Etude de l`Allégorie de la caverne, extrait tiré du Livre VII de la

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Etude de l`Allégorie de la caverne, extrait tiré du Livre VII de la
Etude de l’Allégorie de la caverne, extrait
tiré du Livre VII de la République de Platon
Michel Tres et Raoul Weicker
6 janvier 2008
Table des matières
1 Introduction
2
1.1
Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2
1.2
La motivation de Platon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2
1.3
La République . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
1.4
Deux mondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
1.5
Termes et concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
2 L’Allégorie de la caverne
5
2.1
La caverne : le niveau zéro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6
2.2
Un prisonnier est libéré : vers une conversion (periagogè) . . .
7
2.3
La sortie de la caverne : l’ascension vers la lumière . . . . . . .
9
2.4
2.3.1
Les ombres et les simulacres - les objets mathématiques 11
2.3.2
Les êtres eux-mêmes et les astres - les Idées . . . . . . 11
2.3.3
Le soleil - L’Idée du Bien . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
La redescente vers les prisonniers restés dans la caverne . . . . 12
1
1
Introduction
1.1
Biographie
Né en 427 av. J.-C., Platon, fils d’une noble famille d’Athènes, vit la
période la plus sombre de l’histoire de cette cité. La guerre du Péloponnèse,
entre Sparte et Athènes, se termine, en effet, en 404, par l’écrasement et l’effondrement d’Athènes. En 407, à vingt ans, c’est la rencontre avec Socrate,
dont il sera l’élève pendant huit ans. Révolté par la mise à mort (399) de son
maı̂tre, injustement condamné par les Athéniens, Platon quitte Athènes et
se réfugie à Mégare. Puis il voyage en Egypte, et, ensuite en Italie du Sud.
À trois reprises, il tente d’établir, en Sicile, des réformes politiques et un
gouvernement juste. Chaque fois, l’affaire se termine mal. C’est au retour de
son premier voyage en Sicile, en 388-387 av. J.-C., que Platon, à quarante
ans, fonde, à Athènes, l’Académie, école de philosophie organisée comme une
université, dont le rayonnement sera considérable et poursuivra ses activités
jusqu’au VIe siècle.1 Platon est mort à Athènes à l’age de quatre-vingts
ans. Il n’avait pu réaliser la cité idéale de ses rêves mais avait toutefois rédigé
une œuvre philosophique considérable.2
1.2
La motivation de Platon
C’est la mise à mort de Socrate, le juste, qui a révolté Platon. Toute
sa vie il va chercher une réponse à la question : Pourquoi le juste – Socrate
– est-il condamné à mort ?
Platon déçu par sa cité, va tenter d’élaborer un moyen qui pourra sauver
la cité et y faire naı̂tre la justice. Ce qui a corrompu la cité et la justice, c’est
le fait que les citoyens ont été bien trop attachés à leur monde d’illusions
et à leur opinion, une tendance qui s’est trouvée renforcée par le travail des
sophistes,3 des spécialistes de la rhétorique, qui pour la plupart niaient la
1
C’est en 526 que l’empereur Justinien fait fermer l’Académie.
Cf. Jaqueline Russ : Philosophie. Les auteurs, les œuvres. Paris 2003, p. 10.
3
Sophiste : Maı̂tre de philosophie rétribué, qui enseignait l’art de l’éloquence et les
2
2
possibilité d’une vérité universelle et éternelle.
1.3
La République
La République 4 est un dialogue organisé en dix livres, il a pour thème
central la justice et par conséquent le fonctionnement de la cité5 modèle.
Platon veut donc fournir une théorie de la justice. C’est une manière pour
lui de répondre et de réagir aux troubles des cités grecques, et plus particulièrement à ceux d’Athènes, la cité qui a condamné à mort Socrate, le
juste.
La solution de Platon est de proposer une cité modèle où la justice est
garantie par la division de la population en trois classes.
1. Les philosophes sont seuls aptes à gouverner la cité, puisqu’ils connaissent
la vérité.
