Chickou 01 - Editions Philippe Picquier
Transcription
Chickou 01 - Editions Philippe Picquier
1 Un moineau remarquable Mon premier vol Je m’appelle Chickou, je suis un petit moineau. Il y a à peine trois mois que je suis venu au monde. Chez les humains, un bébé de trois mois ne sait rien faire d’autre que téter et dormir. Mais chez les moineaux, c’est différent. Je ne sais pas encore voler à la perfection, mais je fais de mon mieux. J’arrive aussi à comprendre ce que disent les autres moineaux, même si aux oreilles des humains, leurs cui cui ne sont que des gazouillis inintelligibles. Quand papa reste longtemps absent, je dois me débrouiller tout seul pour manger. Vous voulez savoir de quoi se nourrit un petit moineau de trois mois ? Nous verrons ça plus tard. Tout ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est que je ne bois pas de lait comme les bébés humains. Je ne porte pas non plus de couche-culotte. Et surtout, je suis déjà capable de me débrouiller tout seul. Au fait, je ne vous ai pas encore parlé de ma famille. Mon papa s’appelle Chipou. C’est chic comme nom, vous ne trouvez pas ? Dommage que vous n’entendiez pas le langage des moineaux ! Sinon, vous comprendriez à quel point ce nom est admirable. Mais 9 je vous sens impatients de savoir ce que Chipou signifie. Je vais vous le dire. Chez les moineaux, le nom de mon père désigne le « Vagabond de la Grande Prairie ». Vous voyez ? Je vous avais prévenus. Je savais bien que vous seriez émerveillés. Mais, comment ? Vous ignorez ce qu’est la Grande Prairie ? A vrai dire, je ne la connais pas non plus, je n’y suis encore jamais allé. En tout cas, le nom de mon papa a une signification philosophique très profonde. Qu’est-ce que la philosophie ? vous demandez-vous. Eh bien, jeunes lecteurs, vous le découvrirez en lisant ce livre. Ou du moins, je l’espère. La première chose que mon père m’a apprise, ça a été de voler. Pour voler, il faut s’élancer vers le ciel en déployant grand ses ailes. — La grandeur d’un moineau dépend de sa capacité à voler, m’a dit mon père dès le septième jour de ma jeune vie. Cette phrase m’a beaucoup plu. Pourquoi ? Parce que, en la prononçant, papa m’a paru très beau. C’était un matin, de bonne heure. Le soleil se levait à peine. D’un bond léger, mon père s’est élevé dans le ciel et a battu doucement des ailes. Il était superbe ! Je n’ai pu retenir un tchip tchip d’admiration. J’ai eu l’impression de comprendre ce qu’était la grandeur d’un moineau. — Je veux savoir voler comme toi, ai-je dit à mon père dès son retour au nid. Il m’a souri. 10 — Quand ton grand-père m’a appris à voler, j’étais aussi impatient que toi au début. Mais j’avoue que la crainte était encore plus forte. Mais toi, tu n’as pas peur ? Ignorant sa question, j’ai insisté : — Je veux voler comme toi, papa. Il était très fier et heureux, je le voyais bien. Dans notre nid, je me suis entraîné à ouvrir mes ailes comme mon père me l’a montré. Je me suis aussi exercé à tendre mes pattes puis à les replier. Trois jours plus tard, papa m’a ordonné de me tenir debout sur le rebord du nid. Qu’est-ce que ça m’a semblé haut ! A mes pieds, le paysage m’a semblé complètement différent du monde que j’avais l’habitude de voir depuis notre nid. Comme je perdais l’équilibre, mon père m’a conseillé de me redresser sur mes pattes. J’ai obéi et j’ai réussi à me remettre d’aplomb. Si j’avais peur ? Pour être franc, oui, un peu ! Mais je me suis rappelé une autre phrase de mon père : « Un moineau vraiment grand ne se laisse jamais vaincre par la peur. » Alors, j’ai retrouvé mon assurance. Papa m’a regardé et m’a dit : — Cet endroit est très dangereux. Si nous étions dans la Grande Prairie, tu pourrais t’entraîner au sol tout le temps que tu veux avant de Qu’est-ce prendre ton envol. Hélas, la Grande que ça m’a Prairie est bien loin ! Tu es obligé de te contenter de notre nid comme semblé haut ! 