Décision de l`AIEP b.711

Transcription

Décision de l`AIEP b.711
Autorité indépendante d’examen des plaintes
en matière de radio-télévision
b. 711
Décision du 26 octobre 2015
Composition de l‘Autorité
Roger Blum (président)
Carine Egger Scholl (vice-présidente)
Vincent Augustin, Paolo Caratti, Catherine Müller,
Suzanne Pasquier Rossier, Stéphane Werly (autres
membres)
Pierre Rieder, Ilaria Tassini Jung (secrétariat)
Objet
Radio RTS Couleur 3 : émission “One Two” diffusée le 3
avril 2015, chronique « Le chantage du vendredi », chanson « Pâques-Man »
Plainte du 26 juin 2015
Parties à la procédure
A (le plaignant) et ses cosignataires
Société suisse de radiodiffusion et télévision SRG SSR
(l’intimée)
2 \ COO.2207.108.2.6810
En fait:
A.
Le vendredi 3 avril 2015, avant-veille du jour de Pâques, l’émission « One Two » diffusait sur les ondes de la Radio RTS Couleur 3 (ci-après : Couleur 3), dans le cadre de sa
chronique « Le chantage du vendredi », d’une durée de quelques minutes, la chanson
« Pâques-Man » écrite et interprétée par Fantin Moreno.
Dans l’émission « One Two » du 3 avril 2015, les animateurs Valérie Paccaud et Fantin Moreno ont livré aux auditeurs un discours humoristique et provocateur sur les Fêtes de Pâques,
thème d’actualité. Le même jour, dans la chronique « Le chantage du vendredi » de cette
émission, Fantin Moreno explique à Valérie Paccaud qu’il va chanter « Pâques-Man », le super-héros qui vend des chocolats à Pâques. La chanson se compose de trois couplets et d’un
refrain. Dans le premier couplet, Fantin Moreno raconte aux auditeurs que « Pâques-Man »
ne sait pas voler comme Superman, n’a pas la force de Batman mais que si les gens ont
vraiment besoin d’un lapin en chocolat il peut les dépanner. Il s’ensuit un refrain dans lequel
l’animateur indique que « Pâques-Man donne congé à ceux qu’il veut et que les gens vont
acheter ses lapins ». Suit le deuxième couplet consacré à la foi chrétienne, dans lequel l’animateur parle de la symbolique des miracles et des saints et du prophète mort et ressuscité.
Dans le troisième couplet, il indique que « Pâques-Man » n’est pas Spider-Man, qu’il est bedonnant et fume des Gitanes, qu’il vend plein de produits et qu’il fait monter les prix. L’animateur termine le couplet en affirmant qu’il s’agit d’un long week-end de congé, que « PâquesMan » ne peut pas laisser tout le monde « se barrer » et que certains doivent bien travailler.
Suit à nouveau le refrain, puis la chanson prend fin sur le conseil de cacher les œufs pour les
enfants et de le faire même s’il pleut.
B.
