Rencontre avec Antoine Volodine
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Rencontre avec Antoine Volodine
Rencontre avec Antoine Volodine Mercredi 28 0ctobre les élèves des classes de 1e S 2,4 et 5, accompagnés de leurs professeurs de littérature Maryse Fraysseix et Rita Husseini, ont rencontré Antoine Volodine pour un échange autour de son dernier roman Terminus Radieux. Dix huit élèves des trois classes ont lu d’abord des extraits qui traversent l’oeuvre gigantesque d’un bout à l’autre comme pour permettre à l’auditoire de plonger dans l’univers particulier de l’auteur et communiquer ainsi plus aisément avec lui. Comment avez-vous réussi à créer une 2e union soviétique à partir de la disparition de la première union soviétique? Dans le monde qui nous entoure, il y a les révolutions, les guerres civiles, les génocides, et d’autre part, mais ça m’intéresse beaucoup moins, il y a l’accélération technologique qui arrive à quelque chose de tout à fait inédit dans l’histoire. Moi, ce que j’essaye de faire, c’est de raconter des histoires, de créer des images, et de fabriquer avec tous ces éléments un monde particulier, dans lequel le lecteur peut entrer. Pour qu’ils entrent vraiment dans ce monde, lecteurs et lectrices doivent faire appel à leurs connaissances d’archives, à leurs connaissances historiques. Je pense que leur mémoire fonctionne alors immédiatement; quand on dit le mot guerre, chacun a aussitôt ses propres images, ses propres expériences. Chacun se retrouve dans quelque chose de concret qui n’est ni fantastique ni imaginaire; c’est la guerre telle qu’on l’a ressentie et telle qu’on l’a vécue. Quand je fabrique mes histoires, je puise dans ce contenu historique qui est celui du 20e siècle, qui est à la fois riche et tragique. Je le transforme, je le métamorphose avec les mêmes techniques de notre inconscient qui transforme la réalité au moment des rêves. Quand on rêve, et c’est la partie onirique de mon travail, on revoit la réalité, mais il y a le filtre de l’inconscient qui fait tout dériver, tout déplacer. Donc, quand je parle de la première union soviétique, celle que j’ai connue, cela devient la deuxième union soviétique, c’est à dire quelque chose de complètement fantasmagorique mais le rêve fonctionnne dans la fiction, dans les histoires et renvoie à quelque chose que tout le monde connaît. La connaissance que vous pouvez avoir de l’union soviétique qui a disparu bien avant votre naissance, c’est une connaissance encyclopédique, historique, mais c’est une expérience quand même que vous pouvez avoir. Dans le résultat final qu’est la fiction, dans ce bouillonnement littéraire qu’est le livre, j’introduis aussi des tas d’éléments dont on va parler qui sont liés à la magie, à l’immortalité, à une réflexion sur la vie après la mort, tout cela forme une sorte de pâte avec laquelle je peux modeler des histoires et des images. Peut-on dire de votre roman qu’il appartient au genre de la science-fiction? Absolument pas. La science fiction c’est une spéculation sur le futur, avec des informations scientifiques, précises. Je pense plutôt qu’il s’agit d’un roman onirique, un roman fantastique. Le fait que l’histoire que je raconte, que le passé historique qui se trouve nommé dans le livre n’existe pas, ne veut pas dire que ce soit une spéculation sur le futur. C’est un jeu sur la magie, sur les personnages, sur le caractère épique d’une histoire qu’on peut raconter mais définitivement pas de la science fiction. Je suis un peu sensible à cette idée de science fiction parce que lorsque j’ai commencé à écrire, j’ai mis longtemps à être publié et mon premier livre publié l’était dans une édition spécialisée dans le fantastique et la science fiction, “Présence du futur”. Pendant plusieurs années, j’écrivais des livres qui n’étaient lus que par des amateurs de science fiction. Ces collections étaient considérées comme étant de la souslittérature. Cela me dérangeait d’être ainsi étiqueté. Cela dit, j’aime beaucoup la science fiction et j’en ai beaucoup lu, cependant, cela ne me semble pas être la bonne étiquette. Par la suite, j’ai changé d’éditeur, je suis allé chez Minuit et en continuant d’écrire les mêmes livres, je me suis retrouvé sous l’étiquette d’auteur minimaliste, écrivain