Pour feuilleter quelques pages, cliquer ici
Transcription
Pour feuilleter quelques pages, cliquer ici
Marc Saibène marine marchande La 1914 1918 de à L’approvisionnement de la métropole et des armées en guerre © Infomer, 2011 13, rue du Breil CS 46305 35063 Rennes Cedex - France Toute reproduction ou traduction, même partielle de cet ouvrage, est soumise à l’autorisation écrite de l’éditeur. Le texte n’engage pas la responsabilité de l’éditeur. française Sommaire INTRODUCTION ..............................................................................................p 8 Chapitre 1 : L’entrée en guerre Chapitre 3 : L’année 1915 Chapitre 4 : L’année 1916 LA FLOTTE MARCHANDE À L’ENTRÉE EN GUERRE .....p 10 LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE .......................p 40 Les communications avec la Russie Les attentats LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE .......................p 68 Achat de tonnage Le comité des transports maritimes Les communications avec la Russie LA MOBILISATION .....................................................................................p 10 La mobilisation des capitaines au long cours La mobilisation des inscrits maritimes L’inscription maritime LA PÊCHE............................................................................................................p 44 La pêche à Terre-Neuve La pêche hauturière LE PLAN DE RÉQUISITIONS ..............................................................p 15 L’ARRÊT DES CHANTIERS MARITIMES ..................................p 15 Chapitre 2 : L’année 1914 LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE ........................................p 16 LES CONVOIS D’AFRIQUE DU NORD ....................................p 16 Composition des convois du 6 août TRANSPORT DE L’ARMÉE ANGLAISE EN FRANCE ......p 22 SUSPENSION ET REPRISE DU TRAFIC.......................................p 23 Les premières réquisitions pour les besoins de l’État La reprise du trafic La marine marchande indisciplinée LES SAISIES DE NAVIRES ALLEMANDS................................p 28 LES RÉQUISITIONS POUR LES BESOINS DE LA FLOTTE .....p 30 Les croiseurs auxiliaires Les navires-hôpitaux Les dragueurs et arraisonneurs auxiliares Les auxiliaires des Directions portuaires Les transports auxiliaires de la flotte LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..................................................p 45 Réquisitions et expéditions extérieures Les transports Les navires-hôpitaux Les croiseurs auxiliaires Les transports de munitions Le groupe Goliath-Shamrock Les chalutiers patrouilleurs Les bâtiments non militarisés opérant en Méditerranée Militarisation de l’ensemble des navires requis La perte du Carthage Le sabordage du Saghalien et du River Clyde LA GUERRE SOUS-MARINE ...............................................................p 53 La guerre sous-marine s’étend en Méditerranée La mise en place des dispositifs d’alerte par TSF L’amélioration des moyens de sauvetage L’armement des navires de commerce Mise en place des commissions d’enquêtes Les forces de protection Pertes et événements marquants LA PÊCHE............................................................................................................p 72 La campagne de Terre-Neuve La pêche hauturière La guerre à la pêche LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..................................................p 73 De nouveaux croiseurs auxiliaires La saisie de transports étrangers Les escadrilles de patrouilles Les navires hôpitaux Situation des officiers issus de la marine marchande LA GUERRE SOUS-MARINE ...............................................................p 76 L’évolution de la TSF à bord des navires L’armement des navires de commerce Le renforcement de l’artillerie La guerre des mines LES FORCES DE PROTECTION .......................................................p 82 Le programme du 10 juin L’aviation maritime Les bateaux pièges Pertes et événements marquants JANVIER À DÉCEMBRE ............................................................p 86 à 99 JANVIER À DÉCEMBRE ............................................................p 60 à 67 LES AFFRÈTEMENTS POUR LE RAVITAILLEMENT EN CHARBON ....................................................................................................p 34 LA PÊCHE............................................................................................................p 35 Les premières campagnes de la guerre Pertes et événements marquants AOÛT À DÉCEMBRE ...................................................................p 36 à 39 4 La marine marchande de 1914 à 1918 Sommaire 5 Sommaire Chapitre 5 : L’année 1917 Chapitre 6 : L’année 1918 LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE ...................p 100 La raréfaction du tonnage Utilisation de navires étrangers Les grands voiliers exclus des eaux métropolitaines Organisation du sous-secrétariat d’état aux transports maritmes Les américains débarquent LE RAVITAILLEMENT DE LA MÉTROPOLE ...................p 152 La réquisition générale de la marine marchande Toujours la question du tonnage… L’afflux américain LA PÊCHE........................................................................................................p 105 La campagne de Terre-Neuve La pêche hauturière LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..............................................p 106 Les navires hôpitaux en accusation Les communications avec la Russie LA GUERRE SOUS-MARINE ...........................................................p 109 L’armement des navires de commerce L’armement des bateaux grecs Création des centres d’armement militaires des bâtiments de commerce Peinture et camouflage des navires Les forces de protection De nouveaux programmes pour la lutte contre les sous-marins Les premiers convois Pérennisation des convois Les opérations de protection indirecte Création de la direction générale de la guerre sous-marine (DGGSM) La guerre des mines Les bateaux pièges LA PÊCHE........................................................................................................p 155 La campagne de Terre-Neuve La pêche hauturière LES EXPÉDITIONS EXTÉRIEURES ..............................................p 156 LA GUERRE SOUS-MARINE ...........................................................p 157 L’armement des navires de commerce Le camouflage Polémique sur le camouflage Les forces de protection Convois côtiers Convois au large Protection des pêches Les patrouilles aériennes Pertes et événements marquants JANVIER À NOVEMBRE ...................................................p 166 à 177 ÉPILOGUE ........................................................................................................p 178 BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................p 180 INDEX DES NOMS DE NAVIRES ...............................................p 182 Pertes et événements marquants REMERCIEMENTS ....................................................................................p 192 JANVIER À DÉCEMBRE .....................................................p 122 à 151 6 La marine marchande de 1914 à 1918 Sommaire 7 Introduction « On ne peut, sans la mer, soutenir la guerre » : la formule est de Richelieu et ne fut jamais aussi bien adaptée qu’entre 1915 et 1918 où le rôle principal sur mer n’est plus donné aux cuirassés, mais aux cargos, dont les missions d’approvisionnement et de ravitaillement l’emportent sur toutes autres contingences. Et pour cause, les effets de l’industrialisation ont, depuis quelques décennies, lié les productions aux matières premières qui doivent souvent être importées d’outre-mer. On connut, en corollaire, une impressionnante expansion du transport maritime qui se