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Marc Saibène
marine
marchande
La
1914
1918
de
à
L’approvisionnement
de la métropole et des armées en guerre
© Infomer, 2011
13, rue du Breil
CS 46305
35063 Rennes Cedex - France
Toute reproduction ou traduction, même partielle de cet ouvrage, est soumise
à l’autorisation écrite de l’éditeur. Le texte n’engage pas la responsabilité de l’éditeur.
française
Sommaire
INTRODUCTION ..............................................................................................p 8
Chapitre 1 : L’entrée en guerre
Chapitre 3 : L’année 1915
Chapitre 4 : L’année 1916
LA FLOTTE MARCHANDE À L’ENTRÉE EN GUERRE .....p 10
LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE .......................p 40
Les communications avec la Russie
Les attentats
LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE .......................p 68
Achat de tonnage
Le comité des transports maritimes
Les communications avec la Russie
LA MOBILISATION .....................................................................................p 10
La mobilisation des capitaines au long cours
La mobilisation des inscrits maritimes
L’inscription maritime
LA PÊCHE............................................................................................................p 44
La pêche à Terre-Neuve
La pêche hauturière
LE PLAN DE RÉQUISITIONS ..............................................................p 15
L’ARRÊT DES CHANTIERS MARITIMES ..................................p 15
Chapitre 2 : L’année 1914
LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE ........................................p 16
LES CONVOIS D’AFRIQUE DU NORD ....................................p 16
Composition des convois du 6 août
TRANSPORT DE L’ARMÉE ANGLAISE EN FRANCE ......p 22
SUSPENSION ET REPRISE DU TRAFIC.......................................p 23
Les premières réquisitions pour les besoins de l’État
La reprise du trafic
La marine marchande indisciplinée
LES SAISIES DE NAVIRES ALLEMANDS................................p 28
LES RÉQUISITIONS POUR LES BESOINS DE LA FLOTTE .....p 30
Les croiseurs auxiliaires
Les navires-hôpitaux
Les dragueurs et arraisonneurs auxiliares
Les auxiliaires des Directions portuaires
Les transports auxiliaires de la flotte
LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..................................................p 45
Réquisitions et expéditions extérieures
Les transports
Les navires-hôpitaux
Les croiseurs auxiliaires
Les transports de munitions
Le groupe Goliath-Shamrock
Les chalutiers patrouilleurs
Les bâtiments non militarisés opérant en Méditerranée
Militarisation de l’ensemble des navires requis
La perte du Carthage
Le sabordage du Saghalien et du River Clyde
LA GUERRE SOUS-MARINE ...............................................................p 53
La guerre sous-marine s’étend en Méditerranée
La mise en place des dispositifs d’alerte par TSF
L’amélioration des moyens de sauvetage
L’armement des navires de commerce
Mise en place des commissions d’enquêtes
Les forces de protection
Pertes et événements marquants
LA PÊCHE............................................................................................................p 72
La campagne de Terre-Neuve
La pêche hauturière
La guerre à la pêche
LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..................................................p 73
De nouveaux croiseurs auxiliaires
La saisie de transports étrangers
Les escadrilles de patrouilles
Les navires hôpitaux
Situation des officiers issus de la marine marchande
LA GUERRE SOUS-MARINE ...............................................................p 76
L’évolution de la TSF à bord des navires
L’armement des navires de commerce
Le renforcement de l’artillerie
La guerre des mines
LES FORCES DE PROTECTION .......................................................p 82
Le programme du 10 juin
L’aviation maritime
Les bateaux pièges
Pertes et événements marquants
JANVIER À DÉCEMBRE ............................................................p 86 à 99
JANVIER À DÉCEMBRE ............................................................p 60 à 67
LES AFFRÈTEMENTS POUR LE RAVITAILLEMENT
EN CHARBON ....................................................................................................p 34
LA PÊCHE............................................................................................................p 35
Les premières campagnes de la guerre
Pertes et événements marquants
AOÛT À DÉCEMBRE ...................................................................p 36 à 39
4
La marine marchande de 1914 à 1918
Sommaire
5
Sommaire
Chapitre 5 : L’année 1917
Chapitre 6 : L’année 1918
LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE ...................p 100
La raréfaction du tonnage
Utilisation de navires étrangers
Les grands voiliers exclus des eaux métropolitaines
Organisation du sous-secrétariat d’état
aux transports maritmes
Les américains débarquent
LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE ...................p 152
La réquisition générale de la marine marchande
Toujours la question du tonnage…
L’afflux américain
LA PÊCHE........................................................................................................p 105
La campagne de Terre-Neuve
La pêche hauturière
LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..............................................p 106
Les navires hôpitaux en accusation
Les communications avec la Russie
LA GUERRE SOUS-MARINE ...........................................................p 109
L’armement des navires de commerce
L’armement des bateaux grecs
Création des centres d’armement militaires
des bâtiments de commerce
Peinture et camouflage des navires
Les forces de protection
De nouveaux programmes pour la lutte
contre les sous-marins
Les premiers convois
Pérennisation des convois
Les opérations de protection indirecte
Création de la direction générale de la guerre
sous-marine (DGGSM)
La guerre des mines
Les bateaux pièges
LA PÊCHE........................................................................................................p 155
La campagne de Terre-Neuve
La pêche hauturière
LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..............................................p 156
LA GUERRE SOUS-MARINE ...........................................................p 157
L’armement des navires de commerce
Le camouflage
Polémique sur le camouflage
Les forces de protection
Convois côtiers
Convois au large
Protection des pêches
Les patrouilles aériennes
Pertes et événements marquants
JANVIER À NOVEMBRE ...................................................p 166 à 177
ÉPILOGUE ........................................................................................................p 178
BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................p 180
INDEX DES NOMS DE NAVIRES ...............................................p 182
Pertes et événements marquants
REMERCIEMENTS ....................................................................................p 192
JANVIER À DÉCEMBRE .....................................................p 122 à 151
6
La marine marchande de 1914 à 1918
Sommaire
7
Introduction
« On ne peut, sans la mer, soutenir la guerre » : la formule est de Richelieu et ne fut jamais aussi bien adaptée qu’entre 1915 et 1918 où le rôle principal sur mer
n’est plus donné aux cuirassés, mais aux cargos, dont les
missions d’approvisionnement et de ravitaillement l’emportent sur toutes autres contingences. Et pour cause,
les effets de l’industrialisation ont, depuis quelques
décennies, lié les productions aux matières premières
qui doivent souvent être importées d’outre-mer. On
connut, en corollaire, une impressionnante expansion du
transport maritime qui se traduisit, moins de vingt ans auparavant, par la généralisation des constructions navales
métalliques et la prépondérance de la vapeur.
Les conditions de guerre navale en sont métamorphosées. Bientôt, l’Allemagne ne cherche plus à disputer la
maîtrise des mers, mais répond au blocus de surface que
lui imposent les Alliés par un blocus sous-marin dirigé
contre leurs approvisionnements et leurs transports de
troupes.
C’est ainsi que cette flotte marchande, négligée dans
les premiers mois de la guerre, se retrouve aux premières lignes, armée par des équipages trop hâtivement
qualifiés de médiocres. Les marins les plus jeunes et les
mieux formés ont, en effet, été mobilisés, et il ne reste
aux compagnies qu’environ 50 % des capitaines au long
cours et des officiers mécaniciens. Tous ces hommes vont
néanmoins admirablement subir le choc d’un affrontement sournois, alors que la navigation en convois et en
routes patrouillées ne laisse même plus l’illusion de la
sécurité.
Le ministère ne reste pas indifférent au sort des marins
non combattants, souvent âgés, mais la nation entière est
en guerre, et les marins ont un rôle essentiel à y jouer.
À compter de 1915, chaque mois annonce la perte de
plusieurs navires français, et plus encore de navires alliés ;
jusqu’aux terribles mois de 1917 où l’Allemagne décrète
la guerre sous-marine sans restriction : Janvier, 52 navires
français coulés ; février, 39 ; mars, 66… Le tonnage national se raréfie au fil des mois en des proportions toutes
aussi dramatiques que pour les Britanniques… sinon pire !
