1 Revue de Psychologie de la Motivation n°16, 27-42, 1993

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1 Revue de Psychologie de la Motivation n°16, 27-42, 1993
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Revue de Psychologie de la Motivation n°16, 27-42, 1993.
UN MODELE COMPLEXE DES MOTIVATIONS HUMAINES : Application à
l'éclairage de la crise d'adolescence
Daniel Favre* et Catherine FAVRE**
Résumé : Les développements de la neurobiologie, de la psychologie, de l'éthologie humaine et
particulièrement des interactions entre ces disciplines permettent de se représenter autrement
les motivations humaines. Le modèle présenté suggère l'existence de deux systèmes de
motivation interdépendants, liés à deux sortes de satisfactions opposées et complémentaires.
Dans le premier cas, la gratification est perçue dans les situations de dépendance ; dans le
second cas, le plaisir ou la motivation est associé à la responsabilité et à l'autonomie. Au
cours de la croissance, le second système de motivation est appelé à relayer progressivement le
premier jusqu'à devenir théoriquement prépondérant à l'issue de la crise d'adolescence.
Cependant, un parasitage du premier système de motivation ou l'absence de valeurs visant
l'individuation peuvent rendre plus difficile le dépassement de cette crise. Il parait nécessaire
de savoir identifier quel type de motivation est à l'oeuvre dans la conduite d'un adolescent afin
de pouvoir l'aider éventuellement à réaliser les renoncements nécessaires et à franchir les
épreuves inévitables qui le conduiront vers la maturité psychique.
*
Enseignant-chercheur au Laboratoire de Modélisation de la Relation Pédagogique, CP 89
Université de Montpellier II - 34095 Montpellier Cedex 05.
** Psychologue clinicienne et formatrice à l’Institut de Recherche et d'Information bioSociales - 34980 Saint-Gély-du Fesc
2
Introduction
Notre premier objectif consiste à communiquer un modèle complexe de représentation,
original à notre connaissance, des motivations humaines. Des modèles complexes, c'est-à-dire
prenant en compte différents types de motivations, ont déjà été élaborés (Diel, 1947 ; Nuttin,
1980 ; Dici et Ryan 1985) en utilisant une approche différente de la nôtre. Ce modèle-ci est en
effet issu d'une recherche transdisciplinaire (Favre D. et Favre C., 1991, 1992) et, comme pour
toute construction théorique, seule son utilisation pratique peut en démontrer le caractère
opérationnel et en définir les limites d'application. C'est le second objectif que nous
souhaiterions atteindre dans cet article, en tentant d'éclairer les motivations mises en jeu au
cours de la crise d'adolescence. Le dénouement de celle-ci est peut être lié en partie à la
manière plus ou moins pertinente que nous avons de nous représenter son sens et ses enjeux et,
à partir de ces représentations, d'élaborer des stratégies d'aide ou de thérapie et de nous situer
dans notre relation avec les adolescents, en situation parentale ou éducative au sens large.
1 Contextes biologique et neurobiologique des motivations
Avant d'entrer pleinement dans le sujet, nous souhaiterions rappeler quelques
circonstances qui ont favorisé sur cette planète l'émergence de l'Homme sous sa forme actuelle.
Cela revient à introduire le concept d'évolution biologique : comme chacun le sait plus ou
moins, l'évolution est pour le moment le seul modèle théorique qui rende compte de l'ensemble
des faits biologiques et de l'existence de tous les êtres vivants.
Dès l'origine de la vie, avec l'apparition des bactéries, il y a plus de trois milliards
d'années, un "moteur" anime les êtres vivants, favorise leur survie, leur reproduction et leur
évolution. Ce moteur est une des composantes de l'instinct, qui regroupe un grand nombre de
mécanismes biologiques régulateurs dont certains sont encore mystérieux et échappent à
l'expérimentation scientifique. On peut dire en résumant que l'instinct désigne à la fois un
moteur et une source d'informations qui régule et coordonne les mécanismes de la vie
individuelle et collective, dans un environnement qui, au fil du temps, ne cesse de changer.
Les anthropologues font remonter en général la distinction entre les hominiens et les
autres primates à deux à trois millions d'années en arrière, lorsque nos ancêtres acquièrent le
pouvoir de fabriquer des outils et de les perfectionner ; cela signifie qu'ils ont commencé à
cesser d'obéir à leurs instincts (autres que neurovégétatifs bien sûr). Une autre sorte
d'évolution, l'évolution culturelle, succède à la précédente au fur et à mesure que se développe
la conscience individuelle. La conquête des abstractions, le langage fondé sur les mots et la
fabrication d'outils paraissent indissociables et sont indispensables pour expliquer les capacités
3
d'innovation que manifeste l'espèce humaine. Ces acquisitions ont cependant un prix et des
conséquences importantes.