d’avant-garde qui ne me correspondait pas non plus! Je me suis alors inventé une étiquette, “le Post-Exotisme”. Un jour, un journaliste m’a demandé “où vous situez-vous littérairement?” je trouve que c’est une question un peu idiote parce que c’est au journaliste de situer l’auteur, c’est au critique de faire son travail. J’ai alors inventé sans y penser une étiquette; j’ai répondu sans réfléchir: “je me situe dans le fantastique anarco-post-exotique!” À partir de là, et pendant des années, je me suis occupé à remplir cette étiquette qui au départ ne voulait absolument rien dire, de la remplir avec mes livres; le postexotisme, c’est donc une manière de dire “mes livres”, et c’est moins prétentieux. Le post-exotisme a-t-il des caractéristiques particulières, si oui, lesquelles? Bien sûr, c’est tout un système qui n’était pas totalement prévu à l’avance, mais qui s’est construit à partir de mon détachement du classicisme contemporain de la littérature francaise dont je m’écartais complètement. La définition que je préfère parmi toutes celles que j’ai pu donner du post-exotisme, c’est “une littérature étrangère écrite en francais”. Littérature étrangère à la littérature française avec des caractéristiques qui se sont formées peu à peu, grâce à cet édifice de livres qui commençait à se fabriquer. Des personnages à l’intérieur des livres prenaient la parole, ils devenaient euxmêmes des auteurs et formaient la communauté d’auteurs de livres post-exotiques. Cette communauté avait plusieurs voix, toutes liées à un projet révolutionnaire, le refus de la réalité. Cette communauté littéraire, imaginaire se trouve dans une prison, et c’est à partir de cette prison, des échanges entre prisonniers et prisonnières, des récits, des récits de rêves, des cris, des poèmes, des vociférations, des lamentations que se forme la pâte littéraire à partir de laquelle sont écrits les livres. Parmi les personnages de cette communauté d’écrivains post-exotiques, peu à peu, des voix ont été assez fortes pour devenir des voix de personnages-auteurs publiés dans le monde littéraire francais officiel. C’est pourquoi le post-exotisme, cet édifice littéraire qui devrait comporter 49 titres, est composé de plusieurs signatures, dont Antoine Volodine, mais aussi, publiés chez des éditeurs centraux dans l’histoire littéraire française , Lutz Bassmann, Manuela Draeger et Elli Kronauer et d’autres qui ne sont pas publiés mais qui fabriquent totalement les voix de livres comme Vue sur l’ossuaire. Le post-exotisme est donc un projet à part composé non pas de mes livres mais de « nos livres » post-exotiques. Vous avez parlé du classicisme contemporain, qu’entendez-vous par là ? par classicisme, nous entendons généralement le XVIIe siècle. Pour moi aussi le classicisme c’est le XVIIe siècle, mais il y a une volonté de rupture complète avec le monde littéraire français, une volonté de ne pas participer au jeu littéraire contemporain. C’est l’affirmation d’une singularité. Les écrivains post-exotiques ne font pas partie de la littérature officielle. Ils n’ont pas d’ancrage dans la réalité. J’entendais par littérature classique, la littérature officielle. Pourquoi Vassilissa Marachvili a-t-elle un traitement de faveur ? Vassilissa Marachvili meurt totalement épuisée par les radiations dès le début du roman. Ensuite, elle est récupérée par Solovieï et Morgovian pour une tentative de résurrection qui ne réussit pas. Il ne me semble donc pas qu’elle a un traitement de faveur. Ceci dit, j’aime beaucoup Vassilissa Marachvili comme tous mes personnages. Que se passe-t-il en vous au moment où vous mettez le dernier point à votre roman ? Pendant les deux, trois ans où j’ai écrit ce livre, j’ai été au Levanidovo, j’ai été dans la forêt, j’ai accompagné jour après jour l’agonie de Kronauer, d’Iliouchenko, des soldats dans le train; j’ai accompagné le désastre qui est vécu par les filles de Solovieï, j’ai été complètement dans ces images. Quand on est bon lecteur cela se passe aussi ainsi, on entre dans le livre, on vit dans Terminus Radieux pendant quelques jours ou quelques semaines. Moi, j’ai vécu tout cela. Quand j’ai mis le point final, c’était la dix-septième version, le dix-septième voyage intégral à travers Terminus Radieux