Le genre du dialogue à l`époque de la Seconde Sophistique

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Le genre du dialogue à l`époque de la Seconde Sophistique
 Le genre du dialogue à l’époque de la Seconde Sophistique Journée d’études du 29 novembre 2013 , MSH Clermont-­‐Ferrand organisée dans le cadre du Programme MSH Dialogos, Le genre du dialogue de l’Antiquité à nos jours « Un dialogue de sourds ? Dion de Pruse, Sur l’esclavage et la liberté (or. XV) » Dimitri KASPRZYK (Université de Brest) Le discours XV de Dion de Pruse, Sur l’esclavage et la liberté, est un dialogue dont la lecture, suscite de nombreuses questions d’ordre générique: quelle est la pertinence de ce dialogue ? Quel sens est produit par l’emploi de ce genre du dialogue ? En quoi l’enchâssement de ce dialogue dans un récit est-­‐il nécessaire ? Pour répondre à ces interrogations, Dimitri KASPRZYK met en avant le caractère anti-­‐dialogique de ce dialogue qui se présente comme une sorte de « dialogue de sourds ». Tout d’abord, le chercheur relève l’anonymisation des protagonistes. En effet, l’anonymat des interlocuteurs redouble l’anonymat du narrateur qui parle à la première personne mais dont on ignore l’identité ; la première hypothèse serait de voir dans ce « je » la voix de Dion mais les références à un passé athénien auquel ce « je » aurait participé semblent l’exclure. Cet anonymat est alors problématique : comment le lecteur peut-­‐il réagir à une parole que Dion ne prend pas directement en charge ? Le discours est vierge de tout investissement préalable et seul le cadre narratif permet d’orienter le lecteur dans les propos et le caractère des personnages, qui sont d’ailleurs présentés davantage en sophistes qu’en philosophes. D’autre part, Dimitri KASPRZYK relève la dimension plus éristique qu’heuristique du dialogue ; en effet, les interlocuteurs semblent s’affronter et peuvent avoir recours à l’insulte ou l’attaque ad hominem, notamment pour l’un des interlocuteurs, attaques auxquelles le second répond, dans une attitude plus philosophique, par la douceur. Un affrontement des personnages qui conduit à une volonté de prendre le dessus et se traduit stylistiquement par un glissement du dialogue au monologue et particulièrement au monologue d’un seul interlocuteur (car les autres s’effacent peu à peu) ne faisant entendre finalement qu’une seule voix. Le genre du dialogue à l’époque de la Seconde Sophistique Journée d’études du 29 novembre 2013 , MSH Clermont-­‐Ferrand organisée dans le cadre du Programme MSH Dialogos, Le genre du dialogue de l’Antiquité à nos jours Le chercheur note également la présence d’un public dont le narrateur peut décrire les réactions et qui interrompt l’échange pour en critiquer les modalités. Cette interruption narrative nous donne à voir à la fois la vision du narrateur sur le public et la vision du public sur les interlocuteurs. La critique du public peut être le témoin d’un dialogue qui ne fonctionne pas. Les interlocuteurs, en effet, adoptent une approche qui ne dépasse pas le cas particulier, le dialogue évolue souvent en monologue, les arguments utilisés sont plus rhétoriques que dialectiques, l’un des interlocuteurs pose des questions-­‐pièges si peu précises que l’autre n’a pas les moyens de répondre… Procédés qui illustrent le refus ou l’incapacité des personnages face au dialogue. Ce dernier est décevant, et même déceptif puisqu’il n’aboutit à aucun résultat et ne semble finalement même pas en viser un. Dion conduit ce discours comme une mise en échec ou une représentation de l’échec du dialogue. L’interruption narrative est peut-­‐être là pour remettre le dialogue sur les rails mais c’est là encore un échec puisque la rectification annoncée n’a pas lieu et l’interlocuteur repart sur un nouveau monologue ; retour en arrière formel qui va de pair avec un retour en arrière de la réflexion (avec la répétition d’une idée déjà énoncée). Le dialogue piétine et tourne en rond pour aboutir à la conclusion que personne n’est appelé esclave ; la question initiale ne peut donc pas être résolue. Conclusion qui, de surcroît, ne résulte pas d’un échange ou d’un progrès dans le raisonnement mais arrive de façon asyndétique en clôture du dialogue. Cette définition est d’autant plus détachée du dialogue que l’on ne sait pas à qui l’attribuer, elle donne l’impression d’un message de Dion en dernier recours. L’auteur met en place un brouillage énonciatif et un brouillage de l’autorité à qui le lecteur doit faire confiance. Compte-­‐rendu réalisé par Maud Yseux, étudiante de M1, Master « Histoire des idées et des formes de l'expression dans l'Antiquité », Parcours Recherche.