Le "prix" résulte de l'incompatibilité qui existe entre deux modes de "dirigisme" : le
dirigisme par l'instinct, et le dirigisme par la conscience individuelle. Extrêmement pauvre en
instincts, l'homme est donc contraint d'être dépendant, pendant une partie de son existence,
d'autres humains, à la fois pour savoir qui il est et pour acquérir les connaissances et les savoirfaire nécessaires à sa vie et à son développement dans une société. La finalité première de
l'éducation, souvent non reconnue comme telle, est de suppléer à l'affaiblissement de l'instinct
Aujourd'hui, si le sens de cette suppléance demeure évident chez le petit enfant, il est devenu
bien plus flou chez l'adolescent où sont confondus souvent acceptation de l'émancipation et
démission, dialogue avec l'adolescent et identification à celui-ci.
Lorsque l'instinct s'est estompé progressivement chez nos ancêtres, ceux-ci ont perdu non
seulement une banque d'informations programmant des comportements adéquats à la survie
bien que limités en nombre, mais également un "moteur" qui engendrait l'action. Quels sont
les nouveaux moteurs qui ont pris alors le relais ?
C'est seulement en 1954 qu'a été mis en évidence le relayage biologique des instincts par
les circuits de renforcement des comportements.
En montrant que des rats qui avaient la possibilité de stimuler électriquement certaines
régions de leur cerveau recommençaient sans cesse jusqu'à ce que mort s'ensuive (par
déshydratation), Olds et Milner (1954), comme Delgado le fera ensuite chez des sujets
humains (1976), faisaient la preuve qu'il existe dans le cerveau des mammifères des circuits de
renforcement positif du comportement plus puissants que les instincts de survie ou de
reproduction. La stimulation de ces circuits par une expérience fortuite entraîne ensuite sa
reproduction. L'avantage biologique d'un tel dispositif est de taille : les animaux dotés de telles
structures ont la possibilité de mémoriser et de reproduire des conduites qui ne sont pas
programmées génétiquement.
Les sujets humains à qui Delgado a proposé cette expérience, ont décrit une sensation
d'intense plaisir et de bien-être, ce qui a fait qualifier ces circuits de "centres de récompense".
Cette appellation moralisante a selon nous l'inconvénient de masquer leur caractéristique
fondamentale : leur stimulation se manifeste objectivement par la répétition du comportement
initial et s'accompagne subjectivement d'un sentiment de satisfaction. Plus récemment ont été
mis en évidence des circuits nerveux complémentaires : les circuits de renforcement négatif du
comportement (De Molina et Hunsperger, 1962). Leur stimulation entraîne au contraire
l'évitement du comportement qui a provoqué leur stimulation, ce qui rend possible l e
changement de comportement. Leur stimulation artificielle chez des sujets humains se traduit
subjectivement par un sentiment d'anxiété plus ou moins important, ce qui les a fait qualifier de
4
"centres de punition". Or ces circuits nerveux sont indispensables biologiquement pour
interrompre la répétition d'actes devenus incompatibles avec la survie : lorsqu'ils sont courtcircuités par le dispositif expérimental dans l'expérience d'Olds et Milner, les rats répètent leurs
actes jusqu'à ce que la mort les interrompe.
En résumé, l'évolution biologique nous a pourvus, nous êtres humains, de structures
nerveuses qui entraînent la répétition et procurent du plaisir, et d'autres qui permettent le
changement de comportement en produisant un sentiment d'anxiété, sans que l'on puisse
affirmer, des deux manifestations (mécanisme biologique ou sentiment éprouvé) quelle est la
cause de l'autre. Comment ces schémas de base vont-ils être intégrés dans le développement et
l'équilibre des motivations de l'individu ?
2 Un modèle complexe des motivations humaines : application à la crise d’adolescence
Nous ne développerons pas ici le cheminement qui nous a amené à construire ce modèle
(cf Favre C. et Favre D., 1991 p.79 à 88, 99 à 102 et 145 à 202). Il nous suffit de préciser que
notre réflexion sur le thème des motivations s'est développée indépendamment des auteurs
cités dans l'introduction de cet article et avec les exigences suivantes :
- tenir compte d'une part des propriétés des circuits nerveux de renforcement et d'autre
part du décalage de maturation biologique entre la mise en route de ces circuits dès avant la
naissance en relation avec les émotions et les affects, et celle des régions fonctionnellement
associées au traitement cognitif dont la maturation se termine vers 15 à 16 ans.
- prendre en compte les acquis d'approches aussi différentes (voire contradictoires) que la
psychanalyse, la psychologie humaniste, la psychologie des profondeurs, après en avoir
identifié précisément le domaine de validité.
Des systèmes de motivations opposés et complémentaires
Ce modèle postule tout d'abord l'existence de deux systèmes de motivation
complémentaires, appelés à se relayer au cours du développement d'un être humain. Tels que
nous les avons modélisés, ces systèmes correspondent à différents types de "programmation"
possibles des circuits nerveux de renforcement positif et de renforcement négatif.
