Conseil d`État N° 375801 ECLI:FR:CESEC:2016

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Conseil d`État N° 375801 ECLI:FR:CESEC:2016
Conseil d’État
N° 375801
ECLI:FR:CESEC:2016:375801.20160713
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocat(s)
lecture du mercredi 13 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par deux requêtes distinctes, la SA Monte Paschi Banque a demandé au tribunal
administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires
d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie
au titre des exercices clos en 2005 et 2006, ainsi que des pénalités correspondantes. Par
un jugement n° 1004876 du 6 octobre 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté
sa première demande. Par un jugement n°1109358 du 6 décembre 2012, ce tribunal a fait
partiellement droit à sa deuxième demande.
Par un arrêt n°s 11VE04035, 13VE00390 du 19 décembre 2013, la cour administrative
d’appel de Versailles a rejeté les appels formés par la SA Monte Paschi Banque contre
ces deux jugements.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires,
enregistrés les 26 février et 26 mai 2014 et les 10 février et 23 juin 2016 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’Etat, la SA Monte Paschi Banque demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses appels ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain,
Soltner, Texidor, avocat de la SA Monte Paschi Banque ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces soumises aux juges du fond que l’agence de Strasbourg de la
société anonyme Monte Paschi Banque a consenti à la société KMX Technologie
d’importants concours financiers entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004. Au
titre des exercices clos en 2003 et 2004, elle a constitué des provisions pour risque de
non-recouvrement de ces créances. A l’issue de la vérification de comptabilité dont la
société a fait l’objet, l’administration fiscale a réintégré dans le résultat de l’exercice clos
en 2004 une somme de 7 560 500 euros correspondant à une fraction de la provision
constituée à hauteur de 11 237 561 euros, au motif que la SA Monte Paschi Banque
n’avait pas agi dans le cadre d’une gestion commerciale normale. L’administration a remis
en cause, à due concurrence, le report déficitaire auquel la banque avait procédé au titre
de l’exercice clos le 31 décembre 2005. A la suite d’un contrôle sur pièces, elle a
également rectifié pour ce motif les résultats de l’exercice clos le 31 décembre 2006. Par
l’arrêt contre lequel la société se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de
Versailles a confirmé les jugements des 6 octobre 2011 et 6 décembre 2012 par lesquels
le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes de la SA Monte Paschi Banque
tendant à la décharge des impositions supplémentaires en résultant au titre des exercices
clos en 2005 et 2006.
2. Il résulte des dispositions combinées des articles 38 et 39 du code général des impôts,
applicables en matière d’impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l’article 209 du
même code, que le bénéfice net est établi sous déduction des charges, comprenant
notamment des provisions, supportées dans l’intérêt de l’entreprise. En revanche, ne
peuvent être déduites du bénéfice net passible de l’impôt sur les sociétés les provisions
constituées en vue de faire face à des pertes ou charges étrangères à une gestion
commerciale normale.
3. C’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’administration doit apprécier
si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale
normale. Indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le
comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n’appartient pas à
l’administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion
opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour
améliorer ses résultats.
4. Pour juger que l’administration devait être regardée comme établissant que la poursuite,
par l’agence de Strasbourg, de l’octroi des crédits litigieux à la société KMX Technologie
entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004, bien qu’entrant dans l’objet social de
la société Monte Paschi Banque, constituait un acte étranger à une gestion commerciale
normale insusceptible d’ouvrir droit à la comptabilisation d’une provision déductible du
bénéfice imposable, la cour s’est bornée à relever que l’ensemble des circonstances de
l’espèce devait être regardée comme révélant une “ prise de risque inconsidérée de la
banque “. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait seulement de rechercher si les
décisions en cause étaient conformes à l’intérêt de l’entreprise, sans qu’il y ait lieu de
s’interroger sur l’ampleur des risques pris, la cour a commis une erreur de droit. Par suite,
et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être
annulé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme
de 3 500 euros à verser à la SA Monte Paschi Banque, au titre de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative.
DECIDE:
-------------Article 1er : L’arrêt du 19 décembre 2013 de la cour administrative d’appel de Versailles
est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 3 500 euros à la SA Monte Paschi Banque au titre
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SA Monte Paschi Banque et au ministre
des finances et des comptes publics.
Abstrats : 19-04-02-01-04-082 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES
REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES
PARTICULIÈRES. BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. DÉTERMINATION
DU BÉNÉFICE NET. ACTE ANORMAL DE GESTION. - NOTION - PRISE DE RISQUE
EXCESSIF - EXCLUSION [RJ1].
Résumé : 19-04-02-01-04-082 C’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que
l’administration doit apprécier, pour déterminer le caractère déductible d’une charge, si
des opérations correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale.
Indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le
comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants [RJ2], il n’appartient pas à
l’administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion
opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour
améliorer ses résultats.
[RJ1] Ab. jur., s’agissant de la théorie du risque manifestement excessif, CE, 17 octobre
1990, M. Loiseau, n° 83310, p. 282 ; CE, 7 janvier 2000, Epoux Philippe, n° 186108, T. p.
963 ; CE, 27 avril 2011, Société Legeps, n° 327764, T. p. 903-904., ,[RJ2] Cf. CE, 5
octobre 2007, Société Alcaltel CIT, n° 291049, p. 416.