RENCONTRE SUR LE FILM BASHU, LE PETIT ETRANGER de

Transcription

RENCONTRE SUR LE FILM BASHU, LE PETIT ETRANGER de
RENCONTRE SUR LE FILM
BASHU, LE PETIT ETRANGER de Bahram BEIZAÏ
Le mercredi 9 janvier 2008, l’association Collège au Cinéma 37 a invité Alain Brunet afin de parler du
film Bashu, le petit étranger de Bahram Beizaï a programmé aux classes 6ème/5ème des collèges d’Indre
et Loire.
Présentation du formateur : Alain Brunet est un formateur en cinéma, réalisateur et spécialiste du cinéma
iranien.
GUERRE IRAN/IRAK :
Avant même de parler du film et du contexte politique dans lequel il se situe, il est indispensable de
revenir sur la guerre de 8 ans qui a opposé l’Iran à l’Irak de septembre 1980 à juillet 1988.
La guerre éclate le 22 septembre 1980 car pour Saddam Hussein, l’accès de l’Irak au golfe Persique
est ridicule par rapport à l’accès de l’Iran. L’objectif de l’Irak est d’occuper le territoire iranien pour
bloquer la provision de pétrole. Pendant les deux premières années, la guerre est à l’avantage de
l’Irak. De 1982 à 1985, les Iraniens lancent des contre-attaques.
Depuis 80, Révolution islamiste de Khomeyni, et Khameney (actuel chef du régime) ; ils font appel au
sentiment nationaliste dans la population, ce qu’ils avaient déjà fait en 68 pour commémorer les 2500
ans de l’Empire perse.
Le président Reagan et l’Union Européenne proposent des compensations financières faramineuses pour
qu’ils arrêtent la guerre. Le président Reagan déclarera à propos de cette guerre : « This shifty wa
must stop ! ». Entre 1985 et 1988, la guerre est une véritable boucherie dans les deux camps et
mobilise des combattants de 13 à 70 ans.
Les Etats-Unis et l’Union Européenne sont mobilisés en faveur de l’Irak et l’Iran est soutenu par la Syrie,
la Libye, la Chine et la Russie. Le gouvernement iranien a continué de travailler avec Israël car d’une
part, l’Iran a travaillé avec le Mossad et d’autre part, l’armée israélienne possède des avions
américains.
Aujourd’hui, le problème Iran-Israël est en fait Irano-Iranien car les têtes du gouvernement israélien sont
d’origine iraniennes.
Quand Bahram Beizaï réalise Bashu, le petit étranger, l’Iran a capturé 80 tanks irakiens et l’Irak, 100
tanks iraniens. Ils décident de faire une trêve dans la guerre pour remettre les choses dans l’ordre, ils
se redonnent chacun les tanks capturés et ensuite, ils recommencent leur guerre.
Un rappel de cette tragédie a permis aux enseignants présents de bien comprendre les raisons et les
enjeux de ce conflit pratiquement oublié, voire occulté, qui a provoqué deux autres guerres aussi
meurtrières l’une que l’autre dans les années 1990 et 2003 : l’invasion du Koweït en 1990 et
l’intervention américaine en Irak en 2003.
De plus, pendant la guerre Iran-Irak, les Etats-Unis avaient mobilisé des flottes de navires dans le golfe
Persique et ces dernières y sont toujours mobilisées.
BAHRAM BEIZAI :
Né en 1938 à Téhéran, ce cinéaste a fait ses débuts dans la mouvance du cinéma super huit qui a été
développée dans tout le pays par les services impériaux de l’époque et qui a permis l’émergence de
plusieurs réalisateurs d’envergure du cinéma iranien : Kiarostami, Forouzesh, Jalili, Majidi. Auteur d’une
vingtaine de pièces de théâtre, Beizaï réalisa son premier court-métrage en 1970 L’oncle moustachu
avant d’aborder le long-métrage avec L’averse, Le voyage primés dans de nombreux festivals
internationaux. Vinrent ensuite : L’étranger et le brouillard, Le corbeau, La ballade de Tara, La mort de
Yazdegerd, Les voyageurs, Les contes de Kish. Beizaï fait partie de ces cinéastes iraniens de premier
plan qui ont décidé de contourner les oukases de la censure gouvernementale (pas de contacts
physiques entre hommes et femmes, port du voile dans les maisons etc) en utilisant les enfants pour faire
passer leurs messages aux spectateurs iraniens.
Dans le cinéma de Beizaï, parler de l’enfance, c’est parler de la famille au quotidien et approcher le
spectateur de la façon la plus directe possible.
LE FILM :
Le but premier poursuivi par le réalisateur était de dénoncer la guerre et surtout la propagande
gouvernementale distillée à longueur de programmes par la télévision d’état et les médias du pays.