Dans le premier système de motivation (SM1), prépondérant au cours des premiers âges
de la vie, le sentiment de bien-être serait associé à la satisfaction de besoins biologiques et
psychologiques essentiels, dans une relation de dépendance à autrui. Cette satisfaction
entraîne une réduction temporaire de la tension préalable elle-même liée à un manque de
nourriture, de contacts...etc. La préexistence de cette tension demande que la latence entre le
stimulus interne et la satisfaction soit réduite, sous peine de sensations désagréables. Ce type
5
de satisfactions est associé à une période de la vie où la conscience individuelle est
embryonnaire. Il est indispensable que chaque enfant ait éprouvé ce plaisir qui forge sa
confiance en lui et dans la vie et lui donnera la possibilité plus tard d'établir des liens durables
et de s'ouvrir à autrui. Le déplaisir réside ici dans l'impossibilité d'accéder -ou la peur de perdre
l'accès- à ce type de plaisir. Au fur et à mesure du développement de l'enfant, ce premier
système de motivation perd de son importance comme moteur de l'individu. Il demeure
cependant et se manifeste à nous par le plaisir que nous avons à réaliser des tâches déjà
maitrisées, à retrouver des situations connues, des personnes qui nous procurent de l'affection
ou une reconnaissance dans notre environnement socio-familial ou professionnel. Le
fonctionnement du SM1 pourrait ainsi rappeler la notion freudienne de plaisir, fondée elle aussi
sur le soulagement d'une tension, et tendant à rétablir l'équilibre interne, l'homéostasie du sujet.
Les conduites plus ou moins automatiques qu'il produit pourraient correspondre aux
"comportements qui ne sont pas déterminés par soi" (non self determined behaviors) modélisés
par Dici et Ryan (1985) dans lesquelles l'émotion ou le sentiment ne seraient pas ou peu
intégrés consciemment par le sujet. Ces auteurs prennent l'exemple d'un conducteur ayant peur
de rouler sur l'autoroute et qui, n'intégrant pas cognitivement et consciemment cette émotion,
serait amené à y réagir en insultant les conducteurs qui le doublent. On voit dans cet exemple
que la référence qui fonde la sécurité du sujet est externe à lui, ce qui est une des
caractéristiques du fonctionnement dans le premier système de motivation.
Dans le second système de motivations (SM 2), le plaisir aurait pour origine les conduites
par lesquelles un être humain gagne de l'autonomie (physique, intellectuelle, ou affective),
surmonte des difficultés, montre ses aptitudes -à lui-même d'abord et aux autres ensuite-, fait
preuve de création et d'innovation. Ce type de plaisir ne s'épuise pas car il n'est pas le résultat
de l'apaisement d'une tension mais le résultat d'un mouvement de croissance ou de réalisation
de soi. Pour cette raison, il est indissociable d'une position de responsabilité. Les satisfactions
associées à ces comportements sont souvent repoussées dans le temps et nécessitent un
investissement soutenu. La perspective d'une nouvelle épreuve est source d'anxiété, anxiété
tempérée par le souvenir des réussites antérieures et l'expérience du changement comme source
de nouvelles possibilités d'épanouissement et de dépassement de soi. La référence qui fonde la
sécurité du sujet est interne ; elle résulte de l'intériorisation de l'amour et de l'estime reçues des
adultes (SM1) et repose sur l'estime de soi et une capacité d'empathie avec soi-même. Par
conséquent la séparation, le deuil par rapport à certaines situations, comportements ou
personnes, est plus facile que dans le fonctionnement SM1. Très précocement, un enfant
humain peut connaître le plaisir SM2, d'autant plus que son environnement humain l'encourage
dans la conquête de son autonomie.
6
On pourrait rapprocher le SM2 de la "pulsion évolutive" décrite par Diel (1947), de la pulsion
d'individuation chez Jung (1947), de la "tendance de tout être humain à s'actualiser" de Rogers
(1961), de la "pulsion d'accomplissement" d'Atkinson et Feather (1966). Maslow (1972) avait
déjà souligné que les personnes animées par la "pulsion de développement" présentaient une
moindre dépendance par rapport aux sollicitations extérieures (publicité, plaisirs sophistiqués).
Cette motivation, parce qu'elle manifeste la "tendance constructive du dynamisme humain"
(Nuttin, 1980), ne semble pas asservie aux cycles tension/décharge associés à la satisfaction
des besoins plus primaires évoqués précédemment. Comme J. Nuttin (1980, p 201-204), nous
avons donc tendance à nous représenter l'évolution biologique et psychologique à travers deux
mouvements complémentaires de sens opposé : "l'un descend vers la décharge, l'équilibre et le
repos ; l'autre rompt l'équilibre atteint et construit des états de tension et des structures de
complexité croissantes". Les conduites motivées par le SM2 semblent être initiées par un choix
ou au moins une intention consciente, se rapprochant en cela de ce que Dici et Ryan (op. cit.)
désignent par une "conduite auto-déterminée" (self-determinated behaviour). Reprenant
l'exemple cité plus haut, ces auteurs imaginent cette fois que le conducteur, ayant pris
conscience de sa peur et l'acceptant, se fixe comme objectif de parvenir à conduire sans peur
sur l'autoroute. L'émotion dans ce cas est intégrée consciemment et associée à des processus
cognitifs et à des valeurs, au sens de Feather (1992)1.
