La joie de l`amour (4). L`art de parler aux autres

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La joie de l`amour (4). L`art de parler aux autres
La joie de l'amour (4). L'art de parler aux autres
Écrit par Henri Hude - Mis à jour Samedi, 07 Mai 2016 09:49
Je propose une lecture du chapitre le plus discuté de l’Exhortation du pape François,
Amoris laetitia
(19 mars 2016). Ce huitième chapitre s’étend sur 22 courts paragraphes, numérotés de
291 à 312.
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TEXTE DU PAPE. Début du n°291. « Les Père synodaux ont affirmé ceci : même si l’Église
comprend que toute rupture du lien matrimonial « est contre la volonté de Dieu, elle est
consciente en outre de la fragilité de beaucoup de ses fils
[1]
. »
Illuminée par le regard de Jésus Christ, elle « se tourne avec amour vers ceux qui participent à
sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs
vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien, pour prendre soin l’un de l’autre avec amour
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et être au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent ».
»
Comment faut-il parler aux autres, aujourd'hui ?
Voici quelques pensées et références pour réfléchir sur ce texte.
Une expression y est très importante : « Ceux qui participent à sa vie de façon incomplète [2] . »
Sa nouveauté se trouve non dans pas dans le fond, mais dans la forme. Cette expression,
cette forme de langage, exprime ici la forme de toute action chrétienne, la charité (l’amour
surnaturel), qui se saisit du langage, pour l’adapter à elle, et à ses fins, dans les circonstances
du temps présent.
Comparons cette expression à deux autres qui disent la même chose, mais autrement.
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Considérez la première expression suivante : « Vous vivez contrairement à la volonté de
Dieu ». C’est, par exemple, le style carré de saint Jean-Baptiste avec le roi Hérode (Matthieu,
14, 4). Elle signifie : « Il y a dans votre vie quelque chose de contraire à la volonté de Dieu
[3]
. » C’est aussi ce que dit la première moitié de la première phrase du n°291.
Mais, voyons une seconde expression. Cette chose qui ne va pas (par hypothèse) n’est quand
même pas le tout de cette vie, ni même de tel domaine de cette vie. Il y a sans doute aussi des
bonnes choses. Donc, au lieu de dire : « Vous vivez contrairement à la volonté de Dieu », on
peut dire aussi, avec plus de douceur, et pas forcément toujours moins de force : « Vous vivez
partiellement de façon contraire à la volonté de Dieu ».
Troisième expression. Usant alors d’une expression plus positive, on peut encore dire :
« Vous ne vivez qu’incomplètement de manière conforme à la volonté de Dieu ».
Du point de vue de l’objectivité froide, ces trois formulations sont équivalentes. L’état du monde,
et des esprits, et de la société étant ce qu’il est, c’est aujourd’hui la troisième qui, sans exclure
les deux autres, se situe le plus souvent dans la meilleure perspective d’amitié, d’espérance et
de miséricorde, dont les personnes ont besoin pour progresser et s’améliorer.
On va donc commencer par reconnaître loyalement tout ce qu’il y a de beau et de noble en soi
dans une vie, même dans un amour humain par ailleurs critiquable. C’est sur le fond de cette
vision positive et compréhensive, qu’on proposera un chemin de conversion et de croissance.
Mais, cette troisième expression doit être formulée « de manière qu’on ne pense jamais qu’on
veut diminuer les exigences »
de
l’Évangile (n°300) ou la nécessité de l’
« examen de conscience »
et d'un
« repentir »
(n°300).
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Pastorale des difficultés matrimoniales et dialogue inter-religieux : une comparaison
Je voudrais ici suggérer une comparaison. N’y a pas dans cette pastorale une application, à la
vie morale, des principes déjà mis en œuvre par le concile Vatican II pour le dialogue avec les
religions non-chrétiennes ?
Ce concile, dans une religion non chrétienne, ne commence pas par dénoncer une fausse
religion. Il se plaît au contraire à y admirer d’abord, surtout dans l’existence des personnes
droites, un magnifique élan de l’Homme vers la Divinité. Puis, il se plaît à y considérer toutes
les vérités incomplètes mais belles et authentiques, qui se découvrent et se déploient dans cet
élan. Il se plaît même à y discerner des vérités et des valeurs originales, d’ordre naturel, qui
n’ont peut-être pas jusqu’ici reçu tout le développement dont elles étaient susceptibles, dans la
doctrine de l’Église et la vie des chrétiens [4] . » Ces apports permettent donc de connaître
plus adéquatement cette nature humaine que le Fils de Dieu est venu assumer, et donc
d’enrichir la vie, la théologie et la tradition de l’Église, tout en l’inculturant dans d’autres
civilisations. Cette vision positive des religions non chrétiennes n’implique aucun syncrétisme
ou relativisme, puisque le Concile confesse, avec d’autant plus de force, que Dieu s’est fait
Homme
[5] . » Si ce fait est vrai, sa négation est
une erreur et son ignorance une imperfection, qui empêche forcément de voir comme en plein
jour et dans tout leur relief beaucoup de vérités découvertes en divers lieux par le génie
religieux de l’Homme, non sans le concours du Saint-Esprit. Et le Concile ajoute que le mystère
de l’Homme ne s’éclaire vraiment que dans le fait et le mystère du Verbe incarné (Gaudium et
spes, n°22).