traduisit, moins de vingt ans auparavant, par la généralisation des constructions navales métalliques et la prépondérance de la vapeur. Les conditions de guerre navale en sont métamorphosées. Bientôt, l’Allemagne ne cherche plus à disputer la maîtrise des mers, mais répond au blocus de surface que lui imposent les Alliés par un blocus sous-marin dirigé contre leurs approvisionnements et leurs transports de troupes. C’est ainsi que cette flotte marchande, négligée dans les premiers mois de la guerre, se retrouve aux premières lignes, armée par des équipages trop hâtivement qualifiés de médiocres. Les marins les plus jeunes et les mieux formés ont, en effet, été mobilisés, et il ne reste aux compagnies qu’environ 50 % des capitaines au long cours et des officiers mécaniciens. Tous ces hommes vont néanmoins admirablement subir le choc d’un affrontement sournois, alors que la navigation en convois et en routes patrouillées ne laisse même plus l’illusion de la sécurité. Le ministère ne reste pas indifférent au sort des marins non combattants, souvent âgés, mais la nation entière est en guerre, et les marins ont un rôle essentiel à y jouer. À compter de 1915, chaque mois annonce la perte de plusieurs navires français, et plus encore de navires alliés ; jusqu’aux terribles mois de 1917 où l’Allemagne décrète la guerre sous-marine sans restriction : Janvier, 52 navires français coulés ; février, 39 ; mars, 66… Le tonnage national se raréfie au fil des mois en des proportions toutes aussi dramatiques que pour les Britanniques… sinon pire ! L’Entente est un moment mise en péril ! et l’on devra finalement aux actions énergiques du nouveau ministère Clemenceau de surmonter cette grave crise. Les amirautés françaises, britanniques et américaines (enfin venues à la rescousse), vont dès lors redoubler d’activité, adoptant des armes et des engins nouveaux — notamment la grenade anti-sous-marine et le détecteur acoustique. Des méthodes nouvelles également. Le nombre des patrouilleurs va s’accroître considérablement, ainsi que les avions, les dirigeables etc : la chasse aux U-Boote devient une priorité nationale. Enfin, la Marine arme les bâtiments de commerce avec toutes les pièces disponibles, du 47 mm au 90 de côte. On voit alors arriver quelques marins canonniers dans les équipages civils, s’associant enfin dans la communion du combat. Un service de l’armement militaire des bâtiments de commerce, est créé dans chacun des grands ports de la métropole. Il se charge également du camouflage. En corollaire, le contrôle de l’État se fait de plus en plus étroit, tant sur le fret que sur l’utilisation de la flotte. Chargements et itinéraires, qui étaient jusque-là seulement réglementés, vont passer sous les ordres directs d’un comité d’état, avant que la flotte tout entière soit purement et simplement mise sous réquisition générale au début de 1918. Tous les navires, avec leur personnel, passeront alors à la disposition du commissaire aux Transports. Entre-temps, la crise du tonnage a été partiellement résolue par la création d’une flotte d’état rassemblant les nécessaires commandes de navires neufs ou d’occasions achetés tant sur le marché international qu’auprès des chantiers nationaux. Mais, si nous avons évoqué les moyens engagés afin de reprendre l’initiative aux U-Boote, encore faut-il préciser que l’effort principal a été fourni par la marine marchande avec la réquisition et la militarisation de la quasi-totalité des chalutiers à vapeurs destinés à patrouiller le long des routes maritimes, puis à engager l’ennemi à la première occasion. Ici aussi, les équipages sont en partie mobilisés avec le navire et resteront même parfois sous les ordres de leur ancien commandant ; beaucoup d’autres chalutiers vont être achetés à l’étranger et armés d’anciens marins pêcheurs… Se rappelle-t-on alors que plusieurs centaines d’inscrits maritimes combattent encore dans l’infanterie ? En revanche, les métiers du commerce deviennent de plus en plus dangereux car, depuis l’armement systématique des cargos, les U-Boote ne s’encombrent plus des préliminaires qui avaient souvent permis aux équipages apparemment inoffensifs d’évacuer à temps. Pressés de toute part, ils torpillent maintenant sans préavis. Mais les convois sont désormais escortés avec des navires bien équipés. En quelque mois, la situation sera renversée. Canon de 138,6 mm installé à bord d’un grand paquebot. Il s’agit sans doute du Gallia. Photo ECPAD 8 La marine marchande de 1914 à 1918 Introduction 9 entrée en guerre L’ chapitre 1 La flotte marchande à l’entrée en guerre Au 1er janvier 1914, la flotte de commerce française était évaluée à 2 447 734 tonneaux de jauge brute, dont 1 745 204 tonneaux de vapeurs. Parmi ceux-ci, les grands paquebots prennent une place prépondérante dans la hiérarchie du transport maritime du fait des grandes migrations humaines que le monde a connu ces dernières années, tant vers l’Amérique que vers les colonies. Mais, la marine marchande, pour sa plus grande part, se constitue de navires de charge : cargos, dont le modèle le plus répandu est le « tramp », qui sillonne les mers avec des cargaisons les plus diverses : minerais, ciment, fer, phosphates, grains etc. Certains navires sont cependant spécialisés, comme les charbonniers qui, à l’aller, transportent les poteaux de bois de France en Angleterre et le charbon au retour… puis les pétroliers, et enfin les frigorifiques, trop rares encore, et qui bientôt manqueront à l’approvisionnement des armées. On compte enfin 701 530 tonneaux de jauge brute de voiliers : - 400 000 tonneaux de voiliers long-courriers (150 grands voiliers) ; - 50 000 tonneaux de voiliers de transport (500 navires) ; - 150 000 tonneaux de voiliers de pêche (1 600 navires). Deux distinctions évidentes apparaissent encore dans l’utilisation des transports commerciaux. Ainsi, toutes catégories confondues — vapeurs et voiliers —, 303 navires sont armés au long cours et 1 001 armés au cabotage. Mais, près du quart des longs courriers sont des voiliers et demeurent encore irremplaçables sur les lignes d’Amérique où les chargements du nitrate et du blé dans des ports, souvent mal outillés, imposent de longs stationnements sur rade, inadmissibles pour les vapeurs. La majorité de la flotte se répartit entre quelques grandes compagnies. Ainsi, la Compagnie générale transatlantique, les Messageries maritimes et les Chargeurs réunis détiennent à elles seules plus de 800 000 tonneaux, tandis que sept autres compagnies régulières — dont deux de grands voiliers : Bordes et la Société générale d’armement — possèdent 395 000 tonneaux ; soit pour ces dix compagnies 1 204 000 tonneaux. Les 540 000 tonneaux restants se composent de petits paquebots, de tramps, bateaux de pêche, chalutiers etc. Or, à l’horizon du conflit, c’est sur les navires charbonniers que vont se focaliser toutes les attentions du ministère de la guerre. Cinquante-trois tramps sont alors réperto- 10 La marine marchande de 1914 à 1918 riés, répartis dans sept compagnies (Fernand Bouet, Les Chargeurs de l’Ouest, la Compagnie Auxiliaire de Navigation, Leroux et Heuzey, Gaston Lamy et Cie, Delmas Frères et Plisson et Cie). Or, si depuis 1870 les forces armées françaises ont su tirer les enseignements de la défaite et adaptés constamment leurs stratégies aux évolutions diplomatiques, personne à ce jour, pas plus l’état-major général que les ministères, n’a encore estimé les besoins du ravitaillement au cours d’une guerre qui se prolongerait, ne serait-ce que quelques mois. Il n’y eut cependant aucune négligence en ce domaine, les enseignements des guerres précédentes ayant relayé au second plan ce type de préoccupation. En effet, la guerre de 1870 comme les guerres hispano-américaines, russo-japonnaises et tous les conflits secondaires qui