Manuscrit de I sable - Site de la Médiathèque de Seine-et

Transcription

Manuscrit de I sable - Site de la Médiathèque de Seine-et
KARIN SERRES
I Sable
théâtre
s
“ce monde de rosée n’est qu’un monde de rosée, et pourtant et pourtant” Issa
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DISTRIBUTION :
- MELANCOLIE : jeune fille aux ongles ras vernis en noir
- PIERRE : jeune garçon graffeur
- MIKA, dit le Dingo : son frère
C’est une pièce en trois saisons (hiver, printemps, été), qui s’achève le 12 juillet.
* et * indiquent deux départs de parole simultanés.
“I Sable” a été écrite en 2009, en compagnonnage de 7 mois avec le Musée de
Préhistoire d’Ile de France, à Nemours, dans le cadre des Résidences d’Ecrivains,
projet lancé par la région Ile-de-France. En juin 2009, des extraits ont été lus en
public sur la pelouse du musée (elle faisait 81 pages).
Pour sa lecture théâtralisée dans le musée, en octobre 2010, dans le cadre des “A
Voix Vives” organisées par la médiathèque de Seine et Marne, je l’ai entièrement
réécrite et concentrée sous forme de ce trio qui devient sa forme définitive, et a été
mis en lecture par Anne Contensou, pour la compagnie Bouche Bée (Paris),
avec Grétel Delattre, Jean-Baptiste Anoumon et Pascal Sangla.
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automne
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Pierre est habillé tout en noir, chaînes au pantalon moulant et, dans ce premier monologue,
joue aussi Mika, son frère, main dans la bouche.
PIERRE. — Tout a commencé ici. Dans ce musée. Et dans la forêt, dehors, à côté. Je
devais faire un exposé sur la préhistoire et j’ai emmené Mika, mon frangin, puisqu’il lit
tous ses Rahan, je pensais que c’était une bonne idée. On va voir Rahan ? Peutêtre, je lui dis. Mais déjà, regarde, là, c’est les australopithèques, tu vois ? Comme Lucy.
Qu’esse tu fais ? Il se déshabille. Moi aussi j’a trop chaud. Arrête, Mika ! Tu
peux pas faire ça ici. Pourquoi ? Parce que. Arrête de faire le con, steuplé, faut que
je prépare mon exposé. C’était il y a très très très longtemps, tu comprends ? Ses yeux
se baladent partout, il a envie d’escalader. Non, mon vieux, on reste par terre, on
marche à pied, oké ? Oh i-o i-oooooooooo ! Moins fort, Tarzan la banane ! Il
est où Rahan ? Je sais pas, Mika, on va le chercher. Et il commence : Jveux
sortir, Pierre ! Tout à l’heure, je lui dis. Pourquoi je l’ai emmené ? Claustro
comme un papillon dans un Tupperware, Mika tape sa tête contre les vitres, bong !
bong ! bong ! y en a partout, qui donnent sur la forêt. J’veux sortir ! Je le prends
par la main pour avancer plus loin. J’en a marre. Déjà ? Il est où Rahan ?
Oh, le bateau ! En quoi kilé ? En chocolat tu crois ? Pourquoi
j’peux pas toucher ? Des fois, c’est fatigant de répondre à Mika. Tout à coup il
s’élance : Jveux y aller dans la forêt ! dans une vitre du couloir : Bong !
Aïe ! Retombe le cul par terre. J’l’avais pas vue tellement qu’elle est
cransparente. Ça va ? Ouais ouais. Allez, viens. T’as vu, la terre, on
dirait kinkin l’a toute mâchée, c’est Rahan tu crois ? Mais non, il
mange pas de la terre, Rahan. Ouais, i mange des PANTHÈRES ki tue
avec son COUTELAS ! Et Mika part dans la salle d’à côté. Moi aussi, ché
faire des colliers, Pierre. T’rapelles çui-là en coquillettes k’jui a
donné à manman ? Mm mmhh… Moi je prends des notes pour mon exposé,
et lui il part encore en beuglant : Fêêête des mèèèèèères ! FÊÊÊÊÊÊTE
DES MÈÈÈÈÈÈRES ! Je lui cours après. Bong ! Il se rassomme dans une vitre.
J’peux y aller dowor, Pierre ? Après, ouais, promis. Je sens la crise monter.
On s’en va, Pierre ? Regarde, des fouilles, c’est intéressant. Il est où
Rahan ? Elle est où la forêt ? Par où kon sort ? C’est où kon va
dowor ? Et il part en courant, moi je crie : Mika, attends-moi ! Mais lui, il fonce dans
une vitre : Bong ! Il se relève, repart en criant : J’arrive !, court tout droit : Bong !
et se re-cogne dans la vitre, se tourne vers moi : T’entends Pierre ? Y a
kinkin qui m’appelle dans la forêt, faut que j’y alle ! J’arrive,
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madane ! Et avant que j’aie pu l’empêcher, il chope une chaise : Ô i-ô iôôôôô ! la balance dans la vitre : Bong ! Elle retombe toute pétée. Alors il décroche
l’extincteur du mur, le lève : Ô i-ô i-ôôôôô ! et le balance dans la grande vitre qui
se fracasse en toile d’araignée puis s’effrite, il neige ! et il se jette à travers et il disparaît
dans la forêt, couvert de bouts de verre, en me laissant tout seul devant le trou
étoilé…
MIKA, off. — O i-ô i-ôôôô…
Mélancolie s’approche de Pierre.
PIERRE, à Mélancolie. — En plein hiver, on s’est rencontrés, nous, après.
MELANCOLIE. — Dans la forêt, oui.
PIERRE. — T’avais ton gros bonnet.
MELANCOLIE, à Pierre. — S’tu fais là ?
PIERRE, tétanisé. — Qui ? Moi ? Je… j’attends le bus.
MELANCOLIE. — Quel ? Y en a pas qui passe ici. Même la nuit. Temps. Ça va pas ?
PIERRE. — L’eau, là, y a une chose qui est sortie de l’eau, une bête, une femme toute,
toute couverte d’eau brillante, de glu transparente, partout sur sa peau poilue et des
cornes sur la tête, des, des branches, comme un cerf, tu vois ?, deux, là et là, elle sort
de l’eau, cette bête-chose-je sais pas, elle, elle marche vers moi, elle marche vers moi,
elle s’approche, elle s’arrête pas, elle me touche, elle me traverse, ME TRAVERSE, tu
comprends ?! et elle ressort viouch ! derrière moi, dans mon dos, sans s’arrêter et elle
marche du même pas jusqu’à l’ombre de la forêt là-bas où elle disparaît.
MELANCOLIE. — Elle te quoi ?
PIERRE. — Traverse. Elle entre par devant, là, et elle ressort dans mon dos, de l’autre
côté, viouch. Me TRAVERSE ! M’a traversé !
MELANCOLIE. — Comme un fantôme ?
PIERRE. — Comme si MOI j’étais un fantôme !
MELANCOLIE. — Mais non, regarde… elle le pince… *toi t’es vrai, toi.
PIERRE. — *Aow ! Elle était, c’est, oui, comme un arbre et un singe et une femme
mélangés. Un singe à cornes de branches, tu vois ?, une femme à tête de singe et
cornes de…
MELANCOLIE. — Je sais. Moi aussi, je l’ai rencontrée.
PIERRE. — Non ?!
