LES GRANDS ENTRETIENS DU SITE E

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SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE
LES GRANDS ENTRETIENS DU SITE E-­‐SNES.ORG Décembre 2013 UN ENTRETIEN AVEC GUY PIERA, PRESIDENT « GEOCITIS CONSEIL », SUR LE PROJET DE LOI -­‐ TITRE VI « Je tire la sonnette d’alarme pour les prestataires concernant les conventions de coordination telles qu’elles sont présentées dans le texte ». Grand « flic », ancien Directeur Central adjoint des Renseignements Généraux et Secrétaire Général adjoint du Comité Interministériel de la Sécurité Nucléaire à Matignon, Guy Piera, Inspecteur général honoraire de la Police Nationale, a débuté sa carrière comme Commissaire de Police en 1967. En marge d’une longue et riche expérience publique, il a également officié dans le privé (Directeur de la Communication et des relations extérieures du Groupe GMF-­‐FNAC) et dans le monde associatif (Vice-­‐Président de la Fédération Française de Rugby). Il est un expert reconnu en matière de sécurité des manifestations sportives. Il dirige aujourd’hui le cabinet « Geocitis Conseil » spécialisé dans le conseil en matière de Sécurité (sur les plans administratifs et techniques), organisation (mise en place ou audit des prestations) et communication (faire savoir ce que l’on sait faire). C’est en tant qu’observateur très avisé et critique qu’il porte un regard aiguë sur l’actuel projet de loi révisant le titre VI du CSI concernant les prestataires privés. Pour le site e-­‐snes, il va même jusqu’à tirer la sonnette d’alarme au sujet de l’une des pierres angulaires du projet : « les conventions de coordination ». Pour lui, ces conventions sont susceptibles de mettre en péril les sociétés prestataires qui ne « peuvent, ni ne doivent s’engager dans des responsabilités sans avoir la maîtrise des moyens ». Une interview choc d’e-­‐snes.org e-­‐snes : Quelle est votre vision globale du projet de loi tel que nous le connaissons aujourd’hui ? Guy Piera : Ce texte a trois caractéristiques : Il cumule les deux approches antinomiques du Ministère de l’Intérieur, à l’égard des activités privées de sécurité : la Méfiance et le Besoin. La méfiance ce n’est pas nouveau. Le besoin des moyens des SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org
2 sociétés privées s’explique par les restrictions budgétaires publiques qui ne font que s’aggraver et constituent une donnée incontournable. La deuxième est que l’on sent chez ses rédacteurs, le souci de ménager les deux grands corps du Ministère de l’Intérieur : les Forces Publiques de Sécurité et les Pompiers. La troisième, la plus grave à mes yeux, réside dans la confusion et l’amalgame entre les concepts de Sécurité Privée et d’activités de Sécurité Privée. Or, les deux choses sont totalement différentes. La Sécurité Privée est la possibilité ou l’obligation pour une personne de droit privé de mettre en place, avec les moyens humains ou techniques que la Loi lui permet d’employer, un dispositif de sécurité, qu’elle commande, finance et dont elle assume la responsabilité, là où l’Etat ne veut plus ou ne peut plus, en totalité ou en partie, assumer cette responsabilité. Les activités de sécurité Privée sont les outils qui vont permettre à la dite personne d’accomplir cette mission. Les sociétés d’activités privées de sécurité ne doivent pas aller au-­‐delà de leur rôle, éventuel, de conseil ; dans tous les cas, elles ne sont qu’un moyen, jamais les acteurs principaux. Personne ne conteste que la vidéo-­‐protection est un moyen. Pourquoi en serait-­‐il autrement avec la surveillance humaine ? e-­‐snes : Les objectifs visés sont ils clairs ? Guy Piera : Il est évident que ce qui est visé c’est : 1. le Renforcement du contrôle sur l’offre et l’exercice d’activités privées de Sécurité (méfiance). 2. l’intervention de l’État dans le déploiement et l’organisation de moyens humains et matériels –
dont les centres de formation-­‐ sans assumer de charges financières ( le besoin !). Si on pousse plus loin l’analyse du texte, on constate qu’il pèsera particulièrement sur l’évolution des conditions d’offre et d’exercice d’activités privées de sécurité. Avec deux points particuliers qui n’ont pas échappé au SNES : la Sécurité Incendie et les Conventions de Coordination. « Vers un durcissement des conditions d’offre… » e-­‐snes : Optimiste, on pouvait légitimement s’attendre à ce que ce nouveau texte aille encore un peu plus loin en faveur du privé en lui ouvrant des perspectives nouvelles. Votre analyse est au contraire qu’il va générer un durcissement des conditions d’offre. Guy Piera : Tout à fait ! Citons : -