avait surgi dans les trente dernières années avaient surtout attesté des immenses ressources que procuraient les affrètements de navires neutres. Mais, c’était sans compter sur les nouvelles donnes économiques. À la veille de la guerre, les experts évaluent déjà à plus d’un million par jour la « dîme du fret » qu’il faut payer aux armateurs étrangers. C’est le prix de notre dépendance maritime, conséquence d’une constante régression qui, en moins de trente ans, nous porte du deuxième au cinquième rang mondial. La marine marchande française se trouve maintenant loin derrière l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne et la Norvège. Malgré tout, un puissant effort avait été accompli depuis huit ans par l’adoption de la loi des primes1 qui permit d’augmenter le tonnage et de donner un nouvel essor aux chantiers de construction maritime. Trop tard, sans doute ! La mobilisation des capitaines au long cours La loi du 24 décembre 1896 avait soumis à un ordre spécial du ministre de la Marine le rappel et la mobilisation des capitaines au long cours. Ce dernier a donc libre disposition de ces officiers pour les attribuer soit à la flotte de guerre soit à les maintenir dans leur service actuel. Or, une troisième option va être retenue en autorisant les capitaines à prendre du service dans l’armée de Terre parce que, d’une part, la Marine n’a pas besoin de leurs services mais essentiellement parce qu’il convient de les faire coopérer à la défense nationale. Le paquebot mixte Anatolie de la compagnie Paquet compte trente ans de service lorsque éclate la guerre. Il avait déjà servi de transport de troupes au moment de l’expédition de Madagascar et sera bientôt réquisitionné pour les besoins de l’armée d’Orient (du 4 août 1915 au 10 juillet 1917). Il se révèlera encore fort robuste, tant et si bien que la compagnie le conservera jusqu’en 1927. Photo Marius Bar La mobilisation des inscrits maritimes d’août 1914 à mars 1915. Pour l’heure, la mobilisation touche les marins d’une manière bien différente que le reste de la population française travaillant à terre, appelée aux armées sans distinction pour le métier qu’ils remplissent dans la vie civile. La seule analogie possible pourrait être faite avec les cheminots maintenus sur leur machine. Les travailleurs de la mer sont pour leur part gérés par l’inscription maritime, un régime couvrant tout autant le recrutement des matelots que leur protection sociale (retraite, accident du travail…) et qui, en l’occurrence, grâce à ses matricules tenus au jour le jour assiste parfaitement le service maritime de la mobilisation. Les inscrits sont en effet assujettis à servir dans l’armée de mer à partir de 18 ans. L’inscription maritime Mais quels sont en fait ces inscrits maritimes, jouissant de privilèges remontant à Colbert, et que les gouvernements successifs, en ces débuts du vingtième siècle, avaient sans succès essayé de réformer ! Considérons cependant leurs dissemblances ; car s’ils vivent tous de l’exploitation de la mer, chaque catégorie — du commerce ou de la pêche — a sa particularité et plus encore son origine géographique. La mobilisation Les premières semaines du conflit semblent confirmer l’hypothèse d’une guerre essentiellement terrestre et, en attendant de nouvelles directives, les Armements maritimes suspendent le trafic et font rentrer les navires en mer pour les désarmer. La mobilisation de la main-d’œuvre, l’arrêt des transports par voie ferrée et la suspension de la vie économique du pays leur imposent ce repli. 1 La loi des primes accorde 145 francs par tonnes de jauge brute pour les coques de vapeurs destinés à des armements français. Le prix de la construction passe ainsi à 300 francs par tonne et permettra aux chantiers d’atteindre, dès 1912, une production maxima, et aux compagnies d’étoffer sensiblement leur flotte. Chapitre 1 : L’entrée en guerre 11 Un grand voilier est amarré dans un bassin de Saint-Nazaire, prêt à décharger sa cargaison en provenance d’Amérique. Une grande partie du trafic transatlantique est en effet assurée par les trois-mâts longs courriers. ECPAD. Chez les marins du commerce, on trouve : - Les marins « Longs courriers à voiles », qui proviennent de certains ports du nord et surtout des quartiers populeux de Bretagne : Lannion, Binic et Dinan qui perpétuent la tradition familiale ; - Les « Longs courriers à vapeur », qui embarquent sur les grands paquebots des lignes régulières et se recrutent dans les grands ports commerciaux du Havre, de SaintNazaire, Bordeaux et Marseille ; - Les « caboteurs », que l’on trouve surtout à Marseille et en Corse. Ils naviguent sur les lignes de la Méditerranée ; - Les « borneurs », qui composent les équipages des remorqueurs et des transports côtiers. En outre, on y trouvera encore nombre de gabarriers effectuant les transports en rivière, notamment sur la Gironde et la Dordogne où ce commerce est encore très prospère. Mais ce sont les marins pêcheurs qui forment la fraction la plus forte de la population maritime. Avec : - Les marins de la « Grande pêche » des bancs d’Islande et de Terre-Neuve, originaires de Graveline et Fécamp pour l’Islande ; Cancale, Saint-Malo, Saint-Servan et Paim- 12 La marine marchande de 1914 à 1918 pol pour Terre-Neuve. Ils effectuent une campagne d’été chaque année, puis vivent généralement du labour pendant l’hiver ; - Les équipages des chalutiers qui pratiquent la navigation hauturière depuis Dieppe, Fécamp, Lorient, La Rochelle et Arcachon pour les chalutiers à vapeur ; Groix, les Sables-d’Olonne et La Rochelle pour les voiliers ; - Les « petits pêchers » des quartiers du Nord : harenguier de Normandie et du Pas de Calais ; les pêcheurs bretons au maquereau ; les sardiniers d’Audierne, mais aussi de Collioure etc. Comme tous les marins le savent, les marins pêcheurs se distinguent par un particularisme qui leur a toujours fait répugner à naviguer au commerce. On ne peut juger pour autant de leurs qualités de marin, mais les navigateurs hauturiers restent cependant — pour la Marine nationale — une élite restreinte parmi cette population. Les dernières statistiques, établies en 1911, les estimaient à 47 000 sur 190 000 inscrits. Malheureusement, il sera difficile au mois d’août 14 de différencier les fiches — dites casiers de mobilisation — établies dans chaque quartier, qui négligèrent de différencier les marins hauturiers, côtiers, pêcheurs ou même simples traîneurs de filets en rivière ! Des fontes d’acier en provenance d’Amérique sont déchargés à Saint-Nazaire. ECPAD. En 1914, leur nombre total est d’environ 121 500, toutes catégories confondues, dont près de 85 000 devraient être disponibles pour le recrutement militaire (où le sont déjà pour ceux qui effectuent leur service militaire). Or, moins de 30 000 marins vont être incorporés dans la Flotte ; en raison notamment du besoin restreint qu’en a la Marine nationale, mais aussi de leur faible niveau de qualification. Le monde des pêcheurs, par exemple, dans lequel se recrutent le plus grand nombre des inscrits possède des qualités d’endurance remarquable, mais renferme une proportion considérable d’illettrés alors que la Flotte demande pour le moins des compléments d’équipages capables, sinon d’initiative, du moins de comprendre la manipulation des mécaniques modernes qui équipent les cuirassés, torpilleurs et sous-marins2… Les seuls marins réservistes — ils sont 12 000 environ — vont donc suffire à compléter les effectifs des escadres pour le temps de guerre. Le reste sera versé à la défense du front de mer ou sera affecté à flotte auxiliaire pré2 Les bureaux du recrutement viennent d’ailleurs d’admettre que plus de la moitié de ces conscrits pourraient sans inconvénients être détournés vers le contingent terrestre. vue au plan de réquisition : arraisonneurs, dragueurs de mines auxiliaires etc. La création de régiments de fusiliers marins et la formation des traditionnelles batteries de canonniers marins qui s’étaient si bien illustrés en 1870 en intégreront également une partie. Le reliquat sera finalement abandonné à l’armée de Terre, pour des raisons éthiques que nous avons abordées au sujet des capitaines au long cours. L’article 2 de la loi du 2 août 1913 sur la mobilisation prévoyait en effet que : « Les inscrits maritimes placés dans la réserve de l’armée de mer, qui se trouvent en excédent aux besoins de l’armée de mer, sont, quelle que soit leur classe ou spécialité, versés dans l’armée de Terre. Ils sont soumis dans cette armée aux mêmes obligations que leur classe de mobilisation ». Des marins pêcheurs de moins de trente ans seront ainsi versés dans l’infanterie coloniale ! Puis, comme il reste encore des matelots sans spécialité inutilisés dans les dépôts, le ministère prescrira de les verser également à l’infanterie de ligne… 6 000 cols bleus, souvent issu de la marine marchande, vont ainsi endosser la capote et coiffer le képi. En fait, la loi sur la mobilisation ne datant que d’un an, l’état-major de la Marine n’avait pu établir un plan Chapitre 1 : L’entrée en guerre 13 La coque du transatlantique Paris — visible au fond - restera en armement dans le port de Saint-Nazaire tout au long de la guerre. En premier plan de cette photo, prise en décembre 1916, on aperçoit un cargo français en cours de déchargement puis, sur la droite, un navire grec encore retenu par la France alors que le gouvernement de Vénizélos s’est déclaré en faveur de l’Alliance. ECPAD méthodique. Il se trouve donc contraint à agir au mieux des besoins immédiats, en collaboration étroite avec les quartiers maritimes qui venaient à peine d’achever un dernier recensement. Quoi qu’il en soit, lorsque la guerre éclate, la Marine a déjà évalué ses besoins et déterminé les classes à rappeler, mais avoue qu’elle ne sait pour l’instant quoi faire de l’importante masse d’inscrits qui n’est pas encore concernée. On entrevoit cependant que certains pourraient être bientôt nécessaires à une recrudescence du trafic maritime… si la guerre durait ! Le ministère de la Marine a toutefois pris les précautions d’usage. Le 31 juillet, avant même que l’ordre de mobilisation fût lancé, la rue Royale avait fait rappeler individuellement un premier contingent. Puis avait adroitement freiné l’application de l’ordre de mobilisation générale afin, d’une part, de ne pas désorganiser la flotte marchande, et d’autre part éviter la congestion de ses cinq dépôts. Seuls les inscrits des classes B et C — marins au-dessus de 25 ans — et les affectés spéciaux avaient ainsi été appelés (renseignement, service du front de mer, auxiliaires d’artillerie etc.). Le 13 août, les gradés et brevetés des spécialités de canonniers, fusiliers, timoniers, infirmiers et guetteurs de la catégorie D — au-dessous de 30 ans — sont à leur 14 La marine marchande de 1914 à 1918 tour appelés. Le 26, un télégramme ministériel lève le reste des inscrits de la catégorie D et certains gradés et brevetés de la classe E — de 30 à 35 ans. Toutefois le ministre eut soin d’en exclure les capitaines au long cours et maîtres de cabotage, ainsi que leurs équipages, encore utiles au service en mer. Les deux catégories plus âgées ; F et G, avaient entretemps été mises à la disposition du ministre de l’Agriculture pour effectuer les moissons ; initiative apparemment judicieuse, mais qui n’eut pas l’effet escompté et qui dû être reportée quelques jours après… Le 26 août, tous les effectifs sont complets, les dépôts suffisamment garnis. La marine marchande n’en semble pas pour autant affectée, mais son concours ne peut être négligé : charbonniers et transports auxiliaires sont déjà nécessaires à l’armée navale et le ravitaillement de la population civile comme celui des armées ne peut être longtemps suspendu. Une enquête est diligentée en ce sens par l’état-major et confiée au contrôleur général Thierry d’Argenlieu. Elle sera particulièrement instructive, notamment sur les laxismes ayant cours dans les quartiers maritimes où l’on découvre nombre de faux inscrits, ex-marins sans doute, mais aujourd’hui bouchers, boulangers, employés de tramway… qui par on ne sait quel subterfuge, continuent à figurer sur les matricules ; d’autres naviguent effectivement, mais sans être pour autant « utile au pays » suivant le terme même du décret tels les pêcheurs des étangs salés, des rivières, les patrons de pointus méditerranéens qui, comme le prétendent certains inspecteurs, ne sortent qu’un jour sur trois ! Certains administrateurs, prenant à la lettre l’injonction ministérielle, se sont fondés sur la production effective et ont levé sans pitié ceux qui n’apportaient pas sur les marchés une quantité de poisson suffisante pour que l’on pût affirmer que leur industrie était « utile au pays ». En revanche, on ne put qu’approuver le bon sens qui fit reporter l’incorporation des harenguiers et des sardiniers afin qu’ils achèvent leur saison… ainsi que les équipages de chalutiers à vapeur dont l’utilisation est prévue comme dragueur auxiliaire ou patrouilleurs. Il en sortira finalement, une dépêche ministérielle (en date du 22 décembre 1914) notifiant la situation des inscrits par rapport à leur devoir militaire : « Tous les inscrits de 18 à 47 ans sont, en principe, rappelés au service, à l’exception de ceux qui naviguent effectivement sur des navires dont l’armement a été jugé indispensable aux intérêts généraux du pays ». Au final, la mobilisation est achevée au 1er mars 1915. Les grands armements du commerce n’ont plus alors à leur disposition que 20 000 inscrits, auquel il faut toutefois ajouter les non incorporables. Par ailleurs, nombre de marins sont mobilisés à leur poste à bord des navires réquisitionnés. On ne note cependant aucun affaissement notable des armements du commerce qui gardent presque intact — à 10 % près — leurs navires en service… Du moins jusqu’au second trimestre de 1915, date d’application du décret suivant lequel les réservistes inutilisés par la marine doivent être versés à la terre. Seule la pêche avait jusqu’alors été durement touchée, mais plus par la réquisition des chalutiers que par la mobilisation des gens de mer. Toutefois, le constat ne satisfait que l’état-major de la Marine. Il ne résistera pas aux critiques des compagnies qui sont privées de leurs marins les plus jeunes et les plus aptes. Le plan de réquisitions L’application du plan de réquisition, issu de la loi du 2 mai 1899 créant la flotte auxiliaire destinée à compléter les moyens de la Marine, ne va absorber qu’une faible proportion des réservistes. Le désarmement des bâtiments écoles, dont les cadres et les élèves ont grossi les équipages de ligne, a généralement suffi pour libérer les effectifs nécessaires afin d’armer les navires auxiliaires militarisés. Ceux-ci se répartissent comme suit : - Rattachés aux Directions des Ports : remorqueurs, citernes, etc. ; - À la défense côtière : arraisonneurs ; dragueurs de mines ; - Rattachés aux escadres : croiseurs auxiliaires, transports de troupes, transports auxiliaires, ravitailleurs en munitions, charbonniers et navires-hôpitaux. Soit un total de plus de 150 unités importantes, plus 50 remorqueurs et 200 chalutiers. Au début de 1915, ces armements auront absorbé toutes les disponibilités de l’inscription maritime. L’arrêt des chantiers maritimes Outil majeur de la vie maritime, les chantiers de construction ne vont cependant pas bénéficier des avantages accordés à l’exploitation des sociétés maritimes et leur personnel sera presque exclusivement mobilisé par le département de la Guerre. Les constructions de navires sont suspendues et, lorsque l’activité reprendra, elle