Pavillons bis et concurrence : les enseignements de l`arrêt Firma

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Pavillons bis et concurrence : les enseignements de l`arrêt Firma
Pavillons bis et concurrence : les enseignements de l'arrêt
Firma Sloman du 17 mars 1993.
Jean Jacques Lavenue
Professeur à l'université de Lille II.
Dess "Droit de la Mer et Activités maritimes"
Article paru dans les "Mélanges Langavant" "L'Harmattan",1999.
Les notes de références supprimées dans la version en ligne sont consultables dans le texte des
"mélanges".
Sommaire
Introduction
I- Une technique juridique permettant de faire face à la concurrence internationale
A- La nécessaire prise ne compte des réalités internationales
a) Les faits
b) Les objectifs
B- Pavillons bis et registres bis
a) Les pavillons bis territoriaux
b) Les registres papiers
II- Mais une techn ique qui ne doit pas fausser la concurrence dans le cadre communautaire
A- L'affaire Sloma ou le choix du cadre contractuel d'un registre papier
a) L'analyse de l'espèce
b) L'argumentation des parties et la réponse de la Cour
B- La situation du Pavillon Kerguelen : l'interrogation sur la situation juridique des
registres territoriaux
a) Le système Kerguelen
b) L'arrêt République italienne contre l'arrêt Sloman
Conclusion provisoire : la vulnérabilité française
a) L'hypothèse de l'incompétence communautaire
b) L'hypothèse de la compétence communautaire
Mis en place pour offrir à leurs compagnies maritimes la possibilité de faire face à la
concurrence des pavillons dits " de libre immatriculation", le régime des "pavillons bis" instaure un
système dérogatoire susceptible de deux lectures.
La première y verra un moyen, en se rapprochant des conditions d'exploitation des navires
sous pavillon de libre immatriculation, de reconquérir un certain nombre de parts de marchés.
La seconde trouvera,dans ce rapprochement même, une rupture de l'égalité de la
concurrence entre les compagnies utilisant des navires sous "pavillon bis" et celles qui ne le feront
pas. Le problème étant susceptible de se poser alors non seulement au niveau national mais encore
au plan communautaire par les possibilités de surenchères impliquées par la multiplication des
pavillons et registres bis.
Répondant partiellement aux interrogations que suscitent ces différentes lectures de la mise
en place de ce nouveau moyen juridique, la Cour de Justice des Communautés Européennes dans
une affaire particulièrement exemplaire a démontré en la matière que le recrutement à des
conditions très inférieures d'équipages étrangers ne pouvait être considérée comme une aide
susceptible de porter atteinte à la concurrence. Son raisonnement, qui n'a pas suivi l'argumentation
de la Commission, présente à cet égard une originalité qui mérite d'être soulignée.
Bien que l'arrêt Sloman ait donné quitus du recrutement de marins étrangers, en n'appliquant
pas la définition de l'aide évoquée par la Commission, on peut se demander si en rappelant cette
définition de l'aide il ne fait pas cependant peser une lourde menace sur le recrutement de marins
nationaux sous pavillon bis encouragé au moyen de dégrèvement de contributions sociales, par la
France notamment.
Si dans le contexte économique actuel le problème ne se pose pas encore pour la France,
largement surclassée par ses concurrents européens, il n'est pas exclu que demain, la conjoncture
venant à changer, celui-ci prenne une acuité nouvelle. Notre pays pourrait alors se voir accuser, par
des partenaires devenus moins compétitifs, de fausser par ses aides le libre jeu de la concurrence.
L'arrêt Gouvernement de la République Italienne contre Commission des Communautés
européennes pourrait alors être invoqué contre la France dans le même temps où l'arrêt Sloman
exonèrerait de son côté les registres bis "papier" du type du registre ISR allemand.
I-Une technique juridique mise au point pour faire face à la concurrence internationale.
Le système des "pavillons bis" et des "registres bis" est né de la nécéssité de prendre en
compte les effets d'une crise économique durable du transport maritime et de ses conséquences
induites : diminution de la flotte et dépavillonnement de ce qui en restait. Il s'est présenté comme un
moyen pour certains Etats de la CEE de maintenir sous pavillon national une flotte dont
l'importance stratégique en période de crise est nécessaire à l'indépendance de l'Etat, mais aussi
pour tenter de réapparaitre dans un secteur dont les avait exclus la faiblesse des taux de fret et le
coût important de leur main d'oeuvre nationale.
Le prix à payer pour un tel redressement était double: il devait se faire indubitablement, dans
un premier temps, aux dépens de la main d'oeuvre nationale et, de manière plus générale, par la
remise en cause du caractère absolu de la loi du pavillon. Désormais, pour une partie de l'équipage,
dans le cadre des registres bis, ce ne serait plus le droit dont relevait le navire qui s'appliquerait mais
celui de l'Etat d'origine du marin.
Un certain nombre d'Etats pouvaient espérer de cette réapparition sur le marché international
des transports maritimes, et des mesures adoptées pour exclure des ports européens les navires
poubelles, une possibilité nouvelle de peser sur le marché, et une remontée des taux de fret qui
favoriseraient la reprise des transports européens. Parmis eux, la France, pour faire face à la crise
sociale importante dans ce secteur entreprit d'encourager l'engagement de marins français sur les
navires immatriculés aux Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) par l'octroi de
dégrèvements sociaux aux armateurs.
A - La nécessaire prise en compte des réalités internationales.
" C'est çà ou la délocalisation de l'ensemble de la flotte, c'est à dire le passage de tous les
navires sous pavillons étrangers. Nous nous trouvons face à deux portes: l'une conduit à la mort. Il
me semble logique d'emprunter l'autre". La déclaration du ministre français des transports illustre
très exactement la manière dont les pouvoirs publics ont envisagé en France l'instauration du
Registre Kerguelen: face à des faits incontournables mettre en place, ainsi que l'écrivait un
journaliste, "une bouée de sauvetage en attendant Euros". A des degrés d'urgence divers, c'est une
réaction du même type qui existe chez les autres Etats européens ayant créé des registres bis.
a) Les faits.
La réalité de la crise des transports maritimes en Europe tient en quelques chiffres que les
organes de presse spécialisés reproduisent presque toutes les semaines. Alors qu'en 1973 la flotte
commerciale européenne représentait 112 MTJB, soit 45% de la flotte mondiale, celle-ci ne
correspondait plus en 1992 qu'à 84 MTJB, soit 33% de la flotte mondiale. Tandis qu'en 1973
l'immatriculation sous pavillon de complaisance ne concernait que 23% de la flotte, celle-ci en 1992
atteignait 45% (dont une augmentation de 20% sur les derniers 18 mois).
Dans cet ensemble la flotte commerciale française, qui n'a cessé de régresser, apparaît
désormais au 27 ème rang des puissances maritimes alors que, possédant une exceptionnelle façade
maritime, elle est la quatrième puissance exportatrice du monde. Le degré de gravité de cette
situation peut être appréhendé à sa juste mesure dans les déclarations du président du Comité
Central des Armateurs de France lorsqu'il affirmait par exemple en juin 1993 :" en l'état actuel
l'avenir de la Marine Marchande ne se mesure pas en ammées mais en mois. Nous sommes dans le
dernier metro; si nous ne le prenons pas, c'en est fini".
Des chiffres du même ordre peuvent être invoqués pour la flotte allemande passant de 9,3
MTJB en 1977 à 3,6 MTJB en 1987().