En date du 26 juin 2015 (date du timbre postal), A (ci-après : le plaignant) a formé une
plainte auprès de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision
(ci-après : l’Autorité de plainte ou l’AIEP) contre l’émission « One Two » du 3 avril 2015. Plus
précisément, il conteste la chronique « Le chantage du vendredi » et la chanson « PâquesMan », en particulier le deuxième couplet de cette chanson. A la plainte ont été annexés le
rapport de médiation du 12 juin 2015, ainsi que les copies des signatures de 30 cosignataires
soutenant sa plainte populaire. Le plaignant invoque une violation des principes généraux de
la liberté de croyance, des art. 7, 8, 15 de la Constitution fédérale (Cst. ; RS 101), des art. 261
et 261bis du Code pénal (CP ; RS 311.0), de l’art. 24 al. 1 let. b de la loi fédérale sur la radio
et la télévision (LRTV ; RS 784.40). Il invoque également une violation de la charte déontologique de la RTS, de l’art. 8 de la Déclaration des devoirs du/de la journaliste et des art. 8.1 à
8.2 des Directives relatives à la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste du
Conseil de la presse. Le plaignant critique en introduction de l’émission « One Two », le fait
qu’à la demande insistante du chroniqueur, l’animatrice fait entendre un bruit de fermeture
éclair, laissant suggérer qu’elle se déshabille devant lui - avec le commentaire : « C’est bien
parce que c’est Vendredi-Saint, mais lundi tu me montres tes œufs ». De plus, il relève qu’en
introduction de la chronique « Le Chantage du vendredi », Fantin Moreno ne laisse en rien
entendre que sa chanson va traiter de la religion dans un contexte satirique, mais explique à
son interlocutrice qu’il va chanter « Pâques-Man » le super-héros qui vend des chocolats à
Pâques. Il soutient que cette chronique, diffusée le jour du Vendredi-Saint - jour d’une fête
majeure du christianisme - ne semble avoir été placée là que pour le seul loisir d’insulter les
auditeurs chrétiens et violer leur liberté de croyance. Il observe qu’une lecture du couplet contesté permet de juger de la précision volontaire de l’atteinte. Il relève que le contexte global de
la chanson relative à un « super-héros qui vend des chocolats de Pâques » ne sert ici que de
prétexte, le couplet incriminé ne comprenant pas une seule fois les termes de « Pâques-Man »
ni même de « chocolat » ; il doit ainsi être vu comme une œuvre à part entière qui vise à
rabaisser la foi de manière blessante, à ridiculiser méchamment et à la bafouer de façon vile.
Le plaignant constate que même si l’émission « One Two » avait mentionné le terme de satire,
la chanson contestée n’aurait pas suffi à soustraire la RTS à ses obligations et responsabilités
et donc de tenir un langage décent et mesuré pour éviter de sombrer dans l’atteinte à la liberté
de croyance et la discrimination.
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C.
Par courrier du 19 août 2015, le plaignant a produit les signatures des cosignataires en
original.
D.
En application de l’art. 96 al. 2 LRTV, la Société suisse de radiodiffusion SRG SSR (ciaprès : la SSR) a été invitée à prendre position. Dans sa réponse du 15 septembre 2015, elle
conclut au rejet de la plainte, estimant qu’aucune violation des dispositions légales en matière
de programmes n’a été commise. Elle constate que l’AIEP n’est pas habilitée à se prononcer
sur la charte déontologique et valeurs de la RTS ou sur la Déclaration des devoirs et des droits
du/de la journaliste du Conseil de la presse et directives y relatives ; de même, selon la SSR,
l’AIEP n’est pas compétente pour décider d’une éventuelle atteinte aux art. 7, 8 et 15 Cst., aux
art. 261 et 261bis CP, ainsi qu’à l’art. 24 al. 1 let. b LRTV. L’intimée souligne que la chronique
« le chantage du vendredi » affiche clairement une volonté de faire de l’humour en chanson
les vendredis. Elle soutient que le couplet contesté est un couplet dans une chanson satirique
qui fait écho aux Fêtes de Pâques, reprise de manière commerciale et qui se moque gaillardement de cette situation, chocolats et lapins à l’appui. La SSR souligne que « Pâques-Man »
est un clair jeu de mots avec « Pac-Man », un personnage de jeu vidéo des années 1980. Elle
observe qu’en tant que thème d’actualité, le « weekend de Pâques » a été repris dans l’émission « One Two » du vendredi 3 avril 2015 et que le chroniqueur s’est prêté à l’exercice de la
satire en livrant aux auditeurs un discours humoristique et provocateur en égratignant au passage certes des auditeurs chrétiens, mais aussi une partie des commerçants qui utilisent cette
fête pour faire monter leurs prix, une partie de parents qui gavent leurs enfants de chocolat,
etc. La SSR relève que le passage incriminé relatif à la foi chrétienne représente quelques
rimes d’une poignée de secondes dans une chronique de deux heures chantée sur une
Pâques commerciale dont la chute de l’histoire est bien l’autodérision : travailler lorsque tout
le monde a congé. Elle estime que la satire doit être prise comme un tout et que les termes
crus de la chanson ne doivent pas être pris à la lettre. L’intimée observe que les auditeurs
étaient avertis du ton de l’émission et étaient en mesure d’apprécier eux-mêmes, avec la distance requise, l’exagération qui sied à l’exercice. Elle précise que la caricature à l’antenne
s’attaque à tout sujet confondu qui fait l’actualité du moment et n’est nullement systématiquement ciblée à l’encontre des chrétiens. Enfin, elle relève que si certains propos de la chronique
contestée pourraient être considérés pour certains comme de mauvais goût ou d’un humour
douteux, le bon ou le mauvais goût ne fait pas partie des objets soumis à l’examen de l’AIEP.
