Un conte de désillusion —une étude sur « Candide, ou l`optimisme
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Un conte de désillusion —une étude sur « Candide, ou l`optimisme
Un conte de désillusion —une étude sur « Candide, ou l’optimisme » de Voltaire Mémoire présenté par HE Canxin pour l’obtention du master sous la direction de M. le professeurWANG Huide Département de français Université des Etudes Internationales de Shanghai Mai 2009 Remerciement Je tiens à adresser ici ma reconnaissance à Monsieur le professeur WANG Huide, qui a dirigé ce mémoire avec beaucoup de patience et de rigueur. J'aimerais aussi exprimer ma gratitude à tous les professeurs qui m'ont aidée pendant ces deux ans d'études de master et à mes parents, ma soeur et mes amis qui m'ont toujours accordé leur soutien précieux tout au long de la rédaction de ce mémoire. L'aide que Monsieur Olivier David m'a apportée est également très importante. En même temps, je voudrais aussi remercier les membres du jury ici présents qui ont lu avec patience mon travail, et les camarades du département qui assistent à cette soutenance. C'est grâce à vous tous que je peux aujourd'hui présenter ce travail de diplôme. 2 中文摘要 伏尔泰(1694-1778)是享誉全球的作家、哲学家,才思敏捷,著述丰富。 是十八世纪法国启蒙运动的旗手,被誉为“法兰西思想之王”,“欧洲的良心”。 《老 实人或乐观主义》是其最优秀的文学作品之一。任何优秀的作品都是一个时代孕 育出来的, 《老实人或乐观主义》也不例外。它本是伏尔泰给卢梭《致伏尔泰— —关于天意》的回信,带有显著的论战色彩。书中作者强烈批判了莱布尼兹的乐 观主义哲学。 本文从三个方面分析研究了这部著作。 首先,本文介绍了书中主要人物和故事梗概,并分析了森特一登·脱龙克城 堡、黄金国以及君士坦丁堡的田地三个地点在盲目乐观的主人公老实人走向思想 成熟的过程中的象征性意义。老实人的思想成熟过程是他放弃莱布尼兹的乐观主 义,拒绝成为悲观主义者,并选择一种折中实际的生活态度的过程。伏尔泰通过 在老实人的旅途安排大量的天灾人祸使他不再盲目乐观,但并没有让主人公走向 悲观主义,因为乐观主义和悲观主义在某种程度上是一致的,两者都是一种极端 的态度,都拒绝正视现实,改善现状。只有保持中庸客观的态度才能解决问题。 其次,本文分析介绍了卢梭和伏尔泰之间论战的缘起和内容。在 1755 的里 斯本大地震中,该市居民死伤无数,城市遭到严重破坏。伏尔泰深受感触,写了 《里斯本的灾难》,批判了莱布尼茨乐观主义理论,并指出了其内在矛盾:即解 决上帝的仁慈与不幸的广泛性存在之间的矛盾。而卢梭则深信上帝的仁慈与智 慧,他写信给伏尔泰反驳其在《里斯本的灾难》中的观点。伏尔泰写了《老实人 或乐观主义》予以回复,一场论战由此展开。 最后,伏尔泰撰写该书的过程,也是揭露,批判十八世纪欧洲社会问题的过 程。 本文结合伏尔泰《哲学词典》中的相关词条,着重对战争、宗教狂热、神 职人员的堕落、殖民扩张、黑奴、金钱崇拜等问题进行了分析。同时,本文也简 要介绍了伏尔泰个人生活中的一些磨难。在一定程度上,伏尔泰在该书中也表达 了其对世界和人生的幻灭。 3 Résumé « Candide, ou l’optimisme » de Voltaire nous présente le voyage de Candide qui croit de tout son cœur en l’optimisme aveugle. Durant cette aventure, Candide est témoin des malheurs divers qui se succèdent l’un après l’autre. Après avoir vécu une série de misères, Candide renonce graduellement à l’optimisme leibnizien, mais, sans se jeter aveuglément dans le bras du pessimisme. Il atteigne petit à petit son mûrissage psychologique symbolisé par l’adoption d’une attitude pragmatique envers le monde. Pour terminer ses pérégrinations, Candide s’installe dans une petite métairie où s’organise autour de lui une petite société composée de quelques personnes de son ancien château et de nouveaux amis rencontrés au cours de son voyage. Cette communauté en miniature exclue les discussions métaphysiques pour adopter un comportement pratique envers la vie. Touché par le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, Voltaire écrit « Le poème sur le désastre de Lisbonne » qui critique l’optimisme leibnizien en dévoilant sa contradiction intérieure—celle entre la bonté divine et l’existence générale du malheur. Le providentialiste Jean-Jacques Rousseau qui croit de toute son âme en la sagesse et la gentillesse divines se dresse contre lui en écrivant « La lettre à Voltaire sur la Providence » dont « Candide ou l’optimisme » est la réponse. Dans ce conte, Voltaire ne décrédite pas l’optimisme en louant le pessimisme. Au contraire, pour lui, l’optimiste et le pessimiste refusent tous les deux de faire face à la vie réelle et d’essayer d’améliorer la situation présente. Seule une attitude pratique envers la vie peut remédier à l’optimisme et le pessimisme aveugles qui sont deux tendances extrêmes. En combattant l’optimisme leibnizien, Voltaire démasque une série de maux sociaux tels que la guerre, le fanatisme religieux, la colonisation, l’esclavage, l’enthousiasme excessif envers