Ainsi que le rapportera le juge Moitinho de Almeria, expliquant le phénomène, dans l'affaire
Sloman :" la diminution de moitié de la flotte communautaire, de 1980 à 1988, a été causée en
partie par le transfert de pavillon utilisé par les armateurs afin de réduire sensiblement les frais
d'équipage [en 1986, les frais afférents aux rémunérations et charges sociales pour l'équipage
variaient, pour un porte-conteneur de 1500 EVP, de 32% (en Grèce) à 57% (en Italie) des coûts
d'exploitation]".
La justification d'un tel processus pourra d'une certaine manière être trouvée dans ce
qu'écrivait Madame Françoise Odier en 1988: " La crise met en évidence la nécessité de mobilité du
navire pour faire au mieux échec à sa vulnérabilité économique...Le pavillon qu'il arbore peut être
un facteur de soutien dans cette quête mais ne doit pas constituer un handicap... Dans une telle
perspective le pavillon du navire devient un moyen parmi d'autres pour soutenir l'activité de l'outil
commercial...La première qualité d'un pavillon sera, dans cette perspective, d'insérer le navire dans
un cadre juridique aussi riche que possible en potentialité commerciale et aussi léger que possible
en contrainte ". Il n'est pas indifférent que ces lignes aient été écrites par le conseiller juridique du
Comité Central des Armateurs de France. L'intérêt de la création du pavillon bis sera alors d'offrir
aux armateurs ce qu'ils pouvaient aller chercher sous pavillon de complaisance en évitant le
dépavillonnement des flottes nationales.
Ainsi que l'observera de son coté Antoine Marcantetti lors du colloque du Havre d'octobre
1993 sur les transports maritimes:" Le seul moyen de freiner (le dépavillonnement) cet exode et
d'éviter dans les conditions actuelles la disparition de leur pavillon auquel les pays européens
restent attachés malgré tout, était d' avoir recours à un registre d'immatriculation spécifique qui
bénéficiait des avantages de la nationalité et parfois de certaines aides, tout en maintenant une
certaine compétitivité de la flotte dans le transport maritime international.
" Autres avantages: le second registre permet de conserver le pouvoir de décision et
d'influencer en conséquence la balance des paiements; aide dans une certaine mesure la construction
navale de l'Etat de son pavillon...par ailleurs il autorise une meilleure garantie pour le maintien des
normes internationales, alors que ce n'était pas toujours le cas sous des pavillons libres
traditionnels" .
b ) Les objectifs:
Les développements élaborés à ce propos par les différents intervenants dans l'affaire Firma
Sloman sont singulièrement convergents.Qu'il s'agisse de l'Allemagne précisant, à propos du
paragraphe 4 de l'article 24 de la loi sur le pavillon, que "cette disposition serait destinée à assurer la
compétitivité des navires de commerce allemand sur le plan international, par la réduction des coûts
relatifs au personnel", ou qu'il s'agisse du gouvernement danois déclarant que les registres
internationaux "ont pour objet de permettre aux armateurs de changer de pavillon et de rétablir leur
compétitivité internationale par rapport aux pays tiers ", tous reconnaissent qu'il s'agit de s'adapter à
la concurrence en abaissant les coûts (notamment en personnel) en echappant aux contraintes
sociales européennes.
Ainsi que l'affirmera à l'audience, dans l'affaire Sloman, le gouvernement belge:"la création,
par presque tous les Etats membres maritimes de la Communauté, de seconds registres
internationaux permettant l'emploi de travailleurs étrangers aux conditions en vigueur à l'étranger,
constitue une mesure qui exerce une influence positive sur la position concurrentielle des
entreprises de navigation de la Communauté dans le commerce mondial" . Ce que peuvent d'ailleurs
confirmer les résultats dont fit état le gouvernement danois lors de cette même procédure en
indiquant que la création du registre international danois (DIS) a eu pour conséquence qu'un grand
nombre de navires ont repris le pavillon danois et que les nouveaux navires sont immatriculés sous
pavillon danois plutôt que sous le pavillon d'un pays tiers.
La création de ces seconds registres apparait ainsi comme un moyen juridique de répondre
aux données évolutives du transport maritime. Ainsi que le déclarera le vice- président d' l'Institut
Méditerranéen des transports en octobre 1993:"ces seconds registres, intermédiaires entre les
régimes nationaux et ceux qui se réclament de l'immatriculation libre, jouent un rôle complexe qui
tient à quelques objectifs où la stratégie commerciale internationale, le maintien d'un dispositif
social allégé et quelques aménagements fiscaux, devraient permettre de donner à l'industrie du
transport maritime la flexibilité d'adaptation aux impératifs des échanges à l'échelle mondiale...".
Reste que si l'objectif est défini et, dans l'ensemble, commun, ce que l'on regroupe de
manière un peu rapide sous les termes de "pavillons bis", de "seconds registres", de "registres bis"
ou de "registres parallèles",correspond en réalité à des structures différentes qu'il importera
d'analyser pour être en mesure d'appréhender les conséquences que ne manquera pas d'impliquer le
choix des unes ou des autres.
B - Pavillons bis et registres bis.
Si l'on compte actuellement une dizaine de seconds registres en Europe , leur conception ne
repose pas sur une même approche juridique. A cet égard deux grands systèmes doivent être
distingués: les pavillons bis sricto sensu d'une part, les registres bis ou "registres papiers" d'autre
part.
a ) Les pavillons bis.
Ce qui caractérise le système du pavillon bis est la référence territoriale qu'il implique. Le navire
immatriculé sous pavillon bis se verra appliquer les lois en vigueur sur le territoire considéré. Ainsi,
par exemple, l'immatriculation "Kerguelen" impliquera-t-elle l'application des lois sociales et
fiscales en vigueur dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. En particulier, pour ce qui
est des relations du travail, du code du travail d'outre-mer.
Peuvent être rattachés ainsi au système des pavillons bis:
1- Le second registre français des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).
2- Pour la Grande Bretagne: les registres de l'Ile de Man, de Gibraltar,Hong Kong. Selon le
Merchant Shipping Act de 1894, un navire appartenant à une société ou à une personne physique,
ayant qualité de resident dans le Commonwealth, peut être immatriculé dans n'importe laquelle des
Colonies ou dépendances, y compris en Grande Bretagne.
3 - Le registre des Antilles Néerlandaises. Créé en 1987 présente cette particularité de prévoir que
seul, dans l'équipage, doit être néerlandais le capitaine . Seule y est obligatoire une assurance sur les
accidents du travail. Pour les non résidents, la règlementation et les conditions sociales sont
inexistantes.
4 - Pour le Portugal: le registre d'immatriculation de Madère (MAR). Créé par le décret du 28 mars
1989 celui-ci prévoit que l'équipage doit comprendre 50% de nationaux, le reste pouvant avoir un
statut différent. S'y ajoute un système d'exemption d'impots sur les revenus au titre des bénéfices
réalisés par les propriétaires de navires portugais opérant dans les trafics internationaux, sur les
revenus pour les salaires des officiers et membres de l'équipage, exemption des droits de
succession, incitations fiscales et financières. Ce registre est réservé aux navires exploités sur des
trafics internationaux. Ceux-ci ne pouvant acheminer ni passagers ni marchandises entre les ports
portugais.
5 - Le registre des Canaries (second registre espagnol): créé en janvier 1993. Prévoit que le
capitaine et le premier officier doivent être espagnols. Que l'équipage doit être à 50% formé
d'espagnols ou de ressortissants de la CEE. Bénéficie d'allègements fiscaux : l'impôt sur les sociétés
est abaissé à 25% ainsi que l'imposition et charges sociales des marins espagnols.Ce registre est
réservé à la navigation nationale et non au cabotage national. L'armateur devant avoir un agent
domicilié dans les iles.