L’Entente est un moment mise en péril ! et l’on devra
finalement aux actions énergiques du nouveau ministère
Clemenceau de surmonter cette grave crise. Les amirautés françaises, britanniques et américaines (enfin venues
à la rescousse), vont dès lors redoubler d’activité, adoptant des armes et des engins nouveaux — notamment la
grenade anti-sous-marine et le détecteur acoustique. Des
méthodes nouvelles également. Le nombre des patrouilleurs va s’accroître considérablement, ainsi que les avions,
les dirigeables etc : la chasse aux U-Boote devient une
priorité nationale.
Enfin, la Marine arme les bâtiments de commerce avec
toutes les pièces disponibles, du 47 mm au 90 de côte.
On voit alors arriver quelques marins canonniers dans les
équipages civils, s’associant enfin dans la communion du
combat. Un service de l’armement militaire des bâtiments
de commerce, est créé dans chacun des grands ports de
la métropole. Il se charge également du camouflage.
En corollaire, le contrôle de l’État se fait de plus en
plus étroit, tant sur le fret que sur l’utilisation de la flotte.
Chargements et itinéraires, qui étaient jusque-là seulement réglementés, vont passer sous les ordres directs
d’un comité d’état, avant que la flotte tout entière soit
purement et simplement mise sous réquisition générale
au début de 1918. Tous les navires, avec leur personnel,
passeront alors à la disposition du commissaire aux Transports.
Entre-temps, la crise du tonnage a été partiellement
résolue par la création d’une flotte d’état rassemblant les
nécessaires commandes de navires neufs ou d’occasions
achetés tant sur le marché international qu’auprès des
chantiers nationaux.
Mais, si nous avons évoqué les moyens engagés afin de
reprendre l’initiative aux U-Boote, encore faut-il préciser
que l’effort principal a été fourni par la marine marchande
avec la réquisition et la militarisation de la quasi-totalité
des chalutiers à vapeurs destinés à patrouiller le long des
routes maritimes, puis à engager l’ennemi à la première
occasion. Ici aussi, les équipages sont en partie mobilisés
avec le navire et resteront même parfois sous les ordres
de leur ancien commandant ; beaucoup d’autres chalutiers
vont être achetés à l’étranger et armés d’anciens marins
pêcheurs… Se rappelle-t-on alors que plusieurs centaines
d’inscrits maritimes combattent encore dans l’infanterie ?
En revanche, les métiers du commerce deviennent de
plus en plus dangereux car, depuis l’armement systématique des cargos, les U-Boote ne s’encombrent plus des
préliminaires qui avaient souvent permis aux équipages
apparemment inoffensifs d’évacuer à temps. Pressés de
toute part, ils torpillent maintenant sans préavis.
Mais les convois sont désormais escortés avec des
navires bien équipés. En quelque mois, la situation sera
renversée.
Canon de 138,6 mm installé
à bord d’un grand paquebot.
Il s’agit sans doute du Gallia.
Photo ECPAD
8
La marine marchande de 1914 à 1918
Introduction
9
entrée en guerre
L’
chapitre 1
La flotte marchande à l’entrée
en guerre
Au 1er janvier 1914, la flotte de commerce française
était évaluée à 2 447 734 tonneaux de jauge brute,
dont 1 745 204 tonneaux de vapeurs.
Parmi ceux-ci, les grands paquebots prennent une place
prépondérante dans la hiérarchie du transport maritime
du fait des grandes migrations humaines que le monde
a connu ces dernières années, tant vers l’Amérique que
vers les colonies. Mais, la marine marchande, pour sa plus
grande part, se constitue de navires de charge : cargos,
dont le modèle le plus répandu est le « tramp », qui
sillonne les mers avec des cargaisons les plus diverses :
minerais, ciment, fer, phosphates, grains etc. Certains navires sont cependant spécialisés, comme les charbonniers
qui, à l’aller, transportent les poteaux de bois de France
en Angleterre et le charbon au retour… puis les pétroliers, et enfin les frigorifiques, trop rares encore, et qui
bientôt manqueront à l’approvisionnement des armées.
On compte enfin 701 530 tonneaux de jauge brute de
voiliers :
- 400 000 tonneaux de voiliers long-courriers (150 grands
voiliers) ;
- 50 000 tonneaux de voiliers de transport (500 navires) ;
- 150 000 tonneaux de voiliers de pêche (1 600 navires).
Deux distinctions évidentes apparaissent encore dans
l’utilisation des transports commerciaux. Ainsi, toutes catégories confondues — vapeurs et voiliers —, 303 navires
sont armés au long cours et 1 001 armés au cabotage. Mais,
près du quart des longs courriers sont des voiliers et demeurent encore irremplaçables sur les lignes d’Amérique
où les chargements du nitrate et du blé dans des ports,
souvent mal outillés, imposent de longs stationnements
sur rade, inadmissibles pour les vapeurs.
La majorité de la flotte se répartit entre quelques
grandes compagnies. Ainsi, la Compagnie générale transatlantique, les Messageries maritimes et les Chargeurs
réunis détiennent à elles seules plus de 800 000 tonneaux,
tandis que sept autres compagnies régulières — dont
deux de grands voiliers : Bordes et la Société générale
d’armement — possèdent 395 000 tonneaux ; soit pour
ces dix compagnies 1 204 000 tonneaux.
Les 540 000 tonneaux restants se composent de petits
paquebots, de tramps, bateaux de pêche, chalutiers etc.
Or, à l’horizon du conflit, c’est sur les navires charbonniers
que vont se focaliser toutes les attentions du ministère
de la guerre. Cinquante-trois tramps sont alors réperto-
10
La marine marchande de 1914 à 1918
riés, répartis dans sept compagnies (Fernand Bouet, Les
Chargeurs de l’Ouest, la Compagnie Auxiliaire de Navigation, Leroux et Heuzey, Gaston Lamy et Cie, Delmas
Frères et Plisson et Cie).
Or, si depuis 1870 les forces armées françaises ont
su tirer les enseignements de la défaite et adaptés
constamment leurs stratégies aux évolutions diplomatiques, personne à ce jour, pas plus l’état-major général
que les ministères, n’a encore estimé les besoins du ravitaillement au cours d’une guerre qui se prolongerait, ne
serait-ce que quelques mois.
Il n’y eut cependant aucune négligence en ce domaine,
les enseignements des guerres précédentes ayant relayé
au second plan ce type de préoccupation. En effet, la
guerre de 1870 comme les guerres hispano-américaines,
russo-japonnaises et tous les conflits secondaires qui avait
surgi dans les trente dernières années avaient surtout attesté des immenses ressources que procuraient les affrètements de navires neutres.
Mais, c’était sans compter sur les nouvelles donnes économiques. À la veille de la guerre, les experts évaluent
déjà à plus d’un million par jour la « dîme du fret » qu’il
faut payer aux armateurs étrangers. C’est le prix de notre
dépendance maritime, conséquence d’une constante régression qui, en moins de trente ans, nous porte du deuxième au cinquième rang mondial. La marine marchande
française se trouve maintenant loin derrière l’Angleterre,
les États-Unis, l’Allemagne et la Norvège.
Malgré tout, un puissant effort avait été accompli
depuis huit ans par l’adoption de la loi des primes1 qui
permit d’augmenter le tonnage et de donner un nouvel
essor aux chantiers de construction maritime.
Trop tard, sans doute !
La mobilisation des capitaines
au long cours
La loi du 24 décembre 1896 avait soumis à un ordre
spécial du ministre de la Marine le rappel et la mobilisation des capitaines au long cours. Ce dernier a donc
libre disposition de ces officiers pour les attribuer soit à
la flotte de guerre soit à les maintenir dans leur service
actuel. Or, une troisième option va être retenue en autorisant les capitaines à prendre du service dans l’armée de
Terre parce que, d’une part, la Marine n’a pas besoin de
leurs services mais essentiellement parce qu’il convient
de les faire coopérer à la défense nationale.