Tourné en 1985, le film se situe à une charnière bien particulière du conflit c'est-à-dire à l’époque où
l’agression irakienne est devenue pour l’état iranien LA GUERRE IMPOSEE.
Une propagande omniprésente articulée par et autour du vice-ministre de la culture de l’époque
Monsieur Mohammad Khatami (qui deviendra président de la République de 1997 à 2004) sera mise
en place par les autorités qui prônent une mobilisation générale.
PREMIERE SEQUENCE DU FILM :
Bombardements. C’est une ville iranienne du Sud, à la frontière de l’Irak. L’Irak bombarde depuis
l’autre rive du fleuve. Les Irakiens vont prendre la ville, commettre des massacres.
Bashu appartient à la population iranienne arabophone (qui parle également le farsi) près de la
frontière. Le climat est sec et très chaud. Les habitants y ont la peau mate.
Il s’enfuit en se cachant dans un camion qui emporte tout ce que les réfugiés peuvent emporter. Ce
camion va vers le nord et arrive dans une zone non désertique.
Bashu est traumatisé par les bombes. Il arrive dans une zone qui parle un dialecte local. Il s’aperçoit
qu’au village, il y a à manger, à boire. Mais Bashu est une bouche de plus à nourrir. De plus,
apparaissant comme un étranger, il peut être un oiseau de mauvais augure.
LOCALISATION : Bashu doit fuir la ville de Khorramshar, mitoyenne de la frontière irakienne, qui fut le
premier objectif de l’attaque irakienne : la raffinerie d’Abadan, la plus importante installation
pétrolière du Moyen-Orient, était installée à quelques kilomètres de cette grande ville. La ville
martyre, comme l’appellent les Iraniens, fut l’objet de combats intenses et particulièrement meurtriers
(lecture d’un passage de l’ouvrage de Zacharia Hashemi : « La colline des cadavres »)
Le film sera interdit de sortie pendant plus de trois ans. Les membres du bureau de la censure lui
reprochaient particulièrement la dénonciation des méfaits de la guerre et surtout le thème du film allait
systématiquement à l’encontre de la propagande officielle qui misait sur le mythe de la « guerre
sainte » pour inciter les jeunes Iraniens à rejoindre le front.
Le film débute par la destruction totale de la province où vit Bashu et l’obligation qui lui est faite de
quitter son foyer. Dans l’esprit du réalisateur, c’est la guerre et la violence que quitte l’enfant. Beizaï
fait de son petit héros le symbole des dizaines de malheureux habitants de la province qui ont été
obligés d’abandonner leurs biens et leurs champs.
Il faut aussi insister sur un point particulièrement important développé par le réalisateur : la guerre
Iran-Irak s’est déroulée, dans sa plus grande partie, dans le sud du pays, à savoir les immenses
provinces du Khuzistan et Hormozgan (voir carte de l’Iran). Ces provinces iraniennes qui font partie de
la frange arabophone du pays sont particulièrement arides et la chaleur y est souvent insupportable. A
part les champs d’exploration pétrolière, on ne trouve guère d’autres ressources dans ces régions
désertiques. (voir film iranien : Les enfants du pétrole de Ebrahim Forouzesh)
Par contre, quand Bashu se réfugie dans le nord du pays, c’est pour découvrir une région verdoyante,
où le problème de l’eau n’existe pas ; les cultures locales du riz, du thé et du coton constituent la
richesse de ces provinces du nord qui sont également le grenier à blé du pays.
BEIZAI oppose donc deux régions iraniennes qui semblent totalement étrangères l’une à l’autre : le sud
où tout brûle (allégorie du soleil implacable et du tonnerre de feu déclenché par les forces irakiennes)
et le nord où tout est calme, où l’eau coule en abondance, où l’image de la guerre semble lointaine
parce que située dans une région du pays qui n’a rien à voir avec celle dans laquelle vivent les
habitants du sud… La guerre n’est ici présente que par le biais de la télévision et les bureaux de
recrutement. Le film a même provoqué une polémique en Iran car les « sudistes » prétendaient que les
habitants du nord refusaient de participer à la guerre… Ceci est totalement faux et il suffit de
parcourir les villages et les villes du nord pour voir à l’entrée de chaque agglomération les portraits
des « martyrs » locaux qui ont donné leur vie pour la défense sacrée.
De plus la prétendue opposition entre le sud pauvre et le nord riche ne tient pas dans la mesure où le
village dans lequel se réfugie l’enfant n’est pas une terre de richesse et d’opulence. La nature seule
n’arrive pas à masquer complètement les difficultés auxquelles sont confrontés ces paysans du nord.