Le maintien de l’exclusivité même si le périmètre de l’offre passe de 3 à 12 rubriques, -
L’instauration d’une garantie financière. Je sais que le SNES y est favorable mais il précise que mal calibrée elle constituerait, incontestablement, un durcissement des conditions d’accès au marché pour des acteurs de proximité de taille petite et moyenne, -
La non-­‐intégration de la sécurité-­‐incendie. Il faudra veiller à que cette option formelle ne remette pas en cause le principe de connexité qui, aujourd’hui, ne repose que sur une jurisprudence récente et une circulaire ministérielle (les deux pouvant être facilement contestées ou remises en cause), SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org
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Le projet de mise en place d’un dispositif de certification des compétences des entreprises. Je connais les conditions que le SNES met à ce sujet, -
Le certificat d’aptitude professionnelle et d’agrément pour les dirigeants, -
Le contrôle de moralité et l’habilitation pour les dirigeants d’organisme de formation. Mais soyons objectifs et voyons aussi les dispositions ; il y en a, qui jouent en faveur de l’amélioration des conditions de l’offre pour les entreprises et entrepreneurs de sécurité privée : -
l’extension du périmètre bien sûr ; -
l’incapacité des associations à intervenir sur le marché des activités privées de sécurité, -
le fait que seule la protection physique des personnes serait, en l’état, exclusive dans les offres de sécurité, -
la suppression des agréments pour les associés détenant moins de 10% du capital, -
l’exclusivité des personnels de sécurité pour les palpations de sécurité, sous conditions, -
enfin, on peut penser que le principe d’exclusivité jouera dans les deux sens et que ne pourront pas intervenir sur le marché des prestations de sécurité, les entreprises intervenant sur d’autres marchés (sous réserve de la mise en place d’une filiale spécifique). e-­‐snes : L’état, finalement, lâche fort peu bien que toujours plus demandeur des moyens privés. Par contre, il renforce son emprise justement parce qu’il a un besoin conséquent des moyens du privé. C’est votre perception ? Guy Piera : Oui, l’exclusivité demeure et rend donc illégale toute autre mission non liée à l’exercice d’une mission de sécurité. On note, par ailleurs, le durcissement des conditions d’exercice sur la voie publique et l’aggravation, au-­‐delà des dispositions du code pénal, des obligations de prévention et de dénonciation d’un crime ou d’un délit. Je citerai également, en ce qui concerne la formation, la présence d’une personne qualifiée (nommée par le CNAPS) dans les jurys d’examen d’aptitude professionnelle, préalable obligatoire pour les agents. Et bien sûr, il y a le projet des conventions de coordination entre l’Etat et les Sociétés d’activités privées de sécurité. « Une véritable convention de coordination ne peut être conclue qu’entre l’Etat et le donneur d’ordre ! » e-­‐snes : Alors que le Ministère va troquer la DISP pour une Délégation Ministérielle aux Coopérations de Sécurité, faut-­‐il voir dans ces conventions de coordination un des points forts de ce projet de loi ? Guy Piera : Il s’agit en effet de deux articles porteurs de la véritable philosophie, voire de la finalité même du projet. J’y vois la consécration de ce que j’évoquais plus haut, c’est-­‐à-­‐dire un bouleversement de l’organisation de la sécurité privée, bouleversement à l’occasion duquel le prestataire se substituerait au maître d’ouvrage. Ces deux articles constituent des réels dangers pour les sociétés d’activités privées de sécurité appelées à signer des conventions de coordination (au-­‐delà des cas précisés par le texte, les Préfets auront toute latitude pour les imposer là ou ils le jugeront utile). Ils sont porteurs de plusieurs points négatifs. SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org
4 Le premier est que la discussion sur la coordination avec les services publics –ne nous trompons pas, il s’agit plutôt de subordination fonctionnelle-­‐ se fera alors que les sociétés sont déjà en situation de subordination administrative. Le second est que les sociétés n’ont pas la maîtrise des effectifs et de leur capacité d’intervention qui seraient les garanties d’une coordination efficace ; c’est le maître d’ouvrage (donneur d’ordre) qui est responsable, contractuellement et financièrement, de ces données. Ensuite, je vois poindre, à terme (mais des exemples existent dans des secteurs particuliers de sécurité) une tarification de la coordination et peut-­‐être des pénalités financières en cas de dysfonctionnement (comme elles existent déjà concernant les levées de doute en matière de vidéo-­‐