Le paquebot mixte Anatolie de la compagnie
Paquet compte trente ans de service
lorsque éclate la guerre. Il avait déjà servi
de transport de troupes au moment de
l’expédition de Madagascar et sera bientôt
réquisitionné pour les besoins de l’armée
d’Orient (du 4 août 1915 au 10 juillet 1917).
Il se révèlera encore fort robuste, tant et si
bien que la compagnie le conservera jusqu’en
1927. Photo Marius Bar
La mobilisation des inscrits
maritimes d’août 1914 à mars 1915.
Pour l’heure, la mobilisation touche les marins d’une
manière bien différente que le reste de la population
française travaillant à terre, appelée aux armées sans
distinction pour le métier qu’ils remplissent dans la vie
civile. La seule analogie possible pourrait être faite avec
les cheminots maintenus sur leur machine. Les travailleurs
de la mer sont pour leur part gérés par l’inscription maritime, un régime couvrant tout autant le recrutement des
matelots que leur protection sociale (retraite, accident
du travail…) et qui, en l’occurrence, grâce à ses matricules
tenus au jour le jour assiste parfaitement le service maritime de la mobilisation. Les inscrits sont en effet assujettis
à servir dans l’armée de mer à partir de 18 ans.
L’inscription maritime
Mais quels sont en fait ces inscrits maritimes, jouissant
de privilèges remontant à Colbert, et que les gouvernements successifs, en ces débuts du vingtième siècle,
avaient sans succès essayé de réformer ! Considérons
cependant leurs dissemblances ; car s’ils vivent tous de
l’exploitation de la mer, chaque catégorie — du commerce ou de la pêche — a sa particularité et plus encore
son origine géographique.
La mobilisation
Les premières semaines du conflit semblent confirmer
l’hypothèse d’une guerre essentiellement terrestre et, en
attendant de nouvelles directives, les Armements maritimes suspendent le trafic et font rentrer les navires en
mer pour les désarmer. La mobilisation de la main-d’œuvre,
l’arrêt des transports par voie ferrée et la suspension de
la vie économique du pays leur imposent ce repli.
1 La loi des primes accorde 145 francs par tonnes de jauge brute
pour les coques de vapeurs destinés à des armements français. Le prix
de la construction passe ainsi à 300 francs par tonne et permettra aux
chantiers d’atteindre, dès 1912, une production maxima, et aux compagnies d’étoffer sensiblement leur flotte.
Chapitre 1 : L’entrée en guerre
11
Un grand voilier est amarré dans un bassin de Saint-Nazaire, prêt à décharger sa cargaison en provenance d’Amérique. Une grande partie du trafic
transatlantique est en effet assurée par les trois-mâts longs courriers. ECPAD.
Chez les marins du commerce, on trouve :
- Les marins « Longs courriers à voiles », qui proviennent
de certains ports du nord et surtout des quartiers populeux de Bretagne : Lannion, Binic et Dinan qui perpétuent
la tradition familiale ;
- Les « Longs courriers à vapeur », qui embarquent sur
les grands paquebots des lignes régulières et se recrutent
dans les grands ports commerciaux du Havre, de SaintNazaire, Bordeaux et Marseille ;
- Les « caboteurs », que l’on trouve surtout à Marseille
et en Corse. Ils naviguent sur les lignes de la Méditerranée ;
- Les « borneurs », qui composent les équipages des
remorqueurs et des transports côtiers.
En outre, on y trouvera encore nombre de gabarriers
effectuant les transports en rivière, notamment sur la
Gironde et la Dordogne où ce commerce est encore très
prospère.
Mais ce sont les marins pêcheurs qui forment la fraction
la plus forte de la population maritime. Avec :
- Les marins de la « Grande pêche » des bancs d’Islande
et de Terre-Neuve, originaires de Graveline et Fécamp
pour l’Islande ; Cancale, Saint-Malo, Saint-Servan et Paim-
12
La marine marchande de 1914 à 1918
pol pour Terre-Neuve. Ils effectuent une campagne d’été
chaque année, puis vivent généralement du labour pendant l’hiver ;
- Les équipages des chalutiers qui pratiquent la navigation hauturière depuis Dieppe, Fécamp, Lorient, La Rochelle et Arcachon pour les chalutiers à vapeur ; Groix, les
Sables-d’Olonne et La Rochelle pour les voiliers ;
- Les « petits pêchers » des quartiers du Nord : harenguier de Normandie et du Pas de Calais ; les pêcheurs bretons au maquereau ; les sardiniers d’Audierne, mais aussi
de Collioure etc.
Comme tous les marins le savent, les marins pêcheurs
se distinguent par un particularisme qui leur a toujours fait
répugner à naviguer au commerce. On ne peut juger pour
autant de leurs qualités de marin, mais les navigateurs hauturiers restent cependant — pour la Marine nationale —
une élite restreinte parmi cette population. Les dernières
statistiques, établies en 1911, les estimaient à 47 000 sur
190 000 inscrits. Malheureusement, il sera difficile au mois
d’août 14 de différencier les fiches — dites casiers de mobilisation — établies dans chaque quartier, qui négligèrent
de différencier les marins hauturiers, côtiers, pêcheurs ou
même simples traîneurs de filets en rivière !
Des fontes d’acier en provenance d’Amérique sont déchargés à Saint-Nazaire. ECPAD.
En 1914, leur nombre total est d’environ 121 500,
toutes catégories confondues, dont près de 85 000
devraient être disponibles pour le recrutement militaire
(où le sont déjà pour ceux qui effectuent leur service militaire).
Or, moins de 30 000 marins vont être incorporés dans
la Flotte ; en raison notamment du besoin restreint qu’en
a la Marine nationale, mais aussi de leur faible niveau de
qualification. Le monde des pêcheurs, par exemple, dans
lequel se recrutent le plus grand nombre des inscrits
possède des qualités d’endurance remarquable, mais
renferme une proportion considérable d’illettrés alors
que la Flotte demande pour le moins des compléments
d’équipages capables, sinon d’initiative, du moins de comprendre la manipulation des mécaniques modernes qui
équipent les cuirassés, torpilleurs et sous-marins2…
Les seuls marins réservistes — ils sont 12 000 environ —
vont donc suffire à compléter les effectifs des escadres
pour le temps de guerre. Le reste sera versé à la défense
du front de mer ou sera affecté à flotte auxiliaire pré2 Les bureaux du recrutement viennent d’ailleurs d’admettre que
plus de la moitié de ces conscrits pourraient sans inconvénients être
détournés vers le contingent terrestre.
vue au plan de réquisition : arraisonneurs, dragueurs de
mines auxiliaires etc. La création de régiments de fusiliers
marins et la formation des traditionnelles batteries de
canonniers marins qui s’étaient si bien illustrés en 1870 en
intégreront également une partie.
Le reliquat sera finalement abandonné à l’armée de
Terre, pour des raisons éthiques que nous avons abordées
au sujet des capitaines au long cours. L’article 2 de la loi
du 2 août 1913 sur la mobilisation prévoyait en effet que :
« Les inscrits maritimes placés dans la réserve de l’armée
de mer, qui se trouvent en excédent aux besoins de l’armée de mer, sont, quelle que soit leur classe ou spécialité,
versés dans l’armée de Terre. Ils sont soumis dans cette
armée aux mêmes obligations que leur classe de mobilisation ». Des marins pêcheurs de moins de trente ans seront
ainsi versés dans l’infanterie coloniale ! Puis, comme il
reste encore des matelots sans spécialité inutilisés dans
les dépôts, le ministère prescrira de les verser également
à l’infanterie de ligne… 6 000 cols bleus, souvent issu de la
marine marchande, vont ainsi endosser la capote et coiffer le képi.
