Cape Town Effects : “Nous partageons les valeurs du hip hop”

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Cape Town Effects : “Nous partageons les valeurs du hip hop”
Cape Town Effects : “Nous partageons
les valeurs du hip hop”
Musique - Interview
Quel meilleur guide dans la foisonnante jungle sonore sud-africaine que Jarring
Effects, un label qui s'était déjà illustré avec la compilation Cape Town
Beats en 2007 ? L'équipe lyonnaise a envoyé son ingénieur du son
enregistrer quelques-uns des MCs les plus talentueux de Cape Town. La
parution du disque, tout simplement baptisé Cape Town effects, et la
tournée hexagonale qui s'en suit est l'occasion d'interroger les artistes sur la
trop lointaine nation arc-en-ciel. Dans ce premier épisode, la parole est
donnée à Jaak, un "brown", c'est-à-dire un descendant des enfants
illégitimes des colons blancs, et à Tebz, une violoncelliste qui n'a pas sa langue
dans sa poche ...L'image qui symbolise en France l'Afrique du Sud, c'est le
visage souriant de Nelson Mandela.
Est-ce la réalité qui se cache derrière ce sourire que vous chantez sur les titres
de Cape Town Effects ?
Jaak : Arno, le réalisateur du documentaire, et moi avons eu une discussion
intéressante lorsque nous sommes allés voir la statue de Mandela à Paarl, ma
ville. Je me suis aperçu qu’il était plus un
nationaliste qu’un révolutionnaire au sens communiste du mot. J’imagine que
c’est pour cela que nous avons toujours un système de classes capitaliste
en Afrique du Sud, avec une énorme différence de niveau de vie entre riches
et pauvres. La majorité des riches vient encore de la minorité blanche. Dans les
quartiers pauvres, les changements depuis la fin de l’apartheid sont minimes.
C’est pour cela que nous continuons de faire ce genre de musique. Nous
parlons des contradictions de notre pays. Je crois que le sourire de
Mandela sert surtout à rassurer les investisseurs étrangers …
Tebz : Je trouve incorrect de décrire ce projet comme « la réalité
derrière le sourire ». Comme si c’était l’un ou l’autre. Ce n’est pas le cas.
Oui, ce projet parle des problèmes très concrets que nous rencontrons en
Afrique du Sud et, oui, ces problèmes sont incroyablement graves. Mais cela
signifie-t-il que nous ne pouvons en même temps expérimenter de grandes, de
parfaites joies ? Cela signifie-t-il que le sourire qui représente notre pays n’est
pas sincère ?
Absolument pas ! En un mot : nous, en tant qu’individus, en tant que
communautés, en tant que pays, sommes complexes, compliqués. C’est une
bonne chose.
Le beatmaker Led Piperz Sur le disque, les basses frappent comme des
coups de poing. Est-ce un écho de la violence qui continue de ronger le pays ?
Jaak : J’ai discuté de cette question avec Dplanet parce qu’il réussit, dans
ses beats, à digitaliser des rythmes africains à la fois traditionnels et nontraditionnels. Des rythmes africains non-traditionnels, comme sur la
chanson Hosa/Hosh, pour laquelle il a programmé un rythme très proche
de celui que ferait un gangster sud-africain qui se lancerait dans un «gangsta
boogie ». Le son Sotho de All rise est également très innovant. Le fait que
tous les producteurs aient pensé à ces basses lourdes est une indication de
ce qui se vit dans les rues d’Afrique du Sud : un enfer. Ils savaient que les MCs
allaient faire écho à cette réalité des rues d’Afrique du Sud dans leurs paroles.
Il nous fallait ce fond sonore sans complaisance. Tebz : Non. Selon moi, non.
La violence continue de ronger ce pays, c’est vrai. Mais la basse
représente-t-elle cela à mes yeux ? Pas du tout. Pour moi, la musique est
synonyme de liberté et de guérison. Je trouve donc difficile d’assimiler les
basses à la violence. Ceci dit, je comprendrais que quelqu’un d’autre les
perçoive autrement. A chacun son interprétation …
Ce projet réunit hommes et femmes de différentes couleurs de peau.
Cette mixité parait aujourd'hui naturelle à tous en Afrique du Sud ? Ou reste-telle exceptionnelle ?
Jaak : Le mélange des races sur ce projet n’est pas inédit mais les gens
réunis sont bien plus incisifs que lors des expériences précédentes.
Surtout dans le cercle du hip hop de Cape Town. Quand vous visitez la
ville, vous voyez les séparations entre les races qui continuent d’obéir au
Groups Areas Act de l’apartheid. Au centre, il y a un peu de cohabitation mais
cela reste minimal. La plupart des habitants continuent de vivre dans le
quartier qui leur était affecté autrefois. Ce projet est un bon indicateur de ce
qui serait possible en Afrique du Sud.
Nous, les MCs réunis pour ce projet, nous nous connaissons depuis des
années. Travailler ensemble n’a pas été difficile. Avec le Français, le contact a
été rapide, parce qu’ils partagent les valeurs du hip hop …
Tebz : Ce projet est exceptionnel. Mais la couleur n’a rien à voir là-dedans. Il est
exceptionnel par son son et sa créativité.
Cape Town Effects est-il représentatif du son de Cape Town aujourd'hui ou
s'en éloigne-t-il du fait de la participation du beatmaker français Led Piperz
?
Jaak : C’est effectivement une belle représentation du son de Cape Town.
Ce qu’il se passe, c’est simplement que ce son n’avait jamais été
enregistré auparavant. Nous rappons dans les langues vernaculaires et en
anglais, ce qui est très représentatif. Le son industriel de Led Piperz nous a
convenu parfaitement pour agiter les masses au travers de nos paroles …
Nous célébrons en France "la saison de l'Afrique du Sud". Pour éviter que nous
ne célébrions une nation idéale, bien loin de l'Afrique du Sud réelle, quels
artistes (écrivains, musiciens, plasticiens, ...) devrions-nous inviter, selon vous
?
Jaak : Invitez l’équipe de Motif Records, parce qu’elle représente un nouveau
son hip hop en Afrique du Sud. Invitez Rattex parce qu’il est un pionnier du
Spaza Hip Hop. Invitez Ifani parce qu’il réinvente le rap isiXhosa. Invitez
Zakwe parce qu’il est le maître du rap zoulou. Et Khuli Chana et son DJ,
Raiko, pour le vrai son seTswana …
Tebz : Et l’écrivain Jane Bennett ! Elle sait parler de l’Afrique du Sud …
Propos recueillis par François Mauger