MELANCOLIE. — Un matin, la semaine dernière. Je montais vers le lycée, sur le trottoir,
le long de la forêt, tu sais, il faisait hyper froid, mon col relevé, le barouf des camions,
mon nez gelé, tout à coup, un mouvement entre les arbres, je m’arrête. Ça sent les
champignons. Et je vois une forme qui court de tronc en tronc. Qui se cache, tchac,
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tchac. S’arrête en plein soleil et me regarde : debout comme un humain mais couverte
de poils, comme une chèvre, comme un chien. Avec oui, des branches sur la tête,
comme tu dis, deux branches, plantées dans son crâne comme des bois de cerf. Et ses
yeux. Pas humains, mais profonds quand même, noirs foncés, pleins de je sais pas,
pleins de pensée.
PIERRE, bas. — C’est ça !
MELANCOLIE. — On se regarde. On se fixe, hypnotisées mais tout à coup, elle disparaît.
Non ! je crie…
PIERRE. — *Oui !
MELANCOLIE. — … *je fonce dans la forêt, je me tords la cheville dans le fossé, merde !
trop tard : plus rien, nulle part, elle s’est envolée. J’ai froid, je me sens bizarre, je me
dis que j’ai rêvé.
PIERRE. — Trop pas… Qu’est-ce qu’on fait ?
MELANCOLIE. — On se connaît pas.
PIERRE. — Pierre.
MELANCOLIE. — Mélancolie.
PIERRE. — Woah. Vraiment ?
MELANCOLIE. — On y va ? J’ai froid.
PIERRE. — T’habites où ?
MELANCOLIE. — Loin.
PIERRE. — T’es née où ?
MELANCOLIE. — Loin. Et toi, où tu vas ?
PIERRE. — A Plaine-des-rails, chez mes zinks, tu connais ?
Mika entre à reculons.
MELANCOLIE, à Pierre. — Le lendemain, après les cours, je retourne dans la forêt, avec
Magda, Lena, Iris, Violette et Yasmina et on tombe sur un mec qui porte la même veste
que toi mais c’est pas toi.
MIKA, se retournant vers elle. — Han, les fées !
MELANCOLIE, à Mika. — T’rapelles ce que t’avais dans les oreilles ?
MIKA. — Dla musique.
MELANCOLIE — Non, de la laine.
MIKA. — Nan, des écouteurs, un casse de musique ! Comme çui-là de Pierre !
Mika chante sa propre version de “Désolé”, de Sexion d’Assaut.
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MELANCOLIE, à Pierre. — Comme tu venais pas, on s’est assises sur les rochers, sur des
troncs d’arbre tombés, on a bu le thé d’Iris et Lena s’est mise à chanter, avec sa
guitare, tu sais. Chantant : Jour de farine, il a neigé
Des diamants pâles sur la forêt.
Terre de cacao nappée de chantilly
Sous la noix de coco, le croquant du brownie…
PIERRE. — Je pouvais pas être là, moi. Je taguais.
MELANCOLIE. — En plein jour ?!
MIKA, très bas. — Wok, Kopatch, Cocks…
PIERRE. — Avec le Tatou. On venait de trouver un nouveau coin le long des voies, un
beau mur de parpaings tout neufs où personne nous voyait. Le truc non mais rare, à
pas laisser passer. Je lui ai raconté comment je t’avais rencontrée.
MIKA, très bas. — … Jezir, Stax, Bram, Bloom, Bure, Okoné…
PIERRE. — Ok One, Mika !
MIKA, très bas, en boucle. — Okéoine, *Sputnik, Puntet, Mazout…
MELANCOLIE, à Pierre. — *Et tu lui as dit quoi ?
PIERRE. — Ha haa !
MIKA, très bas. — …Coïl, Pesh. È sort des arbres, ses branches sur la tête, là, toutes
comme ça. Ptête è m’roconnaît pas, alors jfais : Bojour madane-jolie-branche et elle,
tout doucement : Iiiiiiiii… Ptête elle a faim, alors jui donne ma moitié d’mon goûter :
Tiens madane, a pas peur.
MELANCOLIE, à Pierre. — Et un jour, on retombe l’un sur l’autre. Enfin, façon de parler.
PIERRE. — Quelques semaines plus tard, dans la même forêt. Encore plus l’hiver.
Encore plus enfoncé, ton bonnet.
MELANCOLIE. — Tiens, salut.
PIERRE. — Salut. Mélancolie, c’est ça ?
MELANCOLIE. — Gagné. S’tu fais là ?
PIERRE. — Boycott d’école. Je me disais, cette galérienne, je la reconnais. On se fait la
bise ?
MELANCOLIE. — Ici ?
PIERRE. — Pourquoi pas ?
MELANCOLIE. — Chais pas, dans la forêt, ça fait un peu…
PIERRE. — Quoi ?
MELANCOLIE, bas. — La bête. Tu l’as revue ?
PIERRE. — Je suis pas taré non plus.
MELANCOLIE. — Tu l’as revue, hein ? Raconte. Raconte, steuple.
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PIERRE. — J’étais dans la forêt, bon, je, voilà, et elle, elle sort des arbres blancs, tu sais,
super près de moi. Moi je tétanise, direct, je bouge plus mais je grille à mort, comme si
mes yeux, c’était des caméras laser. Tout, je détaille : sa peau genre de chèvre, ses
longs poils blanc-gris-beige, tu sais, la couleur du sable, et l’air trop doux, partout…
MELANCOLIE. — Et ?
PIERRE. — Et son ventre rond, rond comme un petit ballon, avec la peau super fine,
presque transparente, et rose comme un abat-jour…Trop mytho, hein ?
MELANCOLIE. — Trop pas.
PIERRE. — Tu me crois ?
MELANCOLIE. — Moi aussi, je l’ai revue. Dans la maison-fantôme. Enfin, à côté. Hier soir,
après les cours, je passais, du bruit, je m’arrête, je me cache derrière la vieille machine
à laver rouillée, tu sais ? et elle, elle sort, la même femme-singe-arbre. Moi aussi, je la
reconnais, ses poils, ses branches sur la tête, tout ça…
PIERRE. — Et ?
MELANCOLIE. — Et une autre bête sort, juste après, elle arrive derrière elle, sur le pas de
la porte, pareille, mais plus foncée, genre roux, tu vois ? un vrai gorille avec des bois
sur la tête, comme elle, poilu pareil, qui marche un peu comme ça…
PIERRE. — Oui !
MELANCOLIE. — Et puis trois plus petits encore qui sortent derrière.
PIERRE. — Des enfants !?
MELANCOLIE. — Une famille, peut-être ?
PIERRE. — De la maison fantôme, ils sortent ?
MELANCOLIE. — Oui. Et je les vois super bien sous la pleine lune, avec leurs bois, là, sur
la tête, qui brillent comme s’ils étaient allumés. Et tout à coup, ils s’enfuient.
PIERRE. — Non !
MELANCOLIE. — Où ils peuvent bien se cacher, maintenant qu’y a plus de feuilles aux
arbres ?
PIERRE. — Où se cacher, oui, dans tout ce blanc de forêt ? Comme ses poils, remarque,
presque…
Mika jette en l’air des petits bouts de papier déchirés.
MELANCOLIE. — T’as vu, il neige comme dans un film de Noël. J’adore ça.
PIERRE. — Ben C’EST bientôt Noël, en fait. Tu fais quoi, toi, tu pars ?
MELANCOLIE. — Et là, il déboule.
MIKA, criant. — T’as du pain, Pierre ? T’as pas du pain ? Du manger ? T’as du manger ?
PIERRE. — Non, vieux, j’ai…
MIKA, découvrant Mélancolie. — Han ! T’as du pain madane la fée ?