En fait, la loi sur la mobilisation ne datant que d’un
an, l’état-major de la Marine n’avait pu établir un plan
Chapitre 1 : L’entrée en guerre
13
La coque du transatlantique Paris — visible au fond - restera en armement dans le port de Saint-Nazaire tout au long de la guerre. En premier plan de
cette photo, prise en décembre 1916, on aperçoit un cargo français en cours de déchargement puis, sur la droite, un navire grec encore retenu par la
France alors que le gouvernement de Vénizélos s’est déclaré en faveur de l’Alliance. ECPAD
méthodique. Il se trouve donc contraint à agir au mieux
des besoins immédiats, en collaboration étroite avec les
quartiers maritimes qui venaient à peine d’achever un
dernier recensement.
Quoi qu’il en soit, lorsque la guerre éclate, la Marine a
déjà évalué ses besoins et déterminé les classes à rappeler, mais avoue qu’elle ne sait pour l’instant quoi faire de
l’importante masse d’inscrits qui n’est pas encore concernée. On entrevoit cependant que certains pourraient
être bientôt nécessaires à une recrudescence du trafic
maritime… si la guerre durait !
Le ministère de la Marine a toutefois pris les précautions d’usage. Le 31 juillet, avant même que l’ordre de
mobilisation fût lancé, la rue Royale avait fait rappeler
individuellement un premier contingent. Puis avait adroitement freiné l’application de l’ordre de mobilisation
générale afin, d’une part, de ne pas désorganiser la flotte
marchande, et d’autre part éviter la congestion de ses
cinq dépôts. Seuls les inscrits des classes B et C — marins
au-dessus de 25 ans — et les affectés spéciaux avaient ainsi été appelés (renseignement, service du front de mer,
auxiliaires d’artillerie etc.).
Le 13 août, les gradés et brevetés des spécialités de
canonniers, fusiliers, timoniers, infirmiers et guetteurs
de la catégorie D — au-dessous de 30 ans — sont à leur
14
La marine marchande de 1914 à 1918
tour appelés. Le 26, un télégramme ministériel lève le
reste des inscrits de la catégorie D et certains gradés et
brevetés de la classe E — de 30 à 35 ans. Toutefois le
ministre eut soin d’en exclure les capitaines au long cours
et maîtres de cabotage, ainsi que leurs équipages, encore
utiles au service en mer.
Les deux catégories plus âgées ; F et G, avaient entretemps été mises à la disposition du ministre de l’Agriculture pour effectuer les moissons ; initiative apparemment
judicieuse, mais qui n’eut pas l’effet escompté et qui dû
être reportée quelques jours après…
Le 26 août, tous les effectifs sont complets, les dépôts
suffisamment garnis. La marine marchande n’en semble
pas pour autant affectée, mais son concours ne peut être
négligé : charbonniers et transports auxiliaires sont déjà
nécessaires à l’armée navale et le ravitaillement de la
population civile comme celui des armées ne peut être
longtemps suspendu. Une enquête est diligentée en ce
sens par l’état-major et confiée au contrôleur général
Thierry d’Argenlieu. Elle sera particulièrement instructive, notamment sur les laxismes ayant cours dans les
quartiers maritimes où l’on découvre nombre de faux
inscrits, ex-marins sans doute, mais aujourd’hui bouchers,
boulangers, employés de tramway… qui par on ne sait
quel subterfuge, continuent à figurer sur les matricules ;
d’autres naviguent effectivement, mais sans être pour
autant « utile au pays » suivant le terme même du décret
tels les pêcheurs des étangs salés, des rivières, les patrons
de pointus méditerranéens qui, comme le prétendent
certains inspecteurs, ne sortent qu’un jour sur trois ! Certains administrateurs, prenant à la lettre l’injonction ministérielle, se sont fondés sur la production effective et ont
levé sans pitié ceux qui n’apportaient pas sur les marchés
une quantité de poisson suffisante pour que l’on pût affirmer que leur industrie était « utile au pays ».
En revanche, on ne put qu’approuver le bon sens qui fit
reporter l’incorporation des harenguiers et des sardiniers
afin qu’ils achèvent leur saison… ainsi que les équipages de
chalutiers à vapeur dont l’utilisation est prévue comme
dragueur auxiliaire ou patrouilleurs.
Il en sortira finalement, une dépêche ministérielle (en
date du 22 décembre 1914) notifiant la situation des inscrits par rapport à leur devoir militaire :
« Tous les inscrits de 18 à 47 ans sont, en principe,
rappelés au service, à l’exception de ceux qui naviguent
effectivement sur des navires dont l’armement a été jugé
indispensable aux intérêts généraux du pays ».
Au final, la mobilisation est achevée au 1er mars 1915.
Les grands armements du commerce n’ont plus alors
à leur disposition que 20 000 inscrits, auquel il faut toutefois ajouter les non incorporables. Par ailleurs, nombre
de marins sont mobilisés à leur poste à bord des navires
réquisitionnés. On ne note cependant aucun affaissement notable des armements du commerce qui gardent
presque intact — à 10 % près — leurs navires en service…
Du moins jusqu’au second trimestre de 1915, date d’application du décret suivant lequel les réservistes inutilisés par la marine doivent être versés à la terre.
Seule la pêche avait jusqu’alors été durement touchée,
mais plus par la réquisition des chalutiers que par la mobilisation des gens de mer.
Toutefois, le constat ne satisfait que l’état-major de la
Marine. Il ne résistera pas aux critiques des compagnies
qui sont privées de leurs marins les plus jeunes et les plus
aptes.
Le plan de réquisitions
L’application du plan de réquisition, issu de la loi du
2 mai 1899 créant la flotte auxiliaire destinée à compléter les moyens de la Marine, ne va absorber qu’une
faible proportion des réservistes. Le désarmement des
bâtiments écoles, dont les cadres et les élèves ont grossi
les équipages de ligne, a généralement suffi pour libérer
les effectifs nécessaires afin d’armer les navires auxiliaires
militarisés.
Ceux-ci se répartissent comme suit :
- Rattachés aux Directions des Ports : remorqueurs,
citernes, etc. ;
- À la défense côtière : arraisonneurs ; dragueurs de
mines ;
- Rattachés aux escadres : croiseurs auxiliaires, transports de troupes, transports auxiliaires, ravitailleurs
en munitions, charbonniers et navires-hôpitaux.
Soit un total de plus de 150 unités importantes, plus 50
remorqueurs et 200 chalutiers.
Au début de 1915, ces armements auront absorbé
toutes les disponibilités de l’inscription maritime.
L’arrêt des chantiers
maritimes
Outil majeur de la vie maritime, les chantiers de
construction ne vont cependant pas bénéficier des avantages accordés à l’exploitation des sociétés maritimes
et leur personnel sera presque exclusivement mobilisé
par le département de la Guerre. Les constructions de
navires sont suspendues et, lorsque l’activité reprendra,
elle sera dirigée vers la production de munitions et la
fabrication de matériel de guerre pour l’armée. Les navires en cours vont être achevés pour certains, mais les
contrats récemment passés sont résiliés. Il n’y en aura pas
de nouveaux avant longtemps !
Ainsi, par exemple, au moment de la déclaration de
guerre, la Société des chantiers et ateliers de Saint-Nazaire a sur cale :
- À Saint-Nazaire : le pétrolier de 6 500 tonnes de port
Motricine ; le cuirassé Lorraine ; le paquebot Paris et un
cuirassé de 23 500 tonnes pour le compte de la Marine
hellénique.
- À Rouen : les cargos de 12 000 tonnes Ohio et Omnium ; le Jacques Fraissinet de 51 250 t ; le pétrolier
Meuse de 7 350 t et deux cargos pour le compte de la
Roumanie.
Seuls les bâtiments français seront achevés entre la fin
de l’année et 1916.
Aux Chantiers de la Loire, à Nantes, sur 1 500 à 1 600
salariés, 1 168 vont être mobilisés. Ils seront, comme
ailleurs, remplacés par des femmes et des travailleurs
étrangers.
