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CAS CLINIQUE
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Calcinose tumorale récidivante.
Recurrent tumorous calcinosis : a new observation.
Hassan Ouleghzal1, Zineb Imane2, Fatima Boufares1
1Service d’Endocrinologie et Maladies Métaboliques, Hôpital Militaire d’Instruction Mohamed V, Rabat - Maroc.
2 Service de Pédiatrie 2, Hôpital des Enfants, Rabat - Maroc.
Rev Mar Rhum 2014; 30:58-61
Résumé
Abstract
par un dépôt de matériel calcique au niveau des
tissus mous périarticulaires. Le diagnostic de
certitude est histologique. Le traitement consiste
en une exérèse chirurgicale précoce et complète.
Le pronostic reste excellent malgré la fréquence
des récidives.
by a deposit of a calcic materiel at the level of
Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 17ans,
qui a été hospitalisé pour bilan étiologique de
tuméfactions sous cutanés récidivantes.
Le diagnostic de calcinose tumorale récidivante
a été retenu devant des critères cliniques,
biologiques, radiologiques et histologiques.
Le traitement
consistait en une résection
chirurgicale associée à un traitement médical et
un régime hypocalcique hypophosphorémique.
L’évolution à 10 mois a été marquée par une
nouvelle récidive. Cette observation de calcinose
tumorale est particulière par sa survenue de façon
sporadique chez un enfant de phototype clair et
par sa présentation clinique responsable d’une
compression du nerf sciatique poplité externe.
Mots clés : Calcinose tumorale, Récidive.
La calcinose tumorale (CT) est une entité clinique et
histologique bien définie caractérisée par le dépôt de
matériel calcique dans les tissus mous péri-articulaires
prenant une forme tumorale. C’est une affection peu
fréquente, touchant l’adolescent et l’adulte jeune de race
noire. Cette affection a été décrite pour la première fois
par GIARD en 1898 et le terme de calcinose tumorale a
été utilisé pour la première fois par INCLAN en 1943.
Elle est encore appelée lipo-calcino-granulomatose de
Correspondance à adresser à : Dr. H. Ouleghzal
Email : [email protected]
the periarticular lax tissu.The treatment consists
of a precocious and complete surgical exeresis.
Despite the risk of recidivism, the prognosis is
always excellent.
We report the case of a 17-year-old
patient,
who has been admitted in our hospital unity for
an etiological check up related to a recurrent
subcutaneous tumefaction.
Based
on
clinical,
biological,
radiological
and histological criterion, the diagnostic of
Treatment
consisted
of
surgical
resection
combined with medical treatment and hypocalcic
hypophosphatemia diet. After 10 months, a
new recurrence was noted. This case of tumoral
calcinosis is notable in terms of its sporadic
onset in a child of light phototype and by clinical
presentation responsible for compression of the
peroneal nerve.
Key words : Tumoral Calcinosis, Recurrence.
Teutschlaender. Sa pathogénie est encore mal comprise,
de nombreuses avancées mettant en jeu une mutation du
gène codant pour FGF23 = NT9 ont été récemment mises
en évidence. Son traitement est essentiellement chirurgical
mais les récidives sont fréquentes.
OBSERVATION
Patient âgé de 17 ans, cinquième d’une fratrie de six,
de phototype clair, issu d’un mariage non consanguin
Revue Marocaine de Rhumatologie
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Calcinose tumorale récidivante.
hospitalisé pour exploration de tuméfactions récidivantes
des parties molles. Il n’a pas d’antécédent particulier
notamment pas de cas similaire dans la famille.
L’histoire de sa maladie remonte à 12 ans (âge de 5 ans)
par l’apparition progressive de multiples tuméfactions sous
cutanés bilatérales au niveau des régions trochantériennes
accompagnées initialement de sciatalgies gauches
secondaires probablement à une compression nerveuse.
Il a bénéficié à plusieurs reprises (2 fois à droite et 2
fois à gauche) d’une exérèse de ses tumeurs dans un
autre établissement. Les examens anatomopathologiques
n’avaient pu être récupérés. .
L’examen clinique note la présence de cicatrices au
niveau des 2 fesses avec à la palpation des nodules
sous cutanés dures bilatéraux de consistance pierreuse
indolores à la palpation et sans signe inflammatoire
en regard, siégeant sur les régions trochantériennes.
Le reste de l’examen était sans particularité. Devant ce
tableau clinique, trois diagnostics ont étaient évoqués : la
dermatomyosite juvénile, la calcinose tumorale d’Inclan et
l’hyperparathyroïdie.