et cela laisse des traces très grandes. C’est en quelque sorte une expérience de vie, c’est ma vie ; une expérience très pénible d’ailleurs, douloureuse. Je ne parle pas du très grand plaisir de l’écriture mais ce plaisir est accompagné de la douleur des personnages, de leur essoufflement progressif, de leur peur et de leur désespoir que je partage totalement et je le vis comme eux, et donc cela laisse des traces. Vous parlez de personnages mi-morts, mi-vivants, mi-chiens, que veut dire chien et cela a-t-il un rapport avec les ennemis à tête de chien qui ont attaqué Irina Etchenguyen ? Il n’y a pas de relation avec les ennemis à tête de chien qui ont attaqué Irina Etchenguyen. Mi-chiens c’est une sorte d’énigme. Mes personnages souvent hésitent et ne savent pas s’ils sont vivants ou morts. Ils se posent la question. Le statut de vivant ou de mort n’a plus de signification ; il y a d’ailleurs plusieurs sortes de morts. Vassilissa Marachvili est par exemple totalement incapable de revenir à un état de semi-vie. Bargouzine l’ingénieur meurt régulièrement et doit être réveillé par la Mémé Oudgoul. Souvent dès la première page le personnage narrateur meurt. Ensuite, il continue à exister. Le décès est donc un petit événement dans l’existence ; après le décès, on continue comme avant ; c’est très optimiste comme manière de voir et cela est lié au Livre Tibétain des morts. Dans ce livre, on trouve des instructions aux morts. Après la mort, on parcourt un univers dans lequel ni haut ni bas, ni chaud ni froid, ni avant ni après, ni je ni tu. Les contraires s’abolissent. Pendant 49 jours de marche, le mort marche et soit s’illumine dans Bouddha, soit continue jusqu’à la renaissance, la réincarnation dans quelque chose de vivant. L’existence continue donc de mort en mort. Cette idée est très belle et déplace totalement les peurs ; elle apporte également une dimension magique: 49, c’est 7 fois 7. Les écrivains post-exotiques utilisent très fréquemment dans leurs écrits des multiples de sept. Cela renvoie à cette rêverie du Bardo. Dans Terminus Radieux, il y a par exemple 49 chapitres et 777 777 caractères. Antoine Volodine est-il votre propre nom ? Quand on est un écrivain, on a ce privilège comme les enfants de pouvoir changer de nom. Non, Antoine Volodine n’est pas mon véritable nom. Ce n’est pas à ce nom que je reçois mes factures d’électricité ou que je paye mes impôts. Ce qui compte, c’est la volonté littéraire d’exister comme un personnage. J’ai donc choisi Antoine Volodine qui renvoie à une partie de ma famille très liée à la Russie. Je suis moimême très proche de la Russie ; je parle russe, j’ai vécu en URSS dans les années 70. C’est donc un choix. Pourquoi l’Orbise n’a-t-elle pas une connotation russe ? Je ne sais pas ! L’Orbise, c’est le nom d’un ruisseau. C’est un nom qui me plaît aussi. Cela renvenrrait aussi à la Russie en changeant d’accent ! Comment expliquez-vous les nombreux néologismes et mots-valises ? Les noms d’herbes sont inventés mais peuvent renvoyer à des mots qui existent et qui sont évocateurs. Dans la nomenclature populaire pour les noms de fleurs et les herbes, on trouve souvent des exemples similaires. Je me souviens d’une fleur qui s’appelait « le désespoir du peintre », elle devait probablement être difficile à peindre ! Peut-on dire que les 49 chapitres du roman représentent les 49 jours d’errance après la mort ? Oui, cela est une interprétation intéressante. On peut considérer que les trois personnages au début du roman viennent de traverser une zone irradiée et sont déjà morts. Ils continuent cependant d’exister. La suite devient alors un déplacement dans le Bardo, dans ce monde de l’après décès dans lequel la durée n’existe plus. On est dans un temps qui peut être très court, ou infiniment long comme dans ce livre. Cela dit, on accompagne des personnages qui sont morts, mais il n’y a pas systématiquement l’idée de rythmer les 49 jours de cette marche. C’est surtout la structure de mon roman, cette marche dans la mort. Certains pensent que votre roman est un éloge du système soviétique, d’autres que c’est aussi une satire, qu’en est-il ? J’ai eu la chance de vivre en URSS dans les années 70 et cela n’était pas du tout épouvantable. Ce que je retiens, ça n’est