perrin : « Il n’est pas en effet de science possible où la pensée n’est pas libre, et la pensée ne peut
pas être libre sans que la conscience soit également libre »3. Nous voyons que désormais,
l’expression « mauvaise conscience de son temps » sur laquelle s’achève le Discours de
1
OC, p. 446.
2
Ibid.
3
Cité par André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier »,
in Problématique des relations entre Science et Société, p. 15 [actes du colloques consultables en ligne à
l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/ 1_RelationsSciencesSociete.pdf ;
dernière consultation : 27.03.2012].
96
Stockholm prend une toute autre signification. Dans un contexte où le progrès
scientifique devient de plus en plus menaçant pour l’humanité entière, le poète est
celui qui doit redéfinir la place de l’homme là où elle semble devenue accessoire,
voire superfétatoire1. C’est encore lui qui se charge de rappeler aux savants qu’ils
sont, eux aussi, des hommes et que leurs découvertes doivent être ancrées dans
l’humain et non pas en faire abstraction. Bref, le poète est celui qui cherche à
empêcher le scientifique – mais aussi l’homme en général – d’aspirer à la démesure ;
il veille à ce que la « maturation » des hommes ne soit pas « forcée » – c’est-à-dire
artificielle, « fausse » et par-là dangereuse –, mais bien une « maturation » au sein d’une
« communauté » qui repose sur la « communion »2 intégrale, c’est-à-dire qui se tient au
plus près de l’Être. Car, comme le rappelle le physicien Charles P. Snow (1905-1979)
dans son essai The Two Cultures (1963), l’enjeu est de taille :
Il est dangereux d’avoir deux cultures qui ne peuvent ou ne veulent
communiquer. À une époque où la science détermine en grande partie notre
destin, c’est-à-dire si nous allons vivre ou mourir, cela est dangereux de la façon
la plus concrète.3
Plus que jamais, la « mauvaise conscience » du poète consiste à jouer le rôle de
« vigie »4. Son engagement ne sera pas d’ordre philosophique ou religieux, mais avant
tout humain et cosmique. Or, ne pas faire entrer l’événement historique dans le texte,
c’est attirer sur soi la suspicion des autres :
1
Cf. Jean-Michel MAULPOIX, Adieux au poème, Paris, José Corti, 2005, p. 168 : « En ce temps, le
devoir du poète est de dire où se trouve l’humain : le montrer, le cerner, en établir la carte. Sa
tâche n’est pas seulement, comme certains semblent le croire à présent et y insistent, de
souligner durement l’inhumanité de l’Époque et de communiquer l’horreur de mourir. Il me
semble en effet que nous connaissons mieux aujourd’hui ce qui nous détruit que ce qui nous
garde en vie. Il ne s’agit ni d’aggraver ni d’arranger les choses, mais de retrouver nos raisons d’être.
Tirer obstinément sur le papier les quelques fils sur lesquels notre voix parvient à se tenir en
équilibre ».
2
OC, p. 446.
3
Cité et traduit par Paul Braffort, dans son livre Science et littérature : les deux cultures, dialogues et
controverses pour l’an 2000, Paris, Diderot Éditeur, Arts et Sciences, coll. « Jardin des Sciences »,
1998, p. 31.
4
Cf. Loïc CERY, « Poétique de l’écart : une lecture de Vents », in La nouvelle anabase. Revue d’études
persiennes, Paris, L’Harmattan, 2006, n°2, p. 81.
97
Savoir se rendre « suspect », tel le poète rejeté de la cité par Platon au prétexte
qu’il y est inutile à Athènes, plutôt que d’épouser les causes de son siècle, mais
inversement s’approprier le pouvoir positif de la philosophie qui est la « fille de
l’étonnement », c’est donc la posture inconfortable prescrite au poète
moderne.1
L’idée de suffisance (« Et c’est assez […]2 ») contenue dans la phrase finale du
Discours de Stockholm semble s’expliquer par elle-même : accomplir la tâche – telle que
nous venons de la définir – qui incombe au poète est d’une complexité
incommensurable. S’il échoue, Saint-John Perse devra probablement se rendre à
l’évidence que ce seront les idées nihilistes – le « poids de sa gravitation » que l’homme
portera « comme une meule au cou » (OI, VIII) –, et non celles qui se réclament d’un
« humanisme nouveau » 3 , qui gouverneront le monde et, sans doute, anéantiront
l’humanité entière. S’il réussit, en revanche, peut-être le destin de l’humanité
connaîtra-t-il des heures plus propices ; peut-être les hommes s’apercevront-ils du
caractère absurde de la guerre et peut-être le progrès de la science se trouvera-t-il
éclairé d’une autre lumière ; bref, peut-être restituera-t-on à l’humain la place qui est
la sienne, aux côtés et au regard du divin.
