couverture

Transcription

couverture
25
Des soins abordables et de
qualité pour les populations
indiennes les plus défavorisées
Spécialisée dans la santé maternelle et infantile, LifeSpring cible en priorité les femmes les plus
défavorisées. Son modèle économique repose sur des tarifs compétitifs, sur la qualité et la spécialisation
des services, sur la mise en place de partenariats. LifeSpring met ainsi en adéquation objectifs financiers
et sociaux. Sa politique d’expansion privilégie par ailleurs le regroupement géographique, qui permet
de mutualiser certains services.
Anant Kumar
Fondateur et président-directeur général de LifeSpring
A
vec une population en croissance
continue de plus de 1,2 milliards
d’habitants, l’Inde estimait son
taux de mortalité maternelle à 254 pour
100 000 naissances en 2011 - alors qu’il était
encore de 400 pour 100 000 en 1990. Malgré
ce progrès, ce taux est encore près de quinze
fois plus élevé que celui des pays développés.
L’Inde s’est fixée pour objectif de le ramener
à 109 pour 100 000 d’ici 2015, conformément aux Objectifs du Millénaire pour le développement énoncés par les Nations Unies
en matière de santé maternelle. L’Inde contribue aujourd’hui à hauteur
de 25 % à la mortalité maternelle mondiale. Seulement 19 % des mères indiennes du quintile le plus
pauvre reçoivent une assistance à l’accouchement
par du personnel qualifié (contre 53 % pour l’ensemble des mères) ; 5 %
anant kumar
d’entre elles accouchent
Après avoir travaillé en
dans une maternité primarketing social et rural,
Anant Kumar a créé en 2005 la
vée, contre 27 % des mères
première maternité LifeSpring.
non pauvres (sur le sysIl a remporté de nombreux
tème de santé indien, voir
prix d’entreprenariat social
Encadré). Par ailleurs, le
et participe à des comités
pays n’est pas parvenu à
d’experts du secteur de
la santé. Diplômé en
atteindre son objectif de
management de l’Institute of
réduction du taux de morRural Management (Anand)
talité infantile, qu’il vouil possède aussi un diplôme
lait ramener à 28 pour
en gestion des soins de santé
1 000 naissances vivantes
et des hôpitaux du Symbiosis
Institute (Pune), ainsi qu’un
en 2012. Il est peu prodiplôme en entrepreneuriat
bable que l’objectif soit atsocial de l’INSEAD (Singapour).
teint d’ici la fin 2016.
L’urbanisation rapide de l’Inde s’est accompagnée d’une explosion du nombre de pauvres
résidant en ville, qui bien qu’en déclin, continue à représenter plus de 20 % de la population urbaine. Lorsqu’il s’agit d’accéder aux
services de soins maternels et infantiles, ces
populations n’ont pas beaucoup de choix. Les
hôpitaux publics ont des ressources limitées
et les grands hôpitaux privés pratiquent des
prix élevés, souvent hors de leur portée. Les
petites maternités privées1 manquent de
transparence dans les prix qu’elles pratiquent
et n’offrent pas toujours un service de qualité.
Reste bien entendu l’accouchement à domicile. Par une approche marché, LifeSpring
répond au manque de soins de santé maternelle de qualité à des prix abordables pour les
populations indiennes les moins favorisées.
Alors que 80 % des dépenses de santé restent
à la charge des patients, LifeSpring réduit
de manière significative le poids croissant
des dépenses de santé pesant sur les communautés les plus pauvres du pays. Le cœur
de clientèle de LifeSpring est le segment des
60 % de la population indienne ayant les revenus les plus bas, des ménages gagnant entre
3 000 et 7 000 roupies indiennes par mois
(soit environ deux à cinq dollars par jour).
