Un cas de fracture de Monteggia chez un chat

Transcription

Un cas de fracture de Monteggia chez un chat
Un cas de fracture de Monteggia chez un chat
F. COLLARD1* et P. BARREAU2
1
2
Service de chirurgie de l’ENVL, 1 av. Bourgelat BP 93, 69890 Marcy l’Etoile, France
North Kent Referrals, Warren Road, Bluebell Hill, Kent ME5 9RD, United Kingdom
* Auteur chargé de la correspondance : Email : [email protected]
RÉSUMÉ
SUMMARY
L’association d’une fracture de l’ulna et d’une luxation proximale du
radius est appelée fracture de Monteggia. C’est une affection rare du coude,
mais l’atteinte de l’articulation nécessite la restauration de la congruence
des surfaces articulaires et la réduction stable de la fracture. La réalisation
d’un traitement non adapté conduit au développement précoce d’arthrose, à
une perte d’amplitude articulaire voire une luxation chronique de la tête du
radius.
A Monteggia fracture in a cat. By F. COLLARD and P. BARREAU.
Radio-humeral luxation associated with an ulnar fracture is named
Monteggia fracture. This is an uncommon affection of the elbow, which
needs a correct restoration of the congruency of the articulation’s surfaces
and a stable reduction of the fracture. Wrong treatment leads to the development of arthritis, a decrease of articular range of motion or sometimes a
chronic dislocation of the radial head.
Mots-clés : Fracture de Monteggia - luxation du coude chat.
Keywords : Monteggia fracture - elbow luxation - cat.
Introduction
fracture de Monteggia associée à une luxation huméroulnaire.
En 1814, G. Monteggia décrivit deux cas humains de fracture du tiers proximal de l’ulna associée à une luxation radiohumérale. Cette association de lésions est depuis appelée
fracture de Monteggia. Ce type de lésion est peu fréquent
chez le chien, très rare chez le chat et rarement décrit dans la
littérature [6, 8, 9]. C’est pourquoi, il nous a semblé intéressant de présenter ce cas clinique de fracture de Monteggia
chez un chat, puis de faire un rappel sur la clinique, les
lésions associées, les méthodes de traitement et les complications possibles.
Commémoratifs et examen clinique
Kikinou, chat mâle européen de 15 mois, est présenté à la
suite d’un accident de la voie publique (AVP) pour boiterie
avec suppression d’appui de l’antérieur droit.
A l’examen clinique, l’animal maintient son membre antérieur droit en flexion. Le coude droit est tuméfié, son volume
est augmenté par rapport à celui du coude gauche et sa palpation est douloureuse. Aucune lésion cutanée n’est observée lors de l’examen du membre. L’auscultation et la radiographie thoracique ne révélant aucune anomalie, l’animal est
anesthésié. La mobilisation sous anesthésie générale de la
partie distale du membre met en évidence une instabilité de
l’articulation du coude.
Un examen radiographique en position neutre est effectué
(figure 1a). Plusieurs anomalies au niveau du coude sont
alors observées : les articulations huméro-radiale, huméroulnaire et radio-ulnaire sont luxées, le radius proximal est
déplacé crânio-latéralement, l’ulna est fracturé au niveau du
tiers proximal et le processus anconé est sorti de la fosse olécrânienne. L’ensemble de ces anomalies correspond à une
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Traitement
Un hémogramme, le dosage de l’urémie et de la créatininémie sont réalisés et n’ont révélé aucune anomalie.
L’induction est effectuée au thiopental (Nesdonal®, 10
mg/kg par voie intra-veineuse) puis l’animal est maintenu
anesthésié par inhalation d’un mélange d’halotane et d’oxygène. L’antibioprophylaxie est réalisée avec de la céfalexine
(Rilexine® suspension, 20 mg/kg, par voie intra-musculaire)
et l’analgésie avec du chlorhydrate de morphine (0,25
mg/kg, par voie sous-cutanée). Le membre est préparé pour
l’intervention chirurgicale puis l’animal est placé en décubitus latéral gauche. Après un abord latéral classique de l’articulation du coude avec section du tendon du muscle anconé
(figure 2), la tête du radius est remise en place. Cette
manœuvre permet de retrouver la longueur initiale de
l’avant-bras. La luxation ulnaire est réduite et un lavage articulaire est effectué. Puis les fragments proximaux et distaux
de l’ulna sont réalignés et un enclouage centromédullaire est
réalisé avec une broche de Kirschner de 1,8 mm de diamètre
(figure 3). Une esquille en aile de papillon, non visible à la
radiographie pré-opératoire, est replacée sans endommager
ses insertions musculaires. Un cerclage est placé autour de la
partie proximale du radius et de l’ulna afin de solidariser les
deux os et empêcher une luxation ultérieure de la tête radiale.