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MELANCOLIE. — Qui ? Moi ? Non…
MIKA. — Qui c’est qu’a du pain ? Qui c’est qu’a du manger ?
MELANCOLIE. — Quel dingo, celui-là ! Tu le connais ?
PIERRE. — C’est mon frère.
MELANCOLIE. — Oh, désolée.
PIERRE. — Mickaël, il s’appelle, mais moi, je l’appelle Mika. Comme le Mikado, tu sais ?
C’est un peu cassé dans sa tête. Mille morceaux d’idées tout emmêlées. Ce qu’il faut
juste, c’est l’aider à les sortir de sa tête, une par une, sans faire bouger le reste, sans
tout faire s’écrouler.
MIKA, bas. — Neige. Chut. Neige. Chute. Chute, chute, chute, chute… È se cache, tu
sais ?
PIERRE. — Nous, à ce moment-là, on ne sait pas encore que Mika aussi la connaît.
MELANCOLIE. — Mousse à raser sur le ballast, mille flocons tombent sur la femme-singearbre qui se cache dans la forêt sans tache.
PIERRE. — Et on sait pas, Mélancolie et moi, si ce que l’autre nous a raconté, c’est
vrai…
MELANCOLIE. — Chaque flocon la troue, la perce de part en part, mille fois transpercée,
pointillée, poinçonnée…
PIERRE. — … ou si c’est inventé.
MELANCOLIE. — Arbres d’hiver. Quelles pensées passées déposées précieusement
enroulées au secret de chaque tronc dénudénudénudénudé… ?
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printemps
11
s
PIERRE. — Et c’est le printemps.
MIKA. — Vert vert vert vert vert !
MELANCOLIE. — Matin et soir, I Sable marche, pâle au milieu du vert de la forêt, de
l’herbe, des buissons et des arbres déchaînés. Moins camouflée que sur la neige.
Pendant la journée, elle doit se cacher. Elle est un peu plus enceinte et porte un collier
de coquillettes qui tressaute sur sa poitrine.
MIKA. — C’est moi qui l’a fé !
MELANCOLIE. — A un moment, elle touche ses bois, inquiète… Han ! le premier
tombe ! Puis le second. Elle les serre tous les deux contre elle.
MIKA. — Iiiiiiiiiiii…
MELANCOLIE. — Puis elle les plante dans la terre, au milieu des pousses vert vif qui
surgissent, et les caresse avant de s’en aller. Pour quoi faire ?
MIKA. — Vert vert vert vert vert vert VERT vert vert vert vert vert VERT vert vert vert vert
vert vert vert vert… etc.
PIERRE, à Mika. — Arrête.
MIKA. — Feuille feuille feuille FEUILLE FEUILLE feuille feuille feuille feuille feuille feuille
FEUILLE feuille feuille feuille…etc.
Pierre regarde sa montre.
MIKA, à Pierre. — T’attends kinkin ?
PIERRE, à Mika. — N’importe quoi ! A Mélancolie : Maintenant, moi c’est ton nom que
je tague sur les murs le long des voies. Direct. En énorme. Et je le répète, et je le
répète. Même sur le mur de ta maison à toi, mais là, aucune chance que tu le voies : le
train, tu le prends pas et ta maison, tu la regardes jamais par là, toi. Mél je t’. Mél je
t’. Je pense qu’à toi.
MIKA, bas. — Pierre ? Pierre ? J’ta cueilli un ptit zoiseau mais i marche pu. Quand
j’l’attrappe, i arrête de chanter, r’garde, i é tout mou. C’est pas ma faute, Pierre. Pierre,
viens m’chercher. C’est une grosse bêtise ou une tite ? Chu désolé. J’ai pas fait esprès,
Pierre. Pierre ?
PIERRE, à Mélancolie. — Mél je t’, c’est ça que je tague. Le Tatou, mon pote de
pchhh, ça le rend fou : Jamais les vrais noms, ‘tain ! Jamais rien qui puisse te faire
choper !
MELANCOLIE, à Pierre. — Tu laisses pousser tes cheveux, aussi. C’est doux.
PIERRE. — On se retrouve souvent, tous les deux, dans la forêt.
MELANCOLIE. — Dans la mer de feuilles vert éblouissant, couchés. A Pierre : Où tu crois
qu’elle est ?
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PIERRE. — Ma tête sur tes genoux.
MELANCOLIE. — Tranquilles. A Pierre : Tu crois qu’elle est partie dans un autre pays ?
PIERRE. — Pas besoin de parler.
MIKA, criant comme Tarzan. — O-i-o-i-o-i-o-i-ooooooooooo !
PIERRE. — Juste Mika en slip léopard qui court partout.
MIKA. — Chu Tarzan ! Dans la JUUUNGLE !
MELANCOLIE, à Mika. — T’es pas Rahan ?
MIKA. — Non, madane la fée, Rahan, la un pagne. O-i-o-i-o-i-o-i-ooooooooo, Tchita,
Tchiiita ! A quelqu’un d’invisible : Eh, attends-moi !
PIERRE. — Avec qui il joue, tu crois ?
MELANCOLIE. — Avec les filles, on fait des picnics aussi, dès qu’on peut, dans cette forêt
pile en face le lycée. On trouve une clairière, on s’assoit dans l’herbe, on mange plein
de gâteaux qu’on a faits. Et du coca. Et des chips. Et on chante avant que la pluie nous
chasse tout à coup, retour au lycée à toute blinde pour s’abriter !
MIKA, bas. — Et moi, moi jla rtrouve en train dbrouter vos miettes, I Sab. T’as trouvé un
goûter de fées ? jui dis. T’as dla chance. Eh, t’as vu toute la forêt bizarre, mènnant ?
C’est l’printemps. Ya tout qui s’réveille. Même les monstres magiques. Et tous les
zyeux noirs sous les feuilles. Qui nous r’gardent en cachette. Et les gens en pâte à
modeler d’terre mouillée, ouais. È me prend la main. Jui dis : où kon va ? Tsé moi aussi
j’a fait un tagggg comme mon frère, jui a piqué sa peinture, chu monté sur ma f’nête
pis j’a pchitté mon nom en gros, Mika, M-I-K-A, sur not maison, comme ça tout
l’monde y sait k’chu là c’est fort, hein ? Après mes mains è zétaient toutes bleues, j’me
suis fait gronder, même Pierre il était fâché. Tu veux que je te peins ton nom kèkpart
aussi pour toi ? Sur un arbe ou… Oullà c’est llac, nan jconnais, kèstu fais ? Nan faut pas
jouer au bord de l’eau, l’eau c’est danreugeux, arrête, fais gaffe, penche-toi pas, tu vas
tomber, c’est tro fond, tu vas… Mais après j’ai pu peur, avec elle. È m’appris à nager.
Dukou après jmé mes lunettes de piscine tout le temps, des fois qu’on va au lac sinon
ça pique les yeux, tsé. Tous les gens kya dans la forêt. Les gens-feuille, les gens-loup,
les gens-plume, les gens-chien, les gens-fougères, les gens-fées, les gens-arbe… Jparle
à tout le monde, moi. A la vieille aussi.
PIERRE. — La vieille Capuche.
MIKA. — *Bojour madane !
MELANCOLIE. — *La vieille dame électro-sensible. Elle supporte pas les ondes.
PIERRE. — Radio, télé, téléphone portable, ça la rend malade, c’est pour ça, elle vit dans
une grotte dans la forêt.
MELANCOLIE. — Et elle s’entoure la tête d’un turban puis d’une capuche, pour l’isoler.