l’argent. Cet entassement des maux divers est du aussi aux malheurs personnels de Voltaire. En quelque sorte, l’auteur exprime dans ce conte son désenchantement envers le monde et la vie. 4 Table des matières Introduction............................................................................................................7 Chapitre 1 Le désillusionnement du héros de « Candide, ou l’optimisme » .........9 1.1 Les rôles des personnages principaux dans le conte................................9 1.2 Le déroulement de l’histoire du conte ...................................................12 1.3 Trois étapes pour la désillusion de Candide...........................................15 1.3.1 Le Château de Thunder-ten-Tronckh ..........................................15 1.3.2 L’Eldorado ..................................................................................16 1.3.3 La métairie ..................................................................................20 1.3.4 La maturation intellectuelle du héros du conte ...........................22 Chapitre 2 Un conte philosophique et polémique................................................24 2.1 Un conte philosophique .........................................................................24 2.2 Un conte polémique ...............................................................................25 2.2.1 L’optimisme de Leibniz au 18e siècle .........................................25 2.2.2 Un poème et une lettre ................................................................27 2.2.2.1 Le tremblement de terre de Lisbonne ..............................27 2.2.2.2 La lettre sur la Providence ...............................................32 2.2.3 « Candide, ou l’optimisme » est-il une réplique contre la lettre de Jean-Jacques Rousseau ?..............................................................................35 Chapitre 3 La désillusion historique et personnelle de Voltaire ........................37 3.1 La désillusion historique de Voltaire....................................................37 3.1.1 La guerre .....................................................................................38 3.1.2 La religion...................................................................................41 3.1.2.1 La religion naturelle et celle artificielle ...........................42 3.1.2.2 Le fanatisme religieux......................................................43 3.1.2.3 La dégradation des personnels ecclésiastiques ................45 3.1.2.4 La colonisation.................................................................46 3.1.3 L’esclavage..................................................................................47 5 3.1.4 La passion excessive envers l’argent ..........................................49 3.2 La désillusion personnelle de Voltaire ...................................................52 Conclusion ...........................................................................................................56 Bibliographie........................................................................................................58 6 Introduction François Marie Arouet, dit Voltaire (Paris, 1694-id.1778), est un écrivain français illustre issu de la bourgeoisie parisienne, qui occupe une place indéniable dans la mémoire collective des Français. Considéré comme « le père de la pensée française », il a attaqué sans relâche les institutions politiques et sociales du 18e siècle avec un langage piquant et ironique. Puisque ses critiques et ses impertinences lui ont valu le mécontentement de ceux qui étaient en droit, il a dû quitter Paris pour passer sa vie en déplacement. Pourtant, il a bien profité de ses voyages pour en faire sortir des sujets d’écriture. Voltaire est un écrivain extrêmement fécond, un homme qui touche à tout, la littérature, la philosophie, l’histoire, même la science naturelle. Parmi ses ouvrages, ce