protection). Enfin, les sociétés prestataires seraient –toujours sans être assurées de disposer de moyens adéquats-­‐ soumises à une double obligation de résultats : vis-­‐à-­‐vis des services de police dans le cadre de la convention de coordination et vis-­‐à-­‐vis du donneur d’ordre par le contrat de prestation. « Je renouvelle ma plus vive mise en garde aux sociétés d’activités privées de sécurité… » e-­‐snes : Le principe même d’une meilleure coordination, d’une complémentarité organisée est plutôt constructif en soi. Comment cela pourrait-­‐il fonctionner de manière satisfaisante et équitable, de façon partenariale ? Ou alors, la préoccupation des pouvoirs publics est-­‐
elle ailleurs ? Guy Piera : Evacuons ce qui paraît inadmissible dans la rédaction de l’article tel qu’il est en projet : «une copie de la convention de coordination est adressée par le représentant de l’Etat à la personne qui a commandé et assuré le financement d’activités privées de sécurité ». On a bien compris que l’Etat souhaite avoir à sa disposition directe des effectifs supplémentaires –destinés à des missions de sécurité-­‐ sans en assumer la dimension financière ni la responsabilité juridique. Mais il est fort peu probable qu’un donneur d’ordre accepte de renforcer un dispositif dont il n’aura pas la direction mais dont il devra assurer le financement et ce sur la seule sollicitation du prestataire engagé par une convention de coordination dont lui-­‐même, donneur d’ordre, est exclu. Une véritable convention de coordination ne peut être conclue qu’entre l’Etat et le donneur d’ordre. C’est avec le donneur d’ordre que l’Etat doit rechercher le niveau de référence pour une coordination efficace. C’est le donneur d’ordre qui doit être replacé au centre du débat et j’estime que les sociétés d’activités privées de sécurité n’ont même rien à faire dans une convention tri-­‐
partite ; elles n’auraient que le sort peu enviable d’être placées entre le marteau et l’enclume. Pour étayer mon analyse, je voudrais évoquer deux faits : -
les réserves de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale qui juge inadaptées pour des raisons juridiques et pratiques, les dispositions telles qu’elles sont mentionnées dans le projet de loi « La DGGN émet des réserves sur l’opportunité de désigner dans la loi l’entreprise de sécurité privée comme le co-­‐contractant à la convention de coordination… Le co-­‐contractant le plus pertinent pourrait être le donneur d’ordre», -
les conventions de coordination entre les forces de sécurité de l’Etat et les polices municipales sont signées entre les Préfets et les Maires concernés et non pas entre les Préfets et ceux qui assurent, au quotidien, la direction fonctionnelle des Polices Municipales et la bonne exécution des missions qui leur sont confiées. Vous comprendrez pourquoi je renouvelle ma plus vive mise en garde aux sociétés d’activités privées de sécurité sur cet aspect du projet. SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org
5 « La sécurité incendie dans la loi ? Je pense que l’issue de ce combat mené par les organisations patronales est fort douteuse. » e-­‐snes : L’autre dossier « chaud » c’est naturellement la « sécurité incendie » que l’on prend désormais dans nos métiers la précaution d’intituler la prévention incendie… Quelle est votre analyse ? Guy Piera : Le texte continue de laisser le champ libre aux interprétations et cela dure depuis plus de 30 ans. C’est un débat à plusieurs niveaux dont la confusion génère la complexité. Pour les sociétés prestataires : l’activité de sécurité incendie est compatible avec les activités de surveillance et de gardiennage en raison de la connexité des missions (jurisprudence et circulaire ministérielle de 2011 qui contredisent les travaux préparatoires de la Loi de 2003). Pour les donneurs d’ordre : les services de sécurité-­‐incendie doivent respecter les dispositions réglementaires spécifiques au site quand elles imposent une autonomie et des normes. Pour les agents : leur polycompétence n’entraîne pas automatiquement leur polyvalence (exercices concomitants ou dans la même vacation) si les textes prévoient l’autonomie des services dédiés. Cette intégration de la sécurité-­‐incendie dans les activités privées de Sécurité est réclamée, pour des raisons fort différentes, par