Y a tellement de monde dans cette forêt.
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PIERRE. — Plein de gens ! Comme Le Dogue, mon vieux prof de maths…
MIKA. — …avec son chien : wouof ! wouof ! wrrrrrr… wouof !
MELANCOLIE. — Et le Petit Sixième qu’arrête pas de se sauver du collège.
PIERRE. — Et le Tatou, mon pote, qui squatte dans la maison fantôme.
MELANCOLIE. — Et mes copines et moi en train de picniquer.
PIERRE. — Et ceux qui se draguent, et ceux qui fument, et ceux qui courent pour le
sport et ceux qui gravent des trucs sur les troncs d’arbre ou qui dessinent sur les
rochers…
MIKA. — I Sab, è me comprend. Pas dzoin dui expiquer rien. A I Sable, en secret : La
des yeux dans la nuit, tsé ? Des gros yeux comme des poissons qui nous rgardent sans
qu’on le voit, si tu t’retournes hyyyper vite tu peux les choper, hop, avant qu’i
r’ferment leurs peau d’zyeux comme des boutondières. Chais pas y zattendent quoi.
Tsé toi ? J’nage avec I Sab, la nuit, aussi, des fois. Quand è plonge sous l’eau ça fait bo,
comme des agles, lagles, zlag, ses ch’veux qui dansent, là…
MELANCOLIE. — Soleil sur le quai vide. Seul un pigeon, mains dans les poches de son
blouson argenté. Envolé !
Tronc de bouleaux, chiens enterrés, leurs pattes poussent vers le ciel.
Plaine de rails rayée de rouille. Dans tout ce vert, où se cacher ?
PIERRE, à Mélancolie. — Et la nuit, quand on dort, la femme-singe-arbre se baigne
encore, dans ce lac qu’elle adore… Avec la vieille Capuche… Elles nagent lentement,
juste leur tête qui dépasse, les étoiles se reflètent sur l’eau noire, la femme-singe porte
une petite couronne de fleurs sauvages…
MIKA. — C’est moi qui l’a fé !
PIERRE. — Entre ses cornes
MELANCOLIE. — Ses bois
PIERRE. — qui commencent à repousser.
MIKA. — Iiiiiiiiiiiiiii.
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été
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MELANCOLIE. — Et c’est l’été. Il fait de plus en plus chaud.
PIERRE. — Les filles sortent leurs bras, leurs jambes, toute leur peau au soleil…
mmmh, je les mordrais. A Mélancolie : Surtout toi.
MELANCOLIE. — Cachée sous un buisson, écrasée de chaleur, la femme-singe croque
des limaces rouges ou noires, des pignons de pin et des fraises sauvages.
PIERRE. — Ses bois ont complètement repoussé.
MELANCOLIE. — Encore plus larges, encore plus beaux, encore plus ramifiés, et son
ventre est énorme, et ses seins, tout gonflés de lait.
MIKA. — Iiiiiii, iiiiiiii…
MELANCOLIE. — Pluie de coquelicots entre les voies rayées.
Pointillé rouge, moucheture de sang, talus éclaboussés.
Lumières de coquelicots entre les rails rouillés
PIERRE, chantonnant. — Coqu’licot, coqu’licot, coqu’licot-cliko-cliko… Moi, je suis là,
couché dans l’herbe, à attendre Mélancolie quand tout à coup Mika surgit…
MIKA. — La naqui, Pierre !
PIERRE. — Fou de joie.
MIKA. — La naqui ! la naqui !
PIERRE. —Mais quand je le regarde : Merde ! A Mika : Qu’est-ce t’as fait, Mika ? Qu’estce t’as encore fait comme connerie :…
MIKA, hilare. — C’est mon tit, mon zozio, la naqui, près dleau…
PIERRE. — …il est couvert de sang. Les mains, le t-shirt, le visage, la bouche… A
Mika : Quelqu’un t’a vu ?
MIKA. — Tous les arbes de la forêt !
PIERRE. — Mika, Mika, ‘tain, qu’est-ce que, qu’est-ce qu’on va faire de toi ?
MIKA. — C’est une grosse bêtise ou une tite ? J’ai pas fait esprès, Pierre…
PIERRE. — Je sais, je sais. Mais en vrai non, je sais pas. Qu’est-ce qu’il a fait comme
connerie encore, pour être couvert de sang comme ça ? Là, tout à coup, le chien du
vieux prof se jette sur lui, et le vieux prof le suit, bien sûr, merde ! et il me demande :
Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Blanc de panique. Qu’est-ce qu’il a fait ? il redemande, le
vieux, en regardant Mika. Je… C’est mon frère, monsieur. Et je sais pas. Aucune idée.
Il a dû se blesser. Il est un peu…
MIKA. — C’est mon tit. La naqui. Chu désolé.
PIERRE. — Et là, Le Dogue, comme on l’appelait, au lycée, le Dogue propose de nous
emmener chez lui pour laver Mika. Pour commencer, il dit, parce qu’on peut pas le
laisser comme ça, ici, tout couvert de. Oké moi je fais, paumé. On le suit sans rien dire,
on entre chez lui, une petite maison super moche au bord de la forêt…
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MIKA. — *Woaaah !
PIERRE. — *…que j’avais jamais remarquée tellement elle est moche…
MIKA. — **Woaaaaaah !
PIERRE. — **…et dedans, y a des chiffres partout, sur tous les murs, par terre, au
plafond, ça court, ça court… Les décimales de Pi, il nous explique, le Dogue. Paraît
que c’est infini.
MIKA, chantonnant. — *Mika moko ko ko, mika missi si si, mikamoko mikamissi
mikamoko stenn si…
PIERRE, à Mika. — *Le Dogue sort une éponge, un torchon, et on nettoie tout le sang
sur toi. Sans parler, on se dit que c’est, on sait pas quoi, mais un truc grave…
MIKA. — Un truc de criiime !
PIERRE. — …alors on met la radio, pour savoir quelle connerie t’as fait. Et là…
MELANCOLIE, voix de radio. — Carnage de cygnes ! Ce matin, vers neuf heures, un
promeneur choqué a découvert une scène inimaginable : tous les cygnes qui peuplent
habituellement les bords du Loing gisaient dans l’herbe de la rive droite, baignant dans
leur sang…
Pierre fixe Mika.
MIKA, innocent. — Qu’essyia, Pierre ?
PIERRE. — C’est lui ?, me demande le Dogue. Ché pas, je lui réponds. Ça se peut, et ça
se peut pas. Il aime trop les bêtes. Mais bon, des fois… En tout cas, faut pas qu’ils le
mettent en prison, je lui dis. / T’inquiète, il me répond, je suis son alibi : ce matin, je
lui donnais un cours de maths. / Des maths, à Mika ? / Certains autistes sont des
génies, il me dit. / Non, il est pas…
MIKA, l’interrompant. — C’est quoi démate, Pierre ?
PIERRE. — Apprendre à compter. Les chiffres, tu sais ?
MIKA. — Ouaiiiiiiis ! Un, deux, trois, quattt, neuf, huit, trouze, neuf, un, sept, quatt,
quatt, un… etc.