6 - Le second registre des Iles Feroe (FAS): créé en 1992. Obligation d'engager des marins
insulaires et de faire réparer les chalutiers sur place.
b ) Les registres papiers.
Les registres bis ou registres papiers se caractérisent par le fait que c'est la loi qui va
consacrer elle même l'extra-territorialité des lois sociales en posant le principe que le contrat de
travail du marin ne relèvera pas, par exemple, de la loi du pavillon mais du lieu de résidence du
marin.
Seront ainsi rattachés au système des registres papiers:
1 - Le registre international allemand (ISR) : créé par la loi du 23 mars 1989, prévoit que le
capitaine et le second doivent être allemands. Il permet le recrutement de marins à des conditions de
salaire très basses (20% du salaire d'un marin allemand) en prévoyant que des marins étrangers
n'ayant pas de domicile ou de résidence fixe en RFA ne relèvent pas des conventions collectives
allemandes et soient employés au salaire du pays d'origine. L'ISR présente cette particularité de
n'être ouvert qu'à des navires immatriculés à l'origine sur le registre allemand.
2 - Le registre international Danois (DIS): créé le 23 juin 1988 prévoit une exonération de l'impôt
sur le revenu pour les marins embarqués dans le cadre de ce registre. Il est ouvert aux danois mais
aussi aux personnes morales étrangères dont 20% des capitaux appartiennent à des danois.
3 - Le registre spécial finlandais. Créé en janvier 1992,il ne concerne que les navires finlandais
exploités sur des trafics internationaux. Exige que 50% de l'équipage soit composé de marins
finlandais. Prévoit le remboursement des charges sociales et de l'impôt sur le revenu des navigants.
4 - On pourra y rattacher dans une perspective à plus long terme lee registre international norvégien
(NIS) : créé en 1987 il se caractérise par le fait que tous les navires y sont admis. Ainsi que
l'observa lors de sa création Madame Françoise Odier sa création avait pour but "d'attirer sous ce
nouveau pavillon, aussi bien des navires norvégiens que des navires totalement étrangers, par leus
capitaux, la composition de leurs équipages, leur centre de gestion même, à la Norvège" .
Le système mis en place prévoit des exemptions de taxes et d'impots pour les marins
étrangers domiciliés à l'extérieur de la Norvège, exemption d'assurance sociale mais assurance
décès. Son application est exclue pour la navigation entre ports norvégiens et pour l'exploitation
d'installations off shore en mer du Nord.
Tableau: seconds registres en Europe.
-----------------------------------------------------------------:Nom :
Type :
Année :
%équip. Natl. :
avantages :
Nombre/TPL
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------I.de Man
Pav.Bis
1894
124/6,MTPL
Gibraltar
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Antilles
Pav.Bis
1987
capitaine
exonération:
180/2,4MTPL
néerlses: :
dérogation
impots,taxes
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------NIS
R.papier
1987
pas condition
exemptions :
917/40,2MTPL
cap. et off.
si résid.hrs
dérogations
Norvège
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------DIS
R.papier
1988
cap. & off.dan:
exonération:
450/6,5MTPL
dérogation CEE
marins emb.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------TAAF
Pav.Bis
1987
35% français
compenstions
86/2,8MTPL
70% au plus
fiscales et
:2 à 4 officiers
dégrèvements
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ISR
R.papier
1989
cap et off.all
réd.50% impts
443/3,8MTPL
ancien pav.all.
des marins
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------MAR
Pav.Bis
1989
50% portugais
exemptions :
33/1MTPL
ben.sociétés
drts sucssion
rev.off&équip
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Canaries
Pav.Bis
1993
cap & off.espls
25% imp.sctés
10/0,5MTPL
ou CEE,agnt arm:
allgt charges
domiciliés îles
sociales
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Finland.:
Pav.Bis:
1992
50% finlandais
remboursement:
62/0,7MTPL
imp.revenu et
charges scles
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sd Faeroe
Pav.Bis:
1993 :
engt Faeroe et
:pêcheurs
réparation loc:
:russes
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Conçu pour permettre aux armateurs de s'adapter à la concurrence internationale, en
réduisant leurs coûts, le système des registres bis parut dès l'origine devoir se réaliser aux dépens
des personnels navigants nationaux. Ainsi que le déclarait Ambroise Guellec, secrétaire d'Etat
français à la mer, en juin 1986:" Avec le pavillon Kerguelen, j'apporte la faculté d'améliorer la
compétitivité d'un secteur que chacun sait fortement sinistré, tout en préservant ce qui peut être
épargné. Je sais à quel point cette solution est douloureuse pour les équipages, mais face à une
situation internationale d'intense concurrence, c'est cela ou la disparition totale du vrac et le passage
sous pavillon de libre immatriculation" .
Sept ans plus tard lorsque la "kerguelenisation" aura été généralisée les observateurs
noteront, en soulignant les réactions négatives des syndicats, à l'occasion du conflit de la CGM par
exemple:" ces réactions ne s'expliquent pas seulement par une opposition de principe au pavillon bis
mais plus concrètement par le nouveau train de licenciement que cette kerguelenisation appliquée
aux lignes va entrainer. Elle permet en effet d'employer un tiers de marins étrangers or la CGM
compte environ 1000 navigants. Mathématiquement on peut donc estimer à au moins 300 le nombre
de navigants français qui devront s'effacer devant les marins étrangers".
C'est d'une certaine manière ce que rappellera l'Arbeitsgericht de Brême dans l'affaire
Sloman, en invoquant la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés , lorsqu'il relèvera
que selon la Cour: "la situation de l'emploi et, en termes plus généraux, l'organisation des conditions
de vie et de travail à l'intérieur de la Communauté sont susceptibles d'être affectées par la politique
suivie par les Etats membres à l'égard de la main d'oeuvre en provenance des pays tiers", et qu'"il
importe d'assurer que les politiques migratoires des Etats membres vis à vis des pays tiers prennent
en considération les politiques communes et les actions menées au niveau de la Communauté, en
particulier dans le cadre de la politique communautaire du marché du travail".
Pour autant en effet les situations en ce domaine ne seront pas les mêmes en Europe. Si les
navigants français craignent pour leur emploi, le personnel scandinave en général, est par exemple
insuffisant. L'exemple norvégien, dans la perspective d'une adhésion future, sera à cet égard
particulièrement révélateur.Sur les 16 621 officiers et marins embarqués sur les 865 navires du
registre NIS, en juillet 1992, 2202 seulement étaient norvégiens pour 10 073 philippins, 1998
indiens, 909 polonais et 1439 autres représentant 51 pays .
Les "registres bis" ne seront pas gérés par conséquent de la même façon et les
encouragements (aides) à engager sous "pavillon bis" des nationaux, que l'on trouvera chez les uns,
pourront un jour ou l'autre être considérés par ceux qui n'ont pas besoin de le faire comme des aides
faussantle libre jeu de la concurrence. Si le réferendum du 28 novembre 1994 à écarté pour l'instant
la menace qu'aurait pu faire peser la Norvège en ce domaine, il n'est pas exclu que le problème
puisse un jour être posé si, le DIS ou l'ISR par exemple décidait d'ouvrir d'aventage les possibilités
d'immatriculation.
