interview du president laurent gbagbo al™agence reuters

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INTERVIEW DU PRESIDENT
LAURENT GBAGBO A L’AGENCE
REUTERS
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INTERVIEW DU PRESIDENT LAURENT GBAGBO A L’AGENCE REUTERS
Le jeudi 12 juin dernier, en marge du Sommet du Groupe des 77 + la Chine, le Président de la République de
Côte d’Ivoire, S.E.M. Laurent Gbagbo a accordé une interview à Ange Aboa, Correspondant de l’Agence
Reuters à Abidjan.
Ci- dessous, un large extrait de cet entretien
Agence Reuters : Monsieur le Président de la République, à l’ouverture du Sommet du Groupe des 77
+ la Chine, vous avez proposé de la mise en place d’un Fonds de Stabilisation Agricole. Est-ce que
vous pouvez nous en dire un peu plus ?
S.E.M. Laurent Gbagbo : j’ai parlé de deux choses :
- la mise en place du Fonds de Stabilisation Agricole
- la création d’une Banque d’Investissement pour les pays du Sud.
Ce sont des propositions que j’ai faites. Maintenant, il appartient à la Conférence d’en adopter le principe et
de les transmettre au Sommet des Chefs d’Etat qui se tiendra en 2009.
Mais, sur le fond de la question, je pense que les pays du tiers-monde que nous sommes, pleurons trop
souvent. Nous allons chaque fois demander de l’argent, alors que nous sommes les plus grands producteurs
des richesses. Ces pays que vous voyez ces jours-ci à Yamoussoukro, c’est-à-dire le Groupe des 77 + la
Chine, sont les plus gros producteurs de pétrole, de diamant, de bois, du cacao, de café, d’ananas, etc…
Donc, toutes ces richesses qui sont produites dans le monde sont le fait de ces pays-là.
J’ai proposé une taxe. Les Economistes feront après, des études plus fouillées sur la valeur CAF de ces
produits, pour en faire un Fonds qui va être une Banque auprès de laquelle nous allons emprunter.
Je le dis parce que depuis que je suis Chef d’Etat, je constate qu’il y a deux attitudes quand vous empruntez
de l’argent : soit vous empruntez de l’argent au niveau des Institutions de l’ouest, soit vous le faites avec les
Institutions du Sud.
Au sud, c’est plus simple. Ici, en Côte d’Ivoire, nous avons construit avec les Chinois, l’Hôtel des
Parlementaires. Alors que mes prédécesseurs avaient déjà fait avec les Mêmes chinois, le Palais de la
Culture d’Abidjan. Nous sommes entrain de prolonger l’Autoroute du Nord jusqu’à Yamoussoukro. Ce travail,
nous le faisons avec les Fonds et les entreprises du Sud. Et les discussions sont plus simples, plus rapides
et moins contraignantes, pour les uns et pour les autres.
Donc, ayant eu ces expériences, j’ai constaté que les Sud-Américains avaient pensé à la même chose. Ils
ont créé une Banque du Sud, sous l’impulsion du Président Hugo Chavez. Je veux qu’on fasse la même
chose pour l’Afrique et pour l’Asie du Sud-est.
A combien estimez-vous le capital de cette Banque ?
Je n’en sais rien ! J’ai lancé l’idée. Si celle-ci est acceptée par l’ensemble des pays, une Commission va se
réunir pour fixer le capital, faire les calculs nécessaires, etc…
Je crois que la proposition a été bien reçue.
Monsieur le Président, cette autre Banque du Sud, ne serait-elle pas de trop, avec toutes les
Institutions multilatérales qui existent déjà, qui financent le développement, notamment la BAD, la
Banque Mondiale ?
Une Institution de financement n’est jamais de trop. On n’a jamais trop d’argent sur le marché. Et même si on
a beaucoup d’Institutions de financement, cela vaut mieux que de gaspiller de l’argent, en allant acheter des
maisons dans les pays du Nord qui sont déjà riches. Il faut utiliser l’argent de nos productions au
développement de nos pays. On n’a jamais de banques de trop. Je vais vous citer un proverbe :’’Dans la
mer, il y a beaucoup d’eau. Mais il y pleut quand même’’. Et cela ne fait pas de mal.
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On a vu la défunte BNDA (Banque Nationale pour le Développement Agricole) qui finançait
l’Agriculture en Côte d’Ivoire. Cela n’a pas fait long feu ! Pourquoi cette fois-ci, vous pensez que les
choses vont marcher ?
Mais, il y a des Banques qui marchent. Prenez le cas de la Banque Islamique de Développement. C’est une
banque multilatérale qui n’est pas morte ! La Banque Koweitienne de Développement n’est pas morte ! Elle
est Koweitienne, mais sa fonction est le multilatéralisme du Sud. La Banque Arabe pour le Développement
des Pays Africains n’est pas morte. Donc, il ne faut pas qu’on prenne un exemple d’échec pour le
généraliser. Et ce que je propose, ce n’est pas une Banque Nationale. Mais plutôt, une Banque
internationale, multilatérale, du Sud. Ce n’est pas une Banque qui appartient exclusivement à la Côte
d’Ivoire.