MELANCOLIE. — Pendant ce temps-là, silence de mouches, nous. Dans notre clairière
préférée, au cœur de la forêt. Avec les filles, allongées au soleil, les yeux fermés, on
bronze en silence. Même la guitare se tait. Mmmh, j’aime trop le soleil. / Moi aussi,
j’adore. / Tu vas avoir des marques, Yass. / J’adore les marques. / Chht. Silence de
mouches et chants d’oiseaux. Tout à coup, méga barouf ! On se redresse : c’est la
femme-singe-arbre qui déboule, le ventre, les bras et les jambes ensanglantés. Elle
serre quelque chose contre elle, et elle a beau être pleine de sang et paniquée, je la
reconnais : c’est la femme-singe à tête de branches que j’ai vue dans la forêt, cet hiver !
Et puis…
17
s
MIKA. — Iiiiiiiiii, *iiiiiiiiiiii !
MELANCOLIE. — …*Qu’est-ce qu’elle dit ? elles font, les filles. / Elle a peur, on dirait. /
Mais qu’est-ce que c’est ? / Une femme ? / Un singe ? / Une bête ? / C’est qui qu’est
déguisé ? / Mais non, regarde. / Han, c’est elle que j’avais vue, sous la pluie… Mais
avant qu’on ait le temps de décider rien, la femme-singe-arbre repart, paniquée et
disparaît dans la forêt alors que quatre mecs en kaki jaillissent de par là où elle est
arrivée, des cantonniers, non des garde-chasse…
PIERRE. — Z’AVEZ VU LA BÊTE ?
MELANCOLIE. — Quelle ?
PIERRE. — La sauvage qu’a déchiqueté nos cygnes !/ Le monstre du carnage ! / L’animal
errant, genre de singe. / Plutôt clair. / Avec des cornes sur la tête ! / Des branches,
ouais… / Genre camouflage.
MELANCOLIE. — On se rhabille à toute blinde et on répond : Non. Non, ça me dit rien,
hein, les filles ? / Pas vu, non. / Moi non plus. / Si, si moi je l’ai vue. / Hein ? Mais non ! /
Si, elle est partie par là. / Ah oui, c’est vrai, maintenant que tu le dis…
PIERRE. — Allô pc ? Ici Gilbert, on poursuit la piste, je répète : on poursuit la piste, la
bête semble blessée, groupe de lycéennes hors de danger, on vous tient au courant,
over.
MELANCOLIE. — Et ils s’en vont. Exactement à l’opposée de vers où elle s’est enfuie. /
Bien joué, Yass ! / Hé hé.
PIERRE. — Mais c’est trop tard. Radios, journaux, télés, internet, tout le monde flashe
sur “la bête de la forêt”. Tout le monde parle des cygnes morts et de la femme-singe
avec des cornes sur la tête et tout le monde déforme, grossit, prétexte, utilise, et…
PIERRE ET MELANCOLIE, chœur des infos. — …des sauvages qui tuent les enfants / qui
les kidnappent pour les manger / les cornes du diable ! / des psychopathes, c’est
contagieux / faut les abattre ces gens, c’est plus des gens, c’est des / bande de racailles
qui lacèrent les banquettes des trains comme des bêtes sauvages / Et la présomption
d’innocence dans ce pays ? — Pour les humains, pas pour les bêtes ! / Comment
pouvez-vous dormir tranquilles avec tous les exclus de la vie qui survivent sous vos
ponts et dans vos forêts ? /
MIKA. — Ouais c’est vré !
PIERRE. — Et l’hystérie monte.
PIERRE ET MELANCOLIE, chœur des infos. — Aurait-on retrouvé le chaînon manquant ?
D’étranges créatures ont été aperçues dans une forêt de Seine et Marne, couvertes de
poils et portant des bois de cerf sur la tête, ou des cornes, ou encore des branches. /
Elles seraient une dizaine. / Certaines ont le poil clair, d’autres sont rousses ou brunes,
et leur taille s’étale selon les témoignages entre 1m50 et 3m. / S’agit-il de primates
18
s
échappés d’un cirque ou de créatures inconnues qui auraient survécu en secret depuis
des millions d’années au cœur de la forêt ? D’ores et déjà, elles semblent carnivores
puisqu’elles seraient responsables du carnage de cygnes survenu ce matin sur le Loing.
/ Une battue est organisée pour les capturer. / De nombreux scientifiques du monde
entier ont annoncé leur arrivée sur les lieux au plus vite. / S’il s’agit rrrrréellement
d’une espèce hominoïde inconnue, c’est une découverrrte majeurrrre pour
l’humanité / Attendez, si, je dis bien s’ils ont un cerveau proche du nôtre, il faut les
disséquer pour séquencer leur adn / Mais non, c’est une supercherie grossière / Je
vous rappelle que l’homme et le chimpanzé partagent plus de 99,4% de leurs gènes
fonctionnels ! / Mais l’homme est le seul primate à avoir les fesses développées / Oui,
bonjour Jean-Pierre, moi je voudrais savoir si ces animaux sont dangereux pour les
enfants, parce que j’ai trois petits garçons que je garde et ? / Nous ne descendons pas
du singe, nous SOMMES des singes ! / Des envahisseurs venus d’une autre planète / le
retour de Tarzan, des Tarzans modernes ? / Non, des enfants sauvages, des enfants
abandonnés qui ont grandi tout seuls rien qu’en broutant des glands ou / des vétérans
du vietnam qui vivent en autarcie ? / Ce sont des êtres qui ne sont pas notre monde,
des apparitions divines / des gorilles échappés du cirque, voire des orang-outangs,
étant donné la couleur de / les Yétis mythiques ou leurs cousins les *Almass, les
Sasquatch, les Kikomba, les Tshigombé, les Xia, les Ukumar, les Damao-Ren, les…
MIKA, en écho. — *Yéti, almass, sasquatch, kikomba, tchigombé, xia, ukumar, damaoren, almass, sasquatch, kikomba…etc.
MELANCOLIE, coupant Pierre. — Et la “chasse au singe” est lancée.
MIKA. — Chassossinge, chassossinge, chassossinge, chassossinge…etc.
PIERRE. — Une vraie battue avec des centaines d’hommes réquisitionnés.
MELANCOLIE. — Pendant ce temps, au cœur de la forêt, couverte de sang séché, la
femme-singe-arbre court entre les arbres, son trésor caché dans les bras…
PIERRE. — …et ses grands bois s’accrochent aux branches, les buissons la griffent…
MIKA. — Iiiiii…
PIERRE. — …elle se tord les pieds…
MELANCOLIE. — …et derrière elle, les voix de ses poursuivants, leurs coups de sifflets,
les aboiements de leurs chiens excités par l’odeur du sang frais.
Mika aboie tous les chiens de la meute.
PIERRE. — La femme-singe trébuche et tombe une première fois. La vieille Capuche la
relève.
MIKA. — Iiiii !
MELANCOLIE. — Vite ! Faut pas qu’ils te trouvent !
19
s
PIERRE. — Capuche découvre ce qu’elle serre dans ses bras.
MELANCOLIE. — Oh my god ! Oh my god !
PIERRE. — Le lui prend délicatement.
MELANCOLIE. — Ne t’inquiète pas, je le cache, je m’en occupe. Toi, il faut que tu leur
échappes ! Va, va, cours sans t’arrêter ! Cache-toi le plus loin possible dans la forêt !
PIERRE. — Et la femme-singe repart en courant, toujours poursuivie par la battue. Un
peu plus loin dans la forêt, elle tombe une deuxième fois.
Mélancolie aboie.
MIKA. — Iiiiii !
PIERRE. — Mais le chien du Dogue bondit sur elle pour la lécher…
MELANCOLIE. — Tout ce sang, ce sang séché.
PIERRE. — …suivi par Le Dogue qui la relève :
MELANCOLIE. — Fuyez ! Les fauves sont lâchés !