2. Les soldats doivent défendre la cité.
3. Les producteurs (agriculteurs, ouvriers et commerçants) ont pour unique
vertu d’obéir.
Du fait que la philosophie se comprend comme amour de la sagesse, elle est
aussi étude de la vérité. Ainsi la connaissance de la vérité constitue le moyen
pour le philosophe de garantir une cité juste. Dans la République Platon
veut montrer comment on peut accéder à la vérité, c’est-à-dire qu’il veut
montrer le chemin qui mène à la vérité.
C’est dans l’extrait du texte connu sous le titre de L’Allégorie de la camoyens de défendre n’importe quelle thèse par le raisonnement ou des artifices rhétoriques.
Les sophistes sont des penseurs du Ve s. av. J.-C. qui développèrent la dialectique dans un
sens relativiste et sceptique. Professant une philosophie empiriste et sensualiste, ils firent
donc la critique des croyances religieuses de la Grèce antique. Les plus célèbres sophistes
furent Protagoras, Prodicos, Hippias et, au IVe s. av. J.-C., Gorgias. Platon, qui
les a attaqués avec insistance tout au long de son œuvre (et notamment dans les dialogues
c Hachette Livre, 1998.
Protagoras et Gorgias), a contribué à leur discrédit. 4
Platon : La République, VII 514a - 518b, cf. Itinéraires Philosophiques, p. 44-48.
5
Cité gr. polis, dt. Stadtstaat.
3
verne 6 au Livre VII de la République que Platon expose ce chemin sous
une forme imagée et concrète. Pour comprendre ce dernier il est bien de dire
quelques mots au sujet de la distinction importante que Platon fait entre
ce qu’il appelle le monde sensible et le monde intelligible.
1.4
Deux mondes
Pour Platon, le monde sensible, celui des choses matérielles,7 change. Il
n’est pas stable8 et ne peut fournir ou contenir aucun principe permettant
de parler de vérité et d’une vraie connaissance. C’est pour cette raison que
Platon oppose au monde sensible le monde intelligible, un monde où il n’y
a pas de changements, un monde stable.
Puisque que le monde intelligible9 est un monde immatériel et éternel, il
peut être la seule source de vérité. Selon Platon ce monde est rempli d’Idées
qui ont une existence objective, c’est-à-dire qu’elles existent indépendamment
du fait que nous les connaissons – pour lui elles sont et ont toujours été.
Dans ce sens le monde sensible est subordonné au monde intelligible. Les
choses sensibles participent et imitent les Idées du monde intelligible. En
bref, pour Platon il y a un dualisme qui se compose d’un monde originel
(monde intelligible), stable, immatériel, incorruptible et vrai, organisé par
le plus haut principe, le Bien, et d’un monde secondaire (monde sensible),
non-stable, matériel, corruptible et faux.
1.5
Termes et concepts
Idée : forme intelligible, modèle de toutes choses, plus réel que les êtres
sensibles.
6
Allégorie n. f. LITTER Description, récit, qui, pour exprimer une idée générale ou
abstraite, recourt à une suite de métaphores. L’Allégorie de la caverne, dans la République
c Hachette Livre, 1998.
de Platon. 7
Les choses, les objets, les êtres vivants, les opinions etc.
8
C.-à-d. que les choses de ce monde se transforment et finissent même un jour ou l’autre
par disparaı̂tre.
9
Monde intelligible ou monde des Idées.
4
Le Bien : Idée suprême, principe supérieur.
La dialectique : c’est le moyen, à travers le dialogue, de connaı̂tre « ce qui
est ». Mouvement d’élévation progressive par degrés de l’âme ; le passage des
apparences sensibles aux Idées, pour atteindre l’Idée du Bien.
La réminiscence : c’est le fait que l’âme se re-souvient des Idées autrefois
contemplées, lors de son séjour dans le monde intelligible, le monde des âmes
(sans corps) et des Idées.
L’opinion : (gr. doxa) connaissance inférieure, portant sur les objets du
monde sensible. Un mixte entre la connaissance vraie et l’ignorance.
