Le petit prince a dit - Centre de Documentation et d`Information du

Transcription

Le petit prince a dit - Centre de Documentation et d`Information du
teledoc
le petit guide télé pour la classe
2006
2007
Le petit prince a dit
Un mari et une femme séparés se retrouvent autour
de leur petite fille atteinte d’une tumeur au cerveau.
Un film
Derrière l’argument en apparence mélodramatique de ce
de Christine Pascal (1992),
scénario, le film de Christine Pascal avec Richard Berry et
avec
Anémone alterne dans un joyeux hymne à la vie des
Richard Berry (Adam Leibovich),
moments de calme et de bonheur, de révolte et de rési-
Anémone (Mélanie),
Marie Kleiber (Violette),
gnation.
Lucie Phan (Lucie).
1 h 46 min
FRANCE 3
JEUDI 19 OCTOBRE, 20 h 55
Quand l’enfant se meurt…
Éducation au cinéma, collège et lycée
Âgée de 10 ans, Violette est
une gamine ronde et
maladroite qui partage sa
vie entre ses deux parents
divorcés. Tout va bien
jusqu’au jour où Mélanie, sa
mère comédienne,
s’inquiète de ses migraines
et autres malaises. On lui
découvre une tumeur
inopérable au cerveau.
Adam, le père de Violette,
prend le drame de plein
fouet et s’enfuit illico avec
elle. Le premier moment
d’errance passé, Violette et
son père décident de
rejoindre Mélanie en
répétition à Milan. Tous se
retrouvent alors
intuitivement dans la
grande maison familiale.
Dans ce lieu de la famille
reconstituée, notamment
après le départ précipité de
Lucie, la nouvelle compagne
d’Adam, le père et la mère
regardent leur fille en sursis
s’endormir encore une fois...
Rédaction Philippe Leclercq, professeur de
lettres modernes, et Loïc Joffredo, CNDP
Crédit photo D.R.
Édition Anne Peeters et Émilie Nicot
Maquette Annik Guéry
Ce dossier est en ligne sur le site
de Télédoc.
www..cndp.fr/tice/teledoc/
Montrer le corps malade
> Étudier la façon dont le film échappe au
genre mélodramatique, dans le scénario, le
choix des acteurs et la mise en scène.
Analyser plus particulièrement la séquence de
l’ascension dans la montagne.
• La principale difficulté d’un projet comme
Le petit prince a dit est de montrer la maladie
sans tomber dans le mélo forcément de mauvais
aloi ici. Pour preuve, prenons l’exemple de la
scène où le père apprend seul la maladie de sa
fille. Une astuce de scénario (Adam écoute le
diagnostic du spécialiste par le biais de son interphone) élude le face-à-face et le dialogue pénibles entre les deux hommes. De même, les plans
« cliniques » sur les radios du cerveau de Violette
couverts par la voix off professionnelle du praticien ôtent tout pathos superflu au moment de
l’atroce découverte. À l’émotion, la réalisatrice
a préféré ici la froide gravité.
• Pour le coup, on peut affirmer que Christine
Pascal a évité la pesanteur mélodramatique grâce
à une très grande simplicité de style, marque
d’une immense pudeur et d’un profond respect
pour son sujet et ses personnages. Aussi le choix
de l’actrice devant incarner Violette était-il capital. On précisera que la jeune Marie Kleiber a été
sélectionnée parmi cinq cents filles de son âge
pour des raisons physiques. Loin des enfants vus
habituellement au cinéma, elle possède un corps
rond et un peu pataud suggérant a priori une
anomalie dans la tête du spectateur.
• De son côté, la mise en scène n’annonce jamais
la maladie qu’avec une très grande retenue : c’est
ici un corps qui court et qui trébuche, là un père
qui se plaint naturellement de la maladresse de sa
fille, là encore une gamine qui évoque simplement ses maux de tête... Le seul moment un peu
ostentatoire est celui de la fin quand l’image sur
le visage de Violette vire au noir et blanc puis
au blanc ; un fondu au blanc dont on explicitera
la symbolique particulière liée à la mort d’un
enfant.
• À l’instar de la mise en scène plutôt discrète sur
le sujet de la maladie, les dialogues sont peu
diserts. De fait, peu d’informations essentielles
circulent par eux (à l’exception des propos du
spécialiste et de l’explication, croquis à l’appui,
du père à sa fille). Ce qui est important ici n’est
pas le factuel, mais les sentiments des personnages et leur évolution progressive. Autrement
dit, comment la maladie est vécue, ressentie,
éprouvée par eux. C’est également pourquoi la
mise en scène se concentre sur des éléments
concrets provoquant des sensations fortes chez
eux (la nourriture, la natation, le jeu avec l’eau,
la chanson, l’ascension d’une montagne...).
