La privatisation de la Chine
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La privatisation de la Chine
TOPIC Mars 2005 La privatisation de la Chine La page de la grand messe de l’Assemblée Nationale Populaire de La fin du parcours Chine est tournée. Les directives pour l’année en cours ont été fixées par Wen initiatique pour le Jiabao et Hu Jintao. Le débat sur la « loi antidissidence » dirigée contre secteur privé Taiwan en a occulté un autre, pourtant décisif : la propriété privée a fait son entrée dans la Constitution chinoise au terme d’un parcours initiatique qui aura duré 20 ans. C’est la deuxième bonne nouvelle en moins d’un mois pour les entreprises privées. Le 24 février déjà, le Conseil d’Etat avait édicté une circulaire sur l’ouverture au secteur privé d’activités jusque-là aux mains des mastodontes du secteur public. Indispensable pour absorber la main d’œuvre chinoise… … ses contours restent encore flous… … et il dépend souvent de la bonne volonté des Au début des années 80, le secteur privé faisait figure de curiosité. Vingt ans plus tard, le voilà porté aux nues et c’est au tour des monopoles publics de ne plus avoir la cote. La proportion de l’activité productrice privée dans le PIB dépasse désormais les 30% (sans même parler de l’agriculture, qui est largement privatisée sous des formes diverses) et le secteur privé est devenu la bouée de sauvetage du régime sur le front de l’emploi. Non seulement, il contribue très largement (environ les trois quarts) aux nouveaux emplois créés dans les villes mais c’est aussi vers lui que se tournent les Chinois licenciés du secteur public. Fin 2004, on comptait 3,8 millions d’entreprises privées en Chine soit une hausse de 26% par rapport à 2003. Cette même année, les firmes aux mains de capitaux privés représentaient 53% des sociétés enregistrées en Chine. Mais bien malin celui qui serait capable de définir avec précision ce qu’est le secteur privé en Chine tant sa diversité est grande et le capital des firmes opaque. Anciennes entreprises publiques désormais aux mains de leurs salariés, joint-ventures, firmes étrangères à 100% qui bénéficient encore d’incitations en tout genre, sociétés créées en propre par des Chinois euxmêmes anciens salariés licenciés dans le cadre de la réforme des entreprises d’Etat, ou chômeurs ou migrants… Le cas de la première entreprise « privée » du rail est édifiante : la ligne ferroviaire qu’elle va construire sera financée par une joint venture qui regroupe outre quelques petits investisseurs privés, le Ministère des Transports (35%), le district du Zhejiang (32,5%,) qu’elle traverse et la filiale d’une entreprise publique de BTP. L’expansion du secteur privé dépend beaucoup de la bonne volonté des autorités provinciales, de leur niveau de développement, et de leur exposition à la compétition inter-régionale. Du même coup, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne malgré le mouvement initié au plus haut niveau en faveur du privé. Depuis le 24 février, les infrastructures, les télécommunications, les L’ouverture de nouveaux secteurs transports ferroviaires, l’aviation civile, ou les services publics par exemple, décidée par Pékin se sont ouverts à la concurrence des firmes privées qui pourront bénéficier d’aides fiscales et financières équivalentes à celles de leurs homologues lui ouvre de publics. La raison est double. Effet OMC oblige, la Chine est contrainte de nouvelles mettre un terme aux monopoles d’Etat conformément au calendrier établi. En opportunités... outre, la déficience des grands groupes publics dans plusieurs secteurs-clé oblige Pékin à accélérer leur ouverture. Bien sûr, un grand nombre d’entreprises n’ont pas attendu cette circulaire pour travailler dans ces secteurs. Huawei par exemple, vend depuis bien longtemps ses produits à l’armée chinoise. Prenons le cas de l’énergie. Depuis deux ou trois ans, le gouvernement a cherché à introduire davantage de concurrence aux trois acteurs dominants qui contrôlent toujours 90% des raffineries et plus de la moitié des stations-essence. Déjà en 2003, les autorités avaient accordé des quotas d’importations sur les produits pétroliers à hauteur de 5,3 millions de tonnes pour les sociétés privées. C’est peu (à comparer avec les 20 millions de tonnes pour les entreprises d’Etat) mais c’est un signe qui ne trompe pas. Dans le secteur aérien aussi, le branle-bas de combat avait commencé dès 2004. La compagnie aérienne Okay Airways, par exemple, basée à Tianjin avait prévu son lancement bien avant le 24 février. Le 11 mars, elle emportait ses premiers passagers vers Kunming, dans la province du Yunnan via Changsha dans le Hunan. Elle n’est pas la seule à vouloir une place sur le marché juteux du trafic passagers. En 2004, 121 millions de personnes ont choisi l’avion pour voyager en Chine. Okay Airways a ouvert la voie des compagnies low cost avec la bénédiction de Pékin et souhaite par ailleurs devenir très rapidement un acteur incontournable du fret. A ce titre, elle détient déjà un atout majeur dans son jeu : elle dessert une route qu’aucune des trois grandes compagnies nationales ne propose. Plusieurs entreprises