11 base de départ. Mais n’oublie pas que si tu tombes, tu meurs. Alors, es-tu prêt ? — Oui, papa, ai-je répondu. Mon père m’a lissé les ailes de son bec. — Tu es capable de voler. Vas-y ! Alors, d’un puissant coup de pattes, j’ai pris mon élan et je me suis jeté dans le vide. Le bec serré, j’ai ouvert mes ailes le plus largement possible et je les ai agitées tranquillement, sans me presser. Je voulais faire comme mon père. Mon premier vol a été une réussite. Je n’ai voleté ainsi que pendant une trentaine de secondes, mais pour un premier essai, c’était sans doute un record. Durant ce bref instant dans les airs, je n’ai pensé à rien d’autre qu’à ce que mon père appelait « la grandeur d’un moineau ». Car si j’avais laissé la peur s’emparer de moi, mes pauvres petites ailes d’oisillon auraient été incapables de supporter le poids de mon corps. J’ai osé les gracieux et amples mouvements d’ailes que j’avais imaginés. A mon retour dans le nid, Papa m’a serré fort contre lui. — Je suis fier de toi, m’a-t-il dit. Je n’ai jamais vu un premier vol aussi beau. Aucun autre moineau, même parmi les plus grands, n’a 12 eu des débuts aussi prometteurs, j’en suis sûr. A partir de maintenant, tu t’appelles Chickou. C’est ainsi que mon père m’a donné le nom qui, pour ma famille, représentait un grand honneur. Vous voulez savoir ce qu’il signifie ? Et bien, je regrette, mais connaître le sens d’un nom aussi magnifique se mérite. Voici ce que je vous propose : trouvez des moineaux, de ceux qui viennent picorer dans votre jardin, se percher sur votre balcon, sautiller dans l’aire de jeux en bas de chez vous ou chercher à manger dans les champs, et demandez-leur s’ils connaissent le sens du mot Chickou. Je suis sûr qu’ils pépieront avec enthousiasme, cui cui cui ! cui cui cui ! pour vous expliquer. Dans votre langue, Chickou se traduit par « Pionnier de la Grande Prairie ». Je ne sais pas pour vous, mais moi, ce nom me plaît beaucoup. Qu’est-ce qu’un pionnier ? C’est une sorte d’explorateur, une personne courageuse qui ouvre des voies nouvelles. J’ignore si je deviendrai un moineau courageux en grandissant, mais en tout cas, je suis très fier de mon nom. Maintenant, je vais vous parler de ma mère. Elle s’appelait Chimou. C’est mon père qui l’a baptisée ainsi au moment de l’épouser. Chimou veut dire « Poème de la Grande Prairie ». Charmant, non ? Mon père devait être très amoureux pour lui donner un nom aussi beau. Mais y en a-t-il parmi vous, jeunes lecteurs, qui ne savent pas ce qu’est un poème ? Un poème est un 13 chant, une belle histoire racontée par une personne qui aime la vie. Votre père qui embrasse votre mère en rentrant du travail, c’est un poème d’amour. Votre mère qui prépare votre soupe préférée au tofou, c’est aussi un poème d’amour. Comment un oisillon de trois mois peut-il connaître tant de choses ? ça fait deux mois et demi que je parcours le ciel. Alors, croyez-moi, j’ai eu pas mal d’occasions de visiter le monde des humains. Parler de ma mère me rend triste. Trois jours après ma naissance, elle a quitté cette terre. Papa me dit toujours : — Si seulement nous n’avions pas déménagé ! Il ne serait rien arrivé à ta maman. Tout est ma faute. Je ne suis pas au courant des circonstances exactes de la mort de ma mère, mais je me retiens de questionner mon père. Cela ne ferait que le rendre encore plus malheureux. Si je suis certain que ma mère était une moinelle très jolie et très douce, c’est d’abord à cause de ce nom que mon père lui a donné et aussi, et surtout, parce qu’elle était l’amour de sa vie. Poèmes d’amour