FER AILLEURS - Ingrid Sol Leccia
Transcription
FER AILLEURS - Ingrid Sol Leccia
ingrid sol leccia © studio-bergoend.com Ingrid Sol Leccia FER AILLEURS DRÔLE DE DAME ? DAME DE FER ? INGRID SOL LECCIA BROUILLE LES PISTES. DIFFICILE D’IMAGINER SA LÉGÈRETÉ NATURELLE AU CORPS À CORPS AVEC LE MÉTAL ET POURTANT. LE CHEMIN DE L’ARTISTE-DESIGNER EST UN RUBAN D’ACIER QU’ELLE PLIE AUJOURD’HUI À SA VOLONTÉ. UNE ŒUVRE BIEN TREMPÉE, EN SOMME. Par Pascale Godin El Sabor de la Vida Balancelle accessoire préféré d’Ingrid Sol Leccia ? Des lunettes de soudeur, sans doute. Ou le chalumeau. Mais la belle femme blonde, mince comme un ruban, cultive aussi l’art de la conversation. Et déroule des phrases où l’introspection tempère un enthousiasme naturel. Depuis qu’elle a quitté son atelier de Meythet, elle sème les sculptures aux 4 vents de sa maison showroom. Les volutes en acier, le mobilier martelé et les phrases aux accents métalliques soulignent un espace épuré. Un lieu de vie et de création à l’image de l’artiste, entre dépouillement et affirmation de soi. 82 actives SORTIR DU CADRE En 2006, Ingrid entre en création par le bout du pinceau. Elle dévoile de vastes tableaux à l’atmosphère urbaine, un flirt entre géométrie floue et cubisme. Où la matière, incarnée dans des fragments de bois et de sable, émerge déjà des couleurs de la toile. Sa première exposition interpelle. La seconde est un vrai succès, les œuvres charment un public international. Et surtout, elles séduisent l’Annécien René Broissand. Le célèbre sculpteur sur métal pressent, chez la créatrice, un besoin d’évoluer vers quelque chose de plus concret ; il l’invite à son atelier. Et la révèle à elle-même du même coup. Une avril 14 Actives avril 073-.indd 82 27/03/14 18:54 ingrid sol leccia secousse émotionnelle dont Ingrid se délecte encore aujourd’hui : “Je ne m’en rendais pas compte, mais je me sentais à l’étroit dans mon cadre et j’avais besoin de sortir du mur. Quand j’ai découvert le travail de René, j’ai eu un choc. Comme un appel irrésistible. Il a mis le fer à souder dans ma main, j’ai vu le métal fondre. Et mon cœur a fondu avec lui !”. Exit les palettes de couleur, l’artiste coiffe des lunettes de soudeur. Et devient l’élève assidue du Maître ferrailleur. UN RUBAN D’HONNEUR Pas question pour Ingrid de faire du sous-Broissand. Ou pire, de la sculpture « à la façon de ». Elle trace un chemin personnel et trouve immédiatement son rythme. Sous l’œil attentif de René, qui ne la quitte pas d’une semelle. Un regard bienveillant, mais parfois trop présent. Elle s’en amuse : “Il lorgnait par-dessus mon épaule ! C’était bien, mais j’avais aussi besoin de solitude pour créer”. Un jour, le maître s’absente. Ingrid se lâche, tord et martèle un long ruban d’aluminium : “je l’ai cintré sans trop le brûler, pour conserver la matière brute. J’ai joué avec le métal comme on joue avec un ruban de bolduc !”. René revient, il fixe intensément la sculpture, son verdict tombe. “C’est époustouflant !” lâche-t-il, admiratif. Après 5 ans auprès du sculpteur, Ingrid est adoubée. Si vous étiez une sculpture ? Je pourrais être un ruban ! Mais la sculpture « Torque Ellipse », de Richard Serra, me correspond tout-à-fait. C’est une œuvre monumentale, en acier, avec laquelle on peut jouer. On peut tourner autour d’elle, disparaître à l’intérieur, s’y promener. L’interaction entre elle et le mouvement humain fait aussi sa beauté. Votre livre de chevet ? Je lis des biographies de sculpteurs. Celle de Louise Bourgeois, en ce moment. Mais même si je ne les lis pas, même si je me contente de les feuilleter, je sais qu’elles sont là et je m’en imprègne. J’ai besoin de les avoir près de moi. Votre designer majeur ? Nacho Carbonel, sans hésiter. Il a cette dimension artistique que j’aime tant, une écriture vraiment spécifique. Et unique. Côté design pur, j’aime les frères Bouroullec et Arik Levy. Mais Nacho Carbonel reste ma référence. Elle imprime désormais son empreinte sur le fil d’un ruban métallisé. DUR COMME FER En 2013, Ingrid collabore à la manifestation « Un chef, un artiste ». Co-équipière de Laurent Petit, le chef du restaurant le « Clos des Sens », elle a l’idée d’une table nomade. Et mélange la brutalité d’une palette, la légèreté du plexiglass et la puissance de l’acier. En déroulant 100 mètres de câble, en découpant des ronds d’inox, elle modèle aussi, à la force du corps, une série de tabourets. Une véritable confrontation physique, pour le plaisir de sentir la matière céder, pour lui imposer l’empreinte humaine : “Le métal a une résistance qu’on sent fléchir petit à petit. On travaille avec tout son corps, avec les bras, les jambes. Je ne passe pas le ruban à la rouleuse, je veux imprégner la matière”. Et quand la créatrice oscille entre sculpture et design, elle ne désavoue jamais son penchant naturel pour l’art : “La fonction détermine si l’objet est une œuvre d’art ou une pièce de design. Mais la frontière est très floue”. Sa trace passe aussi par des phrases qu’elle suspend comme un paradoxe. Comme une volonté d’élever la matière, elle calligraphie l’acier dans les airs et signe l’immatériel. Ingrid Sol Leccia cultive désormais sa liberté en tôle. + d’infos : leccia-sculpture.com Table « palette » & Tabourets 84 actives avril 14 Actives avril 073-.indd 84 27/03/14 18:55