MIKA, épuisé. — Iiiiii…
PIERRE. — Et elle repart en courant, épuisée.
Aboiements de chiens.
PIERRE. — Z’AVEZ VU LA BÊTE ?
MELANCOLIE. — Quelle ?
PIERRE. — Le singe avec des branches sur la tête !
MELANCOLIE. — Combien ?
PIERRE. — Combien de quoi ? Arrrh, pouvez pas retenir votre chien ?!
MELANCOLIE. — Elle court toujours dans la forêt, de plus en plus épuisée, et tombe une
troisième fois à nos pieds, à Pierre et moi.
PIERRE. — Putain de merde ! C’est elle !
MELANCOLIE. — C’était vrai alors ?!
PIERRE. — Pas pour toi ?
MELANCOLIE. — J’étais pas sûre, je savais pas… Viiite !
PIERRE. — On la relève. Tout ce sang ! On dirait…
MELANCOLIE. — Faut pas les laisser l’attraper.
MIKA. — Iiiiiiiii ?
MELANCOLIE. — Je casse deux branches que je coince sous mon serre-tête.
PIERRE. — Qu’est-ce tu fous ?
MELANCOLIE. — Je brouille les pistes ! A I Sable : Courez, vous, courez ! Pchhh !
PIERRE. — La femme-singe-arbre disparaît dans la jungle verte, Mélo attend et part en
courant de l’autre côté au moment où les chiens jaillissent puis les hommes
20
s
bondissent… “Par là !” ils rugissent, et se jettent derrière Mélo, et disparaissent,
grands cris, aboiements…
MELANCOLIE. — Aaah ! Non mais ça va pas la tête ? Lâchez-moi !
PIERRE. — Et la femme-singe continue de courir, un peu plus loin, mais elle est trop
fatiguée, elle perd du sang, elle est perdue, elle a peur…
MIKA. — Iiiiii, iiiiii, iiiii…
PIERRE. — Et elle déboule dans une clairière où Mika cueille des fleurs.
MIKA. — Oh bojour I Sab ! T’as vu ? *C’est pour toi, tu les zème ?
PIERRE. — *Mais une flèche traverse l’air et fauche la femme-singe-arbre qui tombe aux
pieds de Mika terrorisé…
MIKA. — I SAAAAB !!!!
PIERRE. — …et les hommes kakis jaillissent de partout avec des cordes, des caisses, un
filet et se jettent sur elle *pour la ligoter…
MIKA, gémissant. — *I Sab ! Moure pas !
MELANCOLIE. — …pour la bâillonner. Un pied sur la bête au sol. Photos, trophée.
PIERRE. — Allô, allô, Pc ? Ici Gilbert, mission accomplie, la bête est capturée, je répète,
capturée ! Over !
MELANCOLIE. — Et ils repartent avec leur prisonnière.
MIKA. — I Saaaab ! I Saaab !
PIERRE. — Suivis par Mika qui ne comprend pas.
MIKA. — Pourquoi ki ui font ça, Pierre ?
PIERRE. — Je sais pas. Je sais pas, Mika.
21
s
le 12 juillet
22
s
MELANCOLIE. — Seule dans sa cage de verre, au milieu de la salle des fêtes, la femmesinge-arbre est exposée au public. De 10 h à midi, de 14h à 17h. Défense de nourrir la
bête.
PIERRE. — A trois euros le ticket, tous les gens de la ville et du département se pressent
pour venir voir le monstre hominoïde. Même des gens venus de Paris, en voiture ou
en train, une heure de trajet !
MELANCOLIE. — La “bête préhistorique de la forêt”.
MIKA, habité par la foule des visiteurs. — Normalement, ici, il y a la bête hominoïde. /
Je la connais, je la connais cette bête ! / Ça sent pas boooon ! / Regardez comme c’est
joli, ses mains et ses pieds ! / Elle est triste, celle-là ! Pourquoi ? / Ben, è s’ennuie,
ptête. / Ooh, è se met son doigt dans son nez ! / Coucou ! / Ooh, elle se gratte ! / On
s’demande où elle couche, hein ? / Bin là. /Mais comment elle fait ? / Bah, elle a
l’habitude./ Oroir Blanche-Neige !
MELANCOLIE. — Et les scientifiques se battent pour être les premiers à faire leur
expérience sur la bête.
PIERRE. — Le chaînon manquant. Le yéti de Seine et Marne. Ou un simple mutant.
MELANCOLIE. — Dehors, sur le trottoir, le long de la file d’attente, les filles et moi, on
fait signer une pétition en chantant une chanson composée exprès:
TOUS LES TROIS. — On est tous des grands singes
Tous des hominidés
Porter ou non du linge
Ne va rien y changer.
1) Notre ancêtre Lucy était velue oui comme
Magnum, Sergi Lopez ou bien Aldo Maccione
Et les Néandertal, ils enterraient leurs morts
Sous une pluie de pétales d’jacinthes et d’boutons d’or
Ref : On est tous des grands singes
Tous des hominidés
Même volume de méninges
Qu’on sache ou non parler.
2) Que ferions-nous sans l’feu qu’ils ont su inventer ?
Que veut dire primitif ? Que veut dire évolué ?
Si vous étiez en cage, vous le supporteriez ?
Refusez l’esclavage, signez pour la libérer !
Elle et ils cessent de chanter pour scander : Libérez la femme-singe préhistorique !
Libérez la femme-singe préhistorique !…etc.
23
s
MELANCOLIE, bas. — La nuit même, rancard au coin du bâtiment où elle est enfermée.
PIERRE, bas. — Oké.
MELANCOLIE, bas. — Oké.
MIKA. — OKÉ !
PIERRE, bas. — Chht.
MELANCOLIE. — Pierre arrive en courant, sac à dos cliquetant.
PIERRE, bas. — Sur tous les murs de la ville, le long des voies et même le long de
l’autoroute : libérez la femme-singe-arbre, j’ai tagué. Et le Tatou est en train de graffer
son portrait méga-grand, hyper ressemblant, sous le pont, on pourra pas le rater. A
Mélancolie : Lui aussi, il avait du sang sur lui…
MELANCOLIE, l’interrompant. — On va la faire s’évader. / Cette nuit, obligé. / Sinon ils
vont la disséquer ! / T’as une idée ?
MIKA. — Comme dans l’flim avec Stive Mac Kouine, tsé ?
MELANCOLIE. — C’est bouclé partout, on a fait le tour, y a même des gardes, deux types
armés, près de l’entrée.
PIERRE, avec la voix du Petit Sixième. — Moi, j’y vais…
MELANCOLIE. — …dit une petite voix. C’est un petit môme, en pyjama, une lampe de
poche et une longue corde autour du bras. Il connaît la femme-singe, lui aussi.
Tellement il sèche les cours, depuis qu’il est entré en sixième, parce qu’il étouffe dans
ce collège, il a pas arrêté de la rencontrer, depuis cet hiver, dans la forêt.
PIERRE, avec la voix du Petit Sixième. — J’ai bien regardé c’t’aprèm, y a un Vélux dans
le toit, juste au-dessus de sa cage qu’a pas de plafond, alors je grimpe le long de la
gouttière, je longe tout le toit, j’ouvre le Vélux, je redescends pile et hop… je remonte
avec elle.
MELANCOLIE. — T’es pas un peu trop petit pour faire ça ?
PIERRE, avec la voix du Petit Sixième. — Toutes les nuits, je sors de chez moi, comme
ça, et puis je rentre, après. J’aime pas être enfermé.