Le savoir : (gr. épistémè) connaissance vraie et supérieure, portant sur les
objets du monde intelligible.
2
L’Allégorie de la caverne
Le but de Platon est de montrer que la condition humaine10 peut évoluer
selon qu’elle fait l’objet d’une éducation, « Figure-toi, [...] une situation telle
que celle-ci, la condition de notre propre naturel sous le rapport de la culture11
ou de l’inculture12 ». L’éducation doit être comprise comme formation de
l’esprit lui permettant de parvenir au vrai. Dans la République la cité modèle
a comme mission d’éduquer son peuple.
Pour montrer cette évolution, Platon a imaginé un scénario à plusieurs
étapes ou paliers, qui rend compte des différents degrés de connaissance que
nous devons traverser afin d’accéder à la vérité et à la connaissance du
Bien. Les étapes sont donc celles du cheminement de l’éducation qui nous
mène progressivement de l’ignorance à la connaissance. La première partie
du texte expose la situation initiale, le point de départ, celle où l’éducation
et la connaissance n’ont pas lieu d’être.
10
Ce qui est propre à l’homme, cf. l. 2.
Education, savoir.
12
Ignorance, le fait d’être non-éduqué.
11
5
2.1
La caverne : le niveau zéro
Le point de départ est une caverne, un endroit sombre qui doit être illuminé par une lumière artificielle, un feu, car la lumière du jour n’arrive pas
jusqu’au fond de cette dernière. Les hommes qui s’y trouvent, y sont enchaı̂nés « depuis leur enfance », de façon à ce « qu’ils restent à la même place ».
Leur tête est immobilisée, de manière à ce qu’il leur est impossible de la
tourner circulairement, ils ne peuvent voir que ce qui se trouve sur la paroi
de la caverne devant eux.
Ces derniers ne voient que des ombres qui défilent sur cette paroi, tout en
percevant des sons, « un écho provenant de la paroi qui leur fait face » dont
ils jugeront qu’ils émanent des ombres. Or, les ombres et les échos viennent
des montreurs de marionnettes (sophistes) qui circulent derrière un petit
mur et qui portent des statuettes, des objets fabriqués éclairés par un feu, se
trouvant encore derrière et en hauteur de ces derniers.
Platon insiste sur le fait que dans une telle situation les prisonniers ne
peuvent voir que des ombres. Ils n’ont d’eux-mêmes, des autres et des objets
(fabriqués) aucune « autre vision, hormis celles des ombres que le feu fait se
projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face ». Il s’agit maintenant de
comprendre comment les prisonniers voient ces ombres. Platon nous dit que
« les hommes dont telle est la condition13 ne tiendraient, pour être le vrai,
absolument rien d’autre que les ombres projetées par les objets fabriqués ».
Le point le plus important de la première partie de cette mise en scène, est
que pour les prisonniers les ombres sont des réalités, elles sont même la seule
réalité.
L’élément clé de cette condition réside bien dans le fait que les prisonniers
sont dans cette situation « depuis leur enfance », ce qui veut dire qu’ils n’ont
même pas la possibilité de comprendre que les ombres sont que des ombres.
Depuis leur naissance les prisonniers confondent sans le savoir, la réalité avec
des simulacres14 de la réalité et ceci tout simplement parce qu’ils « ont été
13
14
Corps et tête immobilisés ; champ de vision volontairement réduit et orienté.
Simulacre n. m. 1. Apparence qui se donne pour une réalité. Spécial. Illusion, appa-
6
condamnés pour la vie à avoir la tête immobile », ils n’ont pas le choix ni
la possibilité de pas être trompés. Dans ce sens les prisonniers ne sont non
seulement dans l’ignorance en ce qui concerne les ombres, mais en plus ils ne
savent même pas qu’ils sont prisonniers. L’enchaı̂nement est en quelque sorte
double : « d’abord parce [qu’ils sont] victimes, ensuite parce qu’ignorants de
ce dont ils sont victimes. » Plus esclave que l’esclave, est l’esclave qui se croit
libre15 ».