1
Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la
mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, op. cit., p. 169.
2
OC, p. 447.
3
OC, p. 445.
98
Conclusion
« Une émouvante et longue méditation a retrouvé là
l’immensité d’espace et d’heure où s’allonge l’oiseau nu,
dans sa forme elliptique comme celle des cellules rouges
de son sang. »
OI, V
La science et la poésie sont bien loin de constituer des disciplines opposées.
Chacune, au contraire, a sa fonction dans un contexte plus vaste. Le savant et le
poète essaient d’explorer, avec l’outillage qui leur est propre, un fragment parmi
d’autres d’un réel toujours en mouvement. Là où le premier cherche ses preuves
dans l’univers extérieur ou matériel, le second va plutôt s’appuyer sur le côté intime, cet
autre univers qui, lui aussi, est en expansion. Si la science a pour vocation de
repousser les limites du savoir, la poésie, quant à elle, permet d’habiter le monde dont
elle vise surtout la connaissance.
Les citations que nous avons données tout au long du présent travail – les
unes émanant de scientifiques de renommée alors que d’autres sont empruntées à
des hommes de lettres ou à des philosophes célèbres – témoignent toutes de la
volonté de réconcilier les « deux cultures », car on semble avoir compris, du moins
dans les milieux intellectuels, que l’avenir de l’humanité sera tributaire non
seulement de l’efficacité des recherches scientifiques et de leur apport pratique à la
vie, mais aussi – et, peut-être, avant tout – de la « mauvaise conscience » qui donnera
l’alerte au cas où la transgression risquerait d’entraîner l’humanité entière vers sa
propre perte.
La solution du problème ne relève pas de la primauté qu’une discipline
pourrait avoir sur l’autre : la science et la poésie ont leurs raisons d’être. Mais c’est le
dialogue permanent entre le progrès et sa vigie, entre la science de la nature et celle
de l’âme ; bref, entre notre désir de franchir les limites et notre « mauvaise conscience »
99
qui fera de nous des êtres équilibrés. C’est ainsi que nous incorporerons la
« saisissante dialectique » dont parle Saint-John Perse dans son « Allocution au Banquet
Nobel ».
Si la discussion semble de nouveau dans l’air du temps, c’est certainement à
Saint-John Perse en grande partie, c’est-à-dire à sa conception de l’homme intégral
et de la poésie, mais aussi à la plus haute distinction littéraire dont on l’a honoré en
1960, qu’en revient le mérite. L’interrogation qu’il soulève n’est, certes, pas nouvelle.
Mais le retentissement international de son Discours de Stockholm, qui a été traduit en
plusieurs langues, a peut-être réactivé chez les intellectuels la prise de conscience de
l’urgence d’une réflexion épistémologique et ontologique dans un siècle où l’homme
risquera de décider un jour « que l’homme est superflu », selon l’expression d’Alain
Bosquet, ami et critique de Saint-John Perse. Car c’est d’elle seule que dépendra le
destin de la race humaine.
Nous avons essayé de montrer également que le Discours de Stockholm fait
écho à certaines idées que l’auteur développe dans son œuvre poétique et même
dans sa correspondance. Nous pouvons en conclure que la question l’a préoccupé à
tous les égards et qu’il a cherché les (ses) réponses au cours des différentes périodes
qui ont marqué sa vie. Nous est-il désormais permis, d’après la tentative
d’interprétation qui précède, de qualifier la poésie de Saint-John Perse ainsi que son
« Allocution au Banquet Nobel » d’épistémologie ? Autrement dit, la « lampe d’argile du
poète »1 réussira-t-elle à triompher à la fois de l’énergie nucléaire et des « [a]gressions de
l’esprit, pirateries du cœur »2 ? La réponse que nous donne Saint-John Perse dans son
tout dernier poème, Sécheresse, daté de 1974, relève encore une fois du profond
optimisme à l’égard de la condition humaine qu’il semble avoir gardé jusqu’à mort :
Oui, tout cela sera. Oui, les temps reviendront, qui lèvent l’interdit sur la face
de la terre. Mais pour un temps encore c’est l’anathème, et l’heure encore est au
1
OC, p. 447.
2
Sécheresse, in OC, p. 1399 [édition de 1982].
100
blasphème : la terre sous bandelettes, la source sous scellés… Arrête, ô songe,
d’enseigner, et toi, mémoire, d’engendrer.1
Il reste à préciser que la présente dissertation n’est qu’une étape d’un « autre
mouvement plus vaste » (VE, I, 6) et que ses aboutissements, loin de constituer des
résultats définitifs, sont à considérer comme les « prédelles pour un tableau à venir »2.