Dans les schémas qui vont suivre, et qui n'ont valeur que de "cartes" pour illustrer
comment les deux formes de motivation coexistent et se relaient au cours de la vie, chaque
système de motivation est représenté par une flèche dont la densité optique est fonction de la
"puissance" de la motivation qu'il fournit à l'individu. Quel que soit le moment de la vie
concerné, la somme des parts de chacun des systèmes est tenue pour constante. Dans ce
modèle, motivation et état vivant sont complètement interdépendants et indissociables, et les
deux systèmes de motivation ne s'opposent que par les comportements qui leur sont associés.
Deux périodes sont considérées comme très importantes pour le développement
psychique ; elles sont représentées par un espace blanc car il serait trop difficile de schématiser
les multiples mouvements qui affectent alors l'individu. La première récapitule au niveau de
l'individu la séparation-individuation qui a permis l'émergence de la conscience réfléchie et se
situe entre la naissance biologique et l’accession à l'identité (CN : crise associée à la
naissance). La seconde période de grand développement, la crise d'adolescence (CA) débute
avec la puberté et débouche éventuellement sur une séparation-individuation d'un autre niveau
(Favre et Favre, 1991).
1
Pour ce dernier les valeurs sont des résumés organisés d'expériences, attachés à nos
sentiments, et fonctionnant comme des intentions générales, il montre que les valeurs et les
motivations interagissent comme des variables interdépendantes.
7
Au cours de ces crises maturantes, la part revenant à chacun des systèmes est remise en
question ; le dépassement de la crise s'accompagne d'une augmentation sensible de la part du
second système de motivation.
Sur les schémas suivants, le passage du clair au foncé indique une diminution de la
puissance du système de motivation concerné ; au contraire l'obscurcissement de la flèche
traduit une augmentation de cette puissance.
- le système de motivation n° 1 : SM1
- le système de motivation n° 2 : SM2
- Crise ou séparation-individuation liée à la naissance : C.N.
- Crise ou séparation-individuation liée à l'adolescence : C.A.
Dépendance
Cricket
Software
userdict
/mypsb
currentpoint
/newXScale
/newYScale
/psb
/pse
{}
/mypsb
/mypse
store
/psb
/md newHeight
/picOriginY
pop
/newHeight
newWidth
/pse
load
known{/CricketAdjust
/newWidth
{}
defstore
store
/mypse
430
145
exch
exch
div
exch
div
/pse
def
picOriginY
def
def
/picOriginX
picOriginX
load
true def
def}{/CricketAdjust
subsub
exch
def def
pop
def
false def}ifelse
maximale
Non-dépendance
maximale
Ce schéma souligne le fait que la dynamique de croissance d'un être humain est une
dynamique d'individuation. On peut remarquer que le relayage du premier système de
motivation par le second au cours de la croissance illustre et prolonge le mouvement
d'autonomisation déjà observé au cours de l'évolution biologique.
Dans ce schéma de développement idéal, le premier système de motivation est tout juste
prépondérant sur le second au début de la crise d'adolescence. L'enjeu de la crise réside alors
dans une bascule de l'équilibre au profit du second système de motivation. Ce renversement va
s'effectuer au cours de la crise, au travers de deux mouvements complémentaires, expulsif et
impulsif. Dans le premier mouvement, il semblerait que l'individu organise pour lui-même une
catharsis destinée à le libérer des limitations que son éducation a installées en lui. L'adolescent
rejette les images véhiculées par son environnement, nie les liens familiaux et remet en
question les valeurs que celui-ci lui a proposées durant son enfance, prenant ainsi du recul par
rapport aux gratifications du SM1. Parallèlement, l'adolescent recherche au travers
d'expériences variées une nouvelle manière d'être au monde ; il définit ses valeurs, intègre de
nouveaux schémas cognitifs et développe des potentialités latentes. Cette impulsion s'appuie
8
sur le fonctionnement du SM2. Une fois ces transformations opérées en lui, l'individu est prêt
à la métamorphose : il va sortir de la crise en faisant le choix conscient d'une vie autonome en
interdépendance (matérielle, intellectuelle et affective) avec autrui, ce qui lui ouvrira la
possibilité de s'engager dans des relations transformatives, en particulier avec l'homme ou la
femme aimé(e). Le deuxième système de motivation devient prépondérant, et cette situation où
le temps, le vieillissement, et les multiples deuils sont acceptés et vécus comme la condition
d'une perpétuelle renaissance, est l'indice de l'accession à la maturité psychique et aux joies
spécifiques qui l'accompagnent.
Les obstacles à la résolution de la crise d'adolescence : le parasitage des systèmes de
motivation
Cependant, les données de la clinique psychologique nous amènent à constater que très
souvent la part du deuxième système de motivation n'est pas prépondérante, l"adulte" restant
prisonnier de conduites adolescentes voire infantiles.