sont ceux qui illustrent bien sa philosophie qui restent les plus vivants, par exemple, « Lettres philosophiques » (1734), « Dictionnaires philosophiques » (1764), et ses trois contes philosophiques : « Zadig » (1747), « Candide, ou l’optimisme »(1759), « L’ingénu »(1767). « Candide, ou l’optimisme » qui reprend la thèse pessimiste de « Le poème sur le désastre de Lisbonne » (1756) est son œuvre la plus brillante. Cet ouvrage attire bon nombre de critiques. Les uns le considèrent comme une oeuvre gaie, un livre d’amusement qui se caractérise par l’art de moquerie, les autres le prennent pour un conte soigneux basé sur de sérieuses réflexions. Nous avons de la peine à rire en lisant les malheurs qui se succèdent l’un après l’autre dans l’aventure de notre héros Candide. Ainsi, nous le tenons également pour une oeuvre sérieuse qui dévoile le décor social et les expériences de l’auteur. Alors, quels sont les éléments permettant à ce conte de briller durant des siècles ? Quelle est la relation entre « Candide, ou l’optimisme » et « Le poème sur le désastre de Lisbonne » ? Quelle est l’illusion de l’optimiste leibnizien 1 sur le monde ? 1 Gottfried Wilhelm von Leibniz (Leipzig, 1er juillet 1646 - Hanovre, 14 novembre 1716) est un philosophe, scientifique, mathématicien, diplomate, bibliothécaire et homme de loi allemand qui a écrit en latin, français et allemand. (Wikipédia) 7 Comment le héros du conte renonce graduellement à l’optimisme leibnizien ? Quels sont les maux sociaux dévoilés par Voltaire ? Quelles sont les expériences personnelles qui ont favorisé la rédaction de ce livre ? Comment voltaire dissipe-t-il la contradiction entre l’optimisme et le pessimisme ? Quelle est l’attitude voltairienne envers la vie ? Toutes ces questions méritent nos réflexions. Dans ce mémoire, nous allons essayer de leur répondre. Premièrement, nous étudierons la structure d’argumentation et le développement intellectuel de Candide en analysant les personnages principaux et le déroulement de l’histoire du conte. Le mûrissage intellectuel de notre héros se réalise graduellement au cours de son aventure dont trois points sont critiques : le Château de Thunder-ten-Tronckh, l’Eldorado et la métairie. Deuxièmement, nous disséquerons pourquoi « Candide, ou l’optimisme » est-il un conte philosophique et polémique. L’influence du tremblement de terre en 1755 à Lisbonne et celle de « La lettre à Voltaire sur la Providence » de Jean-Jacques Rousseau sur la rédaction de ce conte seront spécialement soulignées. Troisièmement, nous aborderons le contexte historique et les malheurs personnels de Voltaire qui ont nourri la rédaction de ce conte. A propos des maux dévoilés par Voltaire, les thèmes tels que la guerre, la religion, l’esclavage, la passion excessive envers l’argent seront respectivement étudiés. 8 Chapitre 1 Le désillusionnement du héros de « Candide, ou l’optimisme » « Candide, ou l’optimisme » nous présente comment Candide, c’est-à-dire le héros, passe d’un optimiste naïf à un pragmatiste déçu. Dans ce chapitre, nous analyserons concrètement ce changement intrinsèque en disséquant les caractéristiques des personnages principaux, en racontant le déroulement de l’histoire, et en dévoilant les trois points capitaux dans la maturation intellectuelle de Candide. 1.1 Les rôles des personnages principaux dans le conte Les personnages dans le conte sont réduits à un symbole ou à un outil d’argumentation. Par exemple, Pangloss représente l’optimisme alors que Martin signifie le pessimisme. L’auteur ne met pas beaucoup d’accent sur la description psychologique et physionomique. Présentons-les respectivement: D’une part, ce sont les personnages masculins. Candide : notre premier héros principal. Ce jeune garçon est élevé dans le château de son oncle, le baron de Thunder-ten-tronckh, en Westphalie. Sous l’influence de son précepteur nommé Pangloss, il croit que « tout est bien » dans le monde, et