Le p`tit Bonhomme Gris des Sauteux
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Le p`tit Bonhomme Gris des Sauteux
Des thèmes sans âge que les collectivités se transmettent depuis les tout débuts de la civilisation; depuis que le commerce ou la guerre a obligé l’homme à braver les mers. La découverte de trésors sur les rivages était une fatalité de l’imagination… Avant l’apparition des Loto-Québec ou toute autre loterie, les découvertes du comte de MonteCristo ne faisaient assurément pas légion. Mais comment alors pouvait-on changer sa condition?... Un butin égaré ou enterré; une pépite d’or dans une rivière; des naufragés provenant de riches bateaux… À l’été de 1918, c’est donc une collectivité encore traversée par les mythes que le professeur Marius Barbeau découvre à Sainte-Anne-des-Monts et Tourelle. L’ethnologue engrange des centaines de chansons et récits. Dans ses mémoires, il relatera même que ce voyage fut le plus prolifique de toute sa carrière. En somme, il découvre dans ce coin de pays un vestige de la vieille France, celle de l’Ancien Régime, voire du Moyen Âge. Les chanteurs et conteurs l’approvisionnent d’éléments remontant jusqu’au temps des Croisades, au temps où le saint roi Louis IX entra dans la légende. Durant tout le XXe siècle, des universitaires européens et nord-américains rechercheront dans cette source inépuisable pour redécouvrir ou corroborer des pans de l’histoire occidentale. Pendant ce même voyage de 1918, Mr François St-Laurent de Tourelle sera un des principaux informateurs de Mr Barbeau. Outre de nombreuses chansons remontant au Moyen Âge, c’est de cet admirable villageois que nous est parvenue cette anecdote populaire des Sauteux. Pour ces gens, ce récit était tenu pour véridique : il servait à expliquer des phénomènes inconnus. Notre choix est justifié par la grande importance qu’il représente pour notre culture locale. En un mot, ce texte est non seulement paradigmatique de la « littérature orale gaspésienne » dixit Carmer Roy, il est au surplus le reflet de toute une époque, de toute une mentalité. Bonne lecture! Marc-Antoine DeRoy Fête du bois flotté 2008 Le petit Bonhomme Gris des Sauteux Aux Sauteux, de grosses montagnes en bas de la Tourelle, les ouvriers qui, la nuit, campaient sous une tente, entendirent des bruits étranges. On faisait le tour de la tente et on grattait la toile. Des cailloux dégringolaient de la montagne, sifflaient dans l’air et tombaient en s’émiettant. Antoine Brisebois, le postillon, fut bien surpris, un bon matin, de voir des hommes campés sur la plage. Il leur dit : « savez-vous pas qu’un mort est enterré ici? Voyez sa planchette, elle est plantée sur la pointe et gravée de lettres et de chiffres. Mais les hommes – Charles Samson, Joseph Ouellet, Pelletier et François Saint-Laurent – éclatèrent de rire. Ils n’avaient pas peur des morts. Le même soir, un coup terrible retentit sur un arbre, tout près de la tente. L’arbre parut casser… Mais non! Le lendemain matin, il était intact. Un bruit de rames monta du plain; une barge vint atterrir. Mais ce n’était qu’un bruit, qui montait et descendait. Saint-Laurent, son fusil en main et son casse-tête à son côté, resta assis toute la nuit, sans fermer l’œil. Deux jours après, malade de douleur, il repartit pour la Tourelle. Les autres en firent autant, bien qu’il leur restât encore trois jours d’ouvrage. Les nains qui, parfois, apparaissaient aux pêcheurs, sur le plain (la grève) au pied de rocs sauvages, gardaient des trésors enfouis après des naufrages. Ils sont de l’engeance des dragons chimériques. Les petit Bonhomme Gris est le gardien du trésor des Sauteux. Des âmes en peine – celle de matelots sacrifiés pour la surveillance de coffres-forts enfouis sur le bord de la mer après des naufrages – restaient jusqu’à dernièrement à leur poste de confiance, tout le long de la côte. Là où se trouvent des ossements humains, sur le plain, on peut s’attendre à découvrir aussi un trésor caché, comme aux Quatre-Collets près la Tourelle. On y a déterré un squelette, paraît-il, ainsi que de l’argent. Mais personne n’a profité de cet argent. En amont des Quatre-Collets s’est trouvé le trésor de la Chumée (Cheminée). Le père Saint-Laurent se plaisait à en parler : « mes petits enfants, vous savez que, le Soir des Morts, on voit des lumières où l’argent est caché. Apprenez que moi, j’ai vu une petite lumière au ras de la terre, près de la Chumée sur notre devanture. Il y avait de l’argent de caché là. Un jour, vint une chaloupe avec quatre étrangers à bord, qui fit terre sur la pointe. Ces hommes allumèrent un petit feu sur le rivage et, après que tout le monde fût couché, ils se mirent à piocher. Faut dire qu’ils possédaient une médrole, instrument à deux poignées de cuivre tournant sur des gonds, dont la pointe qui balance s’oriente d’elle-même vers les trésors enfouis. Le lendemain matin, ils étaient partis et le coffre-fort aussi. Les chercheurs étaient armés de lances pour le sortir du trou, qui avait un pied et demi de largeur et trois de longueur et quatre de profondeur. – Nous autres, il ne nous est rien resté, que le trou vide. Les autres avaient disparu avec les plus gros profits. Aux Sauteux, entre l’Anse-à-Jean et le Cap-aux-Renards, les pêcheurs voyaient le soir, sur la batture, de gros récifs, des feux et un petit homme costumé de gris, qui se promenaient, coiffé d’un bonnet à glands, comme les Écossais. C’était le petit Bonhomme Gris – son nom! – Tout le monde l’avait vu. Il sortait d’une bouffée de fumée, où il apparaissait et disparaissant sans qu’on s’explique comment, des fois tout petit, d’autres fois, plus grand. Pas méchant, il épeurait les gens. Il s’était perdu là grand nombre de bâtiments, dans les tempêtes. Au Ruisseau-au-Castor, dans les basses-mers, on voit encore des canons. Il y a eu des naufragés d’enterrés, parmi les grosses roches, au Sauteux. Aussi y entendon presque de tout temps des vois de l’autre monde. BARBEAU, Marius. L’arbre des rêves. Montréal, les éditions Lumen, 1948. « Gaspésiades » (p. 175-183), pages 182 et 183.