La connaissance des prisonniers se réduit à une conjecture16 . Elle est réduite à ce qu’on leur montre ; c’est l’opinion, les ouı̈-dire, l’on-dit, les préjugés
qui règnent, ils sont dans un état de réception passive, il n’y a de leur part
aucun jugement vrai.
2.2
Un prisonnier est libéré : vers une conversion (periagogè)
Non seulement on délivre le prisonnier de ses chaı̂nes, mais on le guérit
de sa « déraison », de son ignorance, du moins faut-il dire que tel est le but
visé par la libération. Mais, cette délivrance est une entreprise qui ne se passe
pas sans souffrances ; celui qui libère le prisonnier, le force soudainement et
brusquement, à se lever, marcher, tourner le cou et à regarder la lumière. Il
faut imaginer que ce dernier est complètement engourdi, chaque mouvement,
chaque pas, lui fait mal.
On le tire devant les objets, habitué à ne voir que des ombres, la lumière
l’éblouit, il lui est impossible de regarder les objets dont avant il ne voyait que
les ombres. On lui dit qu’avant, il n’a vu que des « billevesées »,17 des riens
sans consistance et on l’interroge sur ce que sont les objets. Le prisonnier est
embarrassé et estime que les choses, c’est-à-dire les ombres qu’il voyait avant,
rence dérisoire. Un simulacre de bonheur. Un simulacre de justice. 2. Objet qui imite un
c Hachette Livre, 1998.
autre objet. 3. Action simulée. Un simulacre de combat. 15
Geneviève Droz : Les mythes platoniciens. Paris 1992, p. 97.
16
Conjecture n. f. Opinion fondée sur des analogies, des vraisemblances, des présompc Hachette Livre, 1998.
tions, des probabilités. Se perdre en conjectures. 17
c Hachette Livre, 1998.
Billevesée n. f. Chose, propos frivole. 7
était plus vraies. Il ne supporte pas le fait de devoir regarder la lumière, c’està-dire le feu lui-même, cette vision est tout simplement trop intense et le fait
souffrir des yeux.
Alors, mis dans l’embarras, ébloui, forcé et tiré, souffrant donc aussi bien
physiquement que mentalement, il est clair qu’il n’a qu’une envie, c’est de
retrouver sa place auprès des autres prisonniers. Il veut retrouver son théâtre
d’ombres auquel il a été habitué, là où toutes ces souffrances n’existaient pas.
La violence et la souffrance que subit le prisonnier sont néanmoins inévitables,
l’éducation est bien un arrachement dont les premiers pas sont douloureux,
c’est pour cette raison qu’il faut l’accompagner sur son chemin, lui prêter
main forte et continuellement l’inviter à se dépasser, à gravir les échelons du
chemin qui le mènera à la connaissance.
En absence d’un accompagnateur il est très probable que le prisonnier
ne voudra jamais changer quoique ce soit à sa situation. Trop grand est le
confort de cette dernière. Il était habitué à tout recevoir passivement de
l’extérieur, pourquoi faire un effort et surtout pourquoi souffrir ? En restant
dans cette situation, il devra bien sûr s’en tenir à l’opinion qui règne parmi
lui et ses compagnons. Il est ainsi complètement soumis au jeu d’ombres
des prestidigitateurs18 qui passent derrière lui. Dans le sens où le prisonnier
préfère sa situation d’enchaı̂nement – la croyant plus vraie, plus confortable
et moins douloureuse – croyant qu’il y est moins contraint, cela témoigne que
du fait qu’il y a conditionnement et intoxication mentale.
Face à l’effet de résistance et de rébellion que provoquent les éblouissements, les aveuglements et les souffrances, il est important que l’accompagnateur ne lâche pas le prisonnier.