Le bilan biologique révélait une hyperphosphorémie
isolée à plusieurs reprises alors que le reste des examens
étaient sans particularités notamment la calcémie, la
parathormonémie, la vitesse de sédimentation, l’urée, la
créatinine. Les enzymes musculaires et l’électromyogramme
étaient normaux. Le taux de la 1-25 dihydroxyvitamine D
était élevé. Faute de moyens, le dosage de la FGF23 et
l’étude génotypique n’ont pu être faites.
La radiographie du bassin (figure1) montre des coulées
calcifiées des parties molles, extra-articulaires, comprenant
des calcifications amorphes étendues sans effraction
osseuse. L’échographie rénale et abdominale était sans
particularité. L’examen histologique d’un nodule montrait
un revêtement cutané dont le derme profond renferme de
larges nappes amorphes, éosinophiles et parfois calcifiées
; ces structures sont entourées d’une réaction inflammatoire
de type corps étranger.
Le diagnostic de calcinose tumorale récidivante était
retenu. Le patient a bénéficié d’une exérèse chirurgicale
en deux temps d’abord de la tumeur à droite puis de la
gauche par reprise des anciennes incisions externes. Elle
a consisté en une dissection soigneuse et complète des
tumeurs avec fermeture plan par plan sur drain aspiratif.
Les suites opératoires immédiates étaient simples. Un
traitement médical à base de chélateurs de phosphate et
un régime hypocalcique hypophosphorique sont instaurés.
L’évolution à 10 mois était marquée par l’apparition de
nouvelles récidives au niveau des 2 hanches.
DISCUSSION
La CT, bien que rare, est une entité clinique et
histologique bien définie. Elle est décrite depuis le
début des années 1900 sous différentes appellations :
endothéliome calcifié, lipocalcinogranulomatose, bursite
lipocalcinogranulomateuse,
lipocalcinose
tumorale,
bursite calcifiée ou collagénose calcifiée. Mais c’est à
Inclan et al. [1] en 1943, décrivant 3 cas d’enfants ayant
de larges masses calcifiées péri-articulaires, que l’on
doit le nom actuel et enfin reconnu par tous les auteurs.
Un peu plus de 200 cas de CT sont rapportés dans la
littérature depuis sa première description [2], avec peu de
séries publiées. Cette affection touche essentiellement les
sujets de race noire Africaine. Elle est rare en Europe, en
Amérique du Nord, et en Asie. Une des particularités de
notre observation est le phototype clair du patient. La revue
de la littérature est non informative quant au sex- ratio
[3]. Elle survient généralement dans les trois premières
décades de la vie avec des extrêmes de 1 à 83 ans.
Contrairement aux données de la littérature ou la notion
de cas familiaux est souvent rapportée, environ un tiers
des cas [3], le cas que nous rapportons est sporadique.
De nombreux auteurs pensent qu’il s’agit d’une maladie
héréditaire à transmission autosomique récessive ou
pseudo-autosomique dominante [4].
Figure 1 : Radiographie du bassin de face montrant des coulées calcifiées des
parties molles, bilatérales, extra-articulaires en regard des régions trochantériennes.
Revue Marocaine de Rhumatologie
Sur le plan pathogénique, les travaux rapportés
s’accordent sur l’origine métabolique de cette maladie
[4]. L’hyperphosphorémie en est la principale anomalie.
En effet, elle stimulerait la formation de vésicules
extracellulaires avec minéralisation secondaire sous forme
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CAS CLINIQUE
de cristaux d’hydroxyapatite. Cette hyperphosphorémie
isolée peut être liée à une augmentation de la réabsorption
rénale du phosphate. Des données génétiques récentes
ont montré des mutations dans certaines formes familiales
de CT [5], La première mutation concerne le facteur de
croissance des fibroblastes 23 (FGF23) qui joue un rôle clé
dans la régulation du phosphore. L’augmentation de son
activité s’accompagne d’une baisse de la phosphorémie
et vice versa. Dans la CT, on retrouve une mutation du
FGF23 avec une baisse de sa concentration sérique de
telle sorte qu’il ne soit plus fonctionnel [6]. La deuxième
enzyme qui peut être mutée est la GALNAc transférase 3
(GALNT3), cette enzyme intervient dans la glycosylation
du FGF23. La mutation du GALNT3 rend non fonctionnel
le FGF23 ce qui est responsable de l’hyperphosphorémie
[4]. Faute de moyens l’étude génétique n’a pu être réalisée
chez notre patient.
La CT se manifeste par des masses tumorales d’apparition
progressive de consistance ferme, habituellement non
douloureuses, mobiles par rapport à la peau mais
adhérentes aux fascias, tendons ou muscles sous-jacents.
