Référendum sur l`indépendance de l`Écosse : le casse
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Référendum sur l`indépendance de l`Écosse : le casse
CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 1 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour Samy Ahmar* *Secrétaire de la section de Londres du Parti socialiste L e 18 septembre 2014, les Écossais seront appelés aux urnes dans le cadre d’un référendum historique. La question sur laquelle les électeurs seront appelés à se prononcer, à la demande des gouvernements écossais et britannique et après de longues négociations sur la date du scrutin, la formulation de la question et les modalités de vote, sera la suivante : « L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? ». Si le « non » l’emporte, l’Écosse demeurera une nation du Royaume-Uni, tout en conservant un statut d’autonomie acquis en 1997 et qui confère au parlement écossais ainsi qu’au gouvernement qui en émane des prérogatives importantes dans les domaines de l’éducation, la santé, la sécurité ou encore la fiscalité. Si le « oui » l’emporte, en revanche, ce vote signera la fin d’une union vieille de plus de trois siècles, et entraînera un profond bouleversement du jeu politique en Grande-Bretagne pour les décennies à venir. SNP contre le reste du monde À un an des élections parlementaires britanniques, la question écossaise est un des rares sujets, pour ne pas dire le seul, qui unit les trois grands partis de gouvernement du Royaume-Uni : les conservateurs, les travaillistes et les libéraux-démocrates sont tous résolument du côté de l’union. La bataille pour l’indépendance de l’Écosse a un nom : le Scottish National Party (SNP), et son charismatique leader Alex Salmond. AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles. www.jean-jaures.org CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 2 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour Si le parti indépendantiste a été fondé en 1934, ce n’est qu’à l’avènement du parlement écossais, créé en 1999 suite à un referendum organisé par le gouvernement de Tony Blair en 1997 sur un projet d’autonomie renforcée pour l’Écosse, que le SNP s’établit comme une véritable force politique. Après deux législatures consécutives dans l’opposition durant lesquelles il obtient le deuxième groupe parlementaire à Edimbourg après le parti travailliste, il accède au pouvoir en 2007 sous la férule de son chef Alex Salmond et forme un gouvernement de minorité. En 2011, il confirme son emprise sur le jeu politique écossais et remporte une nouvelle élection, lui permettant cette fois de former un gouvernement de majorité, actuellement au pouvoir. De tendance modérée et globalement de centre-gauche, le SNP diffère de bon nombre de partis régionaux séparatistes européens dont les velléités indépendantistes se basent sur une doctrine de droite, souvent populiste, parfois eurosceptique, fréquemment identitaire et xénophobe. Un attachement viscéral à l’Europe, une politique migratoire très progressiste et un engagement fort pour la gratuité de l’université et la réduction des inégalités ont permis au SNP de rassembler un électorat large et hétéroclite et de récupérer une grande partie de la base électorale travailliste depuis une quinzaine d’années. C’est en partie sur la volonté d’intégrer l’Écosse à un « arc de prospérité » allant de l’Irlande à la Norvège en passant par l’Islande et le Danemark, constitué de pays que le leader séparatiste juge similaires au sien sur le plan démographique, géographique, économique et sociétal qu’Alex Salmond base sa victoire en 2007. La déroute économique de deux de ces pays, l’Irlande et l’Islande, à la suite de la crise financière, a mis à mal cet argument mais n’a cependant pas enrayé la progression du SNP et de son projet phare : l’indépendance écossaise. Une campagne où se mêlent passion et rationalité La campagne oppose depuis de longs mois le SNP, premier partisan du « oui », à une campagne multipartite du nom de « Better together » (« Mieux ensemble »), formée en juin 2012 et dont la figure de proue n’est autre qu’Alastair Darling, député travailliste pour Edimbourg, et ancien Chancelier de l’Échiquier de Gordon Brown. L’argument d’une identité écossaise distincte de celle du reste des îles britanniques jouera incontestablement un rôle dans l’issue de ce scrutin, si l’on en croit les sondages et études publiés depuis plusieurs années. Le fait qu’un pays très largement progressiste et de gauche soit gouverné par une majorité conservatrice à Westminster ne plaît guère non plus. Les parties prenantes ont toutefois rapidement compris que la campagne www.jean-jaures.org CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 3 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour se jouerait aussi, et surtout, sur des sujets très concrets, et que leur victoire nécessiterait de convaincre l’électorat écossais des bénéfices de l’indépendance, pour les partisans du « oui », et de l’union pour les partisans du « non ». Trois grands