que tout est arrangé pour le mieux par le Dieu. Le mot « Candide » qui signifie, selon Larousse Multidico, une grande ingénuité qui va jusqu’à la crédulité, interprète déjà bien le caractère de ce personnage. Puisque Candide est le fils naturel de la soeur du baron avec son voisin moins noble qu’elle, il n’a pas le droit d’aimer la fille du baron. Cependant, ils se tombent amoureux et Candide est chassé du château pour avoir l’aimée. Pur, transparent, confiant, il s’expose facilement aux vices humains comme la malhonnêteté, l’escroquerie. Autrement dit, sa caractéristique permet à Voltaire de révéler davantage les maux de la nature humaine et de la société. N’étant jamais sorti du château clos du Baron, il s’attache aveuglément et obstinément à l’optimisme que professe Pangloss. Au fur et à mesure qu’il vit les malheurs du monde, notre héros abandonne petit à petit cet optimisme, pour mûrir graduellement. 9 Pangloss : le propagandiste de l’optimisme leibnizien, le professeur de Candide, qui fait croire à son élève que le monde est arrangé pour le mieux. Il « voit le monde régis par la Providence enchaînant les causes et les effets pour le plus grand bien général 2 ». A la fin du conte, après avoir souffert de bon nombre de malheurs, cet opiniâtre prétend quand même que l’optimisme est de son premier sentiment, dans le but de garder la fierté du philosophe. Mais sa vanité de Pangloss ne dissimule pas son ébranlement. Martin : il est un pessimiste. Selon Candide, il est l’homme « le plus dégoûté de son état et le plus malheureux de la province 3 ». Aux yeux de notre héros endoctriné par l’optimisme, ce manichéen qui a vécu une série de malheurs, peut bien l’accompagner tout au long de son voyage. En fait, ses discussions avec ce pessimiste favorisent largement sa maturation intellectuelle. Le fils du Baron : un jésuite entiché de sa noblesse, il est le seul personnage du conte qui n’a même pas de nom. Il s’oppose perpétuellement au mariage entre Candide et sa soeur, et reste entêté du début jusqu’à la fin. Cet homme est enfin exclu de la petite société de Candide, qui est fondée sur la fonction économique et sociale mais non sur la naissance. Ce sont son refus d’évoluer, son incapacité de s’adapter au nouvel ordre qui lui ont valu ce résultat. Il est le représentant du vieux monde 4 . Jacques l’anabaptiste : il est le symbole de la gentillesse, de la générosité et du désintéressement. Avec ce personnage, Voltaire veut dénoncer l’injustice de la Providence pour rétorquer la doctrine optimiste selon la quelle la cause et l’effet sont enchaînés pour le grand bien général. Jacques est mort au cours de son voyage pour Lisbonne, parce qu’il a voulu sauver une canaille. A la mort de ce bon homme succède un naufrage qui, à son tour, est poursuivi par un tremblement de terre désastreux à Lisbonne. Il est à souligner que la canaille sauvée par Jacques est l’un des trois survivants de ce naufrage. A part ces personnages cités au-dessus, il faut encore mentionner deux hommes 2 Nadine Toursel Lavialle, Lecture de Candide de Voltaire, Thème : l’optimisme. P31 3 Voltaire, Candide, Zadig et autres contes, P98. 4 Nadine Toursel Lavialle, Lecture de Candide de Voltaire, Thème : l’optimisme. P31 10 importants que rencontre Candide à Constantinople, ce sont ses deux voisins, le derviche qui se caractérise par le refus aux vaines discussions métaphysiques et le bon vieillard qui se distingue par sa vie épicurienne et son attitude réaliste envers la vie. Sans doute, ces deux rencontres ont favorisé largement la formation de l’attitude pragmatique de Candide. D’autre part, ce sont les personnages féminins. Les trois personnages féminins principaux sont Cunégonde, la vieille et Paquette, elles subissent toutes une existence misérable, analysons-les brièvement : Cunégonde, elle est la fille du baron, la cousine de Candide, qui a survécu au désastre de famille. Elle est tellement belle et