Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains
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Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains
Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2016 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. « J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie, de la part de l’Institut historique belge de Rome, la réédition d’un des maîtres livres de Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, un volume de CLXV-548 pages in-4°, Rome, Academia Belgica-Institut historique belge de Rome-Nino Aragno Editore, 2015, dont nous avons rédigé, mon épouse et moi-même, l’ “Introduction historiographique”, suivant en cela les principes de présentation de la Bibliotheca Cumontiana dont ce livre constitue le tome IV des Scripta Maiora du savant historien des religions antiques. La première édition des Recherches remontait à 1942. Une réimpression anastatique avait, certes, vu le jour en 1966, mais elle était, elle aussi, depuis longtemps épuisée. Une réédition s’imposait. Le présent volume a bénéficié des soins attentifs de Charles Bossu qui a entièrement recomposé le texte et a procédé à d’assez nombreuses corrections de coquilles typographiques demeurées dans l’édition de 1942 en raison des difficultés de communication dues à la guerre (l’auteur était à Paris, l’imprimeur dans la Haute-Loire) ; mais la pagination initiale a été signalée dans les marges afin de faciliter la compréhension de tout renvoi bibliographique fait à celle-ci. Les planches ont été tirées directement d’après les photographies originales retrouvées dans les dossiers de Cumont déposés à l’Academia Belgica de Rome ; elles n’ont donc rien perdu de leur lisibilité. Enfin, répondant à un vœu de Joseph Bidez exprimé dans un des premiers comptes rendus parus des Recherches, un index des sources anciennes citées dans les innombrables notes du livre (auteurs grecs et latins, sources arabes, hébraïques, syriaques et autres, inscriptions et papyri), index réalisé par Matthieu Soler, est venu compléter l’index général et l’index topographique déjà présents dans l’édition de 1942. L’ “Introduction historiographique” que nous avons écrite s’attache à retracer la genèse du livre, en rappelant notamment les travaux préliminaires qui l’annoncèrent dès 1909 – dont deux communications faites à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1917, communications dont n’a paru dans les Comptes rendus de nos séances qu’un résumé de quelques lignes (les circonstances l’expliquent sans doute), et une troisième communication présentée le 13 août 1919, entièrement inédite mais dont nous avons retrouvé à Rome, dans les Archives Cumont, le texte complet, souvent très largement repris dans les Recherches de 1942. Nous avons tenté, par ailleurs, de suivre les étapes de la préparation et de la publication de ce volume grâce à l’abondante correspondance que Cumont entretenait avec nombre de savants étrangers, correspondance que nous avons dépouillée à l’Academia Belgica ; nous avons essayé aussi de cerner au plus près la date de la sortie de presse et fait état des premières réactions de ceux qui reçurent le livre. Notre Introduction analyse plus attentivement encore la quinzaine de comptes rendus qui saluèrent la parution de cet imposant volume – il était attendu, en effet, depuis plusieurs années –, s’attardant en particulier à deux d’entre eux, celui d’HenriIrénée Marrou dans le Journal des Savants de 1944 – un texte clair, critique mais nuancé, ne remettant pas en cause l’essentiel de la thèse de la signification symbolique des www.aibl.fr 1 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2016 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. sarcophages et des stèles examinés par Cumont– et celui d’Arthur Darby Nock dans l’American Journal of Archaeology de 1946 – un long article, souvent confus, marqué par d’interminables tergiversations, dont on n’a généralement retenu, depuis lors, que l’affligeant scepticisme, débouchant le plus souvent aujourd’hui, chez ceux qui s’y réfèrent, sur un rejet systématique de toute interprétation symbolique. On rappellera que Cumont suivait dans son livre, à travers différents mythes judicieusement choisis par les concepteurs de ces sarcophages, les étapes successives de l’ascension de l’âme après la mort (“Himmelsreise der Seele”) et sa survie dans les sphères célestes – une théorie, on le sait, d’origine pythagoricienne. Il ne saurait être question de revenir ici sur les prises de position de ceux qui se refusent, en dépit des savants développements de Cumont, à interpréter ces mythes dans un sens eschatologique ; disons