sujets ont cristallisé ce débat : l’économie, la monnaie et l’Europe. La question économique divise, et c’est à coups d’études et de rapports interposés que les partisans du « oui » et du « non » s’affrontent depuis plusieurs mois. Selon les dernières estimations du SNP, dévoilées par Alex Salmond en mai dernier à la suite de la publication très médiatisée d’un rapport commandé par le parti séparatiste1, les Écossais seront plus riches de 1 000 livres sterling par personne et par an dans une Écosse indépendante. Ce scénario fait état de prévisions optimistes : si la hausse de la productivité envisagée est cohérente avec la tendance à la hausse de la dernière décennie, la croissance de la population escomptée ne semble pas réaliste au vu de la démographie atone du pays, et l’augmentation du taux d’emploi prévue par le rapport ne semble pas, elle non plus, de nature à convaincre. Le scénario table aussi sur un contrôle accru des réserves de pétrole et de gaz de la mer du Nord par le gouvernement écossais. Or l’incertitude règne sur ce sujet : d’abord parce que la répartition de ces réserves entres les deux futurs pays devra faire l’objet de négociations ; puis parce que l’exploitation de ces réserves, et donc la capacité d’un gouvernement écossais à en tirer des ressources fiscales, est en forte diminution depuis plusieurs années. Un argument que les partisans du « non » ne manquent pas de souligner, à l’image de Danny Alexander, ministre délégué au Budget et libéral-démocrate, qui estime, rapport à l’appui2, que les Écossais bénéficient d’un « dividende » de 1 400 livres sterling par personne et par an en restant dans l’union, notamment grâce aux subventions britanniques dont bénéficie la province du Nord. Enfin, un contentieux existe sur la dette publique : de quelle part de la dette britannique héritera l’Écosse ? Le chiffre de 81 milliards de livres est régulièrement avancé sur la base d’un simple prorata de la population du Royaume-Uni résidente en Écosse, et correspondrait à une dette publique de 74 % du PIB écossais. Le débat sur la monnaie fait rage depuis que la crise de l’euro a conduit le SNP à opter pour conserver la livre sterling en cas de victoire du « oui ». Une perspective qui a fait bondir George Osbourne, le Chancelier de l’Échiquier conservateur, qui questionne la légalité de ce projet et pour 1. www.scotland.gov.uk/Publications/2013/11/9348/0 2. https://www.gov.uk/government/news/treasury-analysis-shows-16-billion-funding-gap-in-scottish-independencewhite-paper www.jean-jaures.org CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 4 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour qui cette option reviendrait à créer une union monétaire dont le reste du Royaume-Uni n’aurait rien à gagner. Comparant cette idée à celle d’un « couple divorcé qui continuerait de partager un compte en banque et une carte de crédit », il a menacé de rejeter une telle demande si une Écosse indépendante devait la formuler, un avertissement dénoncé par ses détracteurs comme de l’intimidation. La question très importante de la monnaie est donc loin d’être tranchée, et l’idée d’une nouvelle monnaie écossaise pas totalement évacuée : celle-ci accorderait à l’Écosse une indépendance économique accrue en lui conférant le levier de la politique monétaire. La question européenne est elle aussi parée d’incertitude. L’appartenance d’une Écosse indépendante à l’Union européenne est un élément essentiel de l’argumentaire séparatiste. Les institutions européennes, qui n’ont jamais été confrontées à un tel scénario, ne semblent pas avoir d’avis définitif sur les procédures à suivre : l’Écosse sera-t-elle admise d’office en tant qu’ancienne province d’un pays membre ou devra-t-elle candidater ? La réponse de ces institutions semble aussi varier en fonction des affiliations politiques de ses représentants : le conservateur José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne, a conforté les partisans de l’union en affirmant que l’Écosse indépendante devra candidater pour intégrer l’Union européenne, ce que les indépendantistes veulent éviter à tout prix. La question de l’Europe rejoint aussi celle de la monnaie, puisque la possibilité sera offerte à l’Écosse de rejoindre la zone euro : une perspective aujourd’hui difficilement envisageable outre-Manche, mais qui le serait moins si la croissance revenait dans les grands pays de la zone euro. Plusieurs autres sujets périphériques se sont introduits dans le débat, comme la défense (les séparatistes sont partisans de la création d’une armée écossaise indépendante), la gestion des sites nucléaires situés en Écosse, ou encore le partage de grandes institutions britanniques comme la BBC. www.jean-jaures.org CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 5 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour Que disent les sondages ? La quarantaine de sondages d’opinion réalisés depuis le début de l’année semblent donner le « non » gagnant, avec une avance de douze points en moyenne3. Cependant, la