Ainsi même si la Commission dans le cadre d'une politique de restructuration peut admettre
temporairement des mesures de ce type, celles-ci risquent à terme de se révéler pour certains n'être
qu'un simple cautère sur une jambe de bois. Et à cet égard le point que permet de faire l'arrêt
Sloman sur la disparité des régimes juridiques couverts par le concept général de "registre-bis"
montre que, si le système allemand est reconnu comme conforme à la règle communautaire, les
différents éléments d'une mise en cause du système adopté par la France sont déjà en place.
II -Une technique juridique qui ne doit pas fausser la concurrence dans le cadre
communautaire.
L'affaire Sloman, jugée par la Cour de Justice des Communautés en mars 1993, a souligné la
conformité des mécanismes mis en place par le "registre papier" allemand. Les éléments de fond
mis en avant par l'arrêt de la Cour permettent également, par comparaison, de mesurer à quel point
le système du pavillon bis français est non seulement différent mais implique la mise en place d'un
système d'aides qui pourrait être jugé contraire au libre jeu de la concurrence.
Si à l'heure actuelle le problème ne semble pas être posé, dans la mesure où la marine
marchande française est encore loin d'être concurrentielle par rapport à ses partenaires européens, il
nous paraît important d'attirer l'attention sur deux choses. La première, au fond, sur ce qui pourrait
se révèler demain une sorte de "bombe à retardement" dont nos partenaires n'auraient qu'à allumer
la mêche: la mise en place d'un système d'aides non conforme au droit communautaire. La seconde
sur ce qui juridiquement pourrait avoir des implications peut être plus graves: l'absence de mise en
oeuvre d'un contrôle juridique faute d'un intérêt économique immédiat...
A moins que l'on admette que la flotte immatriculée aux TAAF echappe à la compétence
communautaire, que les articles 92 et 93 du traité ne s'y appliquent pas, et qu'au sein de l'Union
Européenne la France ait décidé de laisser la place à ses partenaires créateurs de "registres
papiers"... Ce qui sera peut être évoqué mais, comme nous le verrons, pas certain.
A - L'arrêt Firma Sloman: ou le choix du cadre contractuel.
Saisie par voie de recours préjudiciel dans deux affaires de recrutement de marins philippins
dans le cadre du registre international allemand (ISR), la Cour de Justice des Communautés
européennes, écartant l'interprétation des demandeurs et de la Commission, a justifié la
règlementation ISR par rapport aux règles de concurrence communautaire.
a ) L'analyse des faits.
Ayant prévu d'embaucher un officier radio philippin et cinq autres marins de même
nationalité sur un navire qu'elle avait fait immatriculer à l'ISR (second registre allemand),sur la
base de contrats de travail qui ne seraient pas soumis au droit allemand ,la firme Sloman Neptun
Schiffahrts AG demanda au Seebetriebrat (comité d'entreprise dans l'armement naval de la firme
Sloman) de doner son accord à l'embauche des personnes en question.
Le comité d'entreprise ayant refusé, l'entreprise Sloman saisit l'Arbeitsgericht Bremen pour
qu'il soit suppléé au défaut de cet accord.
Au cours de la procédure devant la juridiction allemande le comité d'entreprise fit valoir que
la disposition introduite par l'ISR était contraire non seulement à la constitution mais encore aux
articles 92 et 117 du traité CEE, étant donné qu'elle permettait d'embaucher des ressortissants des
pays tiers à des conditions de rémunération et de protection sociale inférieures à celles dont
bénéficient les marins engagés dans le cadre des dispositions du droit allemand.
Estimant qu'une interprétation de ces dispositions lui était nécessaire pour trancher les deux
affaires, l'Arbeitsgericht Bremen sursit à statuer et posa à la Cour de Justice la question préjudicielle
suivante :"est-il compatible avec l'article 92 et l'article 117 du traité CEE que l'article 1 point 2 de la
Gesetz zür Einführung (=ISR)...permette que des marins étrangers n'ayant pas de domicile ou de
résidence fixe en République fédérale d'Allemagne ne relèvent pas des conventions collectives
allemandes et soient, dès lors, employés au "salaire du pays d'origine ",inférieur,et à des conditions
de travail moins favorables que les marins allemands comparables?"
b) L'argumentation des parties et la réponse de la Cour.
Ó) L'argumentation s'organise, pour les uns, autour de la notion d'aide publique : elle est
écartée par la Cour en faisant appel à la notion de "choix des règles de rattachement".
L'embauche de philippins dans le cadre de l'ISR à des salaires inférieurs et à des conditions
de travail plus défavorables constituerait une aide contraire au principe posé par l'article 92 § 1 du
traité de Rome.
Dans les motifs des ordonnances de renvoi, l'Arbeitsgericht Bremen rappelait à cet effet
l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés République Italienne contre Commission selon
lequel le "dégrèvement partiel des charges publiques incombant aux entreprises d'un secteur
industriel particulier constitue une aide au sens de l'article 92 du traité CEE, si cette mesure est
destinée à exempter partiellement ces entreprises des charges pécuniaires découlant de l'application
normal du système général des contributions obligatoires imposées par la loi" .
Ce sera sur la base de ce rappel que l'Arbeitsgericht Bremen élaborera son argumentation
tendant à mettre en évidence l'irrégularité de l'engagement des marins philippins. La Commission
sur la base d'une analyse similaire se ralliera à cette thèse de l'irrégularité.
1- L'argumentation de l'Arbeitsgericht Brement tendit ainsi à démontrer que l'exemption partielle
des dispositions du droit du travail et du droit social allemand en ce qui concerne les travailleurs
étrangers employés sur les navires de mer immatriculés à l'ISR constituait une aide illicite au sens
de l'article 93 § 1 du traité CEE.
- Cette exemption permettait en effet aux armateurs ISR de ne pas supporter certaines charges
pécuniaires, notamment des cotisations de sécurité sociale plus élevées payables dans le cas
d'emploi de marins rémunérés au tarif allemand.
- Le fait de ne pas supporter les coûts correspondant à la différence entre la cotisation due sur le
salaire du pays d'origine et celle due sur le salaire allemand moyen était également susceptible de
fausser la concurrence, les opérateurs continuant à profiter de l'image de marque du pavillon
allemand sans toutefois supporter les coûts qui y sont liés.
2- La Commission de son coté soutint qu'il s'agissait d'aides accordées par l'Etat, réservées à
certains navires sous pavillon allemand soumises à l'obligation de notification préalable de l'article
93 § 3 et au contrôle communautaire de compatibilité. A cette fin, Ingolf Pernice, représentant de la
Commission, articula sa démonstration en trois séquences, autour des trois éléments de la notion
d'aide que définit l'article 92 §1. Selon cette approche devaient être considérées comme
incompatibles les aides qui :
- "sous quelque forme que ce soit",
- étaient accordées "par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat",
- et "favorisant certaines entreprises ou certaines productions".
Revenant sur ces trois éléments de la définition de l'aide, le représentant de la Commission affirma
alors:
-> Que l'expression "sous quelque forme que ce soit" indiquait que l' article 92 §1 donnait un sens
large à la notion d'aide , que constituaient des aides "les avantages en tout genre, y compris les
allègements de coûts qui, de par leur nature peuvent influer sur la situation en matière de
concurrence des entreprises concernées", et qu'à ce titre cette notion d'aide devait en principe
englober une règle qui, par dérogation à la législation généralement en vigueur, permet à certaines
entreprises d'engager du personnel à des salaires très inférieurs au salaire généralement payé.