Chapitre 1 : L’entrée en guerre
15
L’
année 1914
chapitre 2
Les premiers mois
de la guerre
Les premières semaines de guerre se caractérisent
par l’arrêt brutal des services commerciaux. De fait,
les longs courriers désarment dès leur arrivée au port.
On voit bientôt jusqu’à 32 cargos mouiller à Marseille
en attendant une place à quai alors que, par ailleurs, 23
navires stationnent au Verdon… Pour l’instant, le seul
souci de l’état-major se résume à faire passer le 19e corps
d’Afrique en Europe et à accueillir sur notre sol, dans les
meilleures conditions possibles, le corps expéditionnaire
britannique. Les quais de Rouen, du Havre, de Dieppe et
de Boulogne sont ainsi monopolisés, ne laissant plus guère
d’espace au trafic commercial.
Ainsi, tout aurait été parfaitement planifié si la guerre
avait duré trois mois !
Mais au bout de quelques semaines, force sera de
constater que l’offensive à outrance, tant proclamée
par les stratèges français, se transforme en guerre de
position. La France va, dès lors, avoir grand besoin de sa
marine marchande et va devoir anticiper sur la gestion
de son trafic avec de moyens de manutention accrus dans
ses ports, développer ses transports ferroviaires, mais
aussi et surtout se pourvoir d’une main-d’œuvre en
conséquence. Les colonies et les prisonniers allemands pourvoiront à ce dernier point ; pour le
reste, les chambres de commerces feront
suivant leurs moyens…
Enfin, l’État va devoir encadrer l’approvisionnement
du pays en rassurant les compagnies maritimes par une
couverture des risques de guerre ; Il se préoccupera
alors du ravitaillement en charbon, en blé et en viande,
mais également de toutes autres fournitures, aussi indispensables les uns que les autres, dont l’unique moyen de
livraison passe par le transport maritime. Finalement, le
seul secteur qui, en 1914 et 1915, n’ait nul besoin de l’accompagnement de l’État pour assurer la subsistance de la
population restera l’industrie de la pêche.
Les convois d’Afrique
du Nord
C’est le dimanche 26 juillet que les préfets maritime
de Méditerranée sont officiellement prévenus de l’état
de crise internationale provoqué par le récent conflit
austro-serbe. Officiers généraux et chefs de corps rallient
immédiatement leurs postes, tandis que les états-majors
et les bureaux maritimes finalisent le plan XVII de mobilisation et concentration des armées avec le transfert du
19e corps d’Afrique vers les ports de Marseille et de
Cette. Les divisions indigènes de Constantine, Bône
et Alger doivent ainsi venir renforcer au plus vite
les armées françaises aux frontières.
Le samedi 1er août, la dépêche de mobilisation générale parvient aux autorités locales :
elle sera effective le lendemain.
Il faudra cependant attendre le lendemain de la mobilisation — le 3 août — pour
que les vapeurs prévus pour cette mission
(parce qu’ils disposent de la TSF) soient
officiellement réquisitionnés. En fait,
l’acte que viennent de signer les compagnies avait été
auparavant négocié entre les services du commissariat de
la Marine et les armateurs suivant des décrets en date
du 2 août 1877 (révisés en mai 1900), sur la réquisition
militaire. Après un dernier décret en date du 31 juillet
dernier, l’acte conventionnel de « réquisition, en temps
de guerre, de vapeurs de commerce pour transport de
charbon, de matériel et de vivre, et, s’il y a lieu, de passagers » est donc paraphé en confiance pour un affrètement temporaire, bien qu’il manquât encore de précision
sur les valeurs du matériel, les frais d’exploitation et les
indemnités ! En revanche, l’État a pris la précaution de
garantir les risques de guerre — expressément stipulés.
De même, des primes sont proportionnelles au danger
encouru. Les modalités sont connues de longue date
et seront respectées : le navire demeurera sous l’autorité de son commandant, qui conserve pour l’heure son
équipage au complet (ce dernier n’étant pas soumis à la
mobilisation), mais sera pour la mission sous tutelle d’un
commissaire du gouvernement, embarqué et reçu « à la
table du Capitaine », qui lui transmettra par écrit ses instructions : qu’elles lui aient été dictées par ses chefs, ou
de sa propre responsabilité.
L’organisation militaire du transport avait également
été méticuleusement établie depuis plusieurs mois sinon
plusieurs années et une dépêche ministérielle secrète —
en date du 7 avril 1914 — en avait notifié les détails aux
états-majors et services concernés.
Il avait été prévu de déployer la division spéciale de
l’amiral Darrieus, forte d’un cuirassé et de six croiseurs
cuirassés, au sud des Baléares afin de prévenir une éventuelle sortie de la flotte austro-hongroise débouchant
de l’Adriatique. Pendant ce temps, l’armée navale du
vice-amiral Boue de Lapeyrère assurera le contrôle de
l’ensemble du bassin méditerranéen à l’ouest du détroit
de la Sicile.
Le croiseur de bataille allemand
Goeben, premier adversaire potentiel
de la marine marchande française,
aurait pu interférer dans les précieux
convois de troupes d’Afrique, tant
attendus du le front du Nord. La
Marine nationale ne dispose d’aucun
bâtiment comparable à lui opposer. Il
faillira pourtant à cette mission. On le
voit ici réfugié dans les eaux turques
après un étonnant jeu de cache-cache
avec les escadres alliées. Photo DR.
16
La marine marchande de 1914 à 1918
Or, la guerre n’est déclarée qu’entre la France et l’Allemagne. La flotte autrichienne, dont on ne doute pas de
son prochain engagement, est cependant localisée dans
ses ports et les Italiens viennent de déclarer leur neutralité. Le mouvement n’aurait donc été qu’un exercice
purement logistique sans la présence en Méditerranée
occidentale — en pleine zone de trafic — d’une division
allemande forte d’un puissant et rapide croiseur de bataille : le Gœben, accompagné du croiseur léger Breslau ;
présence sanctionnée, le 4 août, par les bombardements
de Bône et Philippeville. Quelques obus tombent dans le
port de Bône sans faire de dégâts notables puisque seuls
quelques éclats transpercent la coque d’un vapeur de la
SNO — le Saint-Thomas — sans toutefois l’endommager
sérieusement. À Philippeville, un obus touche la gare dans
laquelle de nombreux soldats sont déjà rassemblés, fait
exploser une caisse de cartouches, tuant ou blessant une
trentaine d’hommes, mais ne touche aucun des vapeurs
amarrés dans le port… puis les croiseurs s’éloignent sans
plus insister.
Cette première action de l’escadre allemande semble
ainsi prématurée, car nul ne doute dans le monde maritime qu’elle n’ait eu pour mission principale d’intercepter
ces troupes en mer ! Pourquoi donc l’amiral Souchon s’estil fait repérer pour si peu de résultat ? Sans doute pour
donner le change en attaquant successivement Bône et
Philippeville et convaincre ainsi les Français qu’il se dirige
maintenant vers Gibraltar alors qu’il prend résolument le
cap vers la Méditerranée orientale1.
Et, en effet, les deux allemands sont bientôt chassés au
large par des cuirassés britanniques, entravés toutefois
par le simple fait que la guerre n’est pas encore déclarée entre la couronne d’Angleterre et le Kaiser. Ils se
contentont donc pour l’instant de pister l’adversaire et
d’informer Paris… qui n’est d’ailleurs pas sans connaître la
situation, puisque Bizerte vient de rendre compte d’une
interception TSF, localisée dans les parages immédiats,
entre les navires allemands déjà identifiés et des postes
italiens de Sardaigne et de Sicile. L’affaire est d’autant
plus inquiétante que l’on suppose que les services allemands ont préposé des charbonniers aux Baléares et que,
rayonnant de cette base, ils pourront d’autant plus facilement chasser les convois. Mais toutes sortes de fausses
nouvelles circulent pareillement !
