Alcoolisation maternelle : un diagnostic et une prise en charge

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Alcoolisation maternelle : un diagnostic et une prise en charge
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Alcoolisation maternelle : un diagnostic et une prise en
charge difficiles, mais des résultats encourageants...
Dr D. SUBTIL 1 , Dr T. DANEL2 , Dr C. SAMAILLE-VILLETTE 3, Dr Ph. DEHAENE 3 ,
Dr M. TITRAN 4 , Pr X. CODACCIONI 1
Adresse de l’auteur principal :
Dr D. SUBTIL , Pôle de Pathologie Maternelle et Foetale,
Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU de Lille, 59 037 LILLE Cedex.
1 Gynécologie-Obstétrique, Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU de Lille, 59 037 LILLE Cedex.
2 Groupe Régional d’Alcoologie, 13, rue Faidherbe, 59 046 LILLE Cedex
3 Néonatologie, Centre Hospitalier, Avenue Lagache, 59 100 ROUBAIX
4 C.A.M.S.P. de Roubaix, 36, rue du Nouveau monde 59 100 ROUBAIX
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Résumé :
Les conséquences de l’alcoolisation maternelle s’observent à partir de la consommation de 3 verres
quotidiens de boisson alcoolisée (bière, vin, etc..). Ces conséquences sont souvent méconnues, d’une
part par le fait que le diagnostic clinique du syndrome d’alccolisation foetal n’est pas toujours posé,
d’autre part parce que ses conséquences neurologiques n’apparaissent que tardivement.
La prise en charge des femmes enceintes qui s’alcoolisent nécessite un travail en réseau où
l’obstétricien devrait avoir une part importante. Après avoir pris conscience de l’importance de son
rôle - c’est une véritable prise de conscience qui doit s’opérer - , il tentera de convaincre la mère de
l’intérêt qu’il y aurait pour elle et pour son enfant à cesser de boire, entrera en contact avec les
différents acteurs qui vont entourer la future maman: alcoologues, pédiatres, sages-femmes,
assistantes sociales, C.A.M.S.P., anciennes mères buveuses... Il devra travailler au changement
d’attitude de l’ensemble de son équipe dont le regard réprobateur - négatif - devra laisser
progressivement place à une attitude - volontairement positive - de soutien à une femme et un enfant
en réelles difficultés.
Abstract :
Fetal consequences of maternal alcoholism are possible from three glasses per day onward (beer,
wine, etc...). These consequences are often misdiagnosed, because of failure to recognize F.A.S.
features at birth, and long-term neurologic disabilities which are rarely reported as alcoholic origin.
Obstetricians have a place of choice in prenatal care of alcoholic mothers. They are at the best place
to convince mothers to stop drinking because of mother and baby’s health, and to participate to a
network where alcohologists (ortho ?), pediatricians, social workers, anciennes buveuses are of
complémentaire importance ? . Progressively, he has to change the negative view of his staff, who
has to become a supporting team for a mother and a baby actually in great difficulties.
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1. LE SYNDROME D’ALCOOLISATION FOETALE
Au cours de ces 25 dernières années, les effets de l'alcool sur le foetus ont bien été décrits
par les pédiatres. Rassemblés sous le terme de syndrome d'alcoolisation foetale (SAF, ou Fetal
Alcohol Syndrome des anglo-saxons), ils peuvent être répartis en 4 groupes de signes: la dysmorphie
faciale, le retard de croissance, les malformations, le retard psychomoteur (tableau 1).
Ces signes sont généralement d'autant plus nombreux et marqués que l'alcoolisation maternelle
a été plus importante et plus précoce (au premier trimestre, le risque d'atteinte grave est maximal).
C'est sur la dysmorphie faciale que repose habituellement le diagnostic. Certains signes, notamment
le retard mental, ne se révèlent que tardivement après la naissance, ce qui peut rendre diagnostic
pédiatrique difficile. En maternité, celui-ci dépend donc directement de l'expérience du praticien qui
examine l'enfant.
En fonction de l'intensité de la dysmorphie et de son association ou non aux autres catégories
de signes, il est possible de classer les SAF en 3 types (tableau 2).
Bien que la connaissance du syndrome diffuse progressivement, certains SAF sont encore
méconnus actuellement, notamment dans les formes de type I et II (voir photo). Cette difficulté
diagnostique est à sans doute pour partie à l'origine du manque d'intérêt consacré au SAF depuis sa
description, sa fréquence ayant été considérée - à tort - comme faible (elle est probablement voisine
de 3 / 1000 dans notre région, toutes formes cliniques confondues)
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Tableau 1. Le syndrome d'alcoolisation foetale
1. La dysmorphie crânio-faciale
Espace naso-labial allongé, philtrum convexe, lèvre supérieure fine
Nez petit, ensellure accentuée
Fentes oculaires étroites (hauteur et largeur), épicanthus, hypertélorisme
Hypoplasie de la mâchoire inférieure, microrétrognatisme
2. Le retard de croissance (æ
æ poids 70 à 120 g à partir de 2 verres/j))
Harmonieux mais touche principalement les os longs
Périmètre crânien diminué
Nanisme avec microcéphalie dans la forme grave
3. Les malformations
Système nerveux: myéloméningocèles, microcéphalies, hydrocéphalies
Système ostéo-articulaire: luxations congénitales de hanche, synostoses radio-cubitale
(caractéristique), scolioses, déformations des doigts, atrophies musculaires
Anomalies faciales: Fentes labiales et/ou palatines, palais ogival, malpositions dentaires.