-> Que le caractère étatique de l'aide devait être interprété au sens large; que selon la jurisprudence
de la Cour, une aide ne doit pas nécéssairement être financée par les ressources de l'Etat pour être
qualifiée d'aide étatique ; que lorsque le financement des armateurs s'effectue au détriment d'autrui
(des travailleurs par exemple), pour que l'aide soit considérée comme étatique il suffisait que la
mesure soit fondée sur une loi prévoyant que certaines entreprises bénéficient d'un allègement
spécial pour certains facteurs de coûts particuliers . A fortiori il va de soi dans le cas où ces mesures
entraineraient des pertes de recettes fiscales et de cotisations, car dans ce cas l'allègement des coûts
des armateurs se ferait directement à la charge des pouvoirs publics et "au moyen de ressources
d'Etat".
-> Que si seules les mesures favorisant certaines entreprises ou certaines productions relevaient de
la notion d'aide, et qu'étaient exclues de nouvelles règles de caractère général ayant le caractère de
politique économique, sociale ou financière, une mesure législative qui serait associée à des règles
délimitant clairement les bénéficiaires des avantages en question pourrait se voir reconnaitre ce
caractère . Il en irait ainsi selon la Commission lorsqu'il s'agit de limiter l'avantage accordé à des
navires immatriculés dans un registre donné qui ne permet pas d'immatriculer n'importe quel
bateau, notamment les bateaux de propriétaires étrangers.
Sur la base de cette argumentation la Commission proposa à la Cour de répondre à la
question posée par l'Arbeitsgericht Bremen que la règlementation allemande relevait à cet égard
:"de la notion d'aide d'Etat visée à l'article 92 du traité CEE et ne peut être appliquée conformément
à l'article 93 § 3 du traité avant d'avoir été notifiée à la Commission et, en cas d'ouverture d'une
procédure formelle, avant qu'une décision finale l'ait déclarée compatible avec le marché commun"
.
ß) L'arrêt de la Cour:le choix de la règle de rattachement.
Selon la Cour de Justice la finalité du régime mis en place par l'ISR allemand n'était pas de
mettre en place un système d'aide ou d'exonération mais, ainsi que l'écrit Patrick Chaumette "de
modifier le cadre d'établissement des relations contractuelles entre les salariés et les entreprises".
Ainsi qu'elle le précise dans son arrêt:"le régime en cause, ne tend pas, de par sa finalité et son
économie générale, à crééer un aventage qui constituerait une charge supplémentaire pour
l'Etat...mais seulement à modifier, en faveur des entreprises de navigation le cadre dans lequel
s'établissent les relations contractuelles entre ce entreprises et leurs salariés ".
Ainsi que le soutient la Cour, le problème n'est pas un problème d'aides mais de mise en
place d'un mécanisme de droit international privé. Ainsi que le soulignait l'avocat général Marco
Darmon dans les conclusions que la Cour a suivies:" il s'agit simplement d'une règle déterminant
les limites d'application du droit allemand ou, plus précisément, permettant aux particuliers, en
présence d'un élément d'extranéité, de choisir la loi applicable à leurs conventions". Dès lors les
effets financiers induits par la mise en oeuvre de l'ISR ne peuvent être considérés comme des aides,
et la mise en oeuvre de celui-ci pouvait être considérée comme l'équivalent des opérations de
délocalisation des entreprises.
1- Aides et conséquence financière: Dans son arrêt la Cour est particulièrement claire:" Les
conséquences qui en résultent (de la mise en oeuvre de l'ISR) tenant à la différence de base de
calcul des cotisations sociales, mentionnée par la juridiction nationale, qu'à l'éventuelle perte de
ressources fiscales imputables au faible niveau des rémunérations, invoquées par la
Commission,sont inhérentes à ce régime et ne constituent pas un moyen d'accorder aux entreprises
concernées un avantage déterminé". Ainsi que le soutenait le gouvernement allemand ce n'est pas la
loi ISR en elle-même qui permet de ne pas appliquer le droit du travail allemand lorsque des marins
étrangers sont employés et, partant, de diminuer ainsi les cotisations sociales. En effet
conformément à l'article 30 § 1 de l'Einführungsgesetz zum Bürgerlichenbuche (),"les parties
étaient déjà autorisées à convenir de l'application du droit étranger" . Le même raisonnement
pouvant s'appliquer à la perte de recette fiscale.
2- La régle de rattachement contre la loi du pavillon: la loi d'autonomie. Patrick Chaumette dans
son commentaire sous l'arrêt Sloman ,en décrivant la démarche suivie par la Cour, explique qu'
alors que la Cour de Justice avait fréquemment retenu une définition large des qualifications
juridiques afin d'attraire dans le champ communautaire des matières qui y étaient étrangères:"
l'espèce montre un exemple contraire de séparation des branches du droit. La détermination de la loi
applicable au contrat de travail ne relève pas du droit de la concurrence. La règle de rattachement
relève d'une autre finalité, d'une généralité-, d'une autre nature que la notion d'aide de l'Etat. La loi
applicable aux contrats de travail des marins n'est plus seulement déterminée par la loi du pavillon
du navire; l'armateur est autorisé, pour un travail à bord d'un navire sous pavillon allemand, à
conclure des contrats de travail soumis à une loi étrangère, dès lors que les marins n'ont pas de
domicile ou de résidence fixe en Allemagne".
Comme le soulignait l'avocat général Marco Darmon la situation devient alors similaire "à celle
d'entrprises communautaires choisissant d'établir leur production dans des Etats tiers où les coûts
salariaux sont plus réduits. On ne songerait pas à déclarer soumise à l'article 92 du traité la
législation d'un Etat membre permettant à de telles entreprises de ne pas appliquer les conditions
salariales de droit interne".Dans l'arrêt Sloman la Cour de Justice des Communautés européennes
consacre le fait que le critère du lieu de travail, le navire et son pavillon, n'est plus exclusif. Ainsi
que le souligne Patrick Chaumette "il est complété par la loi d'autonomie, la loi choisie per les
contractants, celle du domicile du marin, c'est à dire de sa nationalité".
B - La situation du Pavillon Kerguelen: l'interrogation sur la situation juridique des
registres territoriaux.
En montrant que l'engagement, sous "registre bis papier", de marins étrangers à des
conditions inférieures à celles des recrutements nationaux ne relevait pas du droit de la concurrence
mais du simple choix par les parties de la loi applicable à leurs relations contractuelle, la Cour de
Justice des Communauté, dans l'arrêt Sloman attestait la conformité au droit communautaire du
système de registre papier allemand . On peut se demander toutefois si ce débat, dans une sorte de
contre point n'est pas venu mettre en place les éléments d'une confrontation entre le régime
juridique, conforme au droit communautaire, des "registres-papiers" et celui des "registres
territoriaux" qui ne le seraient pas nécéssairement.
On peut se demander en effet si les arguments évoqués au cour de ce contentieux, par la Comission
notamment, qui ne furent pas retenus contre l'Allemagne ne pourraient pas être évoqués et, dans
certains cas retenus, contre la France et son régime des TAAF...non pas tant à propos des conditions
de recrutement de marins étrangers que de celles de ses propres nationaux sous pavillon Kerguélen.
Car, même si l'on admet le parallèle de l'avocat général Darmon de l'inapplicabilité de l'art. 92 à une
législation encourageant la délocalisation des entreprises, que dire d'une législation qui
encouragerait par des aides l'engagement de ses propres nationaux par des entreprises délocalisées?
Dans la mesure où le régime français de pavillon bis n'est pas le régime de l'ISR, l'ensemble des
reproches dont a été exonéré le système allemand pourrait retrouver toute sa vigueur contre le
système des TAAF. L'arrêt République italienne contre Commission, du 2 juillet 1974 pourrait être
à nouveau évoqué sans que la France puisse faire appel à la jurisprudence Sloman pour sa défense!
a) Le système Kerguélen.
