Lettre à mon ex

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Lettre à mon ex
Août 1997
Contes et comptes du prof Lauzon
Lettre à mon ex
par Léo-Paul Lauzon
Monsieur Bernard Landry, Vice-premier ministre du Québec.
Cher ex-collègue professeur de l'UQAM, j'ai eu le privilège de recevoir une lettre de ton Cabinet
récemment. Ma mère, à qui je l'ai montrée, était on ne peut plus fière de son fils unique préféré.
Ému j'ouvre l'enveloppe, pensant innocemment y trouver une pluie d'éloges à mon endroit comme
tu m'en as déjà servis. J'ai plutôt eu droit à un cours d'initiation à l'économie 01. Et, comble du
culot, ces leçons m'ont été servies non par toi, mais par ta conseillère en Communications! Elle
m'a fait la leçon sur "l'incontournable" redressement des finances publiques et seriné toute la
litanie habituelle sur le dit sujet. Ces arguments se voulaient une réplique à ma chronique du 28
mai dernier à l'émission Indicatif présent sur les ondes de la radio AM de Radio-Canada où j'ai
parlé des mythes du dérapage des finances publiques et de contrôle étranger.
Cette lettre me permet de constater, cher Bernard, que les dogmes ânonnés par la classe
affairiste ont cours dans ton cabinet, et sont même amplifiés pour mieux anesthésier la
conscience collective et amener la résignation et la capitulation de la majorité. Lorsque vient le
temps de régler le déficit, on peut compter sur toi pour s'attaquer au monde ordinaire. Par contre,
quand il s'agit de demander à ceux qui se sont enrichis allègrement au cours des dernières années
de faire leur part, là tu nous réponds que c'est impossible et tu nous sers les bons vieux clichés
primaires (être compétitifs, attirer les capitaux étrangers, etc).
Toi qui est économiste, tu n'es pas sans savoir que les détenteurs de capitaux se sont enrichis
joyeusement à la Bourse ces dernières années et que, loin de vivre une période de marasme
économique, le Québec et le Canada traversent une période d'opulence. Je sais que je ne suis pas
une 100 watts, mais il ne faut pas me prendre pour une chandelle non plus... Peux-tu m'expliquer
Bernard comment il se fait que, malgré les profits records réalisés depuis plus de 5 ans par les
compagnies et les gains exceptionnels réalisés par les détenteurs de capitaux, il n'y ait pas eu
augmentation proportionnelle des recettes fiscales? Où est passé le magot? Ces privilégiés n'ont
presque pas payés d'impôts parce que le Québec et le Canada font partie de l'infime minorité de
pays occidentaux à ne pas avoir de taxe sur la richesse. Même les États-Unis, un pays sur lequel
tu fantasmes si souvent, ont une telle taxe. Tu le sais bien que l'augmentation de la valeur des
titres de propriété et de créance (actions et obligations) constitue bel et bien un revenu
économique qui n'est pas imposé et n'entre pas dans le calcul du revenu fiscal. Par conséquent, le
fisc exonère d'impôts des revenus importants réalisés sur la détention de capitaux.
Cher Bernard, est-ce trop te demander que d'avoir un minimum de respect pour la majorité de la
population à qui tu demandes des sacrifices indus au nom d'un supposé redressement des
finances publiques pendant que les nantis et les compagnies détournent au vu et au sus de tous
des milliards de dollars dans des paradis fiscaux sans que ça te défrise le poil des jambes? Si tu
avais, Bernard, ne serait-ce que l'ombre d'un soupçon d'un minimum de courage et un désir réel
de régler équitablement le déficit, tu mettrais, entre-autre, fin à cet exode de la richesse qui
handicape l'État québécois de revenus importants dont il a tant besoin. Et pour que tu ne
rechignes pas, sache qu'il te serait moins fatiguant de mettre fin à l'évasion fiscale dans les
paradis fiscaux que de faire l'amour.
Je te quitte sur cette dernière observation mon cher Bernard: je constate que ton discours et celui
de ta conseillère en Communications sont clonés sur celui du Conseil du patronat et de la
Chambre de commerce et je me pose la question suivante: qui influence qui? Il n'y a pas à dire,
ta compréhension et ta vision des finances publiques est pour le moins singulière...