les organisations professionnelles patronales du secteur des activités privées de sécurité et les donneurs d’ordre responsables d’ERP. Les deux entités mènent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, un combat sur ce thème. Pour des raisons politiques, juridiques, administratives et techniques (qu’il serait trop long de développer ici), je pense que l’issue de ce combat est fort douteuse. Je ne saurais que trop conseiller aux premiers de préserver et de faire confirmer le principe de connexité et aux seconds de se battre plutôt sur une révision de certains articles de l’arrêté du 25 juin 1980 (concernant la sécurité incendie dans les ERP). « L’objectif visé est clair : la prise en compte par l’Etat d’effectifs supplémentaires sans augmentation de sa charge financière… » e-­‐snes : Concernant les donneurs d’ordre, la loi prévoit une nouveauté importante avec l’instauration pour certaines entreprises d’un poste de responsable sécurité. Comment voyez vous cette mesure ? Guy Piera : Je pense qu’il s’agit là plutôt d’une disposition favorable à l’exercice de la profession. Il est opportun qu’il y ait dans les entreprises, un responsable (au sens plein du terme) de la fonction de sécurité qui puisse mesurer, pour lui et pour sa structure, les risques de dysfonctionnement et de manquement. Rien n’est plus néfaste pour les sociétés prestataires d’avoir pour interlocuteurs, uniques ou privilégiés, les Directions des Achats avec leurs critères spécifiques. Je juge également intéressant, dans un autre ordre d’idée, les mesures de protection juridiques des agents pour lesquelles le Président du SNES se bat depuis plusieurs années (encore que vous noterez que ces mesures s’accompagnent de dispositions prévoyant des circonstances aggravantes en cas de crimes ou de délits commis par ces mêmes agents). SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org
6 E-­‐Snes : Vous êtes donc au final plutôt sévère sur ce projet en l’état ? Guy Piera : Ecoutez je ne pense pas qu’il s’agisse du grand texte de moralisation et de professionnalisation annoncé. Mais, la moralisation relève d’un équilibre difficile à trouver comme l’a souligné le Ministre de l’Intérieur lui même. Quant à la professionnalisation, elle ne peut se résumer à une augmentation du nombre d’heures de formation : la disparition du middle-­‐management sur le terrain –pour des raisons économiques-­‐ n’est-­‐elle pas plus grave ? Par ailleurs, ce projet ignore, voire est susceptible d’aggraver, la crise économique que connaît le secteur en ne plaçant pas les donneurs d’ordre au centre du débat et devant leurs responsabilités. L’objectif visé est clair : la prise en compte par l’Etat d’effectifs supplémentaires sans augmentation de sa charge financière, voire en la réduisant (la création et le financement du CNAPS en sont déjà une parfaite illustration). Et pour faire quoi ? D’aucuns pensent déjà que les sociétés d’activités privées de sécurité pourraient se substituer à feu la police de proximité (les cas de présence sur la voie publique-­‐ avec ou sans autorisation-­‐ sont de plus en plus fréquents). D’autres vantent le système espagnol qui fait des sociétés privées de sécurité « les yeux et les oreilles » des forces publiques. Là réside un danger considérable : celui d’une transposition partielle, dans un contexte -­‐politique, sociologique et technique-­‐ différent du modèle espagnol, qui lui-­‐même n’est pas sans faille. Mais surtout ce qui vous est proposé privilégierait les aspects dont l’Etat peut tirer bénéfice en négligeant ceux qui ceux susceptibles de le gêner (suppression des services internes de sécurité ; armement des agents par exemple). Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’exprimer mon analyse. Je n’ai pas eu d’autre ambition que celle de vous apporter des éléments de réflexion basés sur une certaine pratique : certaines des dispositions de la Loi du 21 janvier 1995 dont j’ai, avec succès, combattu la mise en œuvre reviennent aujourd’hui de façon plus large dans le texte proposé. L’expérience permet d’apprécier le danger et quand on est averti ce n’est pas être timoré que d’émettre des réserves et de faire connaître sa circonspection. Ce sont souvent le manque d’analyse et la tentation de céder à la nouveauté pour la nouveauté qui entraînent les plus graves désagréments. Guy PIERA GEOCITIS Conseil Sécurité, Organisation, Communication Tél : 01.45.34.24.56 / Mob. : 06.07.19.25.30 [email protected] SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE SECURITE - www.e-snes.org