Pour tenter d'expliquer cette réalité, nous avons fait l'hypothèse de l'existence de
“programmes étrangers” qui renforceraient la puissance du premier système de motivation. Ces
programmes étrangers 2 résultent de l'intériorisation d'injonctions de type hypnotique, verbales
et non-verbales, qui entraînent la répétition d'actes ou de pensées limitant le développement de
l’autonomie de l’individu. Ces programmes comportementaux se construisent le plus souvent
pendant l'enfance, comme une réponse d'adaptation à une demande de l'environnement humain.
Parce qu'ils perdurent à l'insu de la conscience, ils s'opposent ensuite à l'épanouissement
complet de la personne. Celle-ci les "tolère" car ils sont source d'un autre type de plaisir qui
fait exister un système de motivation parasité.
Dans le premier système de motivation parasité (SM1p), le plaisir serait associé au
maintien d'une dépendance anormalement élevée. Ceci va se traduire chez l'individu par une
relation de drogué à drogue vis-à-vis de certains comportements, personnes ou situations,
reconnaissable par des signes d'exclusivité qu'exprime le sujet, exemple : "je ne peux pas
imaginer de me retrouver seul" ou par la disproportion des émotions ressenties par rapport aux
situations qui les provoquent, exemple : " j'ai horreur des personnes qui monopolisent la
parole".
Dans ce cas, on peut imaginer que l'enfant n'a pas bénéficié d'un amour "suffisamment bon"
(Winnicott, 1975). Ainsi il a pu être frustré et/ou "gavé" du plaisir SM1 vécu dans la relation
fusionnelle de la petite enfance, ce qui le maintiendra dans la dépendance d'autrui et dans une
position d'objet. Il est possible aussi que son environnement humain, au cours de sa croissance,
2
par analogie avec le comportement des virus qui, injectant leurs instructions génétiques
dans les cellules, les détournent de leur finalité première
9
ne lui ait renvoyé que peu de signes d'estime et ne l'ait pas encouragé à se développer pour luimême, limitant ainsi le développement de sa confiance en lui. Du fait de ces programmes
étrangers, l'individu va alors privilégier la relation de dépendance comme source principale de
plaisir, et se détourner des conduites et des satisfactions liées à l'individuation. D'autres auteurs
rendent compte d'un parasitage de la motivation. Freud a été l'un des premiers à montrer
comment l'expression de la pulsion de vie peut être contrariée au cours du développement et
comment son refoulement induit la persistance de désirs infantiles chez l'adulte (Freud, 1915).
Dans sa conception de la motivation, Diel (1947) explique comment le désir essentiel de
réalisation de soi, s'il est contrarié, peut être refoulé et susciter "une fausse motivation". Avec
une autre approche, Dici et Ryan (op. cit.) indiquent qu'un enfant inadéquatement aimé peut,
par compensation de la frustration affective, développer un besoin de substitution, par exemple
un besoin accru de nourriture. Ces descriptions traduisent à nos yeux des modalités
d'expression du SM1p.
L'existence d'un tel parasitage entraîne un déséquilibre des forces au profit du premier système
de motivation. Ceci est traduit sur le schéma suivant par un noircissement accru par rapport au
schéma précédent, de la flèche correspondant au SM1. Par voie de conséquence, la part de
satisfactions perçues en SM2 est plus faible. La crise d'adolescence ne permet pas l'inversion
du rapport SM1 / SM2. L'équilibre qui s'installe alors empêche la poursuite de l'individuation.
Dépendance
maximale
Cricket
userdict
/mypsb
currentpoint
/newXScale
/newYScale
/psb
/pse
{}Software /mypsb
/mypse
store
/psb
/md newHeight
/picOriginY
pop
/newHeight
newWidth
/pse
load
known{/CricketAdjust
/newWidth
{}
defstore
store
/mypse
466
240
exch
exch
div
exch
div
/pse
def
picOriginY
def
def
/picOriginX
picOriginX
load
true def
def}{/CricketAdjust
subsub
exch
def def
pop
def
false def}ifelse
Non-dépendance
maximale
Ce schéma illustre comment le relayage insuffisant d'un système de motivation par l'autre
produit chez le post-adolescent un tiraillement entre des désirs contradictoires. "J'aimerais bien
10
changer mais pourvu que rien ne bouge !" est souvent le sentiment paradoxal qu'il pourrait
exprimer. La personne est partagée entre deux motivations opposées dont l'intensité est
similaire : le plaisir d'être responsable, d'être le "pilote" de son existence, et celui de rester
dépendant, soumis, "assisté" et irresponsable. On peut rapprocher cette souffrance de ce que la
psychanalyse a qualifié de "névrose".
Si cet état de conflit se prolonge, la suspension de l'individuation provoque le
prolongement de la crise d'adolescence. L'individu "parasité" ne peut accéder à la maturité et
accueillir l'écoulement irréversible du temps. Il est le plus souvent prisonnier de conduites
répétitives et quelquefois compulsives qui le piègent dans un temps "circulaire" où il se
retrouve périodiquement à la "case départ"... sauf si une remise en question profonde de cet
équilibre lui ouvre à nouveau la possibilité d'accéder à une séparation-individuation
débouchant sur la maturité. Il ne nous semble pas qu’il y ait un âge limite pour ce type de
naissance, que nous avons appelée "naissance du quatrième type" 3 (Favre et Favre, 1991) à
partir de laquelle nous avons enfin l'énergie intérieure suffisante pour nous engager à fond dans
nos propres projets et les mener à terme malgré les difficultés.