charmante que Candide tombe amoureux d’elle. Néanmoins, aussitôt que Candide la trouve vieillie et enlaidie, il ne la veut plus. Le garçon n’est attiré que par sa beauté. Personne ne fait attention à sa personnalité. Sa seule valeur d’existence est de servir à notre héros de force motrice dans son voyage et de concourir au déroulement de l’histoire. Elle pousse Candide à quitter l’Eldorado et influence son itinéraire. La vielle, elle est l’amie de Cunégonde. Elle était une fille noble (la fille du pape Urbain X et la princesse Palestine), a été réduite successivement à la prostitution et à la servitude. Après avoir connu énormément de malheurs, elle aide beaucoup Candide et Cunégonde dans leur voyage, en leur offrant d’excellents conseils. Cette femme se montre réticente devant l’optimisme leibnizien. Paquette, elle est la servante du château de Thunder-ten-tronckh. Elle survit aussi au désastre de la famille du baron. Candide la retrouve durant son voyage. En tant que femmes, elles sont toutes destinées à servir des « objets vendus et achetés selon le bon plaisir des hommes 5 ». Une fois dévaluées par le vieillissement, elles ne peuvent devenir que des esclaves. Ni la vieille, ni Cunégonde ne peuvent échapper à ce destin. Tout au long du conte, nous ne les voyons presque jamais penser et réfléchir. Sous la plume de Voltaire, incarnant simplement l’impuissance et le malheur, elles ne mènent pas du tout une vie romanesque comme le font les héroïnes des romans 5 Nadine Toursel Lavialle, Lecture de Candide de Voltaire, Thème : l’optimisme P30 11 d’amour. La situation défavorable des femmes tire son origine d’une part du sexe, d’autre part, des malheurs du monde auxquels tant l’homme que la femme n’arrivent pas à s’échapper. Naturellement, la schématisation des personnages féminins dépend du genre littéraire de cette oeuvre, c’est le conte philosophique. Tant les personnages masculins que ceux féminins sont tous réduits à un outil, et destinés à assumer une fonction ou à incarner une simple qualité d’esprit comme l’optimisme et le pessimisme. Voltaire ne leur fait pas montrer la complexité psychologique de l’homme. 1.2 Le déroulement de l’histoire du conte Après avoir connu les personnages principaux, nous passons au déroulement de l’histoire. Le jeune Candide, dont le nom signifie en même temps la naïveté et la crédulité, qui se marque d’une physionomie annonçant ses douces moeurs, est élevé en Westphalie, dans le château de son oncle, monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh. Pour Candide, ce château est un paradis terrestre, parce que son propriétaire est l’un des plus puissants seigneurs de la région et y habite sa cousine Cunégonde d’une grande beauté. A ces deux avantages s’ajoute encore un troisième atout, c’est que le plus grand philosophe Pangloss y enseigne la méthaphysico-théologo-cosmolo-nigologie 6 , et fait croire aux jeunes que tout est au mieux dans ce monde. Pourtant, un jour, Candide est chassé de ce château pour avoir aimé Cunégonde, il part ainsi pour son long voyage qui lui fera connaître le monde réel. Sorti de ce jardin d’Eden, en souffrant de la faim et du froid, il est enrôlé de force dans l’armée Bulgare où il reçoit quatre mille coups de bâton pour vouloir faire une promenade en plein soleil. A peine fuit-il cet enfer, il assiste aux massacres et à la cruauté de la guerre. Candide s’enfuit alors jusqu’en Hollande où il découvre pour la première fois dans sa vie 6 Voltaire utilise ce terme pour créer un effet ironique. Nigologie est un mot qu’invente Voltaire pour désigner la science de la bêtise : http://markkusherz.wordpress.com/2006/08/08/quest-ce-que-la-nigologie/ 12 l’intolérance et l’hypocrisie religieuses. Il y croise son bienfaiteur, l’anabaptiste Jacques et son ancien maître Pangloss déjà abîmé par la vérole. Il lui apprend la catastrophe qui a ravagé le château de Thunder-ten-tronckh ainsi que la mort du baron, de la