pas l’aspect d’état déglingué où tout fonctionne difficilement, c’est au contraire quelque chose qui a disparu avec la disparition de l’URSS, à partir de 91, les relations humaines qui étaient tout à fait particulières, avec un sens poussé de la responsabilité, de la morale, du collectif, et ce qui anime encore Kronauer. Kronauer fait souvent référence à ce qu’il appelle la morale prolétarienne ; c’est ce qui reste de la morale soviétique, cette fraternité quoi qu’il arrive, cet esprit de sacrifice, d’héroïsme. La mémé Oudgoul est une héroïne de la seconde union soviétique. Elle s’est sacrifiée pour aller sur les chantiers irradiés, au péril de sa vie, en prenant le combustible à main nue. L’union soviétique telle que je l’ai connue était un pays tout à fait bizarre, tout à fait à part. Si j’ai une nostalgie de ce pays, c’est aussi la nostalgie de la jeunesse que j’y ai vécue, celle des amitiés des amours que j’y ai connus, ces relations humaines qu’on ne trouvait pas ailleurs, qu’on ne trouvait pas en occident. Il n’y a donc ni éloge ni critique profondes dans le chapitre « Éloge des camps ». Il y a des récits, des biographies de soldats, de prisonniers qui décrivent la seconde union soviétique et les horreurs y sont très proches de celles de l’union soviétique stalinienne. Il y a des camps, mais en même temps, ces soldats, ces prisonniers sont attachés à leur monde comme s’il n’y avait pas d’autre monde possible. C’est leur vie de mourir sur des chantiers, d’être condamnés à 30 ans de camps. C’est de l’humour noir caractéristique aussi du post-exotisme. Et cela consiste à voir les horreurs du monde et les subir avec une certaine tendresse parce qu’il n’y a rien d’autre. Quel rapprochement faites-vous entre le monde du roman et le nôtre ? Je pense que c’est à vous de le faire. Je donne un certain nombre d’informations qui renvoient au réel en permanence, à mon expérience en particulier, et puis à l’expérience des lecteurs qui est diverse et qui s’alimente de documents pour savoir ce qui s’est passé avant. Chaque lecteur ou lectrice doit établir un pont avec le réel. Ce pont, cette passerelle n’est pas toujours explicite ; mais, si le lecteur plonge dans le livre c’est parce qu’il voit des expériences similaires aux siennes. L’expression « fait théâtre » est très présente dans le roman, quelle est la place du théâtre dans votre roman ? C’est une très belle question sur le théâtre, parce qu’on peut lire ce livre aussi comme une succession de scènes de théâtre. Il y a des dialogues de théâtre, comme à la fin du roman. Le livre propose trois scènes principales : D’abord le Levinadovo, le village comme premier espace, la forêt comme seconde lieu et puis enfin la voie ferrée. Lorsque les prisonniers et les soldats à moitié morts, à moitié vivants racontent des histoires autour du feu, ce sont autant de scènes de théâtre. Par ailleurs, les moments de tension entre les personnages sont des moments théâtraux. L’interrogatoire entre la mémé Oudgoul et Kronauer est théâtral ; le réveil de Kronauer après la terrible nuit de Samiya Schmidt l’est également. Dans la dernière partie du livre Kronauer et Samiya Schmidt marchent dans la forêt à distance l’un de l’autre, sans se voir parfois pendant plusieurs années ; ils se serrent parfois l’un contre l’autre, s’assoient au pied d’un arbre et là, même sans dialogue, la situation est théâtrale. Est-ce qu’on peut considérer le post-exotisme comme un courant littéraire ? Oui, si on veut ; mais alors un mouvement littéraire avec des auteurs imaginaires, toujours les mêmes, mais nombreux certes. Ils ont une même idée et une grande cohérence dans leurs idées. Cela m’amuse beaucoup de voir des universitaires publier des thèses sur le post-exotisme. D’où vient le nom de Solovieï ? Le nom de Solovieï renvoie à une vieille légende épique russe, qui est celle du rossignol brigand. Dans la légende, il vit dans la forêt, il est mal décrit et on a beaucoup de mal à percevoir son physique. Dès qu’un voyageur s’approche, il le terrasse en sifflant. Dans le livre, Solovieï est lié à la forêt, c’est un magicien qui terrasse ceux qui s’approchent de lui en faisant des poèmes très bizarres qui mettent mal à l’aise ceux qui les écoutent. Son sifflement, ce sont ses poèmes.