Avant d'explorer plus avant les applications de ce modèle, nous voudrions mentionner
qu'à la suite de la rencontre avec la pensée de P. Diel, nous avons été amenés à nous interroger
sur la possibilité de l'existence d'un parasitage du second système de motivation. On peut
imaginer en effet des injonctions visant cette fois le fonctionnement en SM2. Exemple :
"deviens autonome, ne sois pas dépendant des autres". Ceci pourrait provoquer chez le sujet
une "exaltation de la pulsion d'évolution" (Diel, op. cit.). Ces injonctions, introjectées par le
sujet ("je me dois d'évoluer") constituent cependant pour lui une norme, et à ce titre le
maintiennent en référence externe. A nos yeux, ce détournement de l'idéal d'individuation au
profit d'une satisfaction de l'ego s'origine dans une frustration des besoins SM1 de la prime
enfance et témoigne d'une forme différente d'adaptation à un parasitage du premier système de
motivation. Le plaisir SM2 dans notre modèle correspond à la satisfaction ressentie
spontanément lorsque l'on gagne en individuation, plaisir qui s'accompagne du sentiment
d'être "dans le sens de la vie". Ce plaisir ne peut donc être le résultat d'une mise en conformité
de nos actions avec des instructions d'origine externe. Pour cette raison, le SM2 ne nous parait
pas parasitable. Tout en restant ouverts à une évolution de cette conception, nous conservons
pour l'instant l'hypothèse de trois systèmes de motivation.
3
après la naissance de l'univers (séparation-individuation du 1er type), la naissance de la vie
(séparation-individuation du 2ème type) et celle de l'humanité (séparation-individuation du
3ème type), la naissance dont il est question ici consiste à se séparer d'habitudes, de
représentations, de valeurs associées à des plaisirs SM1p et qui retiennent notre individuation.
11
Ces trois systèmes de motivation participent plus ou moins à l'économie intérieure de
l'individu et lui procurent chacun un type de plaisir et de frustration spécifique. On peut donc
évaluer les fluctuations de son état intérieur en fonction de trois différentiels :
Je me sens
100% mal
en SM1
Je me sens
100% bien
en SM1
Je me sens
100% mal
en SM1p
Je me sens
100% bien
en SM1p
Je me sens
100% mal
en SM2
Je me sens
100% bien
en SM2
... et repérer les systèmes de motivation qui sont en jeu dans un fonctionnement idéal ou dans
un fonctionnement parasité. Exemples :
Le beurre ou l’argent du beurre ? (exprimant l’opposition inévitable entre le SM1 et le SM2
pendant la crise d'adolescence)
“Cela me fait peur de m’engager (frustration SM1) mais cela m’attire aussi (plaisir SM2)”
“J’aimerais bien réussir en maths cette année (plaisir SM2) mais à l’idée de devoir relire mes
cours de l’an passé, je me sens un peu découragée (frustration SM1)”
“Je voudrais vivre libre avec celle que j’aime (plaisir SM2), mais j’aimerais bien que mes
parents continuent à m’héberger et à me nourrir (plaisir SM1)”
“Ce travail ne me permet plus d’évoluer (frustration SM2), mais d’un autre côté par les temps
qui courent c’est une sécurité (plaisir SM1)...
Le beurre et l’argent du beurre ! (exprimant le conflit souvent stérile et inhibiteur entre le
SM1p et le SM2)
"... sécurité à laquelle je m’interdis de renoncer (plaisir SM1p)”
“Je cherche toujours à avoir le dernier mot (plaisir SM1p) tout en regrettant de ne pas avoir des
relations constructives et transformatives avec mes amis (frustration SM2)”
“J’aimerais être admiré par ma compagne quoi que je fasse (plaisir SM1p) mais si celle-ci n’est
pas exigeante avec moi, je sens que je passe à côté de moi-même (frustration SM2)”
“Je me sens étouffer avec mon compagnon (frustration SM2) mais j’ai tellement peur de me
retrouver toute seule que je me sens incapable de le quitter (frustration SM1p)”
12
“ J’aime les épreuves à surmonter (plaisir SM2) mais l'idée de réussir m'angoisse (frustration
SM1p)”
“Changer de partenaires sexuels me convient (plaisir SM1p) mais comment être sûr que je suis
quelqu’un capable d’aimer durablement et de m’engager à fond (frustration SM2)”
Grâce à ce modèle, il devient possible de reconnaître les signes de la crise de maturation
pouvant déboucher sur la naissance du quatrième type, quel que soit l’âge biologique de la
personne qui est l'objet de motivations opposées ou paradoxales.
