Dans les jardins du palais royal

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Dans les jardins du palais royal
å
ARCHÉOLOGIE
ET RECHERCHE
israël n n n
 Ramat Rahel
Dans les jardins
du palais royal
Sous la colline de Ramat Rahel, dans les faubourgs sud de Jérusalem,
l’ancien palais des rois de Judée révèle des pans méconnus de l’histoire
de la Judée antique, à l’heure de la domination perse.
B
Une femme pleure devant les corps de deux hommes morts.
Cette scène inédite représente sans doute Aurelia Prima
devant le catafalque de ses frères.
La fresque d’Ulysse. Trois hommes nus se tiennent par la main ;
ils semblent danser. Plus à gauche, une sorte d’enclos avec
une silhouette avec un groin et au-dessus des animaux, dont
un chameau. © F. Bisconti/Osservatore Romano du 10 juin 2011/Distr. La
Collection
42 / LE MONDE DE LA BIBLE
ien qu’inconnu de la littérature biblique, le site de
Ramat Rahel, à quatre kilomètres au sud de Jérusalem,
est en passe de devenir une référence
incontournable de l’archéologie en
Israël. Il avait déjà créé la surprise, au
début des années 1960, en se révélant être le siège de l’administration
fiscale du Royaume du Juda, et peutêtre même la résidence de ses rois,
entre la fin du VIIIe siècle et la chute
de la Monarchie judéenne en 587 av.
J.-C. La nouveauté, depuis la reprise
des fouilles par une mission germanoisraélienne en 2005, est que le site a
conservé, et même renforcé, son rôle
politique central, entre la fin du VIe
siècle et le IVe siècle av. J.-C... “C’est
justement la période de la domination
perse après le retour de l’Exil, pour laquelle l’archéologie peine à fournir des
données, y compris à Jérusalem[1], explique l’archéologue Oded Lipshchits
de l’université de Tel Aviv, qui co-dirige
la fouille. Ramat Rahel, au contraire,
connaît alors son apogée. Le site servait de palais gouvernemental et de
centre des recettes fiscales, comme le
montre des centaines d’anses de jarres
à vin et à huile estampillées au sceau de
l’administration provinciale de Judée. À
croire que Ramat Rahel avait détrôné la
Ville sainte dans ses prérogatives temporelles ! ”.
En matière de surprises, à Ramat
Rahel, nos archéologues ne sont pas
en reste. La dernière en date est venue
des jardins du palais ! L’ancienne résidence royale, jouissait, depuis la fin du
VIIe siècle avant J.-C., d’un parc d’au
moins ½ hectare, œuvre de véritables
architectes paysagistes ! “A l’occasion
de l’agrandissement de la citadelle,
ces derniers ont raboté la colline sur
trois côtés, reprend Oded Lipschits. Ils
y ont intégré un système d’irrigation,
canaux, drains, tunnels et réservoirs,
avant d’y répandre une couche arable
de 45 cm d’épaisseur. Les architectes
royaux ont soigné la perspective. Le
palais, perché sur son piédestal, devait
donner l’impression de jaillir d’un écrin
de verdure ”.
Comment s’entonner
Comment s’étonner qu’à la fin du
VIe siècle, les élites judéennes, chargées d’administrer la province de
Yahoud pour le compte des autorités
perses, aient élu domicile dans un lieu
aussi enchanteur qu’emblématique ?
A leur tour, elles ont effectué des travaux d’agrandissement, rognant au
passage quelque 600 m2 de jardin, en
adaptant le réseau d’irrigation, signe
qu’elles continuaient de le cultiver.
Qu’y faisaient-elles pousser ? C’est ce
que voulaient savoir les archéologues...
en faisant analyser les enduits d’un des
bassins ! Les jardiniers de Ramat Rahel,
se sont-ils dit, effectuaient les travaux
d’entretien comme aujourd’hui, au
printemps, et des pollens dispersés par
le vent ont pu se fixer dans les plâtres
encore frais. C’était bien vu : outre les
plantes méditerranéennes habituelles
(vigne, figuier, myrte, saule, peuplier,
etc.), la palinologue Dafna Langgut
de l’Université de Tel Aviv a identifié
les micro-restes de toute sorte d’arbres
importés. Et parmi ceux-ci, une variété
d’agrume d’origine indienne particulièrement chère aux juifs : l’étrog,
cédrat en français, une des quatre espèces brandies lors de la grande fête
de Soukkot, avec les feuilles de palme,
de saule et de myrte ! Pour les paléo-
botanistes qui faisaient l’hypothèse
que l’étrog avait été l’introduction au
Levant et en Méditerranée par l’intermédiaire des Perses, cette découverte
est certainement un indice concret.