sera dirigée vers la production de munitions et la fabrication de matériel de guerre pour l’armée. Les navires en cours vont être achevés pour certains, mais les contrats récemment passés sont résiliés. Il n’y en aura pas de nouveaux avant longtemps ! Ainsi, par exemple, au moment de la déclaration de guerre, la Société des chantiers et ateliers de Saint-Nazaire a sur cale : - À Saint-Nazaire : le pétrolier de 6 500 tonnes de port Motricine ; le cuirassé Lorraine ; le paquebot Paris et un cuirassé de 23 500 tonnes pour le compte de la Marine hellénique. - À Rouen : les cargos de 12 000 tonnes Ohio et Omnium ; le Jacques Fraissinet de 51 250 t ; le pétrolier Meuse de 7 350 t et deux cargos pour le compte de la Roumanie. Seuls les bâtiments français seront achevés entre la fin de l’année et 1916. Aux Chantiers de la Loire, à Nantes, sur 1 500 à 1 600 salariés, 1 168 vont être mobilisés. Ils seront, comme ailleurs, remplacés par des femmes et des travailleurs étrangers. Chapitre 1 : L’entrée en guerre 15 L’ année 1914 chapitre 2 Les premiers mois de la guerre Les premières semaines de guerre se caractérisent par l’arrêt brutal des services commerciaux. De fait, les longs courriers désarment dès leur arrivée au port. On voit bientôt jusqu’à 32 cargos mouiller à Marseille en attendant une place à quai alors que, par ailleurs, 23 navires stationnent au Verdon… Pour l’instant, le seul souci de l’état-major se résume à faire passer le 19e corps d’Afrique en Europe et à accueillir sur notre sol, dans les meilleures conditions possibles, le corps expéditionnaire britannique. Les quais de Rouen, du Havre, de Dieppe et de Boulogne sont ainsi monopolisés, ne laissant plus guère d’espace au trafic commercial. Ainsi, tout aurait été parfaitement planifié si la guerre avait duré trois mois ! Mais au bout de quelques semaines, force sera de constater que l’offensive à outrance, tant proclamée par les stratèges français, se transforme en guerre de position. La France va, dès lors, avoir grand besoin de sa marine marchande et va devoir anticiper sur la gestion de son trafic avec de moyens de manutention accrus dans ses ports, développer ses transports ferroviaires, mais aussi et surtout se pourvoir d’une main-d’œuvre en conséquence. Les colonies et les prisonniers allemands pourvoiront à ce dernier point ; pour le reste, les chambres de commerces feront suivant leurs moyens… Enfin, l’État va devoir encadrer l’approvisionnement du pays en rassurant les compagnies maritimes par une couverture des risques de guerre ; Il se préoccupera alors du ravitaillement en charbon, en blé et en viande, mais également de toutes autres fournitures, aussi indispensables les uns que les autres, dont l’unique moyen de livraison passe par le transport maritime. Finalement, le seul secteur qui, en 1914 et 1915, n’ait nul besoin de l’accompagnement de l’État pour assurer la subsistance de la population restera l’industrie de la pêche. Les convois d’Afrique du Nord C’est le dimanche 26 juillet que les préfets maritime de Méditerranée sont officiellement prévenus de l’état de crise internationale provoqué par le récent conflit austro-serbe. Officiers généraux et chefs de corps rallient immédiatement leurs postes, tandis que les états-majors et les bureaux maritimes finalisent le plan XVII de mobilisation et concentration des armées avec le transfert du 19e corps d’Afrique vers les ports de Marseille et de Cette. Les divisions indigènes de Constantine, Bône et Alger doivent ainsi venir renforcer au plus vite les armées françaises aux frontières. Le samedi 1er août, la dépêche de mobilisation générale parvient aux autorités locales : elle sera effective le lendemain. Il faudra cependant attendre le lendemain de la mobilisation — le 3 août — pour que les vapeurs prévus pour cette mission (parce qu’ils disposent de la TSF) soient officiellement réquisitionnés. En fait, l’acte que viennent de signer les compagnies avait été auparavant négocié entre les services du commissariat de la Marine et les armateurs suivant des décrets en date du 2 août 1877 (révisés en mai 1900), sur la réquisition militaire. Après un dernier décret en date du 31 juillet dernier, l’acte conventionnel de « réquisition, en temps de guerre, de vapeurs de commerce pour transport de charbon, de matériel et de vivre, et, s’il y a lieu, de passagers » est donc paraphé en confiance pour un affrètement temporaire, bien qu’il manquât encore de précision sur les valeurs du matériel, les frais d’exploitation et les indemnités ! En revanche, l’État a pris la précaution de garantir les risques de guerre — expressément stipulés. De même, des primes sont proportionnelles au danger encouru. Les modalités sont connues de longue date et seront respectées : le navire demeurera sous l’autorité de son commandant, qui conserve pour l’heure son équipage au complet (ce dernier n’étant pas soumis à la mobilisation), mais sera pour la mission sous tutelle d’un commissaire du gouvernement, embarqué et reçu « à la table du Capitaine », qui lui transmettra par écrit ses instructions : qu’elles lui aient été dictées par ses chefs, ou de sa propre responsabilité. L’organisation militaire du transport avait également été méticuleusement établie depuis plusieurs mois sinon plusieurs années et une dépêche ministérielle secrète — en date du 7 avril 1914 — en avait notifié les détails aux états-majors et services concernés. Il avait été prévu de déployer la division spéciale de l’amiral Darrieus, forte d’un cuirassé et de six croiseurs cuirassés, au sud des Baléares afin de prévenir une éventuelle sortie de la flotte austro-hongroise débouchant de l’Adriatique. Pendant ce temps, l’armée navale du vice-amiral Boue de Lapeyrère assurera le contrôle de l’ensemble du bassin méditerranéen à l’ouest du détroit de la Sicile. Le croiseur de bataille allemand Goeben, premier adversaire potentiel de la marine marchande française, aurait pu interférer dans les précieux convois de troupes d’Afrique, tant attendus du le front du Nord. La Marine nationale ne dispose d’aucun bâtiment comparable à lui opposer. Il faillira pourtant à cette mission. On le voit ici réfugié dans les eaux turques après un étonnant jeu de cache-cache avec les escadres alliées. Photo DR. 16 La marine marchande de 1914 à 1918 Or, la guerre n’est déclarée qu’entre la France et l’Allemagne. La flotte autrichienne, dont on ne doute pas de son prochain engagement, est cependant localisée dans ses ports et les Italiens viennent de déclarer leur neutralité. Le mouvement n’aurait donc été qu’un exercice purement logistique sans la présence en Méditerranée occidentale — en pleine zone de trafic — d’une division allemande forte d’un puissant et rapide croiseur de bataille : le Gœben, accompagné du croiseur léger Breslau ; présence sanctionnée, le 4 août, par les bombardements de Bône et Philippeville. Quelques obus tombent dans le port de Bône sans faire de dégâts notables puisque seuls quelques éclats transpercent la coque d’un vapeur de la SNO — le Saint-Thomas — sans toutefois l’endommager sérieusement. À Philippeville, un obus touche la gare dans laquelle de nombreux soldats sont déjà rassemblés, fait exploser une caisse de cartouches, tuant ou blessant une trentaine d’hommes, mais ne touche aucun des vapeurs amarrés dans le port… puis les croiseurs s’éloignent sans plus insister. Cette première action de l’escadre allemande semble ainsi prématurée, car nul ne doute dans le monde maritime qu’elle n’ait eu pour mission principale d’intercepter ces troupes en mer ! Pourquoi donc l’amiral Souchon s’estil fait repérer pour si peu de résultat ? Sans doute pour donner le change en attaquant successivement Bône et Philippeville et convaincre ainsi les Français qu’il se dirige maintenant vers Gibraltar alors qu’il