E.
Dans sa réplique du 5 octobre 2015, le plaignant conteste les arguments et les justifications de la SSR et maintient que les propos du couplet incriminé portent bien atteinte à la
liberté de croyance et sont discriminatoires. Il soutient que le couplet en question a si peu de
rapport avec le reste de la chanson et sa finalité présumée qu’il peut être considéré comme
une œuvre distincte, parallèle, le reste de la chanson ne constituant qu’un alibi.
F.
Dans sa duplique du 21 octobre 2015, la SSR persiste intégralement dans les termes
et conclusions de sa prise de position et conteste tous les allégués du plaignant. Elle soutient
que la chanson illustre parfaitement le registre de la parodie et que la mélodie et le texte de la
chanson permettent d’écarter toute finalité d’avoir voulu rabaisser la foi de manière blessante,
d’avoir voulu la ridiculiser méchamment et la bafouer de façon vile. Selon elle, le mot « putain »
se réfère clairement au mot « symbolique » et non « aux miracles et aux saints ».
G.
Dans ses remarques du 25 octobre 2015, le plaignant observe, contrairement à la RTS,
que les termes «putain de symbolique des miracles et des saints » sont indissociables et le
sens qui découle de leur association absolument incontestable.
H.
L’AIEP a informé les parties qu’elle allait délibérer publiquement sur la plainte, dès lors
qu’aucun intérêt privé digne de protection ne s’y opposait (art. 97 al. 1 LRTV).
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Considérant en droit:
1.
La plainte a été déposée dans les délais, accompagnée du rapport de médiation (art.
95 al. 1 LRTV). Elle est en outre suffisamment motivée (art. 95 al. 3 LRTV).
2.
L’art. 94 LRTV définit la qualité pour agir. Est autorisé à porter plainte quiconque était
partie à la procédure de réclamation devant l’organe de médiation, est âgé de 18 ans au moins
et est de nationalité suisse ou dispose d’un permis d’établissement ou de séjour. Les personnes physiques qui ne sont pas touchées de près par l’émission contestée ont aussi la
qualité pour agir si leur plainte est co-signée par 20 personnes au moins (art. 94 al. 2 et 3
LRTV ; plainte dite populaire). Le plaignant a fourni une liste d’une trentaine de signatures de
personnes légitimées et des indications requises soutenant sa plainte. Les conditions d’une
plainte populaire sont donc remplies.
3.
L’art. 97 al. 2 let. LRTV limite le pouvoir d’examen de l’AIEP. En effet, celle-ci peut
uniquement examiner sur plainte si les émissions contestées enfreignent les dispositions relatives au contenu des émissions rédactionnelles des art. 4 et 5 LRTV ou du droit international
applicable, ou si le refus d’accorder l’accès au contenu du programme est illicite. Tout autre
grief ou conclusion sortant de ce cadre est irrecevable.
3.1.
La conclusion du plaignant visant à une violation de la charte déontologique et valeurs
de la RTS ou de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste du Conseil de la
presse et directives relatives à la déclaration, n’entre dès lors pas dans la compétence de
l’AIEP.
3.2.
S’agissant de la conclusion visant à la violation des dispositions 261 et 261bis du CP,
elle n’entre également pas dans la compétence de l’AIEP. Comme l’a relevé le TF dans sa
décision ATF 134 II 260 cons. 6.2 p. 262 (« Schönheitschirurgen »), la surveillance des programmes sert, en premier plan, à la protection de la libre formation de l’opinion du public et
non à la protection des droits de la personne mise en cause. En outre, l’Autorité de plainte
peut refuser ou suspendre le traitement d’une plainte si les voies de recours du droit pénal ou
du droit civil ne sont pas épuisées ou si une procédure administrative est en cours pour la
même affaire (art. 96 al. 3 LRTV).