1
Ibid., p. 1398-1399.
2
José ENSCH, Prédelles pour un tableau à venir, Luxembourg, Estuaires, coll. « 99 », 2006.
101
Bibliographie
Œuvre poétique de Saint-John Perse1 :
– Œuvre poétique, Paris, Gallimard, coll. « Soleil », 1960, 2 tomes.
– Éloges suivi de La Gloire des Rois, Anabase, Exil, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1967.
– Vents suivi de Chronique, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1968.
– Amers suivi de Oiseaux, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1970 [ce volume comprend aussi le Discours de
Stockholm sous le titre de Poésie].
– Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972 [l’édition posthume de 1982 est
augmentée des poèmes Nocturne et Sécheresse].
Correspondance :
BOSQUET, Alain, Correspondance avec Saint-John Perse : 1942-1975, texte établi, présenté et annoté par Michèle
AQUIEN et Roger LITTLE, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Alain Bosquet », 2004.
SAINT-JOHN PERSE, Lettres, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972,
pp. 641-1083.
SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Jean Paulhan : 1925-1966, édition établie, présentée et annotée par
Joëlle GARDES-TAMINE, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1991.
SAINT-JOHN PERSE, Lettres à l’Étrangère, textes réunis et présentés par Mauricette BERNE, Paris, Gallimard,
1993.
SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld : 1955-1961, textes réunis et présentés par MarieNoëlle LITTLE, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1993.
SAINT-JOHN PERSE, « Correspondance avec André Breton : 1936-1961 », in Europe, revue littéraire mensuelle,
Paris, 1995, n°799-800, pp. 65-84.
SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Roger Caillois : 1942-1975, textes réunis et présentés par Joëlle GARDESTAMINE, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1996.
SAINT-JOHN PERSE, Lettres à une dame d’Amérique, Mina Curtiss 1951-1973, textes réunis, traduits et présentés
par Mireille SACOTTE, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 2003.
SAINT-JOHN PERSE, T. S. Eliot, A. Tate. Lettres atlantiques : 1926-1970, textes réunis, traduits et présentés par
Carol RIGOLOT, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 2006.
SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Henri Hoppenot (1915-1975), textes réunis, traduits et présentés par
Marie France MOUSLI, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 2009.
1
Nous ne tenons compte que des éditions courantes.
103
Ouvrages et numéros spéciaux consacrés à Saint-John Perse :
[collectif], Les Cahiers de la Pléiade, Paris, Gallimard, été-automne 1950, n°10.
[collectif], Honneur à Saint-John Perse : hommages et témoignages suivis d’une documentation sur Alexis Léger diplomate,
Paris, Gallimard, 1965.
[collectif], Magazine littéraire, numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, novembre 1975, n°106.
[collectif], Hommage à Saint-John Perse (1887-1975), numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, La
Nouvelle Revue française, février 1976, n°278.
[collectif], Cahiers du 20e siècle, numéro spécial : Lectures de Saint-John Perse, Paris, Klincksieck, 1976, n°7.
[collectif], Revue d’histoire littéraire de la France, numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, Armand
Colin, mai-juin 1978, n°3.
[collectif], Revue des deux Mondes, numéro spécial : Saint-John Perse, l’éternel exilé, Paris, mars 1999.
[collectif], Saint-John Perse : ‘Discours de Stockholm’ (Poésie). Texte intégral et études, hors-série de Souffle de Perse à
l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10
décembre 1960 », Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, Aix-enProvence, décembre 2010, n°1.
AIGRISSE, Gilberte, Saint-John Perse et ses mythologies, Paris, Imago, 1992.
AQUIEN, Michèle, Saint-John Perse : l’être et le nom, Seyssel, Champ Vallon, 1985.
ARANJO, Daniel, Saint-John Perse et la musique, Pau, J&D Éditions, 1988.
BIDDLE, Katherine, Saint-John Perse intime. Journal inédit d’une amie américaine (1940-1970), texte édité, traduit et
présenté par Carol RIGOLOT, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 2011.
BOSQUET, Alain, Saint-John Perse, Paris, Seghers, coll. « Poètes d’aujourd’hui », 1977 [première édition en
1953].
BOYER DE SAINTE-SUZANNE, Raymond, Une politique étrangère. Le Quai d’Orsay et Saint-John Perse à l’épreuve d’un
regard. Journal novembre 1938 – juin 1940, présenté et annoté par Henriette et Philippe LEVILLAIN,
Paris, Viviane Hamy, 2000.