simplement qu’ils les considèrent, au même titre que ceux qui figurent dans les maisons de l’époque, comme un simple décor de vie : Mit Mythen leben, “Vivre avec des mythes”, écrit Paul Zanker dans un volume sous-titré Die Bilderwelt der römischen Sarkophage qui a eu un grand succès dès sa publication en 2004 et a été traduit depuis lors en italien et en anglais. Mais il ne s’agit pas, dans le domaine funéraire, des mêmes mythes ou des mêmes moments de ces mythes ; il y a bien lieu d’y prendre garde. Et il ne faut pas non plus généraliser ce que Cumont a écrit de certains mythes – il y insistait lui-même dans sa préface (p. II) – et l’appliquer à l’ensemble de la production de sarcophages. À cette différence de mythes correspond une évidente différence de signification : ce n’est pas dans le même but que l’on choisit de placer au front de ces monuments le mythe de Méléagre, voire celui des Niobides, victimes d’un destin tragique, ou celui d’Endymion auquel apparaît Séléné dans son sommeil et qui prend sur ces cuves les traits mêmes du défunt, assimilé de la sorte au pâtre aimé par la déesse ; et ce ne sont assurément pas les mêmes commanditaires qui se font représenter, sur d’autres cuves encore, dans des scènes toutes romaines d’allure témoignant de leur virtus, de leur pietas envers les dieux, de leur clementia envers les vaincus et de la concordia qui règne dans leur couple. On ne négligera donc pas l’aspect sociologique du problème. Pour tenter de réhabiliter ce magnifique volume, un volume qui s’inscrivait dans le droit fil de la Psyche d’Erwin Rohde et en proposait en quelque sorte un pendant romain, notre Introduction a souhaité proposer aussi quelques clés. Sensibles à la faiblesse de l’échantillon que représentent les sarcophages mythologiques de Cumont par rapport à l’ensemble de la production connue sur un peu moins de deux siècles (environ 6 sarcophages par an seulement), sensibles aussi aux proportions également très faibles d’épigrammes funéraires témoignant d’une croyance en une immortalité astrale (environ 4,6 % selon les décomptes de Gabriel Sanders : elles “ne sont pas nombreuses, mais sincères”, écrivait-il en 1960), nous nous sommes ralliés à l’idée déjà entrevue par certains (A. W. Byvanck, en 1956 et 1960 ; D. E. E. Kleiner, en 1988), mais jamais systématiquement démontrée, que ces cuves à décor mythologique étaient les sarcophages d’affranchis, dont on sait la place importante – et souvent la richesse – dans la société romaine des IIe et IIIe siècles. On ne négligera certainement pas leur rôle dans la diffusion de l’inhumation et l’apparition des sarcophages mythologiques : les sarcophages les plus anciens que l’on connaisse en Italie et qui portent une inscription donnant le nom du défunt ne sont-ils pas justement ceux d’affranchis originaires des www.aibl.fr 2 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2016 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. provinces orientales (Grèce et Asie Mineure) ? Et les premiers sarcophages à décor mythologique n’apparaissent-ils pas, à Ostie notamment, dans des nécropoles où figurent en très grande majorité des monuments de liberti ? On ne verra donc pas dans les œuvres étudiées et si magistralement interprétées par Cumont – et c’est, selon nous, un premier grief à lui faire – des commandes de “classes élevées” (c’est-à-dire aristocratiques) de cette société, et l’on n’estimera pas non plus – c’est l’objection la plus grave à lui apporter – qu’elles exprimaient par là “la véritable religion de ceux qui n’en avaient point d’autre” (p. 6 [II de l’édition de 1942]). Il ne s’agit pas ici de “religion” et elle n’était pas devenue celle de ces “classes élevées” ; c’étaient des croyances diffuses véhiculées notamment par certaines écoles philosophiques et par l’astrologie et elles s’affirmaient par le biais de quelques mythes qui pouvaient se prêter à semblable interprétation eschatologique. Assortie de ces corrections, importantes certes mais qui n’affectent en rien l’essentiel d’une démonstration soutenue par un magistral dossier de textes, l’œuvre de Cumont demeure et garde toute sa force, en l’attente de travaux qui tiendraient compte de nouveaux monuments ou approfondiraient encore certains aspects du problème. Conscient des dérives d’une vision moderne qui “laisse parler les images” sans s’appuyer sur le témoignage des anciens eux-mêmes, W. Liebeschuetz n’hésitait pas à écrire en 2004, dans le Journal of Roman Studies, “there is need for another Cumont”. Cette réédition permettra peut-être de l’attendre. » Jean-Charles BALTY 27 mai 2016 Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains Brepols www.aibl.fr 3