prend résolument le cap vers la Méditerranée orientale1. Et, en effet, les deux allemands sont bientôt chassés au large par des cuirassés britanniques, entravés toutefois par le simple fait que la guerre n’est pas encore déclarée entre la couronne d’Angleterre et le Kaiser. Ils se contentont donc pour l’instant de pister l’adversaire et d’informer Paris… qui n’est d’ailleurs pas sans connaître la situation, puisque Bizerte vient de rendre compte d’une interception TSF, localisée dans les parages immédiats, entre les navires allemands déjà identifiés et des postes italiens de Sardaigne et de Sicile. L’affaire est d’autant plus inquiétante que l’on suppose que les services allemands ont préposé des charbonniers aux Baléares et que, rayonnant de cette base, ils pourront d’autant plus facilement chasser les convois. Mais toutes sortes de fausses nouvelles circulent pareillement ! Entre-temps, et conformément à ses directives, la 1 Ce dernier n’est apparemment plus intéressé par le trafic français. Il prend la direction la Turquie, qu’il croit, par sa seule présence, pouvoir entraîner dans la guerre. Chapitre 2 : l’année 1914 17 1re armée navale avait quitté Toulon le 3 août au petit matin afin d’assurer, comme prévu, la sécurité des transports. Toutefois, l’organisation antérieure qui ne tenait pas compte d’une intrusion ennemie dans le bassin occidental est modifiée. Finalement l’armée est répartie en trois groupes et directement dirigée sur les atterrages nord africains : - Le groupe A, vers Philippeville (1re escadre, plus 1re division légère : soit 5 cuirassés, 3 croiseurs cuirassés et 12 torpilleurs) ; - Le groupe B, vers Alger (cuirassé hors rang Courbet portant la marque du VA Boué de Lapeyrère, plus 2e escadre et 2e division légère : soit 6 cuirassés, 3 croiseurs cuirassés et 12 torpilleurs) ; - Le groupe C, vers Oran (cuirassé hors rang Jauréguiberry et la division de complément : soit 5 cuirassés et 4 torpilleurs) Les navires sont avertis de la déclaration de guerre par radiotélégramme à 13 h 12. Le lendemain, dès 5 h 30, alors qu’ils sont encore à 100 milles des côtes, ils reçoivent l’avis des bombardements de Bône et Philippeville. Le groupe le plus à l’est (groupe A) est alors détourné vers l’ouest, dans l’espoir d’intercepter les deux Allemands censés se diriger vers Gibraltar : sans résultat nous le savons ! Cependant, alors qu’elle changeait de route, la division d’éclairage du groupe est passée bien près de l’ennemi, sans l’apercevoir… Sur ces entrefaites, l’amiral Boué de Lapeyrère ordonne de différer les embarquements jusqu’à l’arrivée de ses trois escadres à la vue des côtes africaines. De même, il fait reporter la décision du conseil des ministres qui avait demandé, conformément au plan XVII, de faire appareiller les paquebots rapides — isolément — dès le chargement achevé. Sans doute a-t-il jugé inopportun d’appliquer à la lettre un plan trop rigide ne tenant aucun compte de la situation concrète du moment, quitte à retarder la mise en ligne de ces troupes impatiemment attendues sur le front au moment décisif de la ruée allemande. Ainsi, le risque accepté par le département de la guerre ne sera pas assumé par le ministère de la Marine… Mais, lorsqu’il prend la mer, les hostilités ne sont pas encore déclarées et il n’appartient pas à l’amiral de prendre la moindre décision pouvant influencer les négociations diplomatiques en cours avant d’avoir reçu la déclaration officielle de guerre. Cette dernière lui arrivera d’ailleurs avec retard, mais quoi qu’il en soit, les Allemands ne présenteront plus alors un danger pour les navires marchands, l’amiral Souchon abandonnant le secteur après sa prestation dérisoire pour se diriger vers la Turquie. La Marine française a raté l’interception. Persuadée que les 18 La marine marchande de 1914 à 1918 Ordre secret, signe du capitaine de vaisseau Sagot Duvauroux, chef d’état-major de la 1re escadre, donnant les directive de formation et de route du convoi de Philippeville. Il est polycopié à l’attention des commandants de l’escorte. Document SHD Toulon. deux navires allemands se dirigent sur Gibraltar, elle ne tentera rien. Mais ce n’était pas là sa mission principale ! C’est donc Boué de Lapeyrère qui va prendre la responsabilité des transferts, transgressant les ordres du gouvernement en retardant les appareillages jusqu’au 6 août afin de pouvoir en assurer la sécurité. Composition des convois du 6 août Convoi d’Oran : Hérault, Flandres, Duc de Bragance, Duc d’Aumale, Sidi Brahim, Théodore Mante, Mansourah et Aude. 1er convoi d’Alger : Mascara, Eugène Pereire, Savoie, Charles Roux, Djurjura, Tafna et Timgad (total 7 300 hommes). Convoi de Philippeville : Medjerda et Moulouya à Ajaccio. Les ordres sont transmis le 5 août aux chefs d’escadres, précisant tous les détails nécessaires, avec notamment le mode des signaux de reconnaissances à employer. Pour chaque bâtiment du convoi, un enseigne de vaisseau de 1re classe est désigné. Cet officier ne remplit ni les fonctions de commissaire du gouvernement ni celle de commandant d’arme. Il est seulement chargé d’assister le commandant du transport en lui donnant tous les conseils relatifs à la navigation de conserve et sans feux et organise le service des communications avec l’escorte, aidé en cela par un quartier-maître breveté et deux timoniers. Ses fonctions s’étendont cependant à la discipline de route : interdiction de fumer sur les ponts, respect du silence, interdiction aux hommes de troupe de monter sur les rambardes (aucune manœuvre ne pouvant être tentée au cas où un homme tomberait à la mer), etc. et peut éventuellement prendre le commandement du navire en cas d’attaque, après en avoir référé à l’officier le plus ancien en grade embarqué sur le transport. Enfin, les plans de route sont donnés pour la journée et pour la nuit avec les codes correspondants. Les signaux de reconnaissances seront, en l’occurrence, conformes à l’Ordre n° 90 : pavillon B de la série internationale le jour et 3 fanaux hissés verticalement (rouge, blanc, blanc), en tête de mât de misaine pour la nuit. Convoi d’Oran (escorté par le groupe C) L’appareillage du convoi s’effectue donc le 6, les ordres successifs étant portés à proximité des paquebots par les quatre torpilleurs de l’escadre car, contrairement aux prescriptions du projet d’opération, la TSF n’était pas installée sur tous les navires. Peu homogène, ce convoi va devoir se traîner à la vitesse des navires les plus lents, l’Aude et l’Hérault, qui ne peuvent donner plus de 9 nœuds. D’autre part, les commandants qui n’ont pas l’habitude de naviguer en groupe ont une fâcheuse tendance à laisser la ligne s’allonger, particulièrement de nuit. Le convoi arrivera sur Sète le 7, vers midi. Convoi d’Alger (escorté par le groupe B) Il avait été prévu de former deux convois au départ d’Alger, le premier appareillant le 5, le second le 8. Dans la soirée du 5, les sept bâtiments du premier convoi sortent du port et se rassemblent en grande rade pour prendre leur poste avant le départ ; manœuvre simple au demeurant, mais qui va s’effectuer avec une telle lenteur que la nuit sera tombée avant que le dispositif ne soit organisé. Pour comble, la mise en route se fait prématurément avec six paquebots que le contre-torpilleur Mameluck aura bien du mal à rattraper. Finalement, convoi et convoyeurs sont formés au petit matin : les navires de commerce au centre en deux colonnes, encadrés par une division de cuirassés à gauche et une autre à droite, des croiseurs en éclairage sur l’avant. Les difficultés n’en sont pas terminées pour autant, les transmis- sions s’avérant quasi-impossibles à assurer, faute — dans ce convoi — d’avoir embarqué les timoniers. Les commandants font de leur mieux pour maintenir une vitesse commune, sans toutefois y