baronne, de leur fils et celle de Cunégonde. Jacques, Pangloss et Candide partent en bateau pour Lisbonne et essuient une tempête. Tous les voyageurs sur le bateau périssent, sauf Candide, Pangloss et un matelot. A peine sont-ils à Lisbonne, un épouvantable tremblement de terre se produit et ravage cette ville. En vue d’éviter de semblables catastrophes, les sages du pays organisent un bel autodafé au cours duquel Pangloss et Candide sont arrêtés par l’Inquisition, Pangloss pour avoir parlé et Candide pour avoir écouté Pangloss d’un air d’approbation. Enfin, Pangloss est pendu en public et Candide battu misérablement. Tout sanglant, Candide reste seul de nouveau. Il est conduit par une vieille femme à un château où il retrouve sa Cunégonde qui, après avoir survécu à la tragédie de sa famille, est devenue une fille de joie. Achetée et vendue, rachetée et revendue, elle est pour le moment partagée entre un Juif et un inquisiteur. Candide, si doux d’habitude, tue ces deux amants l’un après l’autre d’un coup d’épée. Après cet accident, Candide, avec Cunégonde et la vieille est obligé de s’enfuir, en passant par Cadix, jusqu’à Buenos Airs où Candide, poursuivi par l'Inquisition, doit se séparer à nouveau de son amoureuse et de la vieille femme. Maintenant, Candide est accompagné de Cacambo, amené de Cadix. Après Buenos Airs, il va avec ce nouveau serviteur au Paraguay où ils sont reçus chez les Jésuites. C'est là qu’il rencontre le fils du baron qui a échappé aussi à la misère de sa famille. Notre héros le tue aussi, parce qu’il ne le permet pas d’épouser Candide. Ce meurtre le contraint de nouveau à prendre la fuite. Passant par l’univers des sauvages nommés Oreillons qui sont hostiles aux Jésuites, les deux hommes tombent sur un jardin d’Eden, le royaume de l’Eldorado où tout est bien et que les habitants vivent heureusement et paisiblement. Après avoir séjourné pendant une dizaine de jours dans cette terre de joie, ils le quittent avec cent moutons chargés de nourriture, de diamants, dans l’espoir de retrouver Cunégonde et de se faire valoir par leur richesse et leurs expériences. 13 Candide et Cacambo quittent l’Eldorado. Durant le long voyage, ils perdent la plupart des moutons. Quand ils sont arrivés au Surinam, il ne leur reste plus que deux moutons. Dans cette ville, Candide envoie Cacambo racheter Cunégonde qui, selon ce qu’on dit, est la favorite du gouverneur de Buenos Aires. Cacambo est parti à la recherche de Cunégonde. Après que ses deux derniers moutons sont volés par un marchand, Candide trouve un nouveau serviteur, c’est Martin, le propagateur du pessimisme, avec qui il va beaucoup philosopher dans le reste de son voyage. Accompagné de Martin, Candide visite Paris. Contre toute attente, il est déçu par cette ville, parce que les habitants sont hypocrites et rusés. En passant par les côtes d’Angleterre, avec Martin, Candide arrive à Venise pour attendre Cacambo. Il y retrouve Paquette réduite à la prostitution, accompagnée de son amant, le frère Giroflé, un théatin malheureux. Dans cette ville, le garçon visite encore le seigneur Pococuranté, un noble vénitien qui jouit d’une grande richesse mais ne s’intéresse à rien. Il y soupe aussi avec six pauvres rois détrônés qui viennent à Venise pour passer le carnaval. Enfin, il y retrouve Cacambo qui est devenu le serveur de l’un des ces rois. Mais il apprend que Cunégonde est pour le moment une esclave à Constantinople. Candide rachète Cacambo. Il s’embarque sur-le-champ avec lui et Martin pour Constantinople. Sur la galère, il rencontre et rachète Pangloss et le fils du Baron qui vivent encore dans ce monde. Même s’il a essuyé tant de malheurs, Pangloss prétend être toujours fidèle à son optimisme. Bien qu’il voie le changement de son propre statut et celui de Candide, le fils du Baron ne permet obstinément pas à sa sœur d’épouser Candide. Cet entêté est enfin chassé de la petite commune de Candide. Cunégonde est retrouvée, mais enlaidie. La richesse remportée de l’Eldorado est perdue ou usée, Candide ne peut vivre que d’une modeste métairie. Autour de lui s’organise une petite société composée de Pangloss, Martin, Cunégonde, la vieille, Paquette et son copain. Ils se passent de la métaphysique, des discussions vides pour se mettre à travailler en vue d’une vie meilleure. 