Concernant la crise alimentaire qui sévit actuellement partout dans le monde, et particulièrement en
Côte d’Ivoire, des mesures ont été prises, mais malheureusement celles-ci ne semblent pas assez
efficaces. Alors, Monsieur le Président, est-ce qu’il y a encore d’autres mesures qui sont en cours de
préparation ?
Je voudrais d’abord préciser qu’il y a trois crises :
- la crise financière
- la crise du pétrole
- la crise alimentaire
Ce sont ces trois crises qui nous sont tombées dessus en même temps. Vous voyez que partout, ces
crises sévissent très durement. Sur la crise alimentaire, nous faisons ce que nous pouvons. Nous
diminuons les taxes, la TVA, les impôts sur les importations. Mais tout ceci est de court terme. Il faut
accroître, repenser l’agriculture dans nos pays. Le rôle de l’agriculture, c’est d’abord de nourrir les
gens qui s’adonnent à cette activité-là. Il faut remettre les cultures vivrières au centre de l’agriculture
dans nos pays. Une fois que nous aurons fait cela, nous aurons moins de crises alimentaires dans
nos Etats.
Monsieur le Président, ne craignez-vous pas des troubles sociaux à l’horizon avec la montée des
cours de pétrole, la corruption en Côte d’Ivoire, qui grandit de jour en jour. Est-ce que vous n’avez
pas de crainte pour ce qui est des troubles sociaux ?
Il y aura toujours des crises. Celui qui dit que dans son pays, il n’y aura pas de crise à l’horizon, c’est qu’il ne
gouverne pas. Mais, avec la montée du cours du pétrole qui est incontrôlé, c’est sûr qu’il y a des
mécontentements. Maintenant, est-ce que ces mécontentements vont déboucher sur des troubles, ou pas ?
Il appartient aux Gouvernants d’y travailler.
Quand je suis arrivé au pouvoir, le baril de pétrole était à 30 dollars. Aujourd’hui, on est presqu’à 150 dollars
le baril ! Vous voyez que vous pouvez avoir un coût de bâton sans que vous ne l’ayez mérité.
Dites-nous, Monsieur le Président, Est-ce que vous serez candidat à la prochaine élection
présidentielle de novembre 2008 ?
Ce sujet est récurent au niveau de tous les journalistes. Vous êtes curieux. C’est trop tôt pour moi. Je suis le
Chef d’Etat en fonction. Je parlerai lorsque j’estimerai que le moment est venu de le faire.
Dans combien de temps ?
Laissons tomber.
Si vous étiez candidat, êtes vous sûr de pouvoir remporter les élections, Monsieur le Président ?
Si on va aux élections et qu’on est sûr de pouvoir les remporter, cela ne vaut plus la peine d’y participer ! On
peut gagner, comme on peut perdre. Mais chacun fait en sorte de gagner.
Est-ce que la France est redevenue une amie de la Côte d’Ivoire, comme par le passé ?
Je travaille à ce que la France redevienne une amie de la Côte d’Ivoire. Le rôle de la diplomatie, c’est de faire
en sorte que tous les Etats soient des pays amis. Si cela se fait ainsi, il n’y aura plus de guerre. C’est ce qui
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est le rôle fondamental d’une diplomatie, c’est-à-dire, éviter les conflits, les guerres. Ceci, par la discussion
permanente. Donc, je pense que la France redeviendra un ami de la Côte d’Ivoire. Je n’ai pas de doute làdessus.
Selon vous, quelles seraient les conditions qui vous conduiront à cela ?
On ne met pas de conditions. Sinon, ce n’est plus une amitié.
Une visite en France sera-t-elle possiblement avant les élections ?
Allons doucement. Les Latins disent ‘’Carpedien’’, c’est-à-dire «prenons chaque jour tel qu’il se présente ».
Et puis, avançons.
Jusqu’où, iriez- vous dans la lutte que vous avez engagée contre la corruption, depuis quelque temps
?
Jusqu’à loin. D’abord, sachez que la corruption n’est pas un phénomène exclusivement ivoirien. C’est un
problème mondial. Il n’y a pas un pays sur cette terre où il n’y pas de corruption. Il n’y a pas une époque au
monde, où il n’y a pas eu la corruption. Prenez la Grèce antique, la Rome Antique, etc…On y a connu ce
même phénomène.
Même ici, la CEDEAO a fait une étude récemment, qui montre que la Côte d’Ivoire n’est pas le pays le plus
corrompu au niveau de cet espace géographique. Sur les 15 Etats de la CEDEAO, nous venons en 5ème
position.
Donc, ce n’est pas parce que nous sommes le plus grand pays corrompu que je fais cette lutte. Mais, c’est
une lutte pour que l’économie marche bien ; C’est une lutte pour la morale, afin que les jeunes apprennent le
goût de l’effort. C’est une lutte pour qu’on apprenne qu’on gagne l’argent par le travail. C’est un combat que
nous devons poursuivre tant que nous respirons. Ce n’est pas une lutte passagère puisque la corruption ne
finit jamais.
Interview réalisée à Yamoussoukro par Ange Aboa
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