Adieu les c.c. - Maison des Leaders

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Adieu les c.c. - Maison des Leaders
Entre vous et moi Rémi Tremblay est patron depuis l’âge de 22 ans. Ancien PDG d’Adecco Canada,
il a fondé La Maison des leaders, une firme qui accompagne les leaders et leurs
équipes. Son dernier ouvrage, J’ai perdu ma montre au fond du lac (2009), coécrit
avec Diane Bérard, indique aux gestionnaires la voie de la tranquillité.
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Adieu les c.c.
Je suis fasciné par l’efficacité qu’apporte la technologie.
Mais il arrive aussi que cet objectif d’efficacité nous nuise. La
plupart des leaders que j’accompagne se plaignent de crouler
sous les courriels et se sentent attachés à leur portable comme
s’ils avaient un boulet au pied. Le temps qu’ils passent à traiter ces courriels gruge celui qu’ils devraient consacrer à leurs clients ou à leurs employés.
J’en ai fait l’expérience lorsque je suis
passé de la présidence d’Adecco
Québec à celle d’Adecco Canada.
Mon premier choc : le nombre de
courriels qui entraient chaque
jour dans ma boîte et dans
celles de mes collègues. Étant
donné la taille de l’entreprise, j’ai d’abord cru que
c’était normal. Nous recevions environ 200 courriels
par jour par rapport à dix
courriels pour une organisation dix fois plus petite. J’ai
alors gardé la bonne habitude
de les lire chaque jour et d’y répondre rapidement. Pour y arriver,
je devais travailler pendant plusieurs
heures après avoir bordé mes enfants.
Il m’est apparu très vite que tout cela
n’avait aucun sens, que mon temps serait mieux employé à rencontrer nos équipes et nos clients, à me divertir
et à dormir la nuit. J’ai donc analysé ces courriels avec
mon adjointe et j’ai constaté que 80 % d’entre eux étaient…
des copies conformes (c.c.). Même chose pour les courriels
adressés aux vice-présidents et aux autres employés.
Ces copies conformes étaient-elles toutes justifiées ? Elles
m’étaient envoyées parfois pour m’informer de tout et de rien,
souvent pour protéger l’expéditeur (« Tu devrais le savoir,
je t’ai mis en copie »), m’aviser qu’un collègue avait mal
agi ou m’annoncer qu’on avait sollicité l’aide de quelqu’un
d’autre. Je devenais le témoin des conflits qui divisaient
mes employés, des problèmes avec les fournisseurs sur qui
l’on rejetait souvent la responsabilité et des plaintes de clients.
J’ai compris que nous ne faisions pas face à un problème
de taille d’entreprise, mais à un problème de culture, de
contrôle, où tous les paliers hiérarchiques veulent tout savoir,
et surtout, une culture de méfiance engendrée par
des années de réprimandes et de recherche de coupables.
J’ai alors découvert que les copies conformes servaient
en grande partie les jeux politiques et l’insécurité des patrons. Dans la culture que
nous souhaitions implanter, seulement
5 % de ces copies conformes étaient
pertinentes et aucune n’était
absolument essentielle. Après un
long dialogue, nous avons
choisi d’éliminer les copies
conformes. Un choix difficile
pour les plus contrôlants
et pour les politiciens. De mon
côté, j’étais le grand gagnant
de cette décision, car j’allais
enfin me libérer de 160 courriels par jour… Repartir sur la
route et dormir la nuit !
Imaginez l’impact sur un
groupe de 11 000 employés. Si l’abolition des copies conformes ne réduisait
que de dix le nombre de courriels par
personne, cela nous épargnerait à tous la lecture
de 110 000 courriels par jour. Quel temps récupéré !
Sans compter le temps et l’espace pour les archiver, car bien
sûr, chacun a développé son mode de classement, et nous
nous retrouvons avec 11 000 bibliothèques virtuelles…
Moins de six mois plus tard, nous avons renoué avec la
rentabilité. Cet effet n’est évidemment pas seulement attribuable au temps gagné grâce à l’élimination des courriels,
mais également à la culture de confiance qui s’établissait.
Nous avons repris le dialogue sur notre façon de communiquer et de réintégrer les copies conformes avec parcimonie
et intelligence. La technologie a repris sa place et continue
à bien servir.
Et vous, combien de copies conformes recevez-vous
chaque jour ? En avez-vous déjà analysé la pertinence ?
Illustrations : Martin Gagnon (R. Tremblay), Sébastien Thibault