Instauré par un arrêté du secrétaire d'Etat à la mer Ambroise Guelec, pris le 17 juin 1986 , rendant
possible l'immatriculation dans le Territoire des Terres Australes et Antarctiques, et plus
particulièrement dans les Kerguelen, de vraquiers secs et liquides à l'exclusion des navires
transportant du pétrole brut,le système d'immatriculation Kerguelen a été organisé par le décret
n°87-190 du 20 mars 1987 .
Ce décret a été complété par quatre arrêtés pris, le même jour, pour l'application de ses articles 3,4,5
et 7 ,et une circulaire précisant les textes applicables au cadre juridique général de l'immatriculation
des navires dans le territoire . A cette occasion fut abrogé pour les TAAF le décrêt n°60-600 du 22
juin 1960.
Si à l'origine l'immatriculation des navires n'avait été prévue que:
- pour les navires utilisés exclusivement à des travaux maritimes ou à des activités d'exploitation
pétrolière, qui n'étaient pas exploités dans la zone économique exclusive ou sur le plateau
continental français,
- et pour les navires transporteurs de vrac sec ou liquide, à l'exclusion des transporteurs de pétrole
brut et des navires effectuant des liaisons entre ports de France métropolitaine ou entre ports des
départements d'outre-mer ," à condition qu'ils ne fassent pas de touchée régulière dans un port de
France métropolitaine" , très rapidement d'autres arrêtés, pris pour l'application de l'article 3 du
décret n°87-190, vinrent étendre le droit d'immatriculation aux Kerguelen.
- C'est ainsi que l'arrêté du 28 décembre 1989 , modifiant le 2 éme paragraphe de l'article 1er de
l'arrêté du 20 mars 1987, prit en considération les "navires de commerce exploités en transport à la
demande, à l'exclusion des transporteurs de pétrole brut..."
- Que l'arrêté du 3 novembre 1992 préféra parler des "navires de commerces exploités en transport
à la demande, à l'exclusion des navires effectuant des liaisons entre ports de France métropolitaine
ou entre ports des département d'outre-mer".
- Que l'arrêté du 4 aôut 1993 préféra:" les navires de commerce exploités en transport à la demande
ou en transport de ligne régulière, à l'exception des navires transporteurs de passagers et des navires
faisant des touchées exclusivement dans les ports de France métropolitaine" .
- Que le décret n°93-979 du 4 août 1993 remplaça l'expression "à condition qu'ils ne fassent pas de
touchée régulière dans un port de France métropolitaine" par " qu'ils ne fassent pas de touchées
exclusivement dans des ports de France métropolitaine".
Le système que l'on aurait pu considérer à l'origine comme une sorte d'exception à la règle générale
s'était, en six ans, pratiquement inversé.
De manière parallèle, en une sorte d'accompagnement de ce mouvement, d'autres textes viendront
progressivement augmenter la proportion minimale de marins français exigible sur les navires
immatriculés aux TAAF (), puis alléger les charges sociales patronales dans la limite de 70% de
l'équipage (au lieu de 35%), celles-ci passant de 35,65% à 17,6% pour les marins français
embarqués sur des navires immatriculés en métropole et soumis à la concurrence internationale .
Si l'on tente alors de brosser un tableau de l'état de la flotte française après la mise en place du
système élargi d'immatriculation aux Kerguélen, on est amené à constater:
-> que les navires immatriculés aux Kerguélen pourront embarquer à des conditions plus favorables
une partie de son équipage, formée d'étrangers ,et que, pour les nationaux embarqués,ils
bénéficieront d'allègements sociaux importants;
-> que pour compenser le passage éventuel sous registre TAAF de navire de ligne régulière, les
armements soumis à la concurrence internationale bénéficieront aussi d'allègements de charges
sociales considérables.
Ceci peut être résumé par un tableau publié par "Le Marin", le 22 octobre 1993.
Il permet également de mesurer l'effort du ministre Bernard Bosson, expliquant lui-même
:"Mon objectif a été de réunir les conditions conduisant les armateurs français à exploiter un
maximum de navigants français (...) C'est pourquoi dès le mois d'août dernier, j'ai étendu
l'immatriculation Kerguelen aux lignes régulières du fret. Simultanément, j'ai étendu sous notre
pavillon bis l'allègement des charges sociales patronales à l'ENIM à tous les marins français dans la
limite de 70% de l'équipage. En portant ainsi cette limite d'aide de 35% de l'équipage à 70%, c'est à
dire en la doublant, j'ai eu la volonté d'inciter les armateurs à conserver un maximum de
compétences françaises sur les navires immatriculés sous ce registre".
Le ministre précisant lors de la même intervention:"Parallèlement, j'ai considéré au nom
d'une certaine idée de la France et du pavillon national qu'il ne saurait être question de ne pas aider
nos navires soumis à la concurrence internationale et qui gardent notre pavillon national à égalité
avec ceux qui sont contraints de passer sous pavillon bis. Le premier ministre a bien voulu décider
de faire ainsi bénéficier les navires immatriculés en métropole d'un dispositif d'allègement de
charges sociales assurant cette parité. A cette fin le taux de cotisation patronales à l'ENIM sera
ramené de 35,65% à 17,60% pour tous les marins français embarqués sur des navires de transports
immatriculés en métropole et opérant à des trafics soumis à la concurrence internationale. Au total,
le coût budgétaire des allègements de contributions patronales à l'ENIM, sélèvera pour l'année 1994
a plus de 160MF. Il aura donc été multiplié, en année pleine, par trois et demi". Ainsi que le
constata Daniel Hillion :"L'abattement est déjà considérable puisque le différentiel de charges non
réglé par les armateurs entraine un manque à gagner - c'est à dire au bout du compte une aide - de
160MF de l'Etat".
"Aide", l'expression est bien avancée par le ministre et les observateurs: aide pour
l'embarquement de marins français sous registre TAAF,venant s'ajouter à la possibilité d'engager
des étrangers à des conditions favorables aux armateurs, et aide pour l'embarquement de marins
français sous pavillon national. Le tout à la charge de l'Etat et des contribuables.
Or si à l'heure actuelle l'armement français est encore loin de concurrencer les autres
armements européens, en termes de taux de fret par exemple, et si l'on ne saurait imaginer dans
l'immédiat qu'il soit attaqué pour violation des règles de concurrence par ses partenaires, il n'est pas
exclu qu'un changement de conjoncture puisse un jour attirer l'attention de nos partenaires de la
communauté sur les particularités de la règlementation française. On s'apercevrait alors peut être
que le système mis en place par la France ne correspond en rien aux systèmes élaborés par
l'Allemagne ou le Danemark, que sa mise en oeuvre pratique, pour des raisons de politique interne,
se caractérise par la mise en place de tout un système d'aides (y compris compensatrices pour les
navires immatriculés en France) qui est, aux termes de la règlementation communautaire,
susceptible de fausser la concurrence. On retrouverait alors l'argumentaire de l'arrêt République
Italienne qui, pour n'avoir pas été retenu contre l'Allemagne, pourrait atteindre la France de plein
fouet...