Au cours de l’exploration de l’articulation du coude, une
déchirure complète du ligament collatéral latéral est constatée. Une ligamentoplastie est effectuée en suturant les deux
extrémités du ligament rompu par points simples (PDS, Dec
2). Le muscle anconé puis les fascias sont resuturés (PDS,
Dec 2) et la peau est refermée (Nylon, Dec 2). Les radiographies post-opératoires montrent une bonne réduction et un
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Figure 1. — Le cliché pré-opératoire (a) montre une fracture ulnaire associée à une luxation huméroradiale, huméro-ulnaire et radio-ulnaire. Les clichés b et c sont les radiographies réalisées en post-opératoire. La fracture ulnaire a été stabilisée par un enclouage centro-médullaire à l’aide d’une broche de
Kirschner et la luxation radio-ulnaire avec un cerclage.
positionnement correct des implants (figures 1b et 1c). Une
contention externe de type Robert-Jones maintenant la patte
en flexion est mise en place et laissée quinze jours.
Suivi
L’animal est rendu à son propriétaire le lendemain. Une
antibiothérapie (Rilexine® 75, 20mg/kg matin et soir, par
voie orale) est réalisée pendant cinq jours. Au retrait du pansement, il est demandé au propriétaire de maintenir l’animal
confiné à la maison avec repos strict pendant quatre
semaines.
Le chat est présenté six semaines après l’intervention pour
un contrôle. L’animal prend de nouveau appui sur son antérieur. Il présente encore une légère boiterie. L’amplitude articulaire est normale. A l’examen radiographique, on note une
bonne cicatrisation osseuse ainsi qu’une très légère incongruence du coude (figures 4a et 4b).
Un mois plus tard, un nouvel examen est réalisé. L’appui
est franc et la boiterie a disparu. Une radiographie de
contrôle permet de confirmer la cicatrisation complète de
l’ulna. La broche est alors retirée le jour même (figures 4c et
4d).
Discussion
La fracture de Monteggia correspond à l’association d’une
fracture de l’ulna et d’une luxation proximale du radius et
son incidence est faible (7% des fractures radius-ulna et
0,7% des fractures et luxations du coude chez l’homme, 5
cas sur 31 luxations du coude chez le chien) [2, 8]. La biomécanique de cette lésion est incertaine, mais on pense
qu’elle serait la conséquence d’un choc sévère sur la face
caudale de l’ulna alors que l’avant-bras est en extension et en
appui [10]. C’est pourquoi on rencontre ce type de lésion le
plus fréquemment lors d’AVP chez le chien et suite à une
chute chez le chat [9]. Lorsque l’on est confronté à une fracture de Monteggia, l’examen doit être minutieux et complet.
La fracture de l’ulna a lieu le plus souvent dans le tiers proximal. L’articulation proximale du radius apparaît luxée la plupart du temps, mais elle peut aussi être en place [9].
Aucune précisions sur l’âge n’est fournie dans l’article de
SCHWARZ et SCHRAEDER sur les fractures de Monteggia
[9]. BILDLINGMAIER [1] et MEYER-LINDENBERG et
al. [6] avancent la conclusion que chez les animaux jeunes,
on rencontre principalement des fractures du coude alors que
chez l’adulte on a plus souvent des luxations. Les fracturesluxations de Monteggia semblent donc être des lésions plus
fréquentes chez les adultes où la solidité osseuse est supérieure. D’autres lésions associées sont souvent mises en évidence ; 82 % des cas présentent une autre lésion : la principale est le pneumothorax, mais on observe parfois aussi une
hernie diaphragmatique ou un autre membre fracturé. Dans
46 % des cas, on trouve une autre fracture sur le même
membre, la plus courante étant celle de la tête du radius.
Lors de l’examen clinique, on est confronté à un animal
présentant un membre en suppression d’appui avec le coude
maintenu fléchi, en abduction, et l’avant-bras en rotation
externe. Un œdème important est présent et masque la déformation osseuse. La mobilisation de l’articulation est douloureuse. La palpation révèle une modification des repères anatomiques liée à une saillie de la tête radiale luxée [3, 6, 7].