3.3.
Concernant l’obligation de respect des droits fondamentaux évoqués par le plaignant
(art. 7 [dignité humaine], 8 [égalité], 15 [liberté de conscience et de croyance] Cst., let. b. cidessus), l’art. 4 al. 1 LRTV ne s’applique que pour les droits pertinents en matière de droit de
la radiodiffusion « dont le respect peut être examiné par l’AIEP dans la mesure où ces droits
accordent une protection objective, pertinente sous l’angle du droit des programmes, comme
par exemple la paix religieuse, la prévention de la haine raciale ou la protection des mineurs
(cf. ATF 134 I 260 précité cons. 6.2 in fine p. 262).
3.4.
Enfin, quant à la conclusion visant une éventuelle violation de l’art. 24 al. 1 let. b LRTV,
l’AIEP relève qu’elle est du ressort de l’Office fédéral de la communication (OFCOM).
4.
La plainte définit l’objet du litige et délimite le pouvoir d’examen de l’AIEP. Lorsque
celle-ci entre en matière, elle procède librement à l’examen du droit applicable, sans être liée
par les griefs formulés ou les motifs invoqués par les parties (Denis Barrelet/Stéphane Werly,
Droit de la communication, 2ème édition, Berne, 2011, no 880, p. 262).
5.
Le plaignant soutient que l’émission “One Two”, en particulier sa chronique “Le chantage du vendredi”, a dépassé les limites admissibles de la satire et invoque une violation de
l’art. 4 al. 1 LRTV. A son sens, l’émission incriminée porte atteinte à la liberté de croyance et
est discriminatoire.
6.
L’art. 17 al. 1 Cst. garantit la liberté de la radio et de la télévision. L’art. 93 al. 3 Cst. et
l’art. 6 al. 2 LRTV protègent l’autonomie du diffuseur. Celui-ci est libre de choisir un thème
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dans une émission ou un reportage et de le traiter comme il l’entend. Il n’existe aucun thème
qui ne pourrait être débattu dans les médias électroniques (décision de l’AIEP b. 483 du 14
mai 2004 [« Drohung »]), ch. 5, y compris de manière critique. C’est dans le cadre d’émissions
de divertissement que les diffuseurs disposent de la plus grande autonomie. Ce faisant, ils
doivent respecter les dispositions correspondantes applicables au contenu des émissions rédactionnelles. Parmi celles-ci figure notamment la protection des droits fondamentaux de l’art.
4 al. 1 LRTV.
6.1.
Les émissions satiriques occupent une place importante dans le cadre de l’autonomie
des programmes (voir à cet égard Mischa Senn, Satire und Persönlichkeitsschutz, Berne,
1998, p. 108 et ss). Elles sont couvertes par la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) et la liberté de
l’art (art. 21 Cst.). La satire est un mode d’expression dans lequel on donne sciemment à ses
propos un autre sens que celui qu’ils ont habituellement. La satire déforme la réalité, la rend
autre, la transpose, la dénature, la banalise, la caricature, la rend ridicule (JAAC 68/2004 n°
27, ch. 4.2, p. 307 [« La soupe est pleine »]). Elle vise naturellement à provoquer et à susciter
l’agitation (arrêt CEDH no 36109/03 du 2 octobre 2008 « Leroy c. France »). La satire est avant
tout caractérisée par son contenu ambigu car l’effet satirique naît précisément de la combinaison du réel et de l’imaginaire (voir Mischa Senn, op. cit. p. 23 et ss). La satire peut blesser à
travers des propos méchants la personne visée. Le caractère humoristique ou satirique d’une
émission devrait toujours être reconnaissable comme tel par le public (ATF 132 II 290, consid.
2.1, p. 293 ([« Dipl. Ing. Paul Ochsner »]). Le public doit ainsi être en mesure d’apprécier la
qualité humoristique du propos.
6.2.