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Il y a toujours eu dans l’Eglise deux tendances, à vrai dire complémentaires, l’une plus
optimiste, l’autre plus pessimiste. Elles doivent être mélangées à chaque époque en proportions
différentes, pour obtenir le meilleur tableau de la réalité et le meilleur dialogue avec les autres.
Par exemple, Saint Augustin, dans les dix premiers livres de la Cité de Dieu, n’y va pas par
quatre chemins : les dieux du paganisme sont des démons qui ont réussi à se faire adorer par
les hommes. Et il le prouve en ne nous passant aucune des turpitudes de cette religion. Mais
un autre Père de l’Eglise, Lactance, d’une autorité, il est vrai, moindre que celle d’Augustin,
pensait que bien des mythes païens étaient susceptibles d’une interprétation chrétienne,
comme s’il y avait eu là une « préparation évangélique » en dehors de la religion d’Israël.
C’est ainsi que l’Allemande Gertrude von Le Fort écrivait dans un poème : « J’étais
secrètement dans les temples de leurs dieux, j’étais obscurément dans les maximes de leurs
sages. (…) Je suis le carrefour de toutes leurs rues, c’est en moi que les millénaires sont en
marche vers Dieu
[
6]
. » On comprend que la conversation entre le chrétien et le non chrétien, ou même entre deux
amis échangeant sur leurs existences, va être assez différente, selon qu’elle va s’engager sur
telles ou telles bases, ou telle combinaison des deux. Vatican II, l'islam et la guerre
Puisqu’en ces temps-ci on parle beaucoup de l’islam et des musulmans, voici pour finir ce
qu’écrit à ce sujet le concile Vatican II : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans,
qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel
et de la terre
[7] , qui a parlé aux hommes. Ils
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cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés,
comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne
reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère
virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du
jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en
estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.
Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées
entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à
s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir
ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté
[8]
. »
Mais l’Eglise sait bien que la guerre fait partie de l’existence des hommes. Ce n’est pas sans
raison sérieuse, que l’on croit que l’Homme a besoin d’être sauvé. Et les Etats ont le droit de se
défendre.
Concernant la guerre, le Concile Vatican II encourage grandement les peuples à en éviter la
barbarie. Mais il ajoute aussitôt après : « La guerre, assurément, n’a pas disparu de l’horizon
humain. Et aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité
internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux
gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de
légitime défense. Les chefs d’État et ceux qui partagent les responsabilités des affaires
publiques ont donc le devoir d’assurer la sauvegarde des peuples dont ils ont la charge, en ne
traitant pas à la légère des questions aussi sérieuses. Mais faire la guerre pour la juste défense
des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre. La
puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou
militaires. Et ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient,
par le fait même, licite entre parties adverses. Quant à ceux qui se vouent au service de la
patrie dans la vie militaire, qu’ils se considèrent eux aussi comme les serviteurs de la sécurité et
de la liberté des peuples ; s’ils s’acquittent correctement de cette tâche, ils concourent vraiment
au maintien de la paix
[9] . »
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[1] Texte italien : “I Padri sinodali hanno affermato che, nonostante la Chiesa ritenga che ogni
rottura del vincolo matrimoniale «è contro la volontà di Dio, è anche consapevole della fragilità
di molti suoi figli”.
[2] Texte italien : “a coloro che partecipano alla sua vita in modo incompiuto”.
[3] 1° Nous supposons admis que la personne qui parle ainsi a le droit, ou le devoir, de faire
de telles observations. Une personne qui jugerait qu’elle ne doit rien à personne et surtout que
personne n’a à lui faire la moindre observation ne s’intéresserait probablement pas à un tel
enseignement, ni à aucun autre d’ailleurs. 2° Quant à savoir quelle est la chose qui ne va pas,
et si c’est vrai qu’elle existe, et ne va pas, ce n’est pas le sujet pour le moment. Il s’agit
simplement de forme de langage.
[4] Paul-VI, Vatican II, Nostra aetate , 28 octobre 1965 . « Depuis les temps les plus reculés
jusqu’à aujourd’hui, on trouve dans les différents peuples une certaine perception de cette force
cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, parfois
même une reconnaissance de la Divinité suprême, ou même d’un Père. Cette perception et
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cette reconnaissance pénètrent leur vie d’un profond sens religieux. (…) L’Église catholique ne
rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère
ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien
des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la
vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans
cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (
Jn
14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu s’est réconcilié toutes choses
. Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la
collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie
chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales
et socio-culturelles qui se trouvent en eux. »
[5] Comme on vient de le lire dans la note précédente : “(L’Eglise) annonce, et elle est tenue
d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (
Jn 14, 6), dans lequel
les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié
toutes choses.”
[6] Gertud von Le Fort, Hymnes à l’Eglise, cité par Paul Sih (diplomate chinois), De Confucius
au Christ
,
Casterman 1959.
[7] Ce ne sont pas là des propos de circonstances. C’est un extrait de la Lettre de Saint
Grégoire VII (Ildebrando Aldobrandeschi de Soana, pape de 1073 à 1085),
Épître III, 21 ad
Anzir (El-Nâsir), regem Mauritaniae
, éd.
E. Caspar in mgh,
Ep. sel.
II, 1920, I, p. 288, 11-15 ;
PL
148, 451 A.
[8] Paul VI, Vatican II, Nostra aetate, n°3.
[9] Paul-VI, Vatican II, Gaudium et spes , 7 décembre 1965, n°79, §§4-5.
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