Leur taille varie de 1 à 30 cm [3]. Les localisations les
plus fréquentes sont la hanche, l’épaule, le coude, le
sacrum, la cheville et le scalp. Ces masses sont souvent
bilatérales comme dans notre cas ou multiples. La CT
peut se compliquer d’amylose en cas de suppuration
chronique [7] ou de compression nerveuse telle qu’une
sciatique [8] ou un syndrome du canal carpien [9]. Notre
patient présentait initialement des sciatalgies gauches
disparus après exérèse chirurgicale. Cette complication
reste exceptionnelle et peu de cas ont été rapportés dans
la littérature [8].
Une atteinte concomitante d’autres organes est possible
telle une gingivite, des lésions cutanées érythémateuses,
des calcifications oculaires, cérébrales, des striations
angioïdes de la rétine, des calcifications artérielles, ou
encore un pseudo-xanthome élastique [10,11].
Sur le plan biologique, on retrouve classiquement une
hyperphosphorémie isolée avec des valeurs normales
de la calcémie, des phosphatases alcalines et de la PTH
[12,13].
La concentration sérique de la 1-25 dihydroxyvitamine
D peut être élevée chez certains malades [12] comme
c’est le cas dans notre observation. L’aspect radiologique
multinodulaire en nid-d’abeilles est caractéristique et très
évocateur de la CT. Deux signes négatifs sont importants,
Il n’existe pas de signe en faveur d’une ostéoporose, ni
d’anomalie de l’articulation sous jacente.
H. Ouleghzal et al.
L’étude anatomo-pathologique de la pièce de biopsie
ou d’exérèse permet le diagnostic de certitude. L’aspect
macroscopique retrouve une masse de consistance
dure avec de multiples logettes contenant un magma
plus ou moins liquide d’aspect crayeux réalisant « un
aspect en éponge» [13]. L’histologie révèle un dépôt
central de matériel amorphe calcifié entouré d’une
prolifération floride de macrophages, de cellules géantes
à corps étrangers et d’éléments inflammatoires lymphoplasmocytaires [14].
Le diagnostic de CT se fait après élimination des
autres causes de calcifications des parties molles
telles que la dermatomyosite, l’hyperparathyroïdie
primaire ou secondaire, l’insuffisance rénale chronique,
l’hypervitaminose D, le syndrome de Burnett (milk
alkali syndrome) ou la myosite ossifiante. L’élimination
de ces diagnostics se fait sur l’histoire clinique et les
données biologiques et radiologiques. La biopsie peut
être nécessaire pour récuser une lésion maligne telle le
chondrosarcome. Dans cette observation, le diagnostic
de dermatomyosite juvénile a été particulièrement
évoqué, mais l’absence de manifestations cutanéomusculaires, la normalité des enzymes musculaires et de
l’électromyogramme ont permis d’écarter ce diagnostic.
Les modalités thérapeutiques sont variables selon les
auteurs, la majorité recommande un traitement chirurgical
[15], avec une exérèse complète des lésions afin de
prévenir une récidive précoce et d’éviter une compression
des éléments adjacents par la pseudo-tumeur.
Un traitement médical à base de chélateurs de phosphate
comme l’hydroxyde d’aluminium associé à un régime
pauvre en phosphate et en calcium proposé par certains
auteurs aurait donné des résultats satisfaisants [15].
Il trouverait son indication comme complément de la
chirurgie afin d’éviter la récidive ou le développement de
localisations latentes [13].
Notre patient a bénéficié d’une exérèse chirurgicale des
deux tumeurs puis d’un traitement médical complémentaire
à base de chélateurs de phosphate avec régime
hypocalcique hypophosphorique.
La récidive est relativement fréquente [3] comme ca été le
cas dans notre observation ou l’évolution était marquée
par l’apparition de nouvelles localisations au niveau
des 2 hanches malgré l’exérèse complète des lésions et
la prescription du traitement médical complémentaire
avec une bonne adhésion au régime hypocalcique
hypophosphorique. Toutefois, le pronostic à long terme
de cette affection reste excellent.
Revue Marocaine de Rhumatologie
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Calcinose tumorale récidivante.
CONCLUSION
GALNT3 ou du FGF23. Ann dermato venereol 2006;133:408.
La calcinose tumorale est une affection rare et habituellement
bénigne dont les mécanismes physiopathologiques ne
sont pas encore élucidés. Le diagnostic de certitude est
basé sur l’examen anatomopathologique. Son traitement
est essentiellement chirurgical complété par un traitement
médical dont l’efficacité est discutée. Cette observation
est particulière par la survenue de cette affection de
façon sporadique chez un enfant de phototype clair, par
l’existence de signes de compression nerveuse résolus
après exérèse chirurgicale.
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