Mais plus instructif encore, elle jette
un nouvel éclairage sur l’évolution de
Soukkot après l’Exil. “A l’époque royale,
rappelle l’historien du judaïsme Arnaud
Sérandour (Ecole pratique des hautes
études, Paris), cette fête était la plus
importante de l’année. Elle célébrait
le Nouvel an du calendrier solaire, au
moment des vendanges et du retour
des pluies, c’est à dire en automne. À
l’époque perse, l’adoption du calendrier lunaire et de son Nouvel an de
printemps, est allé de pair avec une reformulation des grandes fêtes, naturalistes, de l’ancien régime, dans le cadre
d’une relecture de l’histoire nationale,
placée sous le signe de l’Exode. Pâque,
Chavouot et Soukkot ont alors été pensées comme re-fondation liturgique
annuelle du “peuple de l’Alliance”.
Dans ce cadre, la fête automnale de
Soukkot, supplantée par la fête pascale
des prémices de printemps, est devenue le mémorial du Séjour au désert,
sans perdre pour autant son caractère
populaire ancestral ”.
Comment s’entonner
Est-ce alors que l’étrog, considéré
comme denrée royale à la cour perse,
est venu compléter l’indispensable
bouquet de l’ancien rite agreste, brandi
cette fois en l’honneur Yahvé, le dieu
national des Judéens ? L’hypothèse
est tentante. La mise en culture dans
les “vergers d’état” de Ramat Rahel de
cette denrée doublement précieuse,
soulignerait alors l’implication des élites
laïques juives dans la réforme et la proN° 201 / 43
å
ARCHÉOLOGIE
ET RECHERCHE
ÉGYPTe n n n
Israël TIMRAT
 deir suriani
Le sabbat, on ne passe pas !
Festins en l’honneur
d’une mystérieuse défunte
À Punta Secca, petite cité balnéaire du sud de la Sicile en Italie, les archéologues ont mis au jour les traces
d’un étrange rite funéraire : dans la cour d’une maison privée jeune femme enceinte. Qu’avait donc cette
femme de si spécial pour qu’on la vénère de la sorte, en dehors des normes de l’Église ? 300
D
Il faudra alors expliquer pourquoi
la sépulture de Kaukana se trouve dans
une maison privée ? Et qui est cette
défunte pour susciter une telle vénération, au mépris des normes ecclésiastiques ? La réponse, Roger Wilson,
pense l’avoir trouvée… dans la tombe.
L’anthropologue qui a examiné le
squelette de la jeune femme lui a diagnostiqué une malformation crânienne
d’origine congénitale – développement
excessif de l’os occipital, enfoncement
44 / LE MONDE DE LA BIBLE
Borne délimitant le territoire sabbatique de Timrat à 1500 mètres du centre antique.
Israël khirbet midras
Un mémorial pour Zacharie
En haut : Sarcophage maçonné
et enduit, dans lequel a été
trouvé le corps d’une jeune
femme enceinte décédée vers
625 ap. J.-C.
En bas : Vue générale de la
maison privée, vers le nord.
L’enclos aménagé dans la cour,
où se déroulaient festivités
funéras aménagé dans la cour,
où se déroulaient les
festivités ires, se trouve dans
l’angle sud-ouest.
© Davidson en Caroline du Nord
(USA) 400
osseux avec petite perforation centrale
– permettant de suspecter un cas d’hydrocéphalie doublée d’une petite hernie
cérébrale. Bref, la dame aurait souffert
de maux de tête et de syncopes à répétition. « Est-ce aller trop loin, écrit Roger
Wilson, que suggérer que les troubles
dont souffrait cette jeune femme aient
pu être pris pour des visitations divines ?
Si dans ses crises, elle sombrait dans
l’inconscience puis revenait à elle, son
entourage a pu interpréter cela comme
une résurrection et la tenir pour sainte,
tandis que le reste de la communauté
la tenait pour possédée ». Conscient
qu’il monte peut-être un roman à
partir d’une tête d’épingle, l’archéologue n’exclut pas d’autres scénarios :
« Les raisons de ces manifestations
paganisantes au sein de la communauté
chrétienne de Kaukana restent et resteront sans doute à jamais un mystère »,
conclut-il avec prudence. 2400
Estelle Villeneuve
© IAA
Comment s’entonner
© Ofer Hoffman
ans nos sociétés traditionnelles, habituées au
silence recueilli des cimetières, il ne viendrait à
l’idée de personne de festoyer sur la
tombe d’un défunt et encore moins
de le nourrir ! Cette étrange coutume,
héritée du paganisme, a pourtant
fait long feu en terre chrétienne. Un
bel exemple remontant au VIIe siècle
ap. J.-C. a été mis au jour dans une
fouille canadienne, menée entre 2008
et 2010 à Puntfesseur Roger Wilson de
l’université de Colombie britannique
(Vancouver) avait entrepris de fouiller
une maison villageoise dont le haut des
murs affleurait la surface. C’est dans la
partie ouest de la cour, délimitée par
une demi-cloison, qu’il a mbturé par
une pierre. orts des théologiens, ces
repas funéraires aux relents de pagamême ainsi, Kaukana sort encore de
l’ordinaire. Car, pour autant que l’archéologie ait pu l’observer, à Rome, en
Sicile et surtout en Afrique du Nord, les
refrigeria chrétiens se déroulaient
dans des lieux collectifs, cimetières ou
églises, et concernaient des personnalités reca communauté : saints, martyrs
ou membres éminents du clergé.