parvenir parfaitement. Mais, dans ces conditions, toutes tentatives de changements de routes se révèlent particulièrement fastidieuses ! Après avoir navigué au nord et passé entre Majorque et Minorque, le convoi arrive finalement en vue des côtes françaises au matin du 7. Les deux navires les plus rapides : le Charles Roux et le Timgad, reçoivent alors ordre de filer sur Sète avec les deux cuirassés de la 1re division, ces derniers devant ensuite retourner sur Alger pour prendre le deuxième convoi. Les bâtiments lents, accompagnés des cuirassés Courbet et Condorcet, rallieront ensuite Toulon. Convoi de Philippeville (escorté par le groupe A) Seul le Medjerda étant prêt au moment du départ, l’enseigne de vaisseau Carlini embarque avec le quartier-maître Le Noan et les timoniers Grignou et Krhun. Le navire quitte le port et rejoint l’escadre, qui l’attend au large. La formation n° 1 dispose le convoi en ligne de file avec le Diderot comme guide suivi du Danton et du Michelet, précédant le Medjerda. L’Edgar Quinet, l’Ernest Renan, le Mirabeau et le Voltaire fermeront la marche. La formation n° 2 place le paquebot au milieu des croiseurs cuirassés. Au large des Sanguinaires, le Moulouya rallie la formation. L’Ernest Renan avait auparavant touché Ajaccio et transféré l’enseigne et les timoniers. 2e convoi d’Alger Le 2e convoi d’Alger devait être pris en charge le 8 août par la 1re division de la 2e escadre (Vérité, République, Patrie) et ces trois cuirassés rallièrent effectivement Alger à 16 nœuds depuis le cap Bear où ils avaient laissé le convoi précédant. Ils vont être toutefois appelés de toute urgence sur Bizerte, laissant les transports faire route sans escorte ; la situation en Méditerranée occidentale ne la justifiait d’ailleurs plus. On venait ainsi de faire passer deux divisions complètes, soit 35 000 hommes et 5 400 chevaux. Le commandant en chef peut télégraphier au ministre que, sauf incidents, le transport des troupes d’Algérie sera terminé pour le 10. Il est optimiste puisqu’il faudra encore trois jours de plus pour faire passer la totalité du corps, mais avec des escortes bien moins importantes. La division de complément et la division spéciale suffiront désormais à la sécurité, le gros de l’armée navale étant envoyé sur Malte pour bloquer la sortie de la mer Adriatique. Le Chapitre 2 : l’année 1914 19 L’escadre des « Dantons », photographiée à Toulon lors des manœuvres de 1913. Quatre de ces cuirassés vont former l’ossature du groupe A, destiné à l’escorte du convoi de Philippeville, mais ils auraient eu bien du mal à s’opposer au Goeben. Photo SHD, Toulon. Le Président Raymond Poincarré sur la passerelle du Carthage. Il n’est élu que depuis quelques mois. Les manœuvres navales l’ont vivement impressionné, d’autant que ses formations juridiques et littéraires l’a tenu peu au fait des questions militaires. Mais ses discours de politique étrangère sont fermes ; il fera bientôt prolonger le service militaire à trois ans et sera à l’origine des accords d’états-majors franco-russes. Photo SHD, Toulon. Evolution de l’escadre avec le paquebot Carthage, illustration de ce que sera, dans quelques mois, la réalité des convois d’Afrique du Nord. Photo SHD, Toulon. 20 La marine marchande de 1914 à 1918 Le croiseur cuirassé Jules Michelet. Photo SHD, Toulon. Le paquebot Carthage de la Compagnie générale transatlantique, avait été réquisitionné lors des grandes manœuvres de 1913. Sa fonction fut toutefois limitée à l’accueil du président de la République à l’occasion de la revue navale. L’escorte de convois civils ne figurait pas dans le programme des exercices, dédié cette année-là au blocus naval. Photo SHD, Toulon. Les contre-torpilleurs. Photo SHD, Toulon. 11 août, on apprendra que le Goeben et le Breslau étaient arrivés la veille dans le détroit des Dardanelles… Le 13, enfin, l’amiral CEC reçoit par télégramme l’avis de la déclaration de guerre contre l’Autriche-Hongrie ; avec la confirmation de ses instructions précédentes « Ne vous occupez plus du transport des troupes d’Algérie ». D’autre part, le transport d’une division marocaine2 devant embarquer à Casablanca avait également été prévu par le plan XVII au moyen de bâtiments isolés ayant leur point de déchargement à Bordeaux. Le Migrelie appareille en conséquence le 3 au soir, suivi le lendemain par le Ville de Tunis. Mais, de même qu’en Méditerranée, les transports sont suspendus. L’incertitude sur la présence du Strasbourg dans l’Atlantique, peut-être de deux autres croiseurs, et une fausse nouvelle donnant le départ d’un croiseur auxiliaire allemand des Canaries reporte les prochains appareillages au 7 août, non plus isolés, mais désormais en convois escortés et dirigés sur Marseille. Trois vieux croiseurs réarmés à Bizerte passent Gibraltar pour les couvrir : le Bruix, l’Amiral Charner et le Latouche Tréville. Ils vont assurer les escortes en Atlantique — jusqu’à Gibraltar — afin de leur éviter des rencontres fâcheuses. Le premier de ces convois, celui de l’Iméréthie, est protégé à compter du 16 août par le croiseur Latouche Tréville. Comme prévu, les deux bâtiments se séparent devant Gibraltar avec les traditionnels souhaits de bonne route. Mais notons que le général commandant les troupes embarquées sur le paquebot tint alors à faire une déclaration plus éloquente : « Le général, très touché du témoignage affectueux du croiseur Latouche Tréville, remercie le commandant, les officiers et l’équipage. Grâce au courage de notre vaillante marine, la division arrivera sûrement à bon port et prendra part à la bataille qui libérera la France et l’humanité du joug odieux de l’Allemagne ». Ce même Latouche Tréville escortera encore le Martinique depuis Rabat jusqu’à Gibraltar (avec 1 100 tirailleurs Tabor), pour repartir aussitôt pour Dakar chercher les paquebots Gascogne, Sallandouze de Lamornaix et Aquitaine. Le trajet Dakar/Casablanca se fait sous la menace du paquebot armé Kaiser-Wilhelme-der-Grosse, signalé en croisière sur ce parcours. Ainsi, la première menace sur la flotte marchande en Atlantique est le fait d’un autre navire marchand mystérieusement armé en croiseur auxiliaire alors qu’il était quelques jours auparavant en escale 2 Malgré la situation du Maroc, en cours de pacification, le résident général avait admis l’envoi de 35 bataillons en France quitte à désarmer la côte pour maintenir son effort dans les régions rebelles. Il conserve cependant une majorité de troupes métropolitaines et recevra, en contrepartie, environ 20 000 territoriaux. 9 décembre 1914. Embarquement à Alger d’un régiment de tirailleur algérien à bord du paquebot La Marsa. Photo DR. Le paquebot La Marsa photographié lors de son arrivée à Cette (Sete, aujourd’hui) avec ses Zouaves à bord. Photo DR. à New York. Ses premières victimes, le voilier Tubal Cain — le 7 août — puis les cargos Kaipara et Myanga coulés le 16 au large de Ténérife, auront été britanniques. Deux autres bâtiments sous la Red-Enseign auront également été interceptés, mais relâchés eu égard aux femmes et enfants passagers à bord ; en ces premiers instants de guerre, les usages de la guerre de course sont encore ceux de l’ancien régime ! Le Kaiser-Wilhelme-der-Grosse sera finalement et heureusement intercepté et coulé par le croiseur britannique Highflyer. Il faudra attendre le 13 août, après que la 9e escadre de croiseurs anglais eut pris en main le contrôle de la zone Maroc-Espagne, pour que le trafic direct vers les ports de l’océan fut repris. Chapitre 2 : l’année 1914 21 À la fin du mois d’août, les transports d’Afrique du nord seront achevés et même complétés par une troisième division algérienne. Au 30 septembre, 31 bataillons d’infanterie, 5 batteries d’artillerie et 3 escadrons de cavaleries auront été transférés depuis le Maroc vers la Métropole. Au