Entre-temps, et conformément à ses directives, la
1 Ce dernier n’est apparemment plus intéressé par le trafic français.
Il prend la direction la Turquie, qu’il croit, par sa seule présence, pouvoir
entraîner dans la guerre.
Chapitre 2 : l’année 1914
17
1re armée navale avait quitté Toulon le 3 août au petit
matin afin d’assurer, comme prévu, la sécurité des transports. Toutefois, l’organisation antérieure qui ne tenait
pas compte d’une intrusion ennemie dans le bassin occidental est modifiée.
Finalement l’armée est répartie en trois groupes et
directement dirigée sur les atterrages nord africains :
- Le groupe A, vers Philippeville (1re escadre, plus 1re
division légère : soit 5 cuirassés, 3 croiseurs cuirassés et
12 torpilleurs) ;
- Le groupe B, vers Alger (cuirassé hors rang Courbet
portant la marque du VA Boué de Lapeyrère, plus 2e
escadre et 2e division légère : soit 6 cuirassés, 3 croiseurs
cuirassés et 12 torpilleurs) ;
- Le groupe C, vers Oran (cuirassé hors rang Jauréguiberry et la division de complément : soit 5 cuirassés et
4 torpilleurs)
Les navires sont avertis de la déclaration de guerre par
radiotélégramme à 13 h 12. Le lendemain, dès 5 h 30, alors
qu’ils sont encore à 100 milles des côtes, ils reçoivent
l’avis des bombardements de Bône et Philippeville. Le
groupe le plus à l’est (groupe A) est alors détourné vers
l’ouest, dans l’espoir d’intercepter les deux Allemands
censés se diriger vers Gibraltar : sans résultat nous le
savons ! Cependant, alors qu’elle changeait de route, la
division d’éclairage du groupe est passée bien près de
l’ennemi, sans l’apercevoir…
Sur ces entrefaites, l’amiral Boué de Lapeyrère ordonne de différer les embarquements jusqu’à l’arrivée
de ses trois escadres à la vue des côtes africaines. De
même, il fait reporter la décision du conseil des ministres
qui avait demandé, conformément au plan XVII, de faire
appareiller les paquebots rapides — isolément — dès le
chargement achevé. Sans doute a-t-il jugé inopportun
d’appliquer à la lettre un plan trop rigide ne tenant aucun
compte de la situation concrète du moment, quitte à
retarder la mise en ligne de ces troupes impatiemment
attendues sur le front au moment décisif de la ruée allemande. Ainsi, le risque accepté par le département de la
guerre ne sera pas assumé par le ministère de la Marine…
Mais, lorsqu’il prend la mer, les hostilités ne sont pas encore déclarées et il n’appartient pas à l’amiral de prendre
la moindre décision pouvant influencer les négociations
diplomatiques en cours avant d’avoir reçu la déclaration
officielle de guerre. Cette dernière lui arrivera d’ailleurs
avec retard, mais quoi qu’il en soit, les Allemands ne
présenteront plus alors un danger pour les navires marchands, l’amiral Souchon abandonnant le secteur après
sa prestation dérisoire pour se diriger vers la Turquie. La
Marine française a raté l’interception. Persuadée que les
18
La marine marchande de 1914 à 1918
Ordre secret, signe du capitaine de vaisseau Sagot Duvauroux, chef
d’état-major de la 1re escadre, donnant les directive de formation et
de route du convoi de Philippeville. Il est polycopié à l’attention des
commandants de l’escorte. Document SHD Toulon.
deux navires allemands se dirigent sur Gibraltar, elle ne
tentera rien. Mais ce n’était pas là sa mission principale !
C’est donc Boué de Lapeyrère qui va prendre la responsabilité des transferts, transgressant les ordres du
gouvernement en retardant les appareillages jusqu’au
6 août afin de pouvoir en assurer la sécurité.
Composition des convois du 6 août
Convoi d’Oran : Hérault, Flandres, Duc de Bragance, Duc
d’Aumale, Sidi Brahim, Théodore Mante, Mansourah et
Aude.
1er convoi d’Alger : Mascara, Eugène Pereire, Savoie,
Charles Roux, Djurjura, Tafna et Timgad (total 7 300
hommes).
Convoi de Philippeville : Medjerda et Moulouya à Ajaccio.
Les ordres sont transmis le 5 août aux chefs d’escadres,
précisant tous les détails nécessaires, avec notamment le
mode des signaux de reconnaissances à employer.
Pour chaque bâtiment du convoi, un enseigne de vaisseau de 1re classe est désigné. Cet officier ne remplit ni
les fonctions de commissaire du gouvernement ni celle
de commandant d’arme. Il est seulement chargé d’assister le commandant du transport en lui donnant tous les
conseils relatifs à la navigation de conserve et sans feux
et organise le service des communications avec l’escorte,
aidé en cela par un quartier-maître breveté et deux timoniers. Ses fonctions s’étendont cependant à la discipline
de route : interdiction de fumer sur les ponts, respect du
silence, interdiction aux hommes de troupe de monter
sur les rambardes (aucune manœuvre ne pouvant être
tentée au cas où un homme tomberait à la mer), etc. et
peut éventuellement prendre le commandement du navire en cas d’attaque, après en avoir référé à l’officier le
plus ancien en grade embarqué sur le transport.
Enfin, les plans de route sont donnés pour la journée et
pour la nuit avec les codes correspondants.
Les signaux de reconnaissances seront, en l’occurrence,
conformes à l’Ordre n° 90 : pavillon B de la série internationale le jour et 3 fanaux hissés verticalement (rouge,
blanc, blanc), en tête de mât de misaine pour la nuit.
Convoi d’Oran (escorté par le groupe C)
L’appareillage du convoi s’effectue donc le 6, les
ordres successifs étant portés à proximité des paquebots par les quatre torpilleurs de l’escadre car, contrairement aux prescriptions du projet d’opération, la TSF
n’était pas installée sur tous les navires. Peu homogène,
ce convoi va devoir se traîner à la vitesse des navires les
plus lents, l’Aude et l’Hérault, qui ne peuvent donner plus
de 9 nœuds. D’autre part, les commandants qui n’ont pas
l’habitude de naviguer en groupe ont une fâcheuse tendance à laisser la ligne s’allonger, particulièrement de nuit.
Le convoi arrivera sur Sète le 7, vers midi.
Convoi d’Alger (escorté par le groupe B)
Il avait été prévu de former deux convois au départ
d’Alger, le premier appareillant le 5, le second le 8.
Dans la soirée du 5, les sept bâtiments du premier
convoi sortent du port et se rassemblent en grande rade
pour prendre leur poste avant le départ ; manœuvre
simple au demeurant, mais qui va s’effectuer avec une
telle lenteur que la nuit sera tombée avant que le dispositif ne soit organisé. Pour comble, la mise en route se fait
prématurément avec six paquebots que le contre-torpilleur Mameluck aura bien du mal à rattraper. Finalement,
convoi et convoyeurs sont formés au petit matin : les
navires de commerce au centre en deux colonnes, encadrés par une division de cuirassés à gauche et une autre
à droite, des croiseurs en éclairage sur l’avant. Les difficultés n’en sont pas terminées pour autant, les transmis-
sions s’avérant quasi-impossibles à assurer, faute — dans
ce convoi — d’avoir embarqué les timoniers. Les commandants font de leur mieux pour maintenir une vitesse
commune, sans toutefois y parvenir parfaitement. Mais,
dans ces conditions, toutes tentatives de changements
de routes se révèlent particulièrement fastidieuses !
Après avoir navigué au nord et passé entre Majorque
et Minorque, le convoi arrive finalement en vue des
côtes françaises au matin du 7. Les deux navires les plus
rapides : le Charles Roux et le Timgad, reçoivent alors
ordre de filer sur Sète avec les deux cuirassés de la 1re
division, ces derniers devant ensuite retourner sur Alger
pour prendre le deuxième convoi. Les bâtiments lents,
accompagnés des cuirassés Courbet et Condorcet, rallieront ensuite Toulon.