Anomalies du tégument: empreintes digitales et palmaires, angiomes tubéreux, hirsutisme
Anomalies cardiaques: CIV principalement
Anomalies oculaires : microphtalmie, cataracte, microcornée, myopie, hypermétropie,
strabismes, etc.
Anomalies de l'oreille : anomalies du pavillon, surdités de perception
Système génito-urinaire (hypospadias, anomalies rénales)
4. Le retard mental et les troubles du comportement
Syndrome d'imprégnation néonatal puis syndrome de sevrage
Hypotonie et troubles de la motricité (petite enfance)
Instabilité psychomotrice, troubles de l'attention, du sommeil (enfance)
Anomalies de la motricité fine, troubles du langage, de l'audition
Diminution du QI : 7 points à 4 ans, doublement du nombre de QI < 80.
Retard mental sévère dans les formes les plus graves)
Tableau 2. Classification des différents types de SAF
SAF type I: Un ou deux traits de la dysmorphie sont présents.
SAF type II: Quatre signes dysmorphiques caractéristiques sont présents .
SAF type III: Dysmorphie caricaturale + RCIU + PC diminué + malformations
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LES CONSEQUENCES A LONG TERME DE L’ALCOOLISATION FOETALE
Les données dont nous disposons sont récentes mais tout à fait concordantes (suivi de séries
anciennes). A l'adolescence, la dysmorphie faciale s'est modifiée. Le retard staturo-pondéral
persiste à un degré variable, aux alentours de -2 DS. Le retard mental est considérable puisque la
moitié des sujets ont un QI < 70 dans les séries publiées. Les extrêmes vont de l'arriération profonde
au CAP. 6 % seulement sont en classe normale.
Les enfants porteurs de SAF sont difficiles à retrouver à l'âge adulte puisque les 4/5e ne
vivent plus avec leurs parents : orphelinat, quart-monde, placements en famille d'accueil et
hébergement en institutions spécialisées sont les lieux habituels où ils sont retrouvés.
Depuis les travaux français de LEMOINE (1992), on suspecte qu’une part importante de
handicaps mentaux d’étiologie non précisée pourrait être d’origine alcoolique. En l’absence d’étude
épidémiologique, il est impossible de mesurer précisément cette part, notamment parmi les handicaps
ayant nécessité une prise en charge institutionnelle.
PHYSIOPATHOLOGIE DE L'ATTEINTE FOETALE
La période de vulnérabilité foetale maximale est sans doute le premier trimestre de la
grossesse (effets à la fois tératogènes et toxiques), mais les études épidémiologiques et animales ont
montré que la toxicité de l'alcool s'exerce tout au long de la gestation, probablement par le biais
d'une altération de la croissance cellulaire, de la migration et des interconnexions neuronales. Le
syndrome d’alcoolisation foetale peut être observé dès consommation de 3 verres d’alcool
quotidiens (21 verres par semaine). l
Le mécanisme de cette toxicité a fait l'objet de nombreuses publications. Il ne fait plus guère
de doute que l'éthanol a une toxicité propre. D'autres facteurs pourraient cependant jouer un rôle
facilitateur ou au contraire freinateur, notamment l'état nutritionnel des patientes (notamment les
carences vitaminiques et en oligo-éléments). Il fait peu de doute par ailleurs qu'il existe une
variabilité génétique de la susceptibilité aux effets de l'alcool (différences d'atteinte de jumeaux
dizygotes, similitude d'atteinte de jumeaux monozygotes). Enfin, l'effet d'alcoolisations aiguës
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pourrait être supérieur à celui d'alcoolisations chroniques , y compris au cours des deux derniers
trimestres de la grossesse, probablement du fait de la toxicité cellulaire directe de l'alcool.
DIAGNOSTIC DE L'ALCOOLISATION: L'INTERROGATOIRE !
Faire le diagnostic de l'alcoolisme maternel est utile, puisque la diminution ou l'arrêt de
l'intoxication peuvent améliorer le pronostic de l'enfant à venir, quel que soit le terme (notamment
en limitant la perturbation de la migration neuronale chez l’enfant à venir).
Il faut souligner la difficulté que nous avons à interroger ces femmes, seul moyen pourtant
d'évaluer, bien qu'imparfaitement, leur consommation d'alcool. Une des meilleurs manières de faire
semble la standardisation des questions afin que celles-ci soient posées de façon naturelle et
systématique : "Combien de tasses de café buvez-vous par jour ?","Combien de boissons sucrées
? », « Combien de canettes de bière ?"," Combien de verres de vin ? ...etc". Les patientes sont
classées "moyennes buveuses" à partir de 7 verres de boissons alcoolisées par semaine, "fortes
buveuses" à partir de 21 verres par semaine. C’est à partir d’une consommation de 21 verres par
semaine (3 verres par jour) que le syndrome d’alcoolisation foetale peut être observé.