total, 89 navires auront transporté 49 000 hommes et 11 800 chevaux sans une seule perte. Les compagnies en seront félicitées par l’État, notamment pour leurs efficaces coopérations. Elles recouvreront la presque totalité des paquebots, la Marine conservant cependant quelques grands transatlantiques avec projet de les transformer, ultérieurement, en croiseurs auxiliaires. D’autres courriers ralliant la métropole avec des Français mobilisables à bord vont encore apporter leurs lots de soldats, tel le Chili de la compagnie des Messageries maritimes qui quitte Port-Saïd le 13 août, « dans l’enthousiasme général » précisera-t-on. Mais la plus étonnante anecdote de ces premiers jours du mois d’août revient sans doute au paquebot Phrygie de la compagnie Paquet qui, faisant route de la mer Noire sur Marseille croise le 7 août, en mer de Marmara, le fameux croiseur de bataille allemand Goeben. « Montrez vos couleurs », ordonne alors l’Allemand tandis que la tourelle avant pivote pour aligner les deux pièces de 28 cm sur le malheureux paquebot. Mais, poursuivant sa route, le cuirassé croise, puis passe sans autre manifestation. On aperçoit enfin depuis le bord, les canons reprendre leur position axiale. Ce sera bientôt au Breslau de venir reconnaître le pavillon français, mais passera également sa route sans intervenir. Le commandant du Phrygie notera dans ses souvenirs : « Jusqu’à la tombée du jour, face à l’arrière sur la passerelle, j’ai veillé la fumée du Breslau s’éloignant dans l’est. Nous ignorions alors que les deux navires allemands étaient poursuivis par l’escadre anglaise dans leur fuite vers Constantinople où ils étaient attendus et qu’ils avaient mieux à faire que de s’attarder à couler la Phrygie et ses 400 passagers ». Transport de l’armée anglaise en France Une série de carte-postale commémore l’arrivée des troupes britanniques en France, à Nantes également où les postes à quai sont déjà surchargés. Photo DR. Ce paquebot britannique, transport de troupes, atterrit au milieu d’un intense trafic. Du 9 au 23 août, le corps expéditionnaire anglais est transporté sans encombre, aucune croisière allemande de surface ou sous-marine n’étant parvenu à percer le dispositif allié en Manche et mer du Nord. Par la suite, l’entretien de l’armée anglaise fera encore l’objet d’un trafic constant. Photo DR. 22 La marine marchande de 1914 à 1918 Comparée au transport des troupes d’Afrique du Nord, cette opération, purement britannique, paraît nettement plus risquée car elle couvre le transfert de 150 000 hommes dans un secteur proche des forces principales ennemies, sur un parcours toutefois plus réduit. L’axe principal est celui de Southampton-Le Havre, avec détournement possible sur Rouen et Boulogne. L’opération se déroule du 9 au 23 août, assurée par la seule marine marchande britannique et se déroule finalement sans encombre. Les débarquements commencent le 9 au Havre et le 12 à Boulogne. Ce dernier port sera d’ailleurs plus particulièrement apprécié des Britanniques qui en rendront compte dans un rapport : « Cette opération est conduite de façon remarquable, et l’outillage si puissant de la Chambre de commerce de Boulogne sur les quais du bassin Loubet est si apprécié qu’une partie des transports qui devaient se diriger sur Le Havre et Rouen a été déroutée sur Boulogne ». Contrairement aux options adoptées en Méditerranée, les transferts se font isolément, sans escortes directes, mais avec la protection éloignée de la grande flotte britannique et un sérieux bouclage de l’entrée ouest de la Manche. Par la suite, l’entretien de l’armée anglaise fera l’objet d’un trafic constant. Les navires transportant du matériel passeront toujours isolément et les transports de troupes sous escorte sans subir, non plus, de perte notable. Nantes et Saint-Nazaire accueilleront également des grands courriers britanniques chargés de troupes. Notons qu’en Méditerranée également, des convois britanniques transportant des troupes indiennes seront escortés par la Marine française de Port-Saïd à Marseille. Suspension et reprise du trafic Aux premiers jours de la guerre, rien n’ayant été prévu pour le maintien des lignes en temps de guerre, les longs courriers désarment au fur et à mesure de leurs entrés au port. Aux approches Atlantique, tous les navires marchands français sont arrêtés dans les ports espagnols et portugais. De même, les services postaux sont suspendus sur ordre de l’amiral Moreau, chef d’état-major de la Marine, qui réquisitionne d’ailleurs les grands courriers de la Méditerranée pour servir de croiseurs auxiliaires. Pour les paquebots en provenance d’Extrême Orient, la situation sera cependant plus compliquée. Ainsi, courant septembre, quatre paquebots en provenance d’Indochine sont l’enjeu de dépêches virulentes entre la Colonie, qui demande à la Marine de prendre en charge la direction de leur traversée, et l’état-major qui taxe l’administration coloniale de laxiste… On va bientôt voir s’entasser jusqu’à trente-deux cargos, mouillant devant Marseille en attente d’une place à quai et vingt-trois navires stationnant au Verdon. Or, seules les compagnies pourraient être tenues responsables de ces embouteillages, le ministère ayant laissé les navires de commerce non retenus par les réquisitions libres de voyager à leurs risques. Bien que la présence de croiseurs allemands en Atlantique ne représentât qu’une faible menace, elle avait suffi pour faire monter les taux des primes d’assurance à des hauteurs exagérées, et ainsi dissuader les armateurs. Pour le reste, les lignes côtières sont également suspendues, mais faute seulement de passagers et de frets. Le seul souci des états-majors se résume alors à faire passer le 19e corps d’Afrique en Europe et à accueillir sur notre sol, dans les meilleures conditions possibles, le corps expéditionnaire britannique. Les quais de Rouen, du Havre, de Dieppe et de Boulogne sont ainsi monopolisés, ne laissant plus guère d’espace au trafic commercial. L’Aquitaine de la SGTM est amarré dans le vieux port de Marseille comme hôpital auxiliaire. Photo collection Alain Croce. Les premières réquisitions pour les besoins de l’État La flotte marchande immobilisée dans les ports de métropole au cours des premières semaines de la guerre va rapidement être convoitée par certains départements de la Marine et même par d’autres ministères qui aimeraient profiter des privilèges de la Marine nationale : pour des approvisionnements spécialisés (exemple : fabrication des munitions), le service des émigrants, les missions et les courriers diplomatiques, etc. Beaucoup vont réclamer et obtenir le droit d’utiliser pour leur compte, le plus souvent pour un voyage déterminé, tel navire marchand saisi par le moyen de la réquisition. Ainsi, le département de la guerre va-t-il réquisitionner les cargos Amiral Hamelin, Caravellas, Malte des Chargeurs réunis, et le Quevilly de la Société anonyme de Quevilly. Enfin, le Mont Viso de la SGTM sera requis le 10 septembre pour charger à Philippeville une cargaison de blé nécessaire au ravitaillement de l’Armée. Un autre type de réquisition, plus inhabituel, va également s’avérer judicieux lorsqu’il faudra trouver des hôpitaux auxiliaires pour les milliers de blessés et convalescents qui encombrent les établissements hospitaliers depuis la bataille de la Marne. L’administration de la santé demande alors que lui soient alloués quelques paquebots inutilisés à Marseille ; Les compagnies Paquet et SGTM vont ainsi proposer respectivement le Doukkala, le Tibet et l’Aquitaine, amarrés au vieux port, servant d’annexe à l’Hôtel-Dieu. Toutefois, ces procédés peu orthodoxes ne perdureront que quelques mois, jusqu’en 1915, date à laquelle la Marine centralisera sous son autorité toutes les réquisitions. Chapitre 2 : l’année 1914 23