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DES GENS TRÈS BIEN DU MÊME AUTEUR Aux Éditions Grasset 1 + 1 + 1…, essai. LE ROMAN DES JARDIN, roman ; Livre de Poche nº 30772. CHAQUE FEMME EST UN ROMAN, roman. QUINZE ANS APRÈS, roman. Aux Éditions Gallimard BILLE EN TÊTE, roman (prix du Premier Roman 1986) ; Folio nº 1919. LE ZÈBRE, roman (prix Femina 1988) ; Folio nº 2185. LE PETIT SAUVAGE, roman ; Folio nº 2652. L’ÎLE DES GAUCHERS, roman ; Folio nº 2912. LE ZUBIAL ; Folio nº 3206. AUTOBIOGRAPHIE D’UN AMOUR, roman ; Folio nº 3523. MADEMOISELLE LIBERTÉ, roman ; Folio nº 3886. LES COLORIÉS, roman ; Folio nº 4214. Aux Éditions Flammarion FANFAN, roman ; Folio nº 2373. ALEXANDRE JARDIN DES GENS TRÈS BIEN BERNARD GRASSET PARIS ISBN : 978-2-246-77651-2 Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Éditions Grasset & Fasquelle et Alexandre Jardin, 2010. A mon père, ce fils qui me manque tant. I FINI DE RIRE Né Jardin, je sais qu’il n’est pas nécessaire d’être un monstre pour se révéler un athlète du pire. Mon grand-père – Jean Jardin dit le Nain Jaune – fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’Etat français : Pierre Laval*, chef du gouvernement du maréchal Pétain. Le matin de la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 1942, il était donc son directeur de cabinet ; son double. Ses yeux, son flair, sa bouche, sa main. Pour ne pas dire : sa conscience. Pourtant, personne – ou presque – n’a jamais fait le lien entre le Nain Jaune et la grande rafle, étirée sur deux jours, qui coûta la vie à la presque totalité des 12 884 personnes arrêtées ; dont 4 051 enfants. * Fusillé le 15 octobre 1945 après que le général de Gaulle lui eut refusé la grâce. 11 Des gens très bien En tout cas pas les Jardin ; et certainement pas mon père Pascal Jardin, dit le Zubial. Trop habitué à congédier le réel. Les secrets de famille les mieux gardés s’affichent parfois sous leur meilleur profil. Dans une lumière éblouissante qui les rend presque invisibles. Comme ces toiles de maîtres volées sous Hitler à des collectionneurs juifs puis accrochées aux murs des salons allemands. Les héritiers actuels ont beau les avoir sous le nez, éclairées avec soin, aucun ne voit leur origine glaçante. Ma famille fut, pendant un demisiècle, championne toutes catégories de ce sportlà : s’exhiber pour se cacher. Mettre du plein soleil là où, chez nous, il y avait eu trop de nuit et de brouillard. En ayant le chic pour enrober l’intolérable de bonne humeur, d’ingénuité et de pittoresque. Comment ai-je fait pour me dégager de la vérité officielle de nos ascendants si fidèles à Vichy ? pour finir par accepter ma honte d’être de cette lignée-là de gens supposément « très bien » ? Et ma colère devant l’évidence que le pire pût être commis dans nos rangs sans qu’on y ait jamais vu à mal. Sans que la moindre gêne fût ouvertement exprimée. Même si, bien sûr, il ne m’a pas échappé que les vrais commanditaires de l’horreur 12 Des gens très bien furent avant tout des Allemands : Heinrich, Oberg, Dannecker, Knochen et d’autres. Ce secret français tient en une scène, que j’ai mis vingt-cinq ans à voir avec la bonne focale. Chacun des Jardin aurait pu la convoquer dans son esprit mais, préférant le refuge du flou à l’horreur de la netteté, nous ne savions pas comment regarder de face sans suffoquer une telle débâcle morale. Comme des millions de familles françaises, anxieuses d’ouvrir les placards moisis de la collaboration. Sauf que chez nous, l’affaire était énorme ; comme souvent chez les Jardin habitués à l’improbable. Et aux épisodes où l’Histoire exagère. Cette fois, la vérité sombre était dissimulée sous des kilos de gaieté, des centaines de pages de littérature chatoyante, un vrac de souvenirs cocasses, une tornade d’anecdotes. Moimême, j’y ai contribué en perpétuant la légende nourricière des Jardin ; farcie de galopades et de situations enjôleuses. En m’abritant systématiquement derrière un masque de légèreté, un optimisme de façade, une fausse identité frivole. Issu de la honte, j’ai choisi le rire ; un rire longtemps forcé. Pour faire oublier ma double vie, plus mélancolique. 13