• Pour pallier les limites qu’elle a imposées aux
dialogues, la réalisatrice Christine Pascal fait
bruisser sa mise en scène en usant fréquemment
de l’artifice musical. On commentera ainsi l’emploi récurrent du thème inspiré de la Pavane pour
une Infante défunte de Ravel que l’on entend
notamment lors de l’ascension des montagnes
suisses. Après avoir établi un parallèle avec l’ascension spirituelle et religieuse d’Ingrid Bergman
dans Stromboli de Roberto Rossellini (1949), on
analysera cette séquence qui succède à l’explication de l’expression «transporter le cadavre» et
qui repose sur l’idée du franchissement clandestin de la frontière (comprendre : la loi). Cette
transgression est en réalité un parcours initiatique (l’épreuve de l’ascension) vers la solitude du
sommet, sinon de la mort qui est rappelée discrètement au moment où Violette est allongée
dans l’herbe dans une attitude d’abandon total.
Cette ambiguïté entre la vie et la mort installe
définitivement l’idée de la fin tragique sur le
mode de l’euphémisme pour atténuer le scandale
que représente la perte d’un enfant.
• Signalons enfin que les insectes et la nature
placés en inserts sont comme des présences bienveillantes qui président au sommeil de Violette,
à la manière des animaux veillant sur la descente
en barque des deux enfants de La Nuit du chasseur
de Charles Laughton (1955). Ce retour fusionnel
à la nature, à l’essence du monde est ici présenté
comme une mort à l’envers, plus douce, plus
décente. Cette séquence riche en symboles scelle
définitivement le destin de la petite fille : sa
position de « gisant » rappelle en creux l’issue
fatale de l’histoire.
Des cellules détruites vers une cellule
familiale recomposée
> Analyser la structure narrative et souligner sa
fluidité. Brosser les portraits contrastés
d’Adam et de Mélanie, puis de Mélanie et de
Lucie. Commenter le prénom du père, et son
évolution morale dans le film.
Loin de tout découpage et montage compliqués,
la structure du film tend vers la simplicité et l’évidence. Le petit prince a dit est l’histoire d’un
double itinéraire : celui de Violette vers l’acceptation (la compréhension?) de son destin funeste
et celui des deux parents qui doivent apprendre
à accompagner leur fille vers la mort.
• Les parents de Violette, Adam et Mélanie, séparés au début du film, sont contraints de se réunir
pour « transporter le cadavre » (rappeler le sens
moral de l’expression). À propos de la mère, on
observera comment celle-ci réintègre le groupe
familial – duquel elle a été un moment écartée à
cause de la complicité père-fille – au cours de
la scène des bananes flambées. On remarquera
son comportement d’actrice (jeu dans le jeu) :
Mélanie improvise un texte gourmand avec la
voix portée comme une comédienne de théâtre
pour réactiver l’appétit de vie de famille à trois.
On soulignera la récurrence du texte de Copi
extrait des Marches du Sacré-Coeur et son changement de tonalité et de sens au moment où
Mélanie apprend que sa fille est condamnée.
Mélanie et Lucie sont deux femmes différentes :
l’une fantaisiste est placée du côté de l’imaginaire, l’autre raisonnable du côté du rationnel.
Cette opposition culmine lors de la scène des
bougies et du chien : l’astucieux montage juxtapose précisément le vœu et sa réalisation avec le
retour de l’animal.
• Le prénom du père n’est pas anodin : « premier
homme qui se dérobe à la femme et à son désir,
pas forcément sexuel, d’être protégée. C’est le
premier qui déçoit, le premier dont une petite
fille s’aperçoit qu’il n’est pas à la hauteur de son
désir, pas aussi fort qu’elle le croyait» (propos de
Christine Pascal in dossier pédagogique Collège au
cinéma, n° 67). Scientifique réduit à l’impuissance à guérir sa fille, il accomplit une évolution physique et morale remarquable : pressé et
sûr de lui, Adam troque son costume sombre pour
une chemise à fleurs et prend peu à peu le temps
de regarder vivre sa fille (il oublie d’ailleurs sa
montre au bord de la route). Progressivement, il
se dépouille des oripeaux arrogants de la modernité et apprend l’humilité par le renoncement ;
il passe de la futilité du monde moderne à l’essentiel (ses relations avec sa fille et son exfemme). Sévère avec Violette (cf. la scène de la
piscine), il doit accepter sa différence et son
rythme personnel. C’est lors de l’ascension de la
montagne qu’il prend à la fois conscience de sa
propre faiblesse, de la douleur qui l’attend et de
la force qu’il devra puiser en lui pour y faire face.
■
Pour en savoir plus
« Le petit prince a dit », dossier pédagogique Collège
au cinéma, n° 67, 2002. Une partie de ce dossier est
disponible sur le site du CRAC de Valence.
http://crac.lbn.fr/image/fichefilm.php?id=127
« Je ne pense pas que
Le petit prince a dit soit
un mélo. Anémone dit
que c’est une tragédie
parce le héros avance
inéluctablement vers sa
mort, donnée dès le départ.
[…] Je n’ai jamais
délibérément cherché à
faire pleurer les foules
avec ce film. J’ai cherché la
vitalité pour apporter
l’émotion mais jamais je ne
me suis dit que je tournais
un mélo. Ce que je voulais,
c’est parler de la mort en
parlant de la vie.