Convoi de Philippeville (escorté par le groupe A)
Seul le Medjerda étant prêt au moment du départ,
l’enseigne de vaisseau Carlini embarque avec le quartier-maître Le Noan et les timoniers Grignou et Krhun. Le
navire quitte le port et rejoint l’escadre, qui l’attend au
large.
La formation n° 1 dispose le convoi en ligne de file
avec le Diderot comme guide suivi du Danton et du
Michelet, précédant le Medjerda. L’Edgar Quinet, l’Ernest
Renan, le Mirabeau et le Voltaire fermeront la marche. La
formation n° 2 place le paquebot au milieu des croiseurs
cuirassés.
Au large des Sanguinaires, le Moulouya rallie la formation. L’Ernest Renan avait auparavant touché Ajaccio et
transféré l’enseigne et les timoniers.
2e convoi d’Alger
Le 2e convoi d’Alger devait être pris en charge le
8 août par la 1re division de la 2e escadre (Vérité, République, Patrie) et ces trois cuirassés rallièrent effectivement Alger à 16 nœuds depuis le cap Bear où ils avaient
laissé le convoi précédant. Ils vont être toutefois appelés de toute urgence sur Bizerte, laissant les transports
faire route sans escorte ; la situation en Méditerranée
occidentale ne la justifiait d’ailleurs plus.
On venait ainsi de faire passer deux divisions complètes, soit 35 000 hommes et 5 400 chevaux. Le commandant en chef peut télégraphier au ministre que, sauf
incidents, le transport des troupes d’Algérie sera terminé pour le 10. Il est optimiste puisqu’il faudra encore trois
jours de plus pour faire passer la totalité du corps, mais
avec des escortes bien moins importantes. La division de
complément et la division spéciale suffiront désormais
à la sécurité, le gros de l’armée navale étant envoyé sur
Malte pour bloquer la sortie de la mer Adriatique. Le
Chapitre 2 : l’année 1914
19
L’escadre des « Dantons », photographiée à Toulon lors des manœuvres de 1913.
Quatre de ces cuirassés vont former l’ossature du groupe A, destiné à l’escorte du
convoi de Philippeville, mais ils auraient eu bien du mal à s’opposer au Goeben.
Photo SHD, Toulon.
Le Président Raymond Poincarré sur la passerelle du Carthage. Il n’est élu que depuis
quelques mois. Les manœuvres navales l’ont vivement impressionné, d’autant que ses
formations juridiques et littéraires l’a tenu peu au fait des questions militaires. Mais
ses discours de politique étrangère sont fermes ; il fera bientôt prolonger le service
militaire à trois ans et sera à l’origine des accords d’états-majors franco-russes.
Photo SHD, Toulon.
Evolution de l’escadre avec le paquebot Carthage, illustration de ce que sera, dans
quelques mois, la réalité des convois d’Afrique du Nord. Photo SHD, Toulon.
20
La marine marchande de 1914 à 1918
Le croiseur cuirassé Jules Michelet. Photo SHD, Toulon.
Le paquebot Carthage de la Compagnie générale transatlantique, avait été
réquisitionné lors des grandes manœuvres de 1913. Sa fonction fut toutefois limitée
à l’accueil du président de la République à l’occasion de la revue navale. L’escorte de
convois civils ne figurait pas dans le programme des exercices, dédié cette année-là au
blocus naval. Photo SHD, Toulon.
Les contre-torpilleurs. Photo SHD, Toulon.
11 août, on apprendra que le Goeben et le Breslau étaient
arrivés la veille dans le détroit des Dardanelles…
Le 13, enfin, l’amiral CEC reçoit par télégramme l’avis
de la déclaration de guerre contre l’Autriche-Hongrie ;
avec la confirmation de ses instructions précédentes « Ne
vous occupez plus du transport des troupes d’Algérie ».
D’autre part, le transport d’une division marocaine2 devant embarquer à Casablanca avait également été prévu
par le plan XVII au moyen de bâtiments isolés ayant leur
point de déchargement à Bordeaux.
Le Migrelie appareille en conséquence le 3 au soir, suivi
le lendemain par le Ville de Tunis. Mais, de même qu’en
Méditerranée, les transports sont suspendus. L’incertitude sur la présence du Strasbourg dans l’Atlantique,
peut-être de deux autres croiseurs, et une fausse nouvelle donnant le départ d’un croiseur auxiliaire allemand
des Canaries reporte les prochains appareillages au
7 août, non plus isolés, mais désormais en convois escortés et dirigés sur Marseille. Trois vieux croiseurs réarmés à
Bizerte passent Gibraltar pour les couvrir : le Bruix, l’Amiral Charner et le Latouche Tréville. Ils vont assurer les
escortes en Atlantique — jusqu’à Gibraltar — afin de leur
éviter des rencontres fâcheuses.
Le premier de ces convois, celui de l’Iméréthie, est
protégé à compter du 16 août par le croiseur Latouche
Tréville. Comme prévu, les deux bâtiments se séparent
devant Gibraltar avec les traditionnels souhaits de
bonne route. Mais notons que le général commandant les
troupes embarquées sur le paquebot tint alors à faire une
déclaration plus éloquente :
« Le général, très touché du témoignage affectueux
du croiseur Latouche Tréville, remercie le commandant,
les officiers et l’équipage. Grâce au courage de notre
vaillante marine, la division arrivera sûrement à bon port
et prendra part à la bataille qui libérera la France et l’humanité du joug odieux de l’Allemagne ».
Ce même Latouche Tréville escortera encore le Martinique depuis Rabat jusqu’à Gibraltar (avec 1 100 tirailleurs
Tabor), pour repartir aussitôt pour Dakar chercher les paquebots Gascogne, Sallandouze de Lamornaix et Aquitaine. Le trajet Dakar/Casablanca se fait sous la menace
du paquebot armé Kaiser-Wilhelme-der-Grosse, signalé en
croisière sur ce parcours. Ainsi, la première menace sur
la flotte marchande en Atlantique est le fait d’un autre
navire marchand mystérieusement armé en croiseur auxiliaire alors qu’il était quelques jours auparavant en escale
2 Malgré la situation du Maroc, en cours de pacification, le résident
général avait admis l’envoi de 35 bataillons en France quitte à désarmer
la côte pour maintenir son effort dans les régions rebelles. Il conserve
cependant une majorité de troupes métropolitaines et recevra, en
contrepartie, environ 20 000 territoriaux.
9 décembre 1914. Embarquement à Alger d’un régiment de tirailleur algérien à bord du
paquebot La Marsa. Photo DR.
Le paquebot La Marsa photographié lors de son arrivée à Cette (Sete, aujourd’hui) avec
ses Zouaves à bord. Photo DR.
à New York. Ses premières victimes, le voilier Tubal Cain
— le 7 août — puis les cargos Kaipara et Myanga coulés
le 16 au large de Ténérife, auront été britanniques. Deux
autres bâtiments sous la Red-Enseign auront également
été interceptés, mais relâchés eu égard aux femmes et
enfants passagers à bord ; en ces premiers instants de
guerre, les usages de la guerre de course sont encore
ceux de l’ancien régime !
Le Kaiser-Wilhelme-der-Grosse sera finalement et heureusement intercepté et coulé par le croiseur britannique Highflyer.
Il faudra attendre le 13 août, après que la 9e escadre
de croiseurs anglais eut pris en main le contrôle de la
zone Maroc-Espagne, pour que le trafic direct vers les
ports de l’océan fut repris.
Chapitre 2 : l’année 1914
21
À la fin du mois d’août, les transports d’Afrique du nord
seront achevés et même complétés par une troisième division algérienne. Au 30 septembre, 31 bataillons d’infanterie, 5 batteries d’artillerie et 3 escadrons de cavaleries
auront été transférés depuis le Maroc vers la Métropole.