étrangères localisées à Tianjin se sont déjà montrées intéressées. autorités locales … mais il lui faut encore lever un dernier frein : celui du financement Les réseaux informels : la solution privilégiée Pourtant, la plupart des entreprises privées chinoises sont encore dans les starting-blocks et n’ont pas encore pris leur élan. Certes, elles se sont multipliées ces dernières années (+28% par an en moyenne depuis deux ans). Mais ce n’est pas tout de leur ouvrir des pans entiers de l’économie, encore faut-il leur donner les moyens de profiter de l’aubaine. C’est encore loin d’être le cas. L’histoire est bien connue : les grandes banques d’Etat ne prêtent qu’aux grandes entreprises publiques. Or la mise de départ pour investir dans le secteur des télécoms ou dans l’énergie est extrêmement élevée. Pour trouver l’argent nécessaire à leur financement, les sociétés privées 100% chinoises qui ont fait le choix des hautes technologies peuvent compter sur les capitaux étrangers. Elles ont le vent en poupe auprès des investisseurs en capital-risque, qui se précipitent pour soutenir les jeunes pousses chinoises très attractives. Quant aux autres, elles font appel à des capitaux « informels ». Un récent rapport de Citibank notait qu’entre mai et octobre 2004, 900 milliards de RMB (83,9 mds euros) avaient disparu des caisses des banques étatiques probablement pour financer en partie le secteur privé (assez souvent via des grandes entreprises publiques qui servent de relais financier). Car l’entreprise privée chinoise reste avant tout une aventure familiale. Les grands groupes tels que Huawei sont l’exception qui confirme la règle. En 2003, le capital social déclaré par les firmes privées s’élevait en moyenne à 1,2 million de RMB (112 000 euros) et seules 1 156 firmes disposaient d’un capital supérieur à 100 millions de RMB (9,3 M. euros). 30% d’entre elles seulement vendent plus de la moitié de leur production dans une province différente du lieu de leur implantation mais 40% font plus de la moitié de leur chiffre d’affaire au niveau du dictrict*. Par conséquent, si elles sont incontournables sur le plan local, elles ne représentent qu’une faible fraction des exportations qui sont pourtant au cœur de la stratégie de croissance chinoise. En 2003, les entreprises privées chinoises comptaient encore pour moins de 5% des exportations totales. Dès qu’il s’agit de croissance, Pékin continue donc de se tourner vers les entreprises étrangères et les grands groupes publics que son bras armé, la SASAC (State-owned Assets Supervision and Administration Commission), a sélectionnés dès 2003. Les entreprises privées lui sont devenues indispensables sur un tout autre plan. Pékin se repose en partie sur elles pour limiter l’instabilité sociale en diminuant les tensions sur le marché de l’emploi. Par ailleurs, les restructurations en cours des entreprises publiques dont elle est le maître d’œuvre ont laissé libre cours à la privatisation… D’un point de vue pratique, l’essor des infrastructures, la concurrence exacerbée dans un nombre de secteurs plus élargi et l’ouverture de l’économie ont largement contribué au développement du secteur privé. Mais il est indéniable que la très forte volonté politique en sa faveur a joué un rôle majeur. L’accueil au sein du Parti Communiste Chinois des entrepreneurs privés (on estime qu’un patron sur trois est membre du PCC) témoigne d’un pragmatisme à tout épreuve et d’une habileté politique qui a permis à la notion de propriété privée d’être reconnue au plus haut niveau institutionnel. Il reste beaucoup à faire pour que le cadre légal soit appliqué uniformément dans toutes les provinces mais la tendance est irréversible et va permettre, c’est certain, d’introduire davantage de transparence dans l’économie chinoise. L.B * En terme de structure administrative, le district est le niveau intermédiaire entre les principales villes et les petites villes ou cantons. Il en existe 2 800 à travers la Chine Note : notre étude de fond sur Toyota est parue en mars 2005. Un nombre croissant d’entreprises japonaises, présentes dans différents secteurs d’activités, font appel au groupe Toyota dans le but d’améliorer leur productivité et leur profitabilité. Cette étude analyse ces expériences et tire les leçons de ces tentatives de transposition des méthodes « Toyota ». (lire www.hec.fr/eurasia) Pour obtenir cette publication, vous pouvez contacter Mme Martinez au 01 39 67 73 75. Principaux indicateurs des entreprises privées 2003 Juin 2004 Croissance annuelle moy. 1993-2003 (%) Entreprises privées (mn) 3.0 3.3 48.2 Salariés (mn) 43.0 47.1 27.7 Capital social (mds euros) 329.1 392.8 48.4 Production en valeur (mds euros) 187.2 na 47.2 Ventes de détail (mds euros) 98.8 na na Exportations en valeur (mds $) 21.1 na na Taux de change 1 euro = 10,73 yuans Source : SAIC ____________________________________ Nombre d’entreprises privées par région en 2003 Nombre % du total Jiangsu 343 680 11.4 Guangdong 323 077 107 Zhejiang 302 136 10.1 Shanghai 291 711 9,7 Shandong 228 554 7.6 Beijing 186 805 6.2 Liaoning 114 415 3.8 Sichuan 110 359 3.7 1 900 737 63.2 Total de ces 8 provinces Source : SAIC