L’arrachement de la caverne nécessite une conversion (periagogè), il faut
que le prisonnier se tourne tout entier, c’est-à-dire qu’il doit renoncer au
monde de l’opinion (doxa) dans lequel il vivait jusqu’à présent. Il a mainte18
Prestidigitateur, -trice n. Artiste qui fait des tours de prestidigitation ; illusionniste.
c Hachette Livre, 1998. Dans le Sophiste Platon appelle les sophistes des « des faiseurs
de prestiges ».
8
nant les moyens de reconnaı̂tre, puisqu’il a vu des objets fabriqués, que les
ombres ne sont pas la réalité. Faut-il seulement qu’il admette que tout ce qui
constituait son monde jusque-là était faux, ce n’était qu’une pâle copie de
ce qui se présente maintenant sous ses yeux. En d’autres termes, la vue des
objets doit lui permettre de comparer et de voir le décalage entre l’ombre et
son objet, d’identifier les objets comme étant les causes des ombres. Mais le
prisonnier ayant les yeux encore pleins de lumière ne voit d’abord rien, il est
donc obligé de croire ce qu’on lui dit et montre.
Il est dit dans le texte que si le prisonnier n’est pas soutenu, c’est-à-dire
tiré et retenu par celui qui l’a libéré, il « fuirait vers ces autres choses qu’il
est capable de regarder », il faut donc continuer à le tirer plus loin encore,
« tout au long de la rocailleuse montée » et ne pas le lâcher « avant de l’avoir
tiré dehors, à la lumière du soleil ».
2.3
La sortie de la caverne : l’ascension vers la lumière
Le prisonnier a dépassé le monde des objets sensibles19 qui sont maintenant reconnus et identifiés comme étant les causes des ombres. Tiré hors
de la caverne, le prisonnier se retrouve en plein soleil, en plein jour, c’est
l’entrée dans le monde intelligible. Toute cette lumière du jour contraste avec
la caverne qui est comme plongée dans l’obscurité de la nuit. Le prisonnier
est désormais encerclé, cerné, envahi par la lumière, elle est tout autour de
lui et peu importe le côté vers lequel il se tourne pour ouvrir les yeux, la lumière lui est tout autant insupportable. Ainsi immobilisé au milieu de cette
lumière, le prisonnier ne sait pas de quel côté fuir ; il doit se laisser le temps
19
Le monde des objets sensibles peut être considéré comme dépassé parce que la sortie de
la caverne correspond à l’entrée dans le monde intelligible. S’il est vrai que nous trouvons
des objets ou des êtres sensibles dans le monde intelligible, il faut remarquer qu’ils sont
néanmoins plus vrais, parce que les objets sensibles de la caverne étaient des artefacts,
c’est-à-dire des copies d’êtres réels ; la statue d’un cheval, bien que matérielle, demeure
une copie du cheval réel et vivant, dans ce sens il faut comprendre que les ombres vues
par les prisonniers dans la caverne ne sont que des ombres d’objets fabriqués et donc déjà
copiés.
9
de s’accoutumer à ce nouvel environnement et laisser le temps aux choses
d’agir sur lui.20
Même si le prisonnier accepte les efforts de l’ascension, il est tout d’abord
incapable de regarder en direction des réalités. Il ne lui suffit pas de se défaire
de ses anciennes et séduisantes illusions, l’ascension vers la vérité, c’est-àdire être capable de lever la tête et de regarder finalement le soleil lui-même,
demande encore du travail, il doit apprendre et inlassablement apprendre.
L’accoutumance et l’ascension se font en plusieurs étapes : incapable de
regarder directement la source de lumière, c’est-à-dire le soleil, le prisonnier
cherche d’abord à regarder ce dont il peut supporter vision, il trouve les
ombres (la différence de ces ombres avec celles de la caverne est que ce ne
sont pas des ombres d’artefacts, mais d’objets ou d’êtres réels). Après cela,
il regarde « sur la surface des eaux les simulacres des hommes aussi bien
que des autres êtres », il s’agit là de reflets comme ceux d’un miroir. L’étape
suivante il regarde « ces êtres eux-mêmes », ces êtres correspondent aux Idées.