Beaucoup d’entre eux travaillent dans le
secteur informel (micro-entrepreneurs, par
exemple) ou sont journaliers. 80 % des clients
de LifeSpring n’ont pas poursuivi leurs études
au-delà du premier cycle de l’enseignement
secondaire ou se sont arrêtés avant. LifeSpring propose un large éventail de services
de santé maternelle et infantile : soins prénatals, soins postnatals, accouchements par
voie naturelle ou par césarienne, planification
familiale, vaccinations, consultations
1
Les services hospitaliers de moins de 30 lits représentent près de 84 % du
secteur privé lucratif – un secteur qui est aussi le plus désorganisé, dont la
plupart des établissements sont gérés par un seul médecin.
Secteur Privé & Développement
26 Des soins abordables et de qualité pour les populations indiennes les plus défavorisées
Le secteur privé
contribue-t-il
à améliorer les
systèmes de
santé des pays en
développement ?
pédiatriques, services pharmaceutiques,
éducation à la santé des populations environnantes. Les maternités LifeSpring ont été
créés et fonctionnent sans recourir ni aux
dons ni aux subventions pour leurs activités
de base ; l’entreprise considère que l’autonomie financière est un élément déterminant de
son modèle et de sa capacité à se développer.
Un modèle privé novateur
Le modèle de LifeSpring repose sur la qualité,
les bas coûts et un service orienté client. La première maternité, conçue comme un pilote, est
entrée en activité en 2005. Moins de deux ans
plus tard, elle avait atteint son seuil de rentabilité. Chaque maternité LifeSpring est prévue
pour être rentable au bout de 18 à 24 mois de
fonctionnement. Certes, LifeSpring est une
organisation à but lucratif, mais la chaîne ne
cherche pas à maximiser ses profits. Ses tarifs
sont inférieurs d’au moins 50 % à ceux du
marché : le prix d’un accouchement par voies
naturelles est de 5 000 roupies indiennes
(environ 90 dollars), celui d’une césarienne
de 12 000 roupies (environ 218 dollars),
pour des séjours « tout compris » d’une durée respective de deux jours et de cinq jours.
Un établissement de taille moyenne facture
habituellement autour de 200 dollars pour
un accouchement par voies naturelles et
de 280 à 500 dollars pour une césarienne.
LifeSpring fournit en outre des soins prénatals tout au long de la grossesse. Le prix d’un
bilan de santé prénatal avec un gynécologue
est de 100 roupies (environ 1,50 dollar) par
visite. Ces tarifs n’empêchent pas LifeSpring
de dégager des profits – comme l’ont démontré ses 12 maternités d’Hyderabad.
Le maintien de bas coûts est au cœur du modèle économique de la chaîne. En procédant
régulièrement à des analyses des coûts par
activités, LifeSpring a été en mesure de suivre
au plus près les coûts de chaque service et de
procéder aux réajustements nécessaires. Le
maintien de bas coûts repose sur plusieurs
grands principes. Tout d’abord, LifeSpring est
spécialisée et pratique un taux élevé d’utilisation de ses actifs. À la différence d’un établissement généraliste, LifeSpring n’intervient
qu’en santé maternelle. Cette concentration
sur un créneau étroit renforce une utilisation
rationnelle des ressources. De plus, puisque
rep è res
Basée en Inde, LifeSpring est une chaîne de maternités à bas coût.
Établie en 2008 elle fait l’objet d’un partenariat entre Acumen Fund
(une organisation américaine à but non lucratif) et HLL Lifecare
Limited (une entreprise publique indienne). Depuis, LifeSpring n’a
cessé de se développer ; elle compte actuellement douze maternités
à Hyderabad, réalise 500 accouchements par mois et totalise 20 000
accouchements pour l’ensemble de ses établissements.
www.proparco.fr
les naissances exigeant des soins intensifs
représentent tout juste 2 à 3 % des accouchements, LifeSpring délègue à des hôpitaux pédiatriques existants la prise en charge de ces
soins spécialisés. Cela permet non seulement
de maintenir les investissements à un faible
niveau, mais aussi de réduire les frais de gestion en limitant le recours à des pédiatres et
à des infirmières à temps plein. Par ailleurs,
les investissements initiaux ont été limités.