Dans sa recherche de simplicité et de dépouillement, le réalisateur schématise à l’extrême les moyens
utilisés pour permettre au jeune garçon de s’échapper de l’enfer dans lequel il vit : un simple camion
qui symbolise à lui seul la technique dans cet univers fait de renoncement et de pauvreté ; pas de
téléviseur, pas d’électricité, pas de maison, pas de responsable local…Le réalisateur stigmatise de la
façon la plus évidente le désastre total dans lequel la guerre a plongé le pays : comment revenir à une
vie normale après avoir subi et enduré tant de douleurs ? Les déracinés du sud sont contraints à
« s’exiler » dans les provinces du nord qui représentent pour eux un monde nouveau, inconnu et
inquiétant… Mais le réalisateur met aussi l’accent sur le sentiment d’iranité, d’exacerbation de la fierté
nationale qui unit tous les Iraniens et une très belle séquence souligne le propos : Bashu ramasse un livre
d’écolier et se met à le lire : « L’Iran est notre patrie, nous appartenons à un seul pays, nous sommes
tous les enfants de l’Iran »…
LE PERSONNAGE DE BASHU :
Le premier véritable problème auquel est confronté le jeune garçon est la couleur de sa peau : il faut
savoir que tous les habitants des régions du golfe persique, ceux que l’on appelle en Iran les Bandari,
les gens des ports, ont la peau très foncée, en opposition avec ceux des autres régions d’Iran qui ont la
peau claire. Quand le jeune garçon arrive dans ce village paisible, il est forcément assimilé à un
étranger tant la couleur de sa peau diffère de celles des autres habitants. Dans ce petit village, tout le
monde se connaît, quand on n’est pas de la même famille… On retrouve donc une société fermée sur
elle-même, pétrie de superstitions, sans pour autant être opposée à la présence d’un étranger, surtout
un enfant…Se pose aussi un problème de langage ; les villageois parlent un dialecte gilani, du nom de
la province du Gilan, que seuls les habitants de la région comprennent…
Sur le plan économique, Bashu va devenir un fardeau supplémentaire pour la petite communauté : une
bouche de plus à nourrir…
LE NOUVEAU CONTEXTE FAMILIAL :
Bashu va être hébergé dans une famille du village qui a aussi un rapport avec la guerre : le mari de
Naïe est parti sur le front dont il reviendra, d’ailleurs, amputé d’un bras. Naïe est le personnage
emblématique d’un certain cinéma iranien post-révolutionnaire qui a glorifié à travers certains films le
rôle extraordinaire qu’ont joué les femmes pendant la guerre.
Pendant les 100 mois qu’a durés ce conflit meurtrier, ce sont les femmes qui ont tenu le pays à bout de
bras en s’investissant dans la direction des écoles, des universités, des usines, faisant preuve d’un
courage extraordinaire qui leur permettra d’exiger des gouvernements successifs la reconnaissance de
leurs droits et le respect de tous les responsables gouvernementaux.
LES AUTRES PERSONNAGES :
NAIE va incarner très vite le courage, le réveil de la conscience du village en s’élevant contre
l’ostracisme de ses habitants, en faisant appel à leur sens de l’hospitalité tout comme elle sera le fer de
lance d’une propagande contre une guerre injuste voulue par le gouvernement et rejetée par la
population.
Deux personnages du village vont jouer un rôle clé dans le film :
LE GUERISSEUR, un des rares habitants du village qui sait lire et écrire, fait figure de sage et qui,
finalement, après beaucoup d’hésitations, acceptera de prodiguer des soins à l’enfant.
L’EPICIER, lui, va jouer le rôle de l’opportuniste, du profiteur en raison de la place importante qu’il
occupe dans le village. Il a pouvoir de vie et de mort sur les familles dans la mesure où il est le seul à
pouvoir consentir un crédit, et son portrait est aussi de la part du réalisateur une sévère critique de la
classe des bazaris, ces riches commerçants du bazar de Téhéran qui ont financé la révolution et qui
continuent à s’enrichir sur le dos du petit peuple iranien.
LES ELEMENTS SYMBOLIQUES, LA FEMME EN NOIR ET ETUDE DE LA PREMIERE SEQUENCE :
1/ Les éléments symboliques :
Le Bien : la mère adoptive représente le Bien. C’est le seul personnage positif. C’est l’archétype de la
mère iranienne, une Mère-Courage, le socle de la famille.
On voit dans le film des réminiscences de la religion zoroastriste avec les vautours qui dépècent les
cadavres. De même, le motif du feu éternel est présent. Le réalisateur Bahram Beyzaï est de religion
Baha’i, qui est un syncrétisme des trois religions, monothéistes.