Il lève ensuite la tête vers le ciel lui-même, ce qui lui est plus facile la nuit, il
peut directement contempler21 les étoiles et la lune, c’est-à-dire des sources
de lumière (naturelles) sans être ébloui. En dernier lieu, il est capable de
regarder « le soleil lui-même dans le lieu qui est le sien [...] le contempler
tel qu’il est ».22 Chacun des objets de l’image (ombres, êtres, astres, soleil)
correspond un objet du monde intelligible.
20
La lumière du soleil agit, pour ainsi dire, comme un choque immobilisant le prisonnier
et accélérant la prise de conscience.
21
Contempler v. tr. : regarder attentivement, avec admiration. Contempler les astres.
Fig. « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent » (attribué à Bonaparte). Contemplation n. f. 1. Action de contempler. Rester en contemplation devant un
paysage. 2. Profonde application de l’esprit à un objet intellectuel. 3. RELIG Connaissance
c Hachette Livre, 1998.
de Dieu acquise par la méditation. 22
On peut imaginer que le prisonnier que voit comme le soleil se lève, une façon encore
de s’habituer progressivement à sa lumière et son éclat.
10
2.3.1
Les ombres et les simulacres - les objets mathématiques
Les ombres et les simulacres correspondent aux objets mathématiques,
comme par exemple les figures géométriques. Ces dernières sont connues par
l’arithmétique, la géométrie plane et la géométrie des solides (stéréométrie).
Les objets mathématiques sont des objets idéels : l’esprit s’appuie ici sur
le concret (par exemple un triangle dessiné sur une feuille), mais seulement
en vue d’en saisir les propriété générales (par exemple : chaque côté d’un
triangle est plus petit que la somme des deux autres et plus grand que leur
différence). Mais pour Platon, ce type de connaissance est insuffisant car
les mathématiciens partent ici d’hypothèses sans les justifier ultérieurement.
2.3.2
Les êtres eux-mêmes et les astres - les Idées
Les êtres eux-mêmes et les astres correspondent aux Idées. L’esprit ne
s’appuie plus sur des reflets (ombres, simulacres), mais les objets intellectuels
(Idées) sont immédiatement saisis tels qu’ils sont en eux-mêmes. Ces Idées
existent objectivement, c’est-à-dire indépendamment de notre esprit. Elles
sont des réalités spirituelles, immuables et pures. La science qui étudie les
astre est l’astronomie.
2.3.3
Le soleil - L’Idée du Bien
Lorsque le prisonnier libéré observe le soleil il voit non seulement qu’il
« produit les saisons et les années »,23 que c’est « lui qui a le gouvernement
de toutes les choses qui existent dans le lieu visible », mais qu’il « est aussi la
cause » de tout ce que les prisonniers voyaient là-bas. L’action du Bien est ici
montrée par analogie à l’action du soleil. Le soleil est la source de toute vie
et de tout ce qui est visible, il illumine notre monde et permet ainsi à l’œil
de voir et aux objets sensibles d’être visibles. Le Bien permet à l’œil de l’âme
de voir les objets du monde intelligible (les Idées) et aux objets du monde
23
Pour faire ce constat il faut observer le soleil pendant des années, ce qui suggère que
l’apprentissage de ce qu’est le soleil et donc le Bien, prend du temps.
11
intelligible d’être visibles à ce même l’œil. Il est important de remarquer que
le Bien est la cause première et que le soleil n’est pas le Bien, mais seulement
le fils du Bien.
En pensant à ces compagnons de la caverne, il se rend compte que le
dur chemin de l’ascension avec toutes les souffrances endurées, vaut la peine
d’être entrepris, car maintenant il reconnaı̂t que le soleil (le Bien) est la cause
première des choses et des êtres, il connaı̂t la vérité sur l’être des choses et le
monde.
Le prisonnier ne trouve maintenant plus aucune raison d’envier ces anciens
compagnons. Il a à leur égard de la pitié. Il est prêt à vivre comme « valet de
bœuf, en service chez un pauvre fermier », c’est-à-dire qu’il préfère supporter
tous les maux possibles, plutôt que de vivre comme prisonnier, soumis à ne
voir que des illusions, des choses non-vraies, de vivre dans l’ignorance.