Les locaux font l’objet de baux de location de
longue durée. Pour ses sites d’implantation,
LifeSpring envisage également à l’avenir la
mise en place de partenariats public-privé
avec l’État. En regroupant plusieurs maternités dans la même ville, LifeSpring pratique
également la mise en commun de ressources
coûteuses entre les établissements – ambulances et opérations de gestion, par exemple.
En outre, sans compromettre la qualité clinique, les maternités offrent un service
simple, sans extras : dans la salle commune,
les ventilateurs remplacent par exemple les
climatiseurs. Pour maintenir les coûts les
plus bas, LifeSpring met aussi en place des
partenariats innovants. La chaîne externalise
par exemple l’activité de laboratoire et a organisé un modèle de partage de revenus avec
ses partenaires. L’activité pharmaceutique
est également externalisée, les médicaments
étant achetés à prix coûtant, ce qui évite à
la fois la gestion de stocks, les approvisionnements et les médicaments périmés. Pour
améliorer la qualité clinique dans ses maternités, LifeSpring a noué un partenariat de
deux ans avec l’Institute for Healthcare Improvement. Enfin, le maintien de coûts bas
passe par une action marketing efficace. Les
populations les plus démunies constituent
la base de la clientèle du modèle de LifeSpring. Pour mieux cibler ses clients, l’équipe
marketing de LifeSpring a réalisé une étude
du marché qui a déterminé que les vrais
décideurs sont souvent la mère, la bellemère ou le mari de la femme enceinte. De
nouvelles campagnes ont été menées pour
atteindre ces décideurs. LifeSpring a également développé son propre protocole pour
son service client2. Pour vérifier la qualité de
ses services, Lifespring mène des enquêtes
et des entretiens avec ses usagers. Le retour
d’informations alimente le système opérationnel et améliore l’ensemble du service.
2
Le protocole CARES de LifeSpring, que tous les salariés doivent
respecter, est un acronyme de « Courteous, Attentive, Respectful,
Enthusiastic, and Safe » (courtois, attentionné, respectueux,
enthousiaste et soucieux de la sécurité).
27
Impacts et enseignements
De sa création, en 2005, à octobre 2012,
LifeSpring a réalisé plus de 20 000 accouchements de bébés en bonne santé dans ses
12 maternités, et pratiqué plus de
250 000 bilans prénatals et postnatals. LifeSpring projette de se développer dans l’ensemble de l’Inde, en visant les bidonvilles.
Son action a provoqué une réduction des prix
pratiqués par la plupart de ses concurrents.
Par ailleurs, les maternités LifeSpring ont été
un catalyseur qui a amélioré la qualité des
services des autres prestataires.
Si la spécialisation est incontestablement un
facteur clé du succès de LifeSpring, la société
a aussi concentré dès le départ ses efforts sur
la viabilité et l’expansion de son modèle. Plus
de 150 procédures ont été mises en place,
concernant les fonctions cliniques, opérationnelles et le marketing. De nouvelles maternités ont pu être ouvertes régulièrement,
de façon parfaitement standardisée. Très
rapidement, LifeSpring a investi dans un système informatique de gestion intégrée pour
améliorer la rentabilité de ses maternités et
le suivi des clients. LifeSpring est parvenue
à concilier des objectifs sociaux et financiers.
Dans sa première maternité, elle a appliqué
un modèle de financement croisé : les clients
des chambres de un ou deux lits subventionnaient les clients de la salle commune3. Le
financement croisé créait en quelque sorte
deux segments de clientèle, l’un servant à atteindre les objectifs financiers de LifeSpring,
l’autre ses objectifs sociaux. Pour faire converger les deux, LifeSpring a mis fin au modèle
de financement croisé en 2009 pour que la
rentabilité de chaque établissement soit assurée par sa salle commune. Enfin, LifeSpring se
préoccupe désormais moins de l’embauche de
médecins que de celle de gestionnaires chargés de diriger les maternités à la manière de
véritables PDG.