La censure : le film a été interdit pendant trois ans en Iran.
Les femmes doivent être couvertes à l’écran, y compris dans leurs maisons, même si les femmes
iraniennes retirent leur voile quand elles sont chez elles. Il ne doit pas y avoir de rapports physiques
entre les personnes, et la mère ne peut embrasser son enfant à l’écran. Certains en Iran reprochent au
réalisateur de donner une image négative de la guerre mais il s’est tenu à cette volonté de montrer les
conséquences désastreuses du conflit pour la jeunesse. Le mari revient de la guerre mais ne l’avoue pas
à sa femme. Il a perdu un bras et n’a pas été payé car l’Iran n’a plus les moyens de payer les soldats.
Deux personnages incarnent le Bien et le Mal : l’épicier incarne le Mal. Il a le pouvoir sur les habitants
car a la nourriture ; c’est l’allégorie des populations nanties. Le guérisseur incarne le Bien, certes il est
rebelle, bougon, mais il soigne gratuitement.
Les autres personnages incarnent les archétypes de la société iranienne.
La zone de guerre quittée : brûlée par le soleil. Allégorie du feu des bombes. Au contraire, la zone
d’accueil est une région verdoyante, loin de la guerre.
2/ La femme en noir :
Flash-back par rapport à sa mère. Elle représente la mort, elle est toujours présente dans l’esprit de
l’enfant.
Les masques : tradition qui remonte à l’occupation portugaise et qui a été conservée dans certaines
régions.
3/ Etude de la première séquence :
Le père devient l’étranger. Le fils s’est intégré.
La flûte : très peu de musique dans le film. Quand il va à l’école, on entend les enfants chanter. Avant,
la musique était interdite au cinéma.
L’épouvantail : il représente le père. La première fois éclairé, puis à contre-jour. Il symbolise la mort.
C’est le pendant de la mère tuée au début du film. Le père n’est qu’un épouvantail car il a été
remplacé par l’enfant.
Bashu est accepté comme fils adoptif. En contrepartie, il aidera à la maison.
Le GUÉRISSEUR sera la seule personne qui ne rejettera pas Bashu. Quelque part, il symbolisera la
réconciliation entre le nord et le sud comme une sorte de métaphore entre la guerre et la paix. On peut
voir dans la dernière séquence du film avec la chasse au sanglier et l’envolée des colombes une sorte
d’allégorie, un peu primaire mais efficace, de cette prise de position du réalisateur.
Une nouvelle fois, il faut saluer ce rôle de mère-courage qui s’illustre dans le personnage de Naïe.
Envers et contre tous, la femme va imposer la présence de l’enfant, essayer de l’intégrer dans la
communauté villageoise, non sans avoir elle-même éprouvé de singulières frayeurs en présence de
l’enfant : la séquence dans laquelle elle tente de « nettoyer » l’enfant est particulièrement significative.
Dans une population simple et très sensible à la superstition, Bashu va être considéré comme un oiseau
de mauvaise augure, une calamité envoyée par le ciel… La couleur de sa peau n’arrangera pas les
choses… seule Naïe se battra envers et contre tout pour sauver l’enfant… Elle explique d’une jolie
manière à son mari que Bashu est l’enfant de la terre et du soleil.
Quand il tombe malade, Naïe le soigne comme son propre fils et l’enfant tente avec ses faibles moyens
de se rendre utile en faisant de menus travaux dans la petite ferme.
Encore une fois, le réalisateur se sert des enfants pour faire passer un message aux dirigeants de son
pays : c’est l’enfant qui va remplacer le père parti sur le front, assurer les tâches domestiques et le
symbole du père qui a quitté le nord pour le front des combats qui se déroulent dans le sud du pays
vient renforcer cette impression… De même que Bashu a déserté le sud pour rejoindre le nord…
Autant de symboles utilisés par Beizaï pour faire passer son propos…
Cette impression est singulièrement renforcée par l’utilisation de l’épouvantail qui représente à la fois
le rejet des prédateurs et la mutilation du mari de Naïe qui revient du front amputé d’un bras, tout
comme l’est l’épouvantail. Quand l’enfant tend la main à l’homme, c’est toute la passation des pouvoirs
qui s’opère : Bashu va se substituer au père pour les travaux difficiles et sa main remplacera le
membre mutilé de l’homme… c’est à la fois un message d’espoir mais aussi l’acceptation tacite de la
présence définitive de l’enfant dans la cellule familiale.
Compte rendu rédigé par Claire Tupin à partir du texte écrit par Alain Brunet
et des notes prises par Nicolas Carli-Basset et Claire Tupin
relu par Nicolas Carli-Basset, Dominique Roy et Thierry Guillou