CADUC, Eveline, Index de l’œuvre poétique de Saint-John Perse, Paris, Honoré Champion, coll. « Travaux de
linguistique quantitative », 1993.
CADUC, Eveline (éd.), Postérités de Saint-John Perse, actes du colloque de Nice (4, 5 et 6 mai 2000), Nice,
Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de Nice, 2002.
CAILLOIS, Roger, Poétique de Saint-John Perse, Paris, Gallimard, 1972 [nouvelle édition revue et augmentée].
CAMELIN, Colette, Éclat des contraires : La poétique de Saint-John Perse, Paris, CNRS éditions, coll. « Littérature »,
1998 et 2006.
CAMELIN, Colette & GARDES-TAMINE, Joëlle, La « rhétorique profonde » de Saint-John Perse, Paris, Honoré
Champion, coll. « Littérature de notre siècle », 2002.
CAMELIN, Colette & GARDES-TAMINE, Joëlle, Saint-John Perse : Vents, Chronique, Chant pour un équinoxe,
Neuilly, Atlande, 2006.
CAMELIN, Colette, Saint-John Perse : L’imagination créatrice, Paris, Hermann, 2007.
104
CHALUMEAU, Fortuné, La Maison du Bois-Debout ou l’enfance de Saint-John Perse, Paris, Bibliophane-Daniel
Radford, coll. « Mémoires imaginaires », 2002.
CHARPIER, Jacques, Saint-John Perse, Paris, Gallimard, coll. « La Bibliothèque idéale », 1962.
CLERC, Gabrielle, Saint-John Perse ou la poésie comme acte sacré, Neuchâtel, La Braconnière, coll. « Langages »,
1990.
CORZANI, Jack (éd.), Saint-John Perse. Les années de formation, Paris, L’Harmattan, 1996.
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Images à Crusoé, 1909 – 1979. Trois témoins de Saint-John Perse : Pierre Guerre, Jean Paulhan, Roger Caillois, Fondation
Saint-John Perse, Aix-en-Provence, avril – octobre 1979.
Saint-John Perse et les États-Unis, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, juillet 1980 – avril 1981.
Deux regards sur Saint-John Perse : Lucien Clergue, photographe ; Robert Petit-Lorraine, peintre, Fondation Saint-John
Perse, Aix-en-Provence, avril – octobre 1981.
Présence de Saint-John Perse, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, décembre 1981 – mars 1982.
Traduire Saint-John Perse, Prix Nobel de littérature, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, avril – octobre
1982.
Les années de formation, 1887 – 1925, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, 10 juillet 1984 – 15 avril
1985.
D’Amers à Nocturne : Saint-John Perse – Biobibliographie, 1887-1975, Musée de Toulon, Toulon, 6 décembre
1984 – 6 janvier 1985.
Regards sur l’Asie : Saint-John Perse, Claudel, Segalen, Malraux, Hoppenot, Bacot, Toussaint, Fondation Saint-John
Perse, Aix-en-Provence, 25 février – 27 octobre 1989.
Pour fêter une enfance : Saint-John Perse et les Antilles, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, 9 juin –
14 décembre 1990.
Saint-John Perse et le Sud, Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, 9 octobre – 30 décembre 1993.
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116
Index des noms
Abel, 37
Aigrisse (Gilberte), 80
Albertini (Lucie), 76
Alembert (Jean le Rond d’), 44
Anaxagore de Clazomènes, 84
Aristote, 31
Auden (Wystan Hugh), 22
Conche (Marcel), 70, 71
Confucius, 70
Couquiaud (Maurice), 68
Crusoé, 34
Cyr (Gilles), 63
Dante, 65, 79
Della Faille (Pierre), 54, 61, 73
Descartes (René), 58
Diéguez (Manuel De), 84, 85, 86, 87, 91
Du Bouchet (André), 40, 54
Dukas (Helen), 91
Bachelard (Gaston), 44, 72
Bailly (Anatole), 55
Baudelaire (Charles), 32