Au fait il est devenu un amoureux de sagesse, un philosophe. Le libéré
a fait le chemin « là-haut », mais il faut être prudent ; Platon nous met
en effet en garde : « nul ici-bas ne peut atteindre la sagesse qui n’appartient
qu’aux dieux, ni la vérité que seules quelques âmes, non encore incarnées, ont
eu le privilège de connaı̂tre autrefois. L’amoureux d’opinion, le ’philodoxe’ de
la caverne, est certes devenu amoureux de sagesse, mais l’on sait que l’amour
n’est qu’une tension, désir et quête ».24 Cela signifie que le philosophe est
perpétuellement à la recherche de la vérité et du Bien, il tend vers cette
vérité et ce Bien jamais atteints.
2.4
La redescente vers les prisonniers restés dans la
caverne
Arrivé au soi-disant terme de son ascension, l’ex-prisonnier est pris de pitié
pour ses compagnons restés dans la caverne. Il a contemplé le soleil, l’Idée du
Bien, il ne peut donc rester insensible au fait que dans la caverne il y a encore
tant d’autres qui vivent dans l’ignorance et le mensonge. Comme « s’il n’avait
24
Droz, Les mythes platoniciens. Paris, 1992, p. 98 sqq.
12
pas le droit de conserver pour soi seul un bien, pourtant durement conquis,
comme si l’acquisition de la vérité n’avait de véritable sens que propagée et
partagée, comme si le vrai lieu de la philosophie ne devait pas être là-haut,
dans la majestueuse « plaine de la vérité », mais bien en bas, là où se trouve
les hommes, leurs joies et leurs détresses, notre philosophe redescend ».25
Lorsque le philosophe redescend26 et qu’il reprend son ancienne place il a
encore les yeux pleins de soleil, c’est-à-dire que dans l’obscurité il ne voit pas
tout de suite. Il lui faut donc un temps d’accoutumance assez long. Dans
cette situation il ne peut pas juger des ombres, les prisonniers concluent que
l’ascension n’a fait que lui gâcher la vue et que l’ascension ne vaut donc pas
la peine d’être vécue.
Au fait les prisonniers se moquent de leur ancien compagnon. Platon
nous dit que « celui qui entreprendrait de les délier, de leur faire gravir la
pente [...] s’ils pouvaient de quelque manière le tenir en leurs mains et le
mettre à mort, ils le mettraient à mort ».27 Ceci nous montre que les prisonniers sont attachés à leurs illusions, leur confort et leur opinion.
Le savoir est violence par rapport au non-savoir, il est dangereux parce
qu’il détruit les anciennes habitudes. Face à la violence (des prisonniers), le
philosophe est impuissant, car il n’a que les armes du discours. Or, c’est précisément de discours que les prisonniers ne veulent rien savoir. Le philosophe
est l’homme du discours raisonnable, du discours qui, de raison en raison,
cherche à atteindre la vérité (cf. dialectique).
Platon pense sans doute au sort qu’a connu son maı̂tre Socrate qui
a été mis à mort pour avoir voulu instaurer entre les hommes le discours
raisonnable. – Faut-il donc renoncer à libérer les prisonniers ? Il semble plutôt
qu’il faut les libérer un à un, et qu’il est inutile de leur exposer ce qu’est la
vérité, mais il faut les arracher, sous peine de les faire souffrir, et leur faire
découvrir par eux-mêmes le chemin qui mène à la vérité. On ne peut pas faire
descendre le soleil dans la caverne, mais il faut mener les « prisonniers » au
25
Droz : Les mythes platoniciens. Paris 1992, p. 99.
Philosophe-roi.
27
N’est-ce pas ce qui est arrivé à Socrate ?
26
13
soleil. C’est pour cette raison que l’éducation se présente comme un processus
long et dur.
14