A moins que l'on admette que la règlementation communautaire ne s'applique pas aux
navires immatriculés aux Kerguelen et à l'aide apportée aux armateurs faisant inscrire leurs navires
sous ce registre bis!...Outre le fait qu'il faudrait s'interroger alors sur la place de la flotte française
dans l'Union européenne, cela ne changerait pas l'interrogation qui serait posée sur la nature de
l'aide compensatrice accordée à l'embarquement de marins français sur le navires demeurés sous
pavillon français et soumis à la concurrence internationale . Ne manquerait pas aussi de se poser la
question, pour peu que l'on accepte l'image de Marco Darmon du caractére d'une législation
française qui encouragerait, par des subventions déguisées, des entreprises délocalisées à l'étranger
à engager des ressortissants français... alors même que la délocalisation ne se justifiait que par
l'emploi d'une main d'oeuvre locale à bas prix!? Il est difficile de ne pas s'interroger alors sur ce qui
apparaitrait comme le dilemme de l'illégalité communautaire ou de l'absurde.
b) L'arrêt République italienne contre l'arrêt Sloman.
S'il advenait que soit mise en cause la conformité au droit communautaire de la règlementation
ayant créé et accompagnée la mise en place du registre Kerguelen, seraient très certainement
évoqués par la France des arguments du même type que ceux avancés pour sa défense par la
République Italienne en 1973. Notamment pour ce qui est de l'abaissement des taux de cotisation à
l'ENIM tendant à favoriser l'embarquement des marins français. Parmi ceux-ci, deux nous
paraissent incontournables: le premier concerne la "fiscalisation" des mesures considérées, le
second le fait que celles-ci ne seraient pas susceptibles d'avoir des incidences négatives à l'intérieur
de la Communauté.
Ó) Aide ou mesure de fiscalisation.
Dans l'affaire qui l'opposait à la Commission, la République italienne avait tiré argument du
fait que les dégrèvements de charges sociales opérés par elle dans le secteur de l'industrie textile
intervenaient :"dans le champ de la fiscalité interne, terrain réservé à la souveraineté des Etats
membres, que la disposition incriminée "serait une mesure de "fiscalisation" grâce à laquelle est
réduit le montant du financement des prestations sociales en faveur des employés, mis par la loi à la
charge des entreprises du secteur textile". Et que dès lors des dispositions dece genre ne pourraient
pas tomber dans le champ d'application de l'article 92. Un raisonnement du même type pourrait être
utilisé à propos du système français.
Les dégrèvements de cotisation prévus par les décrets du 10/4/1990 et du 10/9/1993, n'étant
pas accompagnés d'une baisse des prestations ou d'une affectation quelconque de ressources
propres, on peut penser que le maintien de ces prestations ne peut s'expliquer que par une
"fiscalisation" partielle de ce régime et qu'il relève à ce titre de la seule souveraineté nationale.
Bien loin de suivre une telle argumentation la Cour rappela alors que:
->"ni le caractère fiscal, ni le but social éventuel de la mesure litigieuse ne suffiraient à la mettre à
l'abri de la règle de l'article 92",
->"que le degrèvement partiel des charges sociales...incombant aux employeurs...est une mesure
destinée à exempter partiellement les entreprises d'un secteur industriel particulier des charges
pécuniaires découlant de l'application normale du système général de prévoyance social sans que
cette exemption se justifie par la nature ou l'économie de ce système",
->quand à "l'argument selon lequel les charges sociales incombant aux employeurs du
secteur...seraient plus élevées en Italie que dans les autres Etats membres, que dans l'application de
l'article 91 §1, il faut nécessairement partir de la situation concurrentielle existante sur le Marché
commun avant que la mesure litigieuse soit prise" .
On peut dès lors se demander s'il ne serait pas possible, à bon escient cette fois, d'évoquer à propos
du statut des personnels français embarqués sur des navires immatriculés aux Kerguelen, les
arguments mis en avant par la Commission dans l'affaire Sloman...et de souligner que le régime en
cause:
-> a pour effet de décharger les armateurs qui font immatriculer des navires aux Kerguelen des
cotisations de sécurité sociales plus élevées dues en cas d'emploi de marins français en France ...et
qu'à ce titre il peut fausser la concurrence entre les entreprises exploitant des navires sous pavillon
national et celles ayant recours à des navires immatriculés aux Kerguelen;
-> mais encore entre Compagnies françaises exploitant des navires immatriculés aux Kerguelen et
des compagnies sous pavillon national d'autres Etats membres de la Communauté.
Car si la commission admet dans certains cas que l'on ait recours à des mesures financières et
fiscales pour soutenir les flottes nationales, il semble bien que ce soit, selon son approche, pour
"compenser les handicaps que peuvent souffrir les flottes nationales sur le marché mondial" et
qu'elles ne doivent pas "provoquer une distorsion de la concurrence entre les Etats membres" .
On retrouve là alors un autre argument qui fut évoqué dès l'arrêt république italienne de 1974.
ß) L'affectation du commerce entre Etats membres.
L'un des arguments invoqués par la Commission dans l'arrêt Sloman était que l'article 92 §1 du
traité déclare incompatible avec le Marché Commun, dans la mesure où elles affectent les échanges
entre Etats membres" les aides accordées par les Etats,etc...
L'un des arguments de défense, dans l'arrêt République Italienne avait été que la mesure prise par
elle "ne serait pas susceptible d'avoir des incidences négatives à l'intérieur de la Communauté".
L'argument serait-il susceptible d'être repris par la Republique Française? La chose est
envisageable, mais la réponse déjà donnée par la Cour dans l'affaire n°173/73 augure mal de son
efficacité.
Que les charges sociales incombant aux employeurs français dans le domaine des transports
maritimes soient plus élevées que chez leur concurrents ne sauraient empêcher la Cour de constater
que:
->" la modification unilatérale d'un certain élément des coûts de production dans un secteur
économique d'un Etat membre est susceptible de perturber l'équilibre existant,
->" que dès lors, il est sans intérêt de comparer les proportions relatives d'une certaine catégorie de
coûts dans les coûts totaux de production, l'élément décisif étant le dégrèvement lui même et non la
catégorie de coût à laquelle celui-ci se rapporte,
->" que les charges sociales pesant sur les employeurs font partie de la catégorie la plus générale
des coûts de travail...".
Il ne pourrait d'autre part être nié que l'industrie des transports maritimes, contrôlée par des
entreprises française, est en concurrence avec les entreprises de transport maritime européennes, et
comme le constatait la Cour, que:"la modification des coûts de production...affecte nécessairement
les échanges entre Etats membres...", et relève en fin de compte de l'interdiction de l'article 92 §1.
Il semble bien, par conséquent, que soit en place, fut-ce pour l'instant à titre virtuel, un
mécanisme qui permettrait de faire condamner la France pour violation de l'article 92 §1, au motif
qu'elle a décidé d'abaisser dans des proportions considérables le taux des cotisations sociales de ses
équipages nationaux embarqués sur les navires immatriculés aux Terres Australes et Antarctiques
Françaises. La question qui se pose alors est peut être de savoir pourquoi aucune procédure n'a été
entreprise en ce sens
Une première réponse pourrait sans doute être trouvée dans l'observation faite par Raymond
Vergne dans "Le Marin" lorsque, ayant rappelé qu'il n'y a pas dans le registre allemand d'aide
publique directe et s'interrogeant sur la nature des dégrèvements ENIM au profit de 25% des marins
français du registre Kerguelen, il déclare :" mais quel armateur allemand ou danois s'en plaindra,
leur DIS et ISR sont tellement plus intéressants et...conformes au traité de Rome".
Aussi fondée qu'elle soit à un premier niveau d'information, la remarque de cet observateur
privilégié du monde maritime attira aussi l'attention sur quelque chose de plus profond. Elle pourrait
être alors annonciatrice de véritables menaces sur les conditions du respect de la légalité
communautaire d'une part, sur l'avenir de l'armement français d'autre part.