[…]
C’est le premier film où je
suis un peu dans tous les
personnages. Je suis dans
le père dans son côté
pressé, son carriérisme,
son égoïsme. Je suis
beaucoup dans la petite
fille, sa gravité, son
exigence, son regard moral
qui juge ses parents. Et
puis, je suis dans la mère
par le côté actrice,
l’hystérie… Je ne perçois
cela qu’aujourd’hui car j’ai
écrit le scénario sans
chercher consciemment à
faire ma place dans chaque
rôle. »
Christine Pascal, entretien
dans Les Cahiers du cinéma,
hors-série, 1992.
La mort bleue
Plans rapprochés
Du point de vue du
scénario, la séquence
de la scanographie de
Violette dans Le petit
prince a dit offre un
« possible » de l’évolution du film. Outre
qu’elle « révèle » la
maladie de la fillette,
elle autorise le spectateur à penser que
celle-ci, comme dans
tout mélodrame sur
ce thème, va être
prise en charge par
les médecins. Or tout
le film ne sera que le
contrepoint parfait
de cette scène-clé…
Après une première visite chez l’ami neurologue qui a instillé le doute et l’inquiétude sur
l’état de santé de Violette, celle-ci doit subir un examen radiologique plus approfondi.
Tandis qu’Adam est prié de rester en dehors de la salle de radiographie, l’enfant est placée
dans un scanner. Mais le père, en catimini, assiste à la scanographie sur un écran de
contrôle et, par le biais d’un interphone, entend le terrible diagnostic délivré par le
médecin.
Dans la plupart des films qui ont pour sujet la maladie d’un enfant, l’émotion est suscitée
par la mise en place des mêmes clichés: la vérité froidement assénée à des parents éplorés,
l’enfant en chemise blanche et crâne rasé confiné dans le « pavillon des cancéreux », les
traitements lourds faits de thérapies chimiques… Notre séquence du Petit prince a dit
commence ainsi : un médecin et une infirmière susurrent quelques propos faussement
rassurants à Violette, prête à subir son examen dans l’impressionnante salle de radiologie ;
la « machine » du scanner semble avaler le petit corps allongé de l’enfant, déjà en position
de défunte. La médecine à l’œuvre et son appareillage inhumain soulignent le contraste fort
entre le froid traitement clinique de la maladie et la fragilité de l’enfant vouée à la mort.
Or le mouvement final, impulsif, du père de Violette opère un brusque retournement du
scénario. En arrachant sa fille à l’ogre-scanner et en fuyant l’hôpital où se déroulait sa «mise
à mort », il contredit le cours inéluctable d’un scénario mélodramatique convenu et lui
fait prendre un chemin de traverse. Et c’est à l’aune de cette séquence de la scanographie
contrainte et mortifère que le film va choisir, sur le mode de la fuite, le ton libertaire qui
va le caractériser.
Les oppositions, souvent symboliques, ne manquent pas. Entre la fixité et le mouvement
d’abord. Tandis que Violette est incarcérée dans son scanner et que dominent les gros
plans qui enserrent les visages des praticiens et les écrans d’ordinateurs, Adam, lui,
effectue dans les couloirs et l’ascenseur de l’hôpital un parcours aller et retour
qu’accompagne une caméra très fluide. De la même manière, la médecine met à l’écart, au
sens propre (le neurologue prie Adam de sortir) comme dans sa façon de faire abstraction
de tout pathos dans ses jugements et ses diagnostics. Le langage que le praticien emploie,
avec ses «effets de masse», sa «belle ligne médiane» et son «carrefour ventriculaire» tient
le profane à distance. Or Adam, biologiste de profession, n’est pas un profane et, comprenant
le danger de ce langage, prend les devants et, impulsivement, vient interrompre la mise sous
tutelle médicale de Violette. Au jargon des spécialistes, le film préfèrera dès lors les
comptines d’enfants, les cris de joie et les exclamations. Au carcan de l’hôpital, les
paysages libres et majestueux des Alpes et de la Provence.
Bruits, lumières et couleurs marquent l’épisode hospitalier d’une tonalité dont le film,
par la suite, ne voudra plus. Dans le silence inquiétant des couloirs, interrompu par les
cliquetis mécaniques des portes d’ascenseurs, des touches de claviers et habité par le
souffle de l’aération si caractéristique des hôpitaux vides, la voix humaine est rare. La
lente description par le neurologue de l’état cérébral de Violette, entendue d’abord par
l’interphone qu’Adam a mis en marche, n’en est que plus impressionnante. Abstraites, les
coupes du cerveau que l’on voit défiler sans vraiment les comprendre sur l’écran de
l’ordinateur déréalisent l’humanité de la fillette. Mais c’est moins leur sens (leur décryptage
médical que seul un spécialiste peut effectuer) que leur luminosité bleue et froide qui
offre cette sensation. Avant même que le diagnostic tombe, l’idée même de la mort au travail
était paradoxalement présente dans ce lieu voué à la combattre. En le fuyant, Adam et
Violette décident d’ouvrir les portes de la liberté et de vivre ce qui leur reste à vivre.