Aucun des examens biologiques dont nous disposons ne possède une sensibilité égale à un
interrogatoire correct: la sensibilité du dosage de la γgt est voisine de 40 % et celle du volume
globulaire moyen n'est pas meilleure ; le dosage de l'éthanolémie est un cliché instantané qui n'a de
valeur que quand elle est positive ; sa sensibilité est inférieure ou égale à 10 %. Finalement, c’est dans
les cas - assez rares - de réponse manifestement erronée chez des patientes éthyliques, que les
examens biologiques apportent leur aide (alcoolémie, γgt, VGM) .
PRISE EN CHARGE DES FEMMES ENCEINTES
La qualité de l'accueil et de l'interrogatoire lors de la première visite seront déterminantes
pour le reste de la grossesse. Dès le diagnostic de consommation excessive réalisé, il convient
d'expliquer les effets de l'alcool sur le foetus et la nécessité d'augmenter ses chances de "bonne santé"
en diminuant ou cessant l'ingestion de boissons alcoolisées. On évitera les phrases négatives telles
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"Vous avez déjà fait du mal à votre enfant" et on préférera par exemple :"Vous et votre bébé, vous
vous sentirez mieux lorsque vous aurez cessé de boire".
Cette prise en charge ne peut réellement réussir que si le médecin et l'équipe soignante
connaissent réellement le problème de l'alcoolisation maternelle, les possibilités de prévention
secondaire au cours de la grossesse, et acceptent par conséquent de dialoguer positivement avec
une femme dont ils ne perçoivent souvent qu’une image de "mauvaise mère". L’expérience montre
qu’il s’agit au contraire de mères très aimantes. Le rythme et la durée des consultations doit être
augmentée ( une fois toutes les deux semaines environ) ; la possibilité d'appels téléphoniques et/ou de
consultations en urgence à la maternité - notamment en cas de désir d'alcoolisation massive devraient être prévues.
Enfin, la nécessité d'une équipe de prise en charge pluridisciplinaire est ici fondamentale,
tant pour prendre en charge la patiente que pour soutenir l'équipe de soins : psychiatre, pédiatre,
psychologue, assistante sociale, médecin généraliste, médecin des centres d'hygiène alimentaire. La
présence d’alcoologues au sein même de la maternité est sans doute un atout supplémentaire à cette
collaboration entre équipes.
A Roubaix, une association de femmes anciennes buveuses durant leur grossesse vient de naître
: elle se propose d’aider les femmes enceintes en difficulté dans le domaine de l’alcool 5 .
CONSEQUENCES OBSTETRICALES DE L'ALCOOLISME MATERNEL
La prise en charge obstétricale ne nécessite aucun examen complémentaire réellement
supplémentaire. On soulignera cependant :
- la nécessité de corriger systématiquement les carences vitaminiques et minérales fréquentes
sur ce terrain : fer, folates, calcium, vitamines B et D ,
- l'existence, dans environ un tiers des cas, d'une hyperuricémie isolée de fin de grossesse
(supérieure à 60 mg/l) , ne traduisant pas nécessairement un syndrome vasculo-rénal sousjacent (compétition de l'alcool et de l'acide urique au niveau du tubule rénal proximal),
5 Association E.S.P.E.R.. 36, rue du Nouveau monde 59 100 ROUBAIX (tél : 03 20 73 19 19).
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- la possibilité d'un retard de croissance intra-utérin dépisté en échographie dès le début du
troisième trimestre ; sa prise en charge ne diffère pas de celle des autres hypotrophies
anténatales, et une composante vasculaire doit être systématiquement recherchée.
- l'existence, dans environ un tiers des cas de SAF, d'une brièveté anormale des membres,
dépistée par la mesure du fémur au troisième trimestre de la grossesse ( mesure
fréquemment inférieure au 5ème percentile, parfois au 1er percentile).
PRISE EN CHARGE PERINATALE
Tout est fait pour encourager les liens qui unissent mère et enfant, liens qui auront été
soulignés par l'équipe soignante pendant la période prénatale. Dans ce sens, l'allaitement ne sera pas
déconseillé malgré la présence d'une petite quantité d'alcool dans le lait maternel (jamais plus de 0.5 à
3.0 g/l ) . La prise en charge pédiatrique fera appel aux structures de soins pluridisciplinaires, au
mieux centre de néonatologie, puis C.A.M.S.P.
Références bibliographiques :
1.
LEMOINE P, LEMOINE Ph. Avenir des enfants de mères alcooliques (étude de 105 cas
retrouvés à l'âge adulte). Ann Pediatr, 1992, 39 : 226-35.
2.
SUBTIL D, DEHAENE P, KAMINSKI M, CREPIN G. Alcool et grossesse. Editions
techniques. Encyl Med Chir, Paris, France, Gynécologie/Obstétrique, 5-048-M-20, 1994, 4p.
3.
DEHAENE P. La grossesse et l'alcool. Que sais-je ? P.U.F. éd, Paris, 1995, 128 p.

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