S'il s'avèrait en effet que l'absence de poursuite contre la France ne soit due qu'à leur peu
d'intérêt économique immédiat pour ses partenaires (en des circonstances où le retard des
armements nationaux les laisserait de toute façon hors compétition par rapport aux armements
comunautaires), il serait difficile de ne pas s'interroger sur les risques de dérive d'un système
juridique où le "contrôle de la légalité" ne serait lié qu'à l'intérêt économique de ce contrôle. Qu'en
serait-il alors des risques de développement de règlementations nationales non conformes au droit
communautaire dont le controle ne serait plus lié qu'à la seule opportunité économique?
S'il s'avèrait, d'autre part, que les partenaires de la France laissent celle-ci se perdre dans une
fuite en avant qui l'amènerait dans ce secteur d'activitéà ce placer de plus en plus hors du jeu
communautaire (notamment ratione loci), que dire de l'avenir de cette flotte et de la France dans
l'Europe maritime de demain à l'heure où 87% des exportations de la CEE avec le reste du monde et
40% du commerce intra communautaire se font par voie maritime ? Pour autant que l'on considère
en effet que le Territoire des Terres Australes et Antarctiques Françaises ne fait pas partie du
territoire de la Communauté, l'immatriculation de la moitié de notre flotte marchande dans ce
territoire n'aurait-il pas pour effet direct de réduire la part de l'armement français dans l'armement
communautaire? Et l'on ne peut pas exclure que nos partenaires exigent un jour que l'on en tire les
conséquences.
L'empressement du gouvernement français à "délocaliser" sa flotte aux Kerguelen plutôt que
de créer un "registre papier"bis pourrait aussi en cela ne pas avoir gêné nos partenaires au sein de la
Communauté, voire, au contraire, contribué à la consolidation de leur position au sein du Marché
Commun...Ceci pourrait aussi expliquer que l'on ait pu laisser la France poursuivre sa propre course
en avant pour lutter contre la concurrence des pavillons de complaisance! Il est difficile dans ces
conditions de ne pas mettre l'accent sur le débat qui ne
manquera pas de se poser un jour sur l'intérêt de la voie choisie par la France par rapport à celle des
"registres papiers" de ses partenaires.
Conclusion provisoire: la vulnérabilité française.
Reste que si l'absence d'intérêt économique a pu expliquer la passivité dont a pu bénéficier
une France fouryoyée dans une impasse, un autre argument pourrait être mis en avant que nous
avons partiellement évoqué dans les observations que nous venons de faire : celui selon lequelle
"les Territoires d'outre-mer ne font pas partie du territoire de la Communauté et toute la
règlementation communautaire ne leur est pas applicable" .
Appliquée aux dégrèvements accordés pour l'embarquement de marins français sur des
navires immatriculés hors Communauté la raison serait-elle péremptoire? En dehors du fait qu'elle
ne manquerait pas, en l'état actuel de la mise en place des registres bis, de poser un problème de
cohérence logique, nous pensons pouvoir affirmer que l'art.92 s'applique au cas d'espèce et qu'à cet
égard la République Française viole la règle communautaire.
a) L'hypothèse de l'incompétence communautaire:
Pour ce qui est de la logique, le fait d'admettre que la France ait pu instaurer aux TAAF un
registre bis, et que le droit communautaire ne soit pas applicable à ceux qui en relèveraient,
soulèverait deux problèmes.
-> D'une part, dans le système maritime commercial européen, celui de la coexistence d'un type de
registres bis internes aux Communautés (DIS, ISR, demain Euros) soumis au droit
communautaire,opposé à ceux d'Etats européens immatriculant sous pavillons bis (TAAF, Man,
Hong Kong) des navires qui echapperaient ratione loci à la compétence communautaire.
-> D'autre part, comme une sorte de conséquence, le problème posé par la qualification de ce qui
pourrait apparaitre juridiquement comme une volonté de contournement des règles communautaires
conduisant à un "effet équivalant" à une violation des règles de concurrence?...
A moins que l'on considère, qu'echappant à la règlementation communautaire, la flotte
immatriculée aux Kerguelen:
-> ne bénéficie plus des aides communautaires,
-> que la France puisse accorder des aides pour faire engager ses nationaux sur des navires
"délocalisés",
-> et qu'elle puisse être à la fois à l'intérieur du système communautaire (pour les navires
immatriculés
en
métropole)
et
à
l'extérieur de celui-ci pour ceux immatriculés aux TAAF?
Si tel était le cas, le moins que l'on puisse dire est qu'une situation de ce type reviendrait
quasiment à admettre qu'il n'y aurait plus de flotte commerciale française au sein de la
Communauté. La flotte communautaire, grâce aux "registres papiers",conformes à l'article 92, serait
alors essentiellement une flotte à composante germanique, danoise et éventuellement dans l'avenir
norvégienne. On comprendrait alors pourquoi les patenaires de la France se seraient gardés de
l'attaquer au titre de l'article 92 et de courir le risque de la ramener dans le "droit chemin"
communautaire!
b) L'hypothèse da la compétence communautaire:
Ecartant en ce qui nous concerne l'hypothèse précédente, il nous semble malgré tout possible
d'affirmer en l'espèce la compétence communautaire. Et que l'aide accordée par la France pour
l'embarquement de marins français sur des navires sous pavillon Kerguelen nous parait susceptible
d'être attaquée , sur la base des arguments de l'arrêt République Italienne.
Ainsi que le fait en effet observer Yves Pimont , si les Terres Australes et Antarctiques ne
font pas partie du territoire de la Communauté et si la règlementation communautaire ne leur est pas
applicable, il n'en demeure pas moins que "d'un autre côté, les ressortissants des TOM, étant des
citoyens français sont, de ce fait, des ressortissants de la Comunauté européenne". Le problème qui
alors se pose est de savoir à qui sont attribuées les aides contestables? on peut constater alors
qu'elles ne sont pas attribuées spécifiquement:
-> aux navires immatriculés aux TAAF;
-> ni aux marins français travaillant sur ces navires;
-> ni même aux compagnies ayant leur siège aux TAAF,
mais bel et bien aux armateurs (personnes physiques ou personnes morales) "au titre des
contributions patronales a la caisse de retraite des marins et à la caisse générale de prévoyance en ce
qui concerne les services accomplis à bord des navires immatriculés dans le territoire des TAAF"(),
ces armateurs étant alors établis en France, soumis à la loi française et bénéficiant de ses largesses,
la compétence "ratione personae" des communautés est établie.
Si, d'autre part, l'acte condition de la mise en oeuvre du décret est l'engagement d'un marin
français sur un navire aux Kerguelen, l'exécution financière de ce décret, les effets de l'allègement
des cotisations sur la gestion de l'entreprise, et son bénéficiaire principal se situent, essentiellement
en France. Ils seront alors susceptibles d'avoir des effets directs sur la concurrence au sein de la
Communauté. On pourra sur cette base établir la compétence "ratione materiae" des Communautés.
La compétence communautaire étant établie "ratione personae" et "ratione materiae", rien
n'empèchera dès lors la Commission d'agir au titre de l'article 92 et de s'interroger sur la conformité
des mesures d'aides accordées par la France pour faire engager hors du territoire communautaire des
nationaux français au bénéfice d'entreprises susceptibles de se trouver , dans la communauté cette
fois, en concurrence avec d'autres entreprises françaises ou communautaires