Malgré la large autonomie dont bénéficie le diffuseur, ce dernier est tenu de respecter
les autres normes du droit des programmes, en particulier les droits fondamentaux de l’art. 4
al. 1 LRTV. Cette obligation vaut également lorsqu’une émission peut être définie comme satirique et qu’elle est reconnaissable comme telle par le public (voir décision de l’AIEP b. 385
du 23 juin 1999 [« Moor »], ch. 7.3. et ss, dans laquelle l’AIEP a constaté qu’une émission
humoristique prétendument satirique comparant sans doute possible et sans justification objective le mouvement scout à Hitler et à l’Allemagne nazie était contraire au droit des programmes).
6.3.
Le droit des programmes prévoit à l’art. 4 al. 1 LRTV le respect des droits fondamentaux, auxquels appartient également la protection des sentiments religieux qui découle de la
garantie de la liberté de croyance fixée à l’art. 15 Cst..
6.4.
Dans sa jurisprudence, l’AIEP a retenu que les éléments essentiels de la foi, quelle
qu’elle soit, sont protégés par les sentiments religieux. S’agissant de la religion catholique, les
sacrements ont été assimilés aux éléments essentiels de la foi (décisions de l’AIEP b. 453 du
23 août 2002, ch. 7.4 [« Swissair »]). La simple atteinte aux éléments essentiels de la foi ne
suffit pas à ce que l’on admette dans tous les cas une violation du droit des programmes.
Selon l’AIEP, il faut encore que l’atteinte portée aux éléments essentiels de la foi le soit de
« manière notable », pour qu’il y ait une violation des sentiments religieux et, par conséquent,
une violation de l’art. 4 al. 1 LRTV (voir la décision de l’AIEP b. 460 du 21 mars 2003 [« La
soupe est pleine »], cons. 8, p. 8). Toute critique en matière de religion ressentie comme offensante, provocante ou moqueuse n’est pas répréhensible. Il faut que l’œuvre dans son ensemble vise à rabaisser la foi de manière blessante, à la ridiculiser méchamment, à la bafouer
de façon vile (cf. décision de l’AIEP b. 565 du .10 mars 2008 [« Les minarets de la discorde »],
cons. 7.1.1, p. 9).
6.5. En matière de droit des programmes, l’art. 4 al. 1 LRTV mentionne expressément des
règles minimales applicables à tous les diffuseurs de programmes qui revêtent une importance
capitale dans une société démocratique. La moralité publique est protégée par l’art. 4 al. 1
LRTV. L’AIEP tient compte dans son appréciation de l’évolution de la société en ce qui concerne la moralité publique dans les affaires de mœurs. La notion de moralité publique est très
large et englobe la protection des valeurs culturelles fondamentales en général, mais aussi
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l’interdiction de propos vulgaires et malsains ou de dérapages verbaux. Toute émission pouvant heurter la sensibilité du public ou d’une partie de celui-ci ne porte pas atteinte à la moralité
publique (voir Denis Masmejan, Denis Masmejan/Bertil Cottier/ Nicolas Capt (édit.) : Loi sur la
radio-télévision (LRTV), Berne 2014, p. 90 no 23 concernant l’art. 4 al. 1 LRTV et décisions de
l’AIEP b. 401 du 28 janvier 2000, ch. 5.3 [« Dynamo »] et b. 448 du 15 mars 2002, ch. 6.5
[« Sex : The Annabel Chong Story »].
7.
L’émission « One Two » et sa chronique « Le Chantage du vendredi » sont diffusées
sur les ondes de Couleur 3.
7.1.1. Couleur 3 est une chaîne destinée en principe aux jeunes et elle est reconnue pour
son indépendance, son inventivité et son humour, en particulier dans ses chroniques. Elle offre
un regard décalé sur le monde et l’actualité, parfois irrévérencieux, que le sujet soit politique,
sociétal, artistique ou religieux, tout en donnant une information crédible et pertinente.
7.1.2. L’émission « One Two » est un rendez-vous journalier (de 9h00 à 12h00 du lundi au
jeudi et de 9h00 à 11h00 le vendredi) de Valérie Paccaud et son équipe, bien connu des
auditeurs de Couleur 3. Elle se définit comme une émission qu’« après le tourbillon d’infos
matinales se pose discrètement sur un coin de bureau pour vous accompagner dans vos
heures les plus productives. On écoute One-Two d’une oreille mais parfois on monte le son.