3 Vers un mode de relation qui favorise le dépassement de la crise d'adolescence.
De ce modèle peuvent être dégagées plusieurs pistes :
1) éviter les situations relationnelles pouvant renforcer le SM1p
2) "faire un pas en arrière", c'est-à-dire se retirer un peu en tant que pourvoyeur de satisfactions
SM1, afin que l'adolescent ait la possibilité de satisfaire par lui-même ces besoins
3) favoriser les situations qui activent le SM2, même si elles sont contraignantes dans la
position de parent , mais sans fabriquer une nouvelle norme : "tu dois choisir d'évoluer !"
4) constituer pour l'adolescent un contenant, un cocon à sa métamorphose : éviter
l'interventionnisme intempestif au profit d'une présence et d’une écoute de ses difficultés et de
ses motivations ambivalentes
5) refléter à l'adolescent son dilemme : "le beurre ou/et l'argent du beurre", et lui exprimer qu'il
sortira de cette crise par un choix conscient et une décision, dans ce cas le choix du SM2
6) être porteur de valeurs, avoir l'individuation comme propre valeur et la proposer à
l'adolescent comme sens de la vie. Le maintien de la question : "quel est le sens de la vie, de
ma vie ?" constitue selon Diel (op. cit.) un moyen de ne pas trahir une de nos exigences vitales,
celle de nous réaliser, qui si elle n'est pas satisfaite, engendre une culpabilité spécifique nous
signifiant de manière surconsciente qu’en tant qu’être nous n’avons pas fini d’évoluer.
Pour pouvoir mettre en oeuvre ces repères, il est nécessaire de visualiser clairement ce
que notre représentation des motivations de l'adolescent va induire dans notre relation avec
celui-ci, et en particulier dans le mode d'autorité que nous allons exercer.
1) Si je me représente l'adolescent comme motivé uniquement par le SM 1 :
Dans ce cas, il suffit d'utiliser le modèle stimulus-réponse ; mon action favorise alors chez lui
la référence externe qui est celle de la prime enfance. Pour le faire agir dans le sens qui
m'intéresse moi, j'utilise des récompenses externes ou des menaces.
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Les limites de l'application d'un tel modèle sont multiples, plusieurs travaux ont montré que les
récompenses externes favorisent les tâches répétitives et parfaitement maîtrisées (McGraw,
1978) aux dépens de l'acquisition de nouveaux apprentissages (Grolnick and Ryan, 1985). Ce
type d'autorité est également peu efficace quand les besoins essentiels d'un individu sont
satisfaits, ce qui est le cas de la plupart des adolescents occidentaux, et il ne permet que
difficilement à une personnalité ainsi dirigée de développer ses possibilités et ses compétences.
Face à ce type de stimulus, elle réagit, soit en se révoltant -ce qui n'est d'ailleurs pas
complètement négatif, soit en se soumettant avec plus ou moins de satisfaction SM1p, et en
répondant par la passivité. Autrement dit, ce n'est pas, nous semble-t-il, en assistant, en
récompensant ou en menaçant un adolescent qu'il pourra ou voudra changer de type de
satisfaction privilégié.
2) Si je me représente l'adolescent comme motivé uniquement par le SM 2 :
Je le considère alors comme une personne à part entière, recherchant avant tout l'autonomie, et
je le suppose capable de prendre la responsabilité entière de tous ses actes, d'accepter de voir
ses propres erreurs, d'en tirer les meilleures conclusions et d'agir en conséquence. J'aurai alors
tendance à adopter un mode d'autorité dit permissif, ce qui présente l'inconvénient de le priver
de la confrontation avec des adultes auxquels il pourrait s'opposer, confrontation nécessaire
pour reconnaître puis accepter ses limites. Je prends également le risque d'être manipulé par ses
programmes étrangers ; s'il y parvient, il me méprisera, ce qui ne lui donnera pas envie de
devenir adulte à son tour.
Ce deuxième mode de représentation des motivations humaines nous parait irréaliste car il
décrit un adolescent uniquement mû par la création, la responsabilité et l'autonomie, ce qui
n'est même pas le cas d'un adulte véritable.
3) Si je me représente autrui avec un triple système de motivation SM1-SM1p + SM2 :
Je peux alors faire fond sur le SM2, c'est-à-dire inventer et proposer à l'adolescent des
situations qui activent ce système de motivation, faisant l'hypothèse qu'ayant goûté à ce type de
satisfactions il choisira celles-ci plutôt que celles éventuellement apportées par le SM1p. Dans
cette représentation, l'adolescent, comme moi-même, est considéré comme une personne en
devenir même si son désir d'évolution peut à certains moments avoisiner zéro. C'est un pari
conscient sur la vie et sur l'évolution que je fais là.