Un examen radiographique doit être effectué systématiquement. Les vues de face et de profil permettent d’évaluer
le type de fracture ulnaire. Cette dernière peut être articulaire
ou diaphysaire, transverse, oblique ou comminutive. On doit
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FIGURE 2. — Un abord latéral du coude est effectué. Le radius luxé est rapidement visualisé (à gauche). Après incision du fascia brachial, du tendon du muscle anconé et de la capsule articulaire, l’articulation est explorée (à
droite).
FIGURE 3. — La réduction de la fracture ulnaire est réalisée par enclouage
centro-médullaire.
aussi porter une attention particulière à la présence d’éléments radiodenses dans l’articulation sur la vue de face. La
découverte d’un fragment osseux permet de suspecter l’existence d’une désinsertion ligamentaire. En cas de doute, des
radiographies en position forcée doivent être effectuées
(membre en abduction, en adduction puis en extension) [9].
On peut ainsi s’assurer de l’intégrité des ligaments collatéraux sur la vue de face et évaluer la stabilité de la tête du
radius sur la vue de profil, afin d’exclure tout risque de subluxation.
Le traitement chirurgical est nécessaire. La fracture de
l’ulna peut être traitée par un fixateur externe, un enclouage
centromédullaire avec ou sans cerclage, une ostéosynthèse
par plaque vissée, un hauban, etc. [4]. Le choix de la technique dépend de la préférence du chirurgien et de la taille de
l’animal. Dans ce cas, l’enclouage centro-médullaire nous a
semblé le plus judicieux étant donné la faible largeur de
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l’ulna et les caractéristiques de la fracture. Pour la luxation
radiale, deux cas de figure sont possibles. Si l’ulna est fracturé au-dessus du ligament annulaire, l’ensemble radius-ulna
reste soudé par le ligament, la réduction de la fracture et de
la luxation sont concomitantes, l’immobilisation de la fracture et la persistance de la structure ligamentaire assurent la
stabilité des articulations radio-humérale et radio-ulnaire [4].
Dans les cas analogues à celui-ci, où la fracture de l’ulna
intéresse une zone située sous le ligament annulaire, la luxation de la tête du radius s’accompagne systématiquement
d’une déchirure du ligament. La réduction de la luxation doit
alors être associée à une immobilisation du radius. Cette dernière peut se faire par suture des éléments ligamentaires restants, mais le risque de récidive est élevé. On préfèrera donc
réaliser une ligamentoplastie avec une prothèse en nylon ou
transfixer le radius à l’ulna par pose de broches, vis ou cerclage [4]. Les résultats obtenus sont bons à excellents dans
deux cas sur trois [9]. Nous avons préféré le cerclage car la
mise en place d’une vis ou de broches était délicate et risquait de fragiliser l’ulna. De plus, le chat, au contraire du
chien, présente des mouvements importants de pronation et
de supination. Le cerclage est la méthode de transfixation la
plus souple et permet de maintenir une mobilité relative
entre le radius et l’ulna.
Les principales complications observées sont une instabilité chronique (luxation ou sub-luxation) du radius, le développement d’arthrose, la persistance d’une boiterie et une
perte d’amplitude articulaire [5]. D’autres, moins courantes,
comme une ossification de la capsule articulaire peuvent être
rencontrées. Dans une étude portant sur 28 cas de fracture de
Monteggia, SCHWARZ et SCHRADER ont montré que
l’utilisation d’un fixateur externe pour stabiliser la fracture
ulnaire conduisait à un retard de cicatrisation osseuse et que
les seuls cas de persistance d’instabilité radiale étaient rencontrés lorsque l’on réalisait une suture du ligament annulaire seule (9 cas sur 17) [9].
Conclusion
La fracture de Monteggia est une lésion ostéo-articulaire
qui nécessite un traitement chirurgical. Les examens clinique
et radiologique doivent permettre une évaluation de l’intégrité des ligaments collatéraux et l’absence de fragment
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FIGURE 4. — Après 6 semaines, un contrôle radiographique est effectué. On constate que la cicatrisation osseuse n’est pas encore complète (a et b). Une incongruence huméro-radiale est observable sur la vue de profil et se traduit cliniquement par une légère boiterie.
Un mois plus tard, la cicatrisation étant complète, la broche de Kirschner est retirée mais le cerclage est laissé pour éviter de léser les
tissus environnants (c et d).
osseux intra-articulaire qui sont deux éléments pouvant compromettre la récupération fonctionnelle. La suture du ligament annulaire seule ne peut garantir une stabilisation suffisante du radius. Il est donc préférable de le transfixer à l’ulna
avec une vis, un cerclage ou des broches pour éviter tout
risque de sub-luxation ou de luxation récidivante en postopératoire.
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