Bodard (Roger), 60, 65, 73
Bohr (Niels), 71, 78
Bollingen (Fondation), 20, 22
Bonnefoy (Yves), 65, 82, 83
Bosquet (Alain), 100
Braffort (Paul), 17, 40, 41, 59, 69, 97
Breton (Jean), 36
Brindeau (Serge), 36
Bronowski (Jacob), 68
Burroughs (John), 59
Edwards (Michael), 65
Einstein (Albert), 28, 29, 40, 42, 54, 79,
80, 88, 91
Eliade (Mircea), 77, 78, 80
Éluard (Paul), 72
Emmanuel (Pierre), 70
Ensch (José), 101
Étéocle, 37
Caillois (Roger), 80
Caïn, 37
Camelin (Colette), 46, 86
Camus (Albert), 21, 32, 95, 96
Caracostas (Paraskevas), 28, 29
Céry (Loïc), 97
Chalmers (Alan F.), 27, 28
Char (René), 43
Chateaubriand (François-René de), 84,
85, 86, 87, 91
Cheng (Anne), 70
Chwistek (Léon), 65
Claudel (Paul), 95
Comte (Auguste), 55
Ferrier (James Frederick), 56
Feyerabend (Paul Karl), 27, 41, 42
Foucault (Michel), 64
Gardes-Tamine (Joëlle), 44, 89
Gautier (Théophile), 33
Gide (André), 19
Gilgamesh, 33
Gsell (Paul), 69
Guillevic (Eugène), 68, 76
Hagège (Claude), 79
Hamlet, 21
117
Hammarskjöld (Dag), 18, 19, 20, 21, 22,
42, 43, 94, 95
Hartmann (Esa Christine), 22
Hegel (Georg Wilhelm Friedrich), 67
Heidegger (Martin), 77
Heisenberg (Werner), 71, 78
Héraclite, 46, 66
Hésiode, 83
Hoffmann (Banesh), 91
Hölderlin (Friedrich), 76
Hoppenot (Hélène), 19
Hoppenot (Henri), 18, 19, 20, 21
Hugo (Victor), 34
Huxley (Aldous), 15, 59
Luminet (Jean-Pierre), 67, 68
Macherey (Pierre), 39, 43, 44
Malraux (André), 21
Martin du Gard (Roger), 22
Maulpoix (Jean-Michel), 82, 97
Maupassant (Guy de), 37
Mauriac (François), 22
Mayaux (Catherine), 60
Mazars (Pierre), 66, 87
Medawar (Peter), 39, 41
Ménard (René), 35
Mendès France (Pierre), 26
Mériaux (Suzanne), 58, 62, 63
Moïse, 79
Montaigne (Michel de), 61
Mousli (Marie France), 19
Jaccottet (Philippe), 15
Jean (saint), 37
Jésus-Christ, 33
Jiménez (Juan Ramón), 21
Joubert (Jean-Louis), 32, 33, 35, 81
Néel (Louis), 26, 36, 96
Newton (Isaac), 40
Nicolescu (Basarab), 62, 63, 65
Nietzsche (Friedrich), 33
Kaspi (André), 26, 27, 36, 96
Kepler (Johannes), 40
Khayyâm (Omar), 68
Kobs (Jean), 31, 32
Koltz (Anise), 91
Kuhn (Thomas S.), 27
Pantagruel, 42
Pascal (Blaise), 43
Pasternak (Boris), 21
Patmore (Coventry), 60
Paulhan (Jean), 94
Perrin (Jean), 26, 36, 96
Pindare, 33
Pinson (Jean-Claude), 76, 77, 80, 81
Planck (Max), 83
Platon, 30, 31, 33, 98
Polynice, 37
Popper (Karl R.), 27
Potier (Pierre), 26, 36, 96
Lakatos (Imre), 27
Larbaud (Valery), 60
Lavoisier (Antoine Laurent de), 84
Laxness (Halldór), 21
Lecourt (Dominique), 56
Lemaire (Jean-Pierre), 43
Levillain (Henriette), 18, 20, 22, 23, 93,
94, 95, 98
Lichnérowicz (André), 65
Lie (Trygie), 18
Lindegren (Erik), 20, 21
Little (Marie-Noëlle), 19
Longneaux (Jean-Michel), 81
Quasimodo (Salvatore), 21
Quintilien, 93
118
Rabelais (François), 42
Racine (Jean), 37
Rémus, 37
Rivière (Jacques), 72
Roché (Henri-Pierre), 37
Rodin (Auguste), 69
Romulus, 37
Russell (Bertrand), 56
Taine (H.), 51
Thiébaut (Claude), 93
Tite-Live, 37
Ventresque (Renée), 72
Ville (Isabelle), 43
Vircondelet (Alain), 76
Wagner (Richard), 33
Willers (Uno), 21, 22
Wittgenstein (Ludwig), 64
Sacotte (Mireille), 22, 93
Sartre (Jean-Paul), 94, 95, 96
Schaack-Étienne (Robert), 91
Schlinck (Moritz), 53
Schopenhauer (Arthur), 64
Schützenberger (M.-P.), 65
Snow (Charles P.), 97
Soler (Léna), 56, 58
Sollers (Philippe), 63, 64
Yourcenar (Marguerite), 85
Zola (Émile), 51
119