Ce modèle peut-il être dupliqué ?
L’extension géographique de LifeSpring dépend fortement de l’intervention des pouvoirs publics ; par la mise en place de cadres
réglementaires adaptés, ils garantissent en effet l’absence de distorsions de la concurrence.
Mais ce développement pose également
des problèmes de viabilité économique. La
conquête de nouveaux marchés est tributaire
de financements innovants. Les fondations,
par nature, disposent de ressources financières et sont en position d’investir en prenant des risques. Il est donc possible de faire
prendre en charge par des fondations certains
des risques liés à la recherche et au développement, à l’innovation, à la mise en place de
prototypes, etc. – toutes dépenses que LifeSpring ne serait pas disposée à supporter sur
les nouveaux marchés. En outre, les fondations peuvent jouer les intermédiaires entre
le secteur privé d’une part, les autorités publiques et la société civile d’autre part – dans
les pays où cette relation est peu développée.
Le modèle de LifeSpring peut être dupliqué
avec succès à condition que de véritables partenariats soient mis en place, incluant tous
les acteurs de la société en mettant l’accent
sur leurs complémentarités et leurs points
communs. Mais si le développement constitue un aspect important de son projet économique, LifeSpring souhaite avant tout préserver l’excellence et la rentabilité opérationnelle
des maternités existantes – ce qui l’a incité à
réévaluer ses objectifs d’expansion. Cette réévaluation a conduit à privilégier une stratégie de regroupement, consistant à implanter
10 à 20 maternités dans une même zone
urbaine. Six maternités supplémentaires ont
été ouvertes à Hyderabad au cours de l’été
2011 – ce qui porte à douze leur nombre dans
cette ville. La création d’un nouveau regroupement, probablement à New Delhi, est d’ores
et déjà envisagée.
La salle commune constitue l’élément central du projet social de la
maternité ; elle représente 70 % des lits.
3
Encadré – L’évolution du secteur
de la santé en Inde
Depuis l’indépendance, le financement et l’offre publics de
services de santé constituent les fondements de la politique
de santé indienne. Mais le secteur public souffre de problèmes
clairement identifiés : accès inadapté pour les groupes les
plus vulnérables, mauvaise qualité et mauvaise couverture
des établissements généralistes et spécialisés. Il portait par
ailleurs, encore récemment, une attention excessive à la
stérilisation au détriment de la santé maternelle et infantile.
À l’indépendance, le secteur privé ne représentait que 8 % des
établissements de santé. Désormais, selon l’enquête nationale
sur la santé des familles portant sur la période 2005-2006 (IIPS,
Macro International, 2007), il constitue la première source de
soins de santé pour la majorité des ménages, à la fois en milieu
urbain (70 %) et en milieu rural (63 %). Le secteur privé comble
les lacunes du public et fournit une part croissante des soins
de santé de base, en particulier pour les populations pauvres.
Mais les établissements privés ne comptent en général qu’un
seul médecin, ont très peu d’équipements et de personnel.
Beaucoup de ces praticiens n’ont pas accès aux protocoles
actualisés pour le traitement des maladies courantes. La qualité
des traitements qu’ils proposent est souvent insuffisante.
Certains utilisent des tests diagnostiques et des procédures
thérapeutiques inadaptés et inutiles et administrent des
traitements inappropriés – sans même parler des problèmes
éthiques de certaines pratiques. Enfin, les établissements du
secteur privé font parfois appel à des prestataires de service non
qualifiés et abusent de diagnostics et d’actes thérapeutiques
- gonflant ainsi les coûts de manière exorbitante.
Références / International Institute for Population Sciences (IIPS) et Macro International, 2007. National Family Health Survey (NFHS-3), 2005-06, India: Key
Findings. Mumbai, Inde.
Secteur Privé & Développement

Documents pareils