S. Brieu, « Birmanie, les chemins de la liberté

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S. Brieu, « Birmanie, les chemins de la liberté »
jeudi 27 octobre 2016, par François GUILBERT
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Sylvie Brieu permet de mieux comprendre la place des femmes dans la
société birmanienne de ce début du XXIème siècle. Une première en
français ! Ce livre se lit comme un journal de voyage. Il en a la forme,
l’écriture fluide, le sens du détail des personnalités et des atmosphères
des lieux parcourus.
Présentation du livre de Sylvie Brieu : « Birmanie, les chemins de la
liberté », Paris, Albin Michel, 2016, 377 p., 22 €
IL EST DESORMAIS loin le temps où pour se rendre en Birmanie on ne disposait
que d’un visa de sept jours ou de l’option de la voie clandestine. Néanmoins même
en ces heures les plus sombres, il était possible de rapporter des informations de
qualité sur le pays, son régime militaire répressif et les combats menés contre les
minorités insurgées. Certes, les éléments diffusés étaient fragmentaires, parfois
incertains, difficiles voire dangereux à recueillir et à garantir mais ils ont apporté
une vaste connaissance d’un territoire régulièrement à feux et à sang.
Aujourd’hui en même temps que les reportages d’actualité, il s’avère fructueux de
(re)lire ce vaste corpus. Il aide à mieux comprendre les attentes fédéralistes de
nombreux Birmaniens [1], le caractère erratique et pour le moins complexe des
processus de paix entre le gouvernement central et les combattants kachins,
karens et shans, pour n’en citer que quelques-uns.
Se replonger dans les enquêtes du journaliste suédois Bertil Lintner [2] ou celles
de ses collègues britanniques Larry Jagan et Martin Smith [3], c’est l’occasion de
(re)découvrir le passé guerrier de certains acteurs de paix présents mais
également les filiations institutionnelles et familiales des plus jeunes
contributeurs à la transition politique et son volet irénique. Ces détours
journalistiques ne sont pas du temps perdus pour appréhender la Birmanie car ils
ont nourri bien des travaux académiques, à commencer dans le monde
anglophone par ceux des professeurs les plus renommés : Andrew Selth
(Australian National University), Josef Silverstein (Rutgers University), David I.
Steinberg (Georgetown University) ou encore Robert Taylor (University of
Buckingham). Ils ont contribué aux polémiques savantes sur la nature de l’Etat
birman. Plus important peut être, ils ont sorti de son entre soi la birmanologie et
son écriture de l’histoire-politique contemporaine.
Si quelques journalistes ont alimenté en profondeur les réflexions des facultés –
essai à écrire encore très largement -, nombre de correspondants de presse ont
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tiré avantage depuis une bonne vingtaine d’années des études fouillées menées et
financées par les ONG. Il en est de même de leurs contacts autochtones. Même si
un grand nombre des recherches étaient conduites en lien avec des groupes
d’opposants au régime militaire en place à Rangoun, leur sérieux a affiné les
connaissances des agences d’aide au développement, des acteurs politiques et
leurs relais d’opinion. Cette accumulation de savoirs a permis de mieux connaître
certaines catégories de populations, non seulement celles des régions les plus
reculées mais également les collectivités majoritaires.
Au fil des deux dernières décennies, les études de genre ont pu ainsi prospérer.
L’ethno-psychiatre australienne Monique Skidmore a mis en lumière les violences
faites aux femmes [4]. La responsable associative britannique Teresa O’Shannassy
a documenté la faible place qui leur était accordée dans les processus politiques
et a suggéré des pistes de réformes. [5] De leurs côtés, les nombreux rapports des
organisations de défense des droits humains ont dénoncé le recours au viol
comme arme de guerre, en particulier aux confins ethniques du pays. Quant à la
chercheuse de l’université de Lancaster Hiroko Kawanami, elle a pu étudier très
en détails les communautés monastiques féminines si méconnues [6].
Les recherches menées au cours des deux dernières décennies ont conduit à
la mise en place de groupes de paroles, à des institutions féministes et à de
nombreux débats au sein des structures cherchant à représenter la société
civile dans toutes ses spécificités. Elles ont libèré la parole des femmes sur la
forme comme sur le fond.
Tous ces travaux permettent aujourd’hui de disposer d’études très étayées sur la
place de la femme dans la société birmanienne à l’instar de la large fresque
historique récemment publiée par Tharaphi Than de la Northern Illinois
University [7]. Ces publications ne garnissent pas seulement les étagères des
bibliothèques. Elles influent très directement sur l’élaboration des politiques
publiques, les pratiques des agences onusiennes et des ONG, à l’intérieur du pays
comme au profit des réfugiés installés en premier lieu en Thaïlande [8].
Plus important sur le long terme, les recherches menées au cours des deux
dernières décennies ont conduit à la mise en place de groupes de paroles, à des
institutions féministes et à de nombreux débats au sein des structures cherchant
à représenter la société civile dans toutes ses spécificités. Elles ont libèré la
parole des femmes sur la forme comme sur le fond. Elles forgent des leaders et
des contre-pouvoirs. Tout un réseau susceptible de constituer un réservoir de
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compétences à l’heure de desserrer le carcan militaire qui étrangle la société
birmanienne depuis 1962. Des acteurs dont certains ont réfléchi aux enjeux
auxquels ils font face de manière comparative [9], ce qui internationalise un peu
plus encore les débats sur l’avenir de la Birmanie. Autant de raison de
s’intéresser à ces femmes et ces hommes “nouveaux”, peu connus dans leur pays
et le plus souvent ignorés par les chroniqueurs étrangers car éclipsés par l’aura
de Daw Aung San Suu Kyi.
Non seulement, les enquêtes et les recherches ont irrigué la société birmanienne
dans nombreuses de ses composantes mais elles démontrent que toutes les
évolutions récentes ou en cours ne procèdent pas seulement de l’action et de