volatilité de cette marge d’un sondage à l’autre et la disparité des techniques d’échantillonnage utilisées participent à brouiller le message. Les sondages n’ont que rarement anticipé les nombreuses victoires électorales du SNP depuis dix ans. De plus, la marge semble s’être résorbée depuis le mois de mars dernier, et en particulier depuis le début officiel de la campagne le 30 mai : l’avance du « non » oscille à présent autour de 9 %. Enfin, les électeurs indécis sont très nombreux et représentent entre 10 et 25 % des sondés depuis le début de l’année. Quant à l’abstention, elle est un facteur clé du résultat de ce scrutin et a historiquement toujours favorisé les indépendantistes. Conséquences d’une indépendance de l’Écosse paysage politique de Grande-Bretagne sur le Pour les conservateurs, nostalgiques d’une grandeur impériale passée, la fin de l’union sonnerait le glas d’une vision d’un monde dans lequel le royaume, fort de son unité, pourrait maintenir un degré d’influence supérieur à ce que sa modeste taille pourrait suggérer. Mais l’apparente défaite politique laisserait rapidement place à un sentiment de soulagement, voire d’euphorie, à l’idée de s’être débarrassé d’un territoire historiquement de gauche, où le parti conservateur a été quasiment anéanti à la suite du traumatisme d’une décennie de thatchérisme, et qui bénéficie toujours d’une représentation disproportionnée à la Chambre des communes. Pour les Libéraux-démocrates, elle signifierait la perte de plusieurs bastions historiques, notamment les Highlands, les Îles d’Écosse et l’Aberdeenshire, et priverait un parti en perte de vitesse d’une dizaine de sièges aux prochaines élections parlementaires. Pour UKIP, le parti populiste de droite et eurosceptique dont la montée en puissance depuis plusieurs années inquiète l’ensemble de classe politique, elle annihilerait le rêve, dont leur charismatique leader Nigel Farage ne se cache pas, d’étendre la présence de ce mouvement sur l’ensemble du territoire de Grande-Bretagne. 3. http://whatscotlandthinks.org/questions/should-scotland-be-an-independent-country-1#line http://en.wikipedia.org/wiki/Opinion_polling_for_the_Scottish_independence_referendum,_2014 www.jean-jaures.org CHRONIQUES BRITANNIQUES n°3 - Fondation Jean-Jaurès - 25 août 2014 - page 6 Référendum sur l’indépendance de l’Écosse : le casse-tête du Labour Pour le parti travailliste, en revanche, cette question revêt un caractère beaucoup plus existentiel : sans l’Écosse, les travaillistes ne pourraient plus aspirer à une majorité absolue à la Chambre des communes, sauf à renouveler leur corpus idéologique en profondeur, en « droitisant » leur programme de manière significative. Depuis les élections législatives de 2005, sur les 59 circonscriptions parlementaires britanniques que compte l’Écosse, 41 sont travaillistes. Si ce chiffre a nettement diminué par rapport à 2001, où le parti travailliste avait remporté 55 sièges avec un vote populaire guère plus élevé (43 % au lieu de 42 % en 2010), c’est parce que le redécoupage des circonscriptions survenu en 2004 a grandement réduit le nombre total de circonscriptions écossaises, auparavant de 72. Malgré cela, le contingent de députés travaillistes que compte l’Écosse à la Chambre des communes reste suffisamment large pour rendre la perspective d’une majorité absolue au parlement hautement improbable en son absence. Seul le raz-de-marée travailliste de 1997, qui a vu le parti de Tony Blair obtenir une majorité de 179 sièges à la Chambre des communes, maintenue à 167 quatre ans plus tard aux élections de 2001, peut se targuer d’avoir été réalisé sans l’apport vital des députés écossais. Cette performance fut toutefois réalisée dans des circonstances exceptionnelles et aura peu de chances de se reproduire avant longtemps. Ceci explique sans doute le rôle de premier plan joué par le parti travailliste dans la campagne du « non » au référendum. L’ancien Premier ministre Gordon Brown lui-même, jouissant toujours d’un prestige considérable dans sa terre natale, a choisi de mettre tout son poids dans la balance en intervenant régulièrement sur le sujet dans ses prises de parole. Pour certains observateurs, le SNP signera une victoire quelle que soit l’issue du scrutin : en effet, les trois grands partis de gouvernement se sont d’ores et déjà engagés, dans le cas d’un rejet de l’indépendance, à inclure dans leurs programmes respectifs un processus d’autonomisation supplémentaire de l’Écosse, avec notamment de plus grandes prérogatives en matière de politique fiscale, et en particulier concernant l’impôt sur le revenu. Alex Salmond comptait sur un festival de commémoration du 700ème anniversaire de la bataille de Bannockburn, une date mythique dans l’imaginaire collectif écossais à cause de la victoire inattendue des troupes de Robert the Bruce sur l’armée anglaise, pour dynamiser la campagne du « oui ». Le succès très relatif de cet événement aura peu de chances d’entamer la détermination du SNP à rompre avec Londres. www.jean-jaures.org