Au total, 89 navires auront transporté 49 000 hommes
et 11 800 chevaux sans une seule perte. Les compagnies
en seront félicitées par l’État, notamment pour leurs
efficaces coopérations. Elles recouvreront la presque
totalité des paquebots, la Marine conservant cependant quelques grands transatlantiques avec projet de les
transformer, ultérieurement, en croiseurs auxiliaires.
D’autres courriers ralliant la métropole avec des Français mobilisables à bord vont encore apporter leurs lots
de soldats, tel le Chili de la compagnie des Messageries
maritimes qui quitte Port-Saïd le 13 août, « dans l’enthousiasme général » précisera-t-on. Mais la plus étonnante
anecdote de ces premiers jours du mois d’août revient
sans doute au paquebot Phrygie de la compagnie Paquet
qui, faisant route de la mer Noire sur Marseille croise le
7 août, en mer de Marmara, le fameux croiseur de bataille
allemand Goeben.
« Montrez vos couleurs », ordonne alors l’Allemand
tandis que la tourelle avant pivote pour aligner les deux
pièces de 28 cm sur le malheureux paquebot. Mais, poursuivant sa route, le cuirassé croise, puis passe sans autre
manifestation. On aperçoit enfin depuis le bord, les canons reprendre leur position axiale. Ce sera bientôt au
Breslau de venir reconnaître le pavillon français, mais passera également sa route sans intervenir.
Le commandant du Phrygie notera dans ses souvenirs :
« Jusqu’à la tombée du jour, face à l’arrière sur la passerelle, j’ai veillé la fumée du Breslau s’éloignant dans
l’est. Nous ignorions alors que les deux navires allemands
étaient poursuivis par l’escadre anglaise dans leur fuite
vers Constantinople où ils étaient attendus et qu’ils
avaient mieux à faire que de s’attarder à couler la Phrygie
et ses 400 passagers ».
Transport de l’armée anglaise
en France
Une série de carte-postale commémore l’arrivée des troupes britanniques en France, à
Nantes également où les postes à quai sont déjà surchargés. Photo DR.
Ce paquebot britannique, transport de troupes, atterrit au milieu d’un intense trafic.
Du 9 au 23 août, le corps expéditionnaire anglais est transporté sans encombre, aucune
croisière allemande de surface ou sous-marine n’étant parvenu à percer le dispositif
allié en Manche et mer du Nord. Par la suite, l’entretien de l’armée anglaise fera encore
l’objet d’un trafic constant. Photo DR.
22
La marine marchande de 1914 à 1918
Comparée au transport des troupes d’Afrique du
Nord, cette opération, purement britannique, paraît
nettement plus risquée car elle couvre le transfert de
150 000 hommes dans un secteur proche des forces principales ennemies, sur un parcours toutefois plus réduit.
L’axe principal est celui de Southampton-Le Havre, avec
détournement possible sur Rouen et Boulogne. L’opération se déroule du 9 au 23 août, assurée par la seule
marine marchande britannique et se déroule finalement
sans encombre. Les débarquements commencent le 9
au Havre et le 12 à Boulogne. Ce dernier port sera d’ailleurs plus particulièrement apprécié des Britanniques qui
en rendront compte dans un rapport : « Cette opération
est conduite de façon remarquable, et l’outillage si puissant de la Chambre de commerce de Boulogne sur les
quais du bassin Loubet est si apprécié qu’une partie des
transports qui devaient se diriger sur Le Havre et Rouen
a été déroutée sur Boulogne ».
Contrairement aux options adoptées en Méditerranée,
les transferts se font isolément, sans escortes directes,
mais avec la protection éloignée de la grande flotte britannique et un sérieux bouclage de l’entrée ouest de la
Manche.
Par la suite, l’entretien de l’armée anglaise fera l’objet
d’un trafic constant. Les navires transportant du matériel passeront toujours isolément et les transports de
troupes sous escorte sans subir, non plus, de perte notable. Nantes et Saint-Nazaire accueilleront également
des grands courriers britanniques chargés de troupes.
Notons qu’en Méditerranée également, des convois
britanniques transportant des troupes indiennes seront
escortés par la Marine française de Port-Saïd à Marseille.
Suspension et reprise du trafic
Aux premiers jours de la guerre, rien n’ayant été prévu
pour le maintien des lignes en temps de guerre, les longs
courriers désarment au fur et à mesure de leurs entrés
au port. Aux approches Atlantique, tous les navires marchands français sont arrêtés dans les ports espagnols et
portugais. De même, les services postaux sont suspendus
sur ordre de l’amiral Moreau, chef d’état-major de la Marine, qui réquisitionne d’ailleurs les grands courriers de la
Méditerranée pour servir de croiseurs auxiliaires.
Pour les paquebots en provenance d’Extrême Orient,
la situation sera cependant plus compliquée. Ainsi, courant septembre, quatre paquebots en provenance
d’Indochine sont l’enjeu de dépêches virulentes entre la
Colonie, qui demande à la Marine de prendre en charge
la direction de leur traversée, et l’état-major qui taxe
l’administration coloniale de laxiste…
On va bientôt voir s’entasser jusqu’à trente-deux cargos, mouillant devant Marseille en attente d’une place
à quai et vingt-trois navires stationnant au Verdon. Or,
seules les compagnies pourraient être tenues responsables de ces embouteillages, le ministère ayant laissé
les navires de commerce non retenus par les réquisitions
libres de voyager à leurs risques. Bien que la présence de
croiseurs allemands en Atlantique ne représentât qu’une
faible menace, elle avait suffi pour faire monter les taux
des primes d’assurance à des hauteurs exagérées, et ainsi
dissuader les armateurs.
Pour le reste, les lignes côtières sont également suspendues, mais faute seulement de passagers et de frets.
Le seul souci des états-majors se résume alors à faire
passer le 19e corps d’Afrique en Europe et à accueillir sur
notre sol, dans les meilleures conditions possibles, le corps
expéditionnaire britannique. Les quais de Rouen, du Havre,
de Dieppe et de Boulogne sont ainsi monopolisés, ne laissant plus guère d’espace au trafic commercial.
L’Aquitaine de la SGTM est amarré dans le vieux port de Marseille comme hôpital
auxiliaire. Photo collection Alain Croce.
Les premières réquisitions
pour les besoins de l’État
La flotte marchande immobilisée dans les ports de
métropole au cours des premières semaines de la guerre
va rapidement être convoitée par certains départements de la Marine et même par d’autres ministères qui
aimeraient profiter des privilèges de la Marine nationale :
pour des approvisionnements spécialisés (exemple : fabrication des munitions), le service des émigrants, les missions et les courriers diplomatiques, etc. Beaucoup vont
réclamer et obtenir le droit d’utiliser pour leur compte,
le plus souvent pour un voyage déterminé, tel navire
marchand saisi par le moyen de la réquisition. Ainsi, le
département de la guerre va-t-il réquisitionner les cargos
Amiral Hamelin, Caravellas, Malte des Chargeurs réunis,
et le Quevilly de la Société anonyme de Quevilly. Enfin, le
Mont Viso de la SGTM sera requis le 10 septembre pour
charger à Philippeville une cargaison de blé nécessaire au
ravitaillement de l’Armée.
Un autre type de réquisition, plus inhabituel, va également s’avérer judicieux lorsqu’il faudra trouver des
hôpitaux auxiliaires pour les milliers de blessés et convalescents qui encombrent les établissements hospitaliers
depuis la bataille de la Marne. L’administration de la santé
demande alors que lui soient alloués quelques paquebots
inutilisés à Marseille ; Les compagnies Paquet et SGTM
vont ainsi proposer respectivement le Doukkala, le Tibet
et l’Aquitaine, amarrés au vieux port, servant d’annexe à
l’Hôtel-Dieu.
Toutefois, ces procédés peu orthodoxes ne perdureront que quelques mois, jusqu’en 1915, date à laquelle
la Marine centralisera sous son autorité toutes les réquisitions.
Chapitre 2 : l’année 1914
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