MELANCOLIE. — Alors le petit sixième commence à grimper le long de la gouttière.
Nous, on fait le guet. Inquiets. Les yeux fixés sur son petit pyjama qui grimpe, régulier.
MIKA, bas. — Pierre, pourquoi kè font pas leur magie, les fées ? Ting !
PIERRE. — Pas la peine.
MELANCOLIE. — Qui disparaît derrière l’arête du toit.
MIKA. — Si ! Si !
PIERRE. — Chhht ! Elles peuvent pas, Mika, elles ont pas leur baguette. T’inquiète, ça va
marcher.
MELANCOLIE. — Et on attend, comme ça, tête renversée, angoissés. Mais au bout d’un
moment, le petit sixième réapparaît tout là-haut, l’air déboussolé, il chuchote :
24
s
PIERRE, avec la voix du Petit Sixième. — Elle veut pas grimper. Elle me regarde, elle a
l’air trooop triste mais elle bouge pas. Elle me comprend pas, peut-être ?
MELANCOLIE. — Ou bien ils l’ont droguée ?
PIERRE. — Alors Mika s’approche de la gouttière.
MIKA. — Moi je l’évade, moi !
PIERRE. — Non Mika !
MIKA. — Si, tu vas oir !
MELANCOLIE. — Et Mika monte. Bien plus lourd. Bien plus maladroit. De nouveau, nos
têtes renversées. Notre peur au ventre, qu’il tombe. Pierre serre ma main à la broyer.
Le petit sixième aide Mika à passer l’arête du toit, ils disparaissent…
PIERRE, bas. — Pourvu qu’il déconne pas, pourvu qu’il déconne *pas…etc.
MELANCOLIE. — *Et on attend de nouveau, le cou pété, le cœur qui bat… Là !
PIERRE. — La tête de la femme-singe, sous la lune, suivie par celle de Mika, puis celle
du petit sixième.
MELANCOLIE. — Sauvée ! Elle est sauvée !
PIERRE. — Quel mec, mais quel mec ! C’est mon frangin !
MELANCOLIE. — T’as vu comme elles brillent, ses branches ?
MIKA. — O i-o i-ôôô !
PIERRE. — Chht ! Ça s’est bien passé, ça va ?
MIKA. — Super ! Hein, I Sab ?
MELANCOLIE, gorge nouée. — Ils s’aiment, ces deux-là !
PIERRE, à Mélancolie. — Attends, ils se connaissaient ? Comment il l’a appelée ?
MIKA. — Et nous tout le monde s’en alle dans la forêt ! Oueeeh !
PIERRE, à Mika. — Chht !
MELANCOLIE. — On marche en file indienne, dans la nuit, sous les arbres, la lune nous
éclaire, on marche un bon moment et puis on s’allonge dans une clairière, pour se
reposer, sous les étoiles qu’arrêtent pas de scintiller.
MIKA. — Tsé quoi, Pierre ?
PIERRE. — Non.
MIKA. — D’main, j’va danser au bal des pompiers avec I Sab. Hein que c’est vrai ?
PIERRE. — Non, Mika, tu peux pas. Sinon il vont re-l’attraper et re-l’enfermer et ce
coup-là, ils vont tellement la surveiller qu’on pourra plus jamais la faire évader.
MELANCOLIE. — La vieille Capuche nous rejoint, vite on coupe nos portables, et elle
donne quelque chose, une couverture, à la femme-singe. Non, un bébé dans une
couverture. Un nouveau-né. Son bébé, à I Sable. Mika et la femme-singe le couvrent de
baisers. Nous, on ne comprend toujours pas.
PIERRE. — C’est SON bébé ? A elle ? A la femme-singe ?
25
s
MIKA, encore plus coupable. — Chu désolé. J’ai pas fait essprès.
PIERRE. — Hein ?
Temps.
PIERRE. — Attends, ‘tends. Neuf mois.
MELANCOLIE. — Ou moins, ou plus, on sait pas…
PIERRE. — Alors, juillet, là. Août, septembre, octobre. Non, cet automne, quand t’as
tout pété la vitre du musée… ?! Mais…
MIKA. — C’est une grosse bêtise ?
PIERRE. — Mais alors, le sang, hier, c’était pas les cygnes…
MIKA. — Ça coule vach’ment d’sang, hein, quand ça sort, un tit, chavais pas moi, ça m’a
foutu les trouilles, et après, quand tu m’as grondé…
PIERRE. — Attends, Mika, tu crois que c’est toi, le papa !?
Ils rient.
MELANCOLIE. — Ça aurait pu finir comme ça. Avec tout le monde qui rêve couché sous
les étoiles, Mika et I Sable et le bébé, le Dogue qui réconcilie le petit sixième avec les
maths, et Pierre et moi, et Pierre et moi… Mais le Tatou déboule.
MIKA. — Son copain de taggg qu’est tout dessiné partout au feut’, une fois jlé…
PIERRE, l’interrompant. — Alerte rouge, il crie, ‘zont découvert qu’elle était plus là,
‘zont sonné le branle-bas de combat, sirènes, voitures de flics, faut vous barrer, fissa !
MELANCOLIE. — On bondit sur nos pieds, on allume nos lampes de poche et on
recommence à fuir dans la forêt. On marche à fond les ballons, on trace à travers la
nuit de la forêt.
PIERRE. — C’est de ma faute, il fait, le Tatou, essoufflé, les cygnes, là, ces crâneurs en
meringue, ces bestioles à napperon, j’ai vu rouge, j’aurais pas dû les massacrer, mais
ché pas / Laisse tomber, Tatou, guide-nous le plus loin possible, toi tu connais bien la
forêt…
MELANCOLIE. — On marche, on marche à donf, en file indienne. On croise un groupe
de clandestins, épuisés, paniqués, qui parlent une langue qu’on ne comprend pas. Et
on continue notre chemin derrière le Tatou. Mika et son amour se tiennent par la
main, Le Dogue compte ses pas, son chien se traîne derrière, Capuche marmonne tout
bas, les faisceaux de nos lampes de poche dansent en zigzags contre les troncs des
arbres, personne ne parle et tout à coup, elle s’écarte.
PIERRE. — Et tout le monde la suit. / Tatou, attends ! / Quoi ? / C’est I Sable, je sais pas
ce qu’elle veut mais…
26
s
MELANCOLIE. — Trop top, un lac ! / Un petit bain de minuit les filles ?/ Si tu crois que
c’est le *moment de…
PIERRE. — *Elle fait quoi ?
MELANCOLIE. — Elle veut se baigner. On a beau essayer de la retenir, de la convaincre
de l’urgence de fuir, elle entre dans l’eau, avec son bébé, et elle nage, elle nage…
PIERRE. — Ses poils dansent et ses branches se reflètent sur l’eau noire à peine
ondulée…
MIKA, très doucement. — Iiiii…
MELANCOLIE. — Elle nage, elle nage sans se lasser. Nous, on s’assied sur la rive pour
attendre qu’elle sorte, pour continuer.
PIERRE. — Et c’est l’aube du 13 juillet.
MELANCOLIE, bas. — L’hallali…
PIERRE. — Le soleil n’est pas encore levé mais le ciel s’éclaircit à vue d’œil.
MELANCOLIE. — I Sable nage toujours, sans le bébé qui dort dans les bras de Mika.
PIERRE, à Mika. — Faut vraiment qu’on y aille, Mika.