Cela implique :
- la substitution de relations fondées sur la reconnaissance de l'adolescent et de ses actions
(qui engendrent des satisfactions SM1 encore nécessaires selon nous à l'âge adulte) aux
relations véhiculant le mépris ou la soumission (qui renforcent plus ou moins le SM1p)
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- l'invention de situations nouvelles dans lesquelles l'adolescent se sente responsable et utile
(ce qui pourra lui permettre de connaître des satisfactions SM2). Il semble important de ne pas
éviter de lui proposer des tâches difficiles, sachant que la réussite (et donc le plaisir SM2) est
plus importante lorsque les individus mus par une "motivation intrinsèque" se donnent des
objectifs difficiles (Locke, 1968). Difficulté et plaisir ne sont plus antinomiques, à condition
que les buts ne soient pas imposés par un tiers, ce qui aurait pour effet de diminuer l'intensité
de ce type de motivation (Mossholder, 1980).
- l'adoption d'un mode d'autorité fondé sur l'exigence (radicalement différent à la fois de
l'autoritarisme et de la permissivité) qui tout en étant respectueux de la personne de
l'adolescent n'accepte pas tous ses comportements. Il peut être demandé et exigé que
l'adolescent respecte certaines valeurs, des contrats mutuels, des règles de vie, des lois, et qu'il
cultive aussi cette exigence avec lui-même.
Notre expérience de formateur et de thérapeute, nous amène maintenant à penser que le
changement durable chez un individu passe davantage par un changement de type de plaisir
que par un renoncement à un plaisir. Il nous reste maintenant en tant que parents, à travers une
expérience qui ne fait que commencer avec nos filles, à vérifier si les conditions que nous
avons réunies sont pertinentes et suffisantes !
Conclusion
Le modèle provisoire et approximatif des motivations humaines que nous proposons ici,
bien que centré sur la dimension individuelle, nous semble pouvoir compléter des observations
d'ordre sociologique, en leur donnant une signification. Ainsi E. Morin a constaté que notre
civilisation véhicule des "valeurs juvéniles". Le renforcement du premier système de
motivation par cette incitation collective à repousser la maturation et les deuils qu'elle suppose,
peut alors faire obstacle au développement du second système de motivation, empêchant celuici de devenir prédominant. Ce relayage insuffisant se traduirait par un prolongement de la crise
d'adolescence au niveau de notre société cette fois. La difficulté à faire le deuil des anciennes
valeurs et des comportements qui y sont associés serait susceptible d'empêcher une adhésion
collective à de nouvelles valeurs génératrices de sens. C'est ainsi que nous nous expliquons les
difficultés décrites par Avanzini (1991) pour dégager depuis 1968 un consensus collectif sur la
finalité de l'éducation et de l'école. Poussés par les forces néguentropiques de l'évolution
(correspondant sur le plan individuel au SM2) mais ayant du mal pour les raisons
précédemment évoquées à lâcher le connu, les individus fabriquent progressivement les
symptômes d'une "société dépressive" : "le drame de la société dépressive commence ici, dans
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son incapacité à accéder à un humanisme commun dès lors que sont éliminées les questions de
sens." (Anatrella, p.12, 1993). Ces manifestations dépressives pourront selon nous demeurer
présentes jusqu'à ce que de nouvelles valeurs créatrices de sens, c'est-à-dire de signification et
de direction, en assignant des objectifs généraux à notre évolution, et en désignant ce qu'on
doit abandonner, nous permettent de sortir de notre crise collective d'adolescence.
Dans un précédent ouvrage (op. cit.), nous avons fait l'hypothèse et le pari que l'évolution
de l'humanité procédait par des étapes qui rappellent celles de l'évolution individuelle et qu'elle
était entrée progressivement depuis deux siècles en Occident dans une phase d'adolescence.
L'adoption de ce point de vue conduit alors à penser que c'est aussi parce que les hommes sont
immergés dans une crise de maturation qui mime celle de l'adolescence et dont ils ne savent
pas trop comment sortir, qu'ils s'inventent et s'entre-communiquent des valeurs juvéniles. Sans
l'hypothèse d'une crise collective de maturation qui présente les symptômes d'une crise
d'adolescence (rejet des valeurs du passé, émergence de nouveaux modes de relation, de
nouvelles structures familiales, etc, mais aussi doute, perte de motivation, tentation du retour à
des schémas périmés), il nous parait difficile de comprendre la crise d'adolescence actuelle. La
résonance et l'interdépendance de ces deux crises seraient à l'origine des difficultés que
rencontrent beaucoup d'adolescents pour dépasser leur crise personnelle, dans ce contexte où
les adultes ne jouent plus leur rôle de repères et d'images d'identification et ont souvent
renoncé à s'investir dans des projets dépassant l'intérêt individuel. Voir dans ce symptôme la
préparation d'un processus de naissance individuelle et collective relève, nous en sommes bien
conscients, d'une utopie. Mais cette utopie nous invite, sur le plan collectif, à proposer de
nouvelles valeurs à cette société, les valeurs d'individuation par exemple, et sur le plan
individuel, à m'interroger sur l'image que je véhicule en tant qu'adulte : suis-je un adulte qui
donne envie a un adolescent de mûrir ?
Remerciements
Nous sommes reconnaissants aux formateurs de l’Institut de Recherche et d'Information bioSociales (IRIS), et en particulier à M. Ricono, qui par leur expérience et leur réflexion ont
enrichi la modélisation présentée dans cet article.
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