14 1.3 Trois étapes pour la désillusion de Candide Après avoir raconté brièvement le déroulement de l’histoire, nous décomposons le développement intellectuel de notre héros. Au long de son grand voyage, Candide arrive graduellement à une maturité intellectuelle marquée d’un côté par le renoncement à l’optimisme aveugle de Pangloss (par une désillusion, dans une certaine mesure), et d’un autre côté par la formation de sa propre philosophie (le pragmatisme). Cette évolution ne se réalise pas d’un seul coup, au contraire, son long voyage d’apprentissage est marqué par trois étapes très importants : le château Thunder-ten-Tronckh, l’Eldorado, et la métairie. 1.3.1 Le Château de Thunder-ten-Tronckh Le château de Thunder-ten-Tronckh est l’endroit où Candide est élevé, c’est aussi le point de départ pour son long voyage. Entrons-y pour voir les caractéristiques saillantes de ce petit univers. D’une part, nous disséquons l’état social de ce château. Ce castel représente le vieux monde caractérisé par une hiérarchie rigide. Là, le statut social est décidé par la naissance. En tant que fils naturel de la soeur du baron, une mère qui refuse d’épouser le père de l’enfant, parce qu’il est moins noble qu’elle, Candide doit vivre en marge de cette petite société. Il est chassé plus tard du château sans merci, pour avoir aimé sa cousine Cunégonde. D’autre part, nous analysons les connaissances dont on jouit au château. Le philosophe Pangloss, l’oracle de la maison, y enseigne la métaphysico-théologo-cosmologo-nigologie et y propage sa théorie d’optimisme. Il s’agit d’une chaîne de raison /effet illogique dont il déduit que « les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter les lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et 15 nous avons des chausses... 7 ». Dans ce petit univers fermé, les habitants peu perspicaces raisonnent aussi en vertu de la doctrine de Pangloss. « M. le Baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. 8 » La baronne est respectée pour être extrêmement grosse. « Dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles 9 . » Cela va de soi que tout le bonheur, tous les avantages qu’on peut avoir au château sont basés sur de faux raisonnements et des illusions. Le talent d’ironie de Voltaire brille dès le premier chapitre. Catéchisé, Candide considère Pangloss comme « le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre 10 . » De plus, il pense et agit dans la lumière de cette théorie d’optimisme. Ce château est donc pour lui un paradis terrestre qui abrite à la fois le meilleur baron, la meilleure baronne, le plus intelligent philosophe et surtout Cunégonde dont la beauté a largement contribué à l’idéalisation au château. Avant sa visite inattendue au pays de l’Eldorado, cette petite gentilhommière sert à Candide de norme de jugement et de critique. 1.3.2 L’Eldorado La situation du Château de Thunder-ten-Tronckh est déjà analysée, nous passons à celle de l’Eldorado. D’un côté, la visite de Candide à l’Eldorado est un tournant critique dans son voyage. D’autre côté, par rapport à l’image du château Thunder-ten-Tronckh, celle de l’Eldorado est d’une complexité. Pour ses deux raisons, nous analyserons ce pays de bonheur d’une façon plus détaillée. Au beau milieu du livre, c’est-à-dire aux chapitres 17 et 18 du conte. L’auteur laisse Candide visiter un paradis proprement dit dans le but de changer les critères de jugement de notre héros, et d’accélérer son développement intellectuel. 7 Voltaire, Candide, Zadig et autres contes, P8. 8 . Idem. P7. 9 Idem.P8. 10 Idem.P9. 16