MIKA, à I Sable. — Faut vraiment qu’on s’en va, I Sab. Y a la police qu’arrive. Y vont te
re-attraper si tu sors pas…
MELANCOLIE. — Mais rien à faire. On dirait que pour elle, dans l’eau, le temps s’est
arrêté. Tout à coup, Yasmina arrive en courant : ils arrivent ! Ils ont des fusils !
PIERRE. — Et le Petit Sixième, qui faisait le guet de l’autre côté : C’est l’armée, toute en
kaki, avec des bottes et des casques et des lunettes de visée !
MELANCOLIE. — Y a des chasseurs aussi, avec leurs chiens !
PIERRE. — Plein de gens de la ville, aussi, avec des barres de fer, des bâtons….
MELANCOLIE. — Qu’est-ce qu’on fait ?
PIERRE. — Mika donne le bébé à Capuche pour entrer dans l’eau chercher I Sable. Le
Dogue crie à la vieille : Emportez le petit dans la forêt, faut le cacher !
MELANCOLIE. — Le soleil lance ses premiers longs rayons à travers les arbres.
PIERRE. — Trop tard !
MELANCOLIE. — Ils accrochent les bois de la femme-singe-arbre qui brillent comme du
verre.
PIERRE, dans son porte-voix. — RENDEZ-VOUS, VOUS ÊTES CERNÉS !
MELANCOLIE. — Nous, on se serre côte à côte en rempart dérisoire autour d’I Sable qui
sort du lac, tirée par Mika et on crie : Laissez-la tranquille ! Elle vous a rien fait !
PIERRE, dans le porte-voix. — RAISON D’ÉTAT, ÉVACUEZ !
MELANCOLIE. — Non !
PIERRE, dans le porte-voix. — A MON COMMANDEMENT…
MELANCOLIE. — Elle s’arrête, en plein soleil, on ne voit qu’elle.
27
s
I SABLE. — Iiiiiiii ?
MIKA. — Non, viens, I Sab !
MELANCOLIE. — Cours, Mika, cours ! Vous arrêtez pas !
PIERRE, dans le porte-voix, simultanément. — FEU !
Temps.
MELANCOLIE. — Et elle s’écroule sur la rive,
PIERRE. — …ses bois encore trempés,…
MELANCOLIE. — …son poil taché, taché, taché, taché…
MIKA. — Non, moure pas, mon amour ! Moure pas ! Moure pas…
Temps.
MELANCOLIE. — Le soir, une fois relâchés, on se retrouve devant le lycée, au bord de la
forêt. Les filles et moi, le Dogue, son chien, le Petit Sixième, le Tatou et Pierre…
PIERRE. — Personne ne parle. On regarde nos pieds. On fume des clopes.
MELANCOLIE. — Quand tout le monde est là, on coupe nos portables et on s’enfonce
entre les arbres. Toujours sans parler.
PIERRE. — Sans Mika. Tellement secoué, on l’a bourré de calmants.
MELANCOLIE. — La musique du bal des pompiers décroît, remplacée par les sons de la
nuit. Les cris des oiseaux, des grenouilles, le vol silencieux des chauve-souris, les
froissements dans les feuilles et le chuintement de l’herbe couchée. Et on arrive au
bord du lac, où on retrouve Capuche et Mika avec le bébé.
PIERRE. — Mika !?
MELANCOLIE. — Les larmes roulent de ses yeux sans s’arrêter. Capuche a coiffé un
crâne de cerf mort. Allongée sous un drap, il y a le corps d’I Sable, couvert d’un autre
drap.
PIERRE. — Pour pas qu’ils la dissèquent, on l’a caché, le temps qu’ils arrivent, ceux qui
l’avaient tuée. On a dit qu’elle était dans l’eau quand ils ont tiré. Qu’elle s’était noyée.
Qu’ils avaient qu’à vider le lac, pour la retrouver. *Le lac de nos larmes.
MIKA. — *Le lac de nos larmes.
PIERRE. — *Le lac de nos larmes.
MELANCOLIE. — Et on fait nos adieux à I Sable, la femme-singe-arbre. On lui donne
quelque chose pour l’accompagner, maintenant, là où elle est, un truc à nous qu’on
dépose en pleurant dans la tombe qu’on a creusée pour elle, sur la rive, face au lac
qu’elle aimait, et Lena commence à chanter. Chantant : I Sable
Femme-arbre
De 35 millions d’années
28
s
Abattue un soir d’été
Tu laisses un trou dans nos vies
Un vide infini.
Ref : Et les arbres pleurent
Les oiseaux gémissent
Les rochers se fendent
Toute la terre tremble…
PIERRE. — Soudain, une énorme explosion.
MELANCOLIE. — C’est le feu d’artifice du 14 juillet, enfin du 13, qu’on voit jaillir audessus de la cime noire des arbres. Et retomber. Et rejaillir. Et retomber.
PIERRE. — On dirait des braises qui explosent.
MELANCOLIE. — Une bûche qui se casse en deux dans le feu, ses étincelles.
MIKA. — C’est comme I Sab.
MELANCOLIE. — Comme une étoile filante, elle est passée.
PIERRE. — Elle nous a traversés.
MIKA. — Viouch.
MELANCOLIE. — Comme une traînée d’avion dans le ciel, très nette et qui s’efface.
PIERRE. — Comme un tableau de craie.
MELANCOLIE. — Comme un rond de caillou dans l’eau, lancé.
29
s
77 silex
(une bande-annonce possible pour I Sable)
Mélancolie et Pierre font du feu à la manière préhistorique, avec des bouts de bois frotté, de
la mousse et un coquillage où recueillir les braises. Mika joue avec des cailloux.
MELANCOLIE, à Pierre. — Tiens, je te donne ce silex qui est beau et doux et unique
comme toi.
PIERRE, à Mélancolie. — Tiens, ce silex, garde-le toujours avec toi comme un petit bout
de moi.
MIKA, bas. — Tiens, je te donne ce caillou pour que tu peux toujours te libérer. Si
jamais quelqu’un t’attrape et te ligote, zouc, zouc, — touche comment ça coupe, ses
bords — toi tu le prends en cachette et tu coupes tes cordes avec !
MELANCOLIE, à Pierre. — Tiens. Tu me fais des ricochets avec ?
PIERRE, à Mélancolie. — Faut un caillou plus plat. Un galet.
MIKA, bas. — Soixante dix-sept silex, soixante dix-sept silex…etc.
PIERRE, à Mélancolie. — Tiens, c’est de la marcassite, ça marchera mieux pour faire du
feu. Les silex c’est ce qu’on dit qu’ils utilisaient, les hommes préhistoriques, mais faut
de la marcassite ou de la pyrite, en fait.
MIKA, bas. — Tiens, fo toujours ête armé. Comme Rahan, avec son COUTELAS !
MELANCOLIE, à Pierre. — Tiens, une pierre, une pierre pour Pierre. Deux pierres
accrochées au bâton que je lance dessinent dans les airs une circonférence.
PIERRE, à Mélancolie. — Vas-y maintenant tape, tape bien fort, plusieurs fois.
MIKA, bas. — Je te détesse ! Moi aussi, je te détesse !
PIERRE. — Avec de l’amadou juste à côté tac, t’as vu, l’étincelle ? Souffle, là, voilà, et ton
feu qu’est allumé !
MIKA, bas. — A mort, Cheveux de feu ! Enterrez-le vivant, kia que sa tête qui dépasse,
et tirez ! Non, le fils de Crao, i se protège… Si, feu à volonté !
Grand feu et lapidation superposés.
********************************************************************************
Karin SERRES
[email protected] — mobile : 00 33 (0)6 16 97 33 74
www.karinserres.com
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