One-Two s’intéresse à tout : BO de film, publicité, société, manga, mythologie grecque, genres
musicaux, agenda, humour et papier glacé. One-Two c’est aussi un thème par jour, retourné
dans tous les sens. La viande, le ski, le soutien-gorge ou la voiture, on en parle avec humour
et avec vous, car One-Two fait aussi le trottoir….le micro-trottoir ! One-Two c’est à vous ».
7.1.3. Dans la chronique « Le chantage du vendredi », chaque vendredi à 9h30, Fantin Moreno écrit une chanson pour "One-Two". Il chante « l'actu », mais aussi ses anecdotes personnelles de la semaine.
7.2.
Le vendredi 3 avril 2015, la chronique « Le chantage du vendredi » diffusait la chanson
« Pâques-Man », écrite et interprétée par Fantin Moreno, dont seul le deuxième couplet cidessous, d’une durée d’un peu plus d’une minute, est contesté par le plaignant :
« A Pâques, le truc humoristique
C’est cette putain de symbolique
Des miracles et des saints, c’est toujours le même refrain
Mais faut bien…Faire tourner la boutique
Un prophète mort et enterré…
3 jours après ressuscité !
C’est sûr y a pas à dire, cette histoire est très crédible
Mais l’bizness…C’est ma seule bible »
7.3.
Le plaignant soutient que l’émission « One Two », en particulier sa chronique « Le
chantage du vendredi », a dépassé les limites admissibles de la satire et estime que la liberté
de croyance a été violée. Diffusée le Vendredi-Saint - jour d’une fête majeure du christianisme
et mémoire de crucifixion du Christ - cette chronique ne semble avoir été placée là que pour
le seul loisir d’insulter les auditeurs chrétiens. Le couplet incriminé vise, selon lui, à rabaisser
la foi de manière blessante, à la ridiculiser méchamment et à la bafouer de façon vile.
7.4.
Le caractère satirique de l’émission « One Two » est bien connu par les auditeurs (ch.
7.1.2.), où il est d’usage d’égratigner, de façon caricaturale, le monde politique notamment, en
rebondissant sur les faits d’actualité, de manière provocatrice et ironique. Il en va de même de la
chronique « Le Chantage du vendredi » (ch. 7.1.3. ci-dessus), où, comme son nom l’indique à
double sens, affiche clairement la volonté de faire de l’humour en chanson les vendredis.
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7.5.
Dans la chronique « Le chantage du vendredi », le titre de la chanson « Pâques-Man »
que Fantin Moreno s’apprête à entonner permet déjà aux auditeurs d’anticiper la couleur humoristique que son auteur entend donner à sa chanson. Ce dernier introduit l’humour en décrivant sur un ton décontracté « Pâques-Man », un super-héros qui vend des chocolats à
Pâques. « Pâques-Man » est un clair jeu de mots avec « Pac-Man », un personnage de jeu
vidéo des années 1980 rond comme un ballon et jaune en forme de diagramme circulaire,
parmi les plus célèbres des jeux d’arcade qui a généré les plus grosses recettes financières
de tous les temps. Fantin Moreno s’est donc inspiré des Fêtes de Pâques pour composer sa
chanson. Il s’est servi d’une chanson connue, en a changé les mots en utilisant un jeu de mots
subtil et l’ambiguïté qui en résultait pour livrer aux auditeurs son message de la Pâques commerciale et du business qu’elle génère dû à la vente de chocolat, tout en se moquant de la
situation. Dans ce contexte, la chanson illustre parfaitement la satire, dont la caractéristique
(son contenu ambigu) et la nature (des exagérations et des coups de griffes) sont clairement
reconnaissables par les auditeurs. Le couplet contesté est intégré dans ce contexte satirique
de la chanson, entonnée sur un ton léger et décontracté.
7.6.
Dans le passage contesté de la chanson humoristique de Fantin Moreno, c’est le christianisme qui est visé. Pour déterminer si des éléments essentiels de la foi chrétienne ont été
touchés, il y a lieu de prendre en compte l’impact des expressions du couplet en question sur
des auditeurs croyants de religion chrétienne (voir décision de l’AIEP b. 460 précitée, cons.
