L`utilisation de couleurs complémentaires se distingue au voisinage

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L`utilisation de couleurs complémentaires se distingue au voisinage
L'utilisation de couleurs complémentaires se distingue au voisinage du costume d'Arlequin : notre regard est
spontanément attiré par l'emploi d'un rouge (une des couleurs les plus chaudes du rideau) jouxtant les verdâtres
adoptés dans les losanges du vêtement. Les cernes noirs viennent délimiter les formes. Luis Fernandez a réalisé une
prouesse en restituant la légèreté et la finesse de la facture, le flotté de la touche de la gouache originale, traitée ici
comme un immense pastel bleu d’une grande luminosité. A la fin de la réalisation du rideau, Picasso a ajouté sa
touche personnelle : des rehauts, effectués avec du blanc de zinc, qui viennent apporter des éclats de lumière sur
certains détails de l’oeuvre.
L’iconographie du rideau est complexe : elle mêle allusions mythologiques, tauromachiques, et personnelles. La ligne
d’horizon est très basse, deux couples se font face :
Les personnages : le Minotaure mort, en habit d’arlequin (Picasso en personne), soutenu par un géant ailé à tête
d’aigle qui évoque la figure d'Horus, dieu solaire égyptien. Un homme puissant et barbu (encore Picasso), affublé
d’une peau de cheval (Marie-Thérèse, image de la pureté de l'amour aujourd'hui délaissée), s’avance en menaçant
le monstre de son poing droit dressé. Sa posture et son geste font écho aux conflits qui germent dans l’Europe de la
fin des années 1930. Picasso est informé des nouvelles inquiétantes en provenance d’Espagne, la guerre civile est en
train d’éclater, il peindra Guernica dans quelques mois. Il porte sur ses épaules un bel adolescent couronné de fleurs
(personnage androgyne dont le vêtement, une marinière, semble nous indiquer qu’il s’agit d’un autoportrait, mais
dont le profil féminin, évoque fortement celui de Dora Maar, la nouvelle compagne de Picasso) qui, de ses bras
écartés, semble arrêter le couple mythique. Son mouvement est saisi dans toute son instantanéité, révélant la fougue
et l’énergie victorieuse de ce nouvel amour.
La scène paraît ainsi suspendue dans un paysage désolé de bord de mer, devant une tour en ruine.
Interprétation de l’œuvre : La figure mythique du Minotaure constitue un motif central de l’oeuvre de Picasso, peutêtre par sa proximité avec les thèmes du taureau et de la corrida, mais aussi parce qu’il symbolise l’ambiguïté de
l’homme, entre le divin et le bestial.
L’Arlequin et le Minotaure symbolisent aussi une époque révolue pour Picasso, celle de son amour avec MarieThérèse (souvent symbolisée par une jument, animal fragile et pur). La mise à mort de ces deux personnages, la
décadence de ces deux êtres sombres et monstrueux, marque un tournant dans la production de Picasso. Il va
désormais abandonner ces personnages, au profit d’un renouveau.
Le thème n'offre aucun rapport direct avec la pièce de Romain Rolland, mais il semble opportun de trouver dans
l'affrontement des personnages, l'opposition du bien et du mal, la victoire de la jeunesse, de la beauté triomphante
sur la mort menaçante, celle de la vérité, du progressisme face à l'obscurantisme, celle de la Paix chassant les
monstres de la guerre.
La colossale restauration d’une toile géante :
Exposé dans un premier temps au musée des Augustins, le rideau prendra place dans le musée d’art moderne et
contemporain dès son ouverture, en 2000.
Depuis une soixantaine d’années « la Dépouille du Minotaure » avait été peu montrée au public. Lors de la
précédente apparition du rideau de scène, en 1983, on avait constaté de sérieuses dégradations, occasionnées par de
mauvaises conditions d’accrochage et par les pliages successifs de la toile de coton. Les Musées de France décidèrent
donc d'entreprendre sa restauration (mécénat de la fondation "BNP Paribas pour l'Art"). Au cours de ce patient
travail, les déchirures et les trous ont été méticuleusement colmatés, chaque impureté étant enlevée à la pince à
épiler. Les techniciens des Musées de France ont aussi consolidé la toile et dépoussiéré la couche picturale.
En raison des dimensions du rideau de scène, le travail s’est effectué dans un atelier de montage d’Aérospatiale. Ce
sont d’ailleurs des ingénieurs du constructeur aéronautique qui ont conçu le mât supportant la toile.