En juin 2011, à Timrat en Galilée, un promeneur apercevait au bord
du chemin des caractères inscrits dans la roche, qu’un rai de soleil oblique
mettait soudainement en lumière. C’était les trois lettres hébraïques
du mot « Sabbat », indiquant la limite que les juifs du village ne pouvaient
dépasser sans violer la Loi. Se fondant sur une prescription de la Torah
(Ex 16,29), interprétée dans la Mishna, les rabbins interdisaient en effet
de circuler au-delà d’un périmètre délimité par des frontières (erouvim)
symbolisées par une clôture ou des bornes. Pour l’archéologue Mordechai
Aviam (Kinneret College, Israel), cette marque au sol, gravée entre le IIe et
le VIe siècle ap. J.-C., est la première illustration archéologique incontestable
de cette pratique.
Elle authentifie
dans la foulée
d’autres inscriptions trouvées
précédemment
à Tell Gezer et
Usha dont la
formulation
plus ambiguë
(frontière) ou
abrégée (Sab)
pouvait porter
à discussion.
Au printemps 2011, suite à des pillages répétés, les archéologues de
l’Autorité des Antiquités d’Israël ont mis au jour une basilique byzantine
(Ve-VIIe siècles ap. J.-C.) à Khirbet Midras, un ancien village juif christianisé, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Jérusalem. Parée de
magnifiques tapis de mosaïques et de colonnes en marbre d’Asie Mineure,
cette église est aussi pourvue d’une crypte souterraine, dédiée au culte
d’un martyr. Les archéologues pensent que celui-ci n’était rien moins que
le prophète Zacharie, fils du grand-prêtre Yoyada, assassiné sur le parvis
du Temple sur ordre du roi Joas de Judée (835-801 av. J.-C.). La tradition
chrétienne a parfois
confondu celui-ci
avec Zacharie, le père
de Jean-Baptiste.
C’est en tout cas à
cet endroit que la
carte de Madaba,
mosaïque exécutée
au VIe siècle ap. J.-C.,
situe Bethzachar/to
tou Agiou Zachariou,
la « Maison de
Zacharie, celle de
saint Zacharie ».
turquie
Reliques
de saint Philippe
La tradition chrétienne situe la mort
de l’apôtre Philippe dans l’ancienne
Hiérapolis, actuelle Pamukkalle (sudouest de la Turquie). Après avoir fouillé
et restauré le mausolée qui lui est
consacré dans les hauteurs de la cité,
l’archéologue italien Francesco d’Andria pense y avoir localisé la sépulture
même de l’apôtre. Recèle-t-elle de
vraies ou fausses reliques ? Voilà qui
reste encore à éclaircir.
Israël
Un calendrier
à Qumrân
L’énigme d’un curieux texte araméen,
découvert à Qumrân dans les années
1950, a été percée par une doctorante
de l’université de Manchester, Helen
R. Jacobus. D’abord identifié comme
traité de zodiologie et de brontologie (comportement à avoir en cas de
coup de tonnerre), il s’agit d’un calendrier zodiacal luni-solaire de trois cent
soixante jours extrêmement sophistiqué, issu de l’astronomie mésopotamienne et hellénistique. À l’origine
du calendrier juif actuel, il est encore
opérationnel de nos jours.
grèce
De l’ougaritique
chez les Mycéniens
Dans un palais de Tyrinthe, cité mycénienne du Péloponnèse, a été trouvé un
fragment de manche en os d’hippopotame, sur lequel étaient gravés six caractères numériques cunéiformes. Surprise :
l’un était issu de l’alphabet d’Ougarit,
une écriture jusqu’ici inconnu en dehors
de sa cité natale, l’actuelle Ras Shamra
sur la côte syrienne. Il s’agirait d’un aidemémoire comptable, abandonné dans
un atelier du palais lors de l’incendie qui
ravagea celui-ci vers 1200 av. J.-C.
 l’actualité
de l’archéologie sur
blog.mondedelabible.com
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