5.4, p. 5 et 6). Il s’agit dès lors de reprendre dans le détail les passages contestés, puis de
procéder à une analyse d’ensemble avec la chanson « Pâques-Man ».
7.6.1. Or, la deuxième phrase du couplet critiqué emploie le terme « putain » pour qualifier la
« symbolique » des « miracles et des saints ». Toutefois, ce terme cru ne revient pas à rabaisser, injurier ou mépriser le culte des saints et des miracles, élément de la croyance catholique,
qui ne constitue pas un élément essentiel de la foi chrétienne (voir ch. 6.4 ci-dessus). En outre,
pour l’auteur de la chanson cette même symbolique est « humoristique » (première phrase).
En employant ce mot, il n’a pas voulu ridiculiser la foi chrétienne mais a voulu signifier que ce
qui allait suivre devait être pris avec humour.
7.6.2. La troisième et la quatrième phrase du couplet indiquent que « C’est toujours le même
refrain… mais faut bien faire tourner boutique ». Par cette phrase, l’auteur entend livrer le
message selon lequel cette symbolique est toujours la même rengaine, dont le but est d’en
retirer des bénéfices pécuniaires. Certes, l’auteur met l’accent sur le caractère de plus en plus
commercial des fêtes religieuses majeures, en l’occurrence les Fêtes de Pâques, alors que
pour une partie des croyants chrétiens Pâques ne rime pas avec « bizness » de chocolat,
gains et lucre. En associant la Pâques commerciale à la Pâques religieuse, l’auteur de la
chanson « Pâques-Man » s’est prêté à l’exercice de la satire qui n’a toutefois pas rabaissé ou
méprisé la foi chrétienne.
7.6.3. La cinquième phrase du couplet spécifie « Un prophète mort et enterré… ». Or, pour
les chrétiens, Jésus-Christ est le fils de Dieu, le Messie annoncé dans l’Ancien Testament et
envoyé aux hommes pour les sauver. Dans l’islam, Jésus est appelé « Îsâ » et a été le dernier
grand prophète avant Mahomet. En désignant Jésus-Christ en tant que prophète, l’auteur du
couplet a voulu faire de l’humour et les auditeurs ont reconnu la moquerie. Le terme prophète
ne rabaisse pas la valeur de Jésus-Christ pour les chrétiens. On ne peut ainsi pas affirmer
qu’un élément essentiel de la foi a été ridiculisé, méprisé ou injurié.
7.6.4. La sixième et la septième phrase relèvent « 3 jours après ressuscité ! C’est sûr y a pas
à dire, cette histoire est très crédible ». L’auteur met ici en doute de manière moqueuse voire
niaise et méprisante l’élément fondamental de la preuve de la croyance chrétienne : la résurrection. Or, pour les chrétiens, Pâques est sans conteste la fête annuelle la plus importante,
car elle contient le message essentiel de la résurrection et de l’espérance. Sans la résurrection
de Jésus-Christ, il n’y aurait aucune espérance pour les croyants chrétiens, tous unis par la foi
au Christ ressuscité. Sans la résurrection, Jésus-Christ ne serait plus le Sauveur (Jean Ansaldi, théologue protestant, Dire la foi aujourd’hui - Petit traité de la vie chrétienne, Aubonne
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1995). La résurrection est un élément essentiel de la foi et de la théologie chrétienne, énoncé
dans le crédo-symbole de Nicée-Constantinople (texte datant de 381). Dans les deux phrases
du couplet contesté, la résurrection est ainsi ridiculisée, voire niée.
7.7.
Un des éléments essentiels de la foi chrétienne a été touché dans le couplet contesté
de la chanson humoristique « Pâques-Man » de Fantin Moreno. Il s’agit dès lors d’examiner si
cet élément a été touché de manière notable.
7.8.
La satire doit être prise comme un tout. C’est le message véhiculé par la chanson
« Pâques-Man » qui doit être pris en compte (décision de l’AIEP b. 592 du 5 décembre 2008
[« Camping Paradiso »], cons. 7.2 ss.). L’animateur/chanteur Fantin Moreno s’est mis dans la
peau de « Pâques-Man » - personnage qu’il a inventé, ridicule et grossier - doué pour faire du
commerce de chocolat et de l’argent pendant les Fêtes de Pâques (couplets 1 et 3 et refrain).
Le contexte dans lequel la Pâques est célébrée importe peu pour « Pâques-Man », son seul
but est faire du commerce et du lucre à cette occasion (« l’bizness…C’est ma seul bible »).
Dans sa chanson, Fantin Moreno émet une critique provocatrice et moqueuse contre ceux qui,
comme « Pâques-Man », utilisent des fêtes importantes pour les chrétiens, comme Pâques,
pour faire du commerce et générer des profits. Pour certains chrétiens, cette fête rime plutôt
avec chocolat, lapins, oeufs et commerce, oubliant les valeurs mêmes de la célébration de
cette fête religieuse. C’est cette critique sur la commercialisation de la Pâques religieuse pour
les chrétiens qui est au centre de la chanson « Pâques-Man ». En conséquence, compte tenu
du contexte de la chanson, le couplet critiqué ne porte pas une atteinte notable à un des éléments essentiels de la foi chrétienne.
7.9.
Par ailleurs, le plaignant critique en introduction de l’émission « One Two », qu’à la
demande insistante du chroniqueur Fantin Moreno, l’animatrice Valérie Paccaud fait entendre
un bruit de fermeture éclair, laissant suggérer qu’elle se déshabille devant lui, avec le commentaire « C’est bien parce que c’est Vendredi Saint, mais lundi tu me montres tes œufs ». Il
y sied de constater qu’il faut avoir une bonne oreille pour prêter attention à ce bruit et de
l’imagination pour y comprendre des sous-entendus surtout d’ordre sexuel. Il n’y a donc pas
d’atteinte aux sentiments religieux des auditeurs chrétiens ou à la moralité publique.
7.10. En conclusion, le caractère satirique de l’émission « One Two » et de sa chronique
« Le chantage du vendredi » est bien connu par les auditeurs, vu le ton général de l’émission
et de sa chronique et l’humour provocateur des chroniqueurs. Le caractère satirique du couplet
contesté a été intégré dans la chanson humoristique « Pâques-Man », dont le message véhiculé était celui de la Pâques commerciale et des bénéfices qu’elle engendre et était parfaitement reconnaissable par les auditeurs. Certes, un des éléments de la foi chrétienne a été
touché dans le couplet critiqué. Toutefois, si l’on prend en considération le contexte de la
chanson « Pâques-Man », les termes crus dudit couplet n’ont pas dépassé les limites de la
satire dans une mesure insupportable portant une atteinte notable aux droits fondamentaux
de l’art. 4 al. 1 LRTV, tels les sentiments religieux. Par ailleurs, le bruit de fermeture éclair en
introduction de l’émission « One Two » n’a pas non plus porté atteinte aux sentiments religieux
des auditeurs chrétiens ou à la moralité publique.
8.
A la lumière de ce qui précède, l’AIEP considère que la chronique « Le chantage du
vendredi diffusée le 3 avril 2015 dans le cadre de l’émission « One Two » ne viole pas l’art. 4
al. 1 LRTV. La plainte du 25 juin 2015 doit donc être rejetée, dans la mesure où elle est recevable. Aucun frais de procédure n’est mis à la charge du plaignant (art. 98 al. 1 LRTV).
2 \ COO.2207.108.2.6810
8/9
Par ces motifs, l’Autorité de plainte:
1.
Rejette par 5 voix contre 2, dans la mesure où elle est recevable, la plainte.
2.
Ne perçoit aucun frais de procédure.
3.
Communique cette décision à:
(…)
Au nom de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes
en matière de radio-télévision
Indication des voies de droit
En application des articles 99 LRTV et 82 al. 1 lit. a, 86 al. 1 lit. c et 89 de la loi fédérale du 17
juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF ; RS 173.110), les décisions de l’Autorité de plainte peuvent être déférées au Tribunal fédéral par recours, dans les trente jours qui suivent leur notification. Pour les personnes qui ne sont pas touchées de près par l’émission le droit de recours
est limité (ATF 135 II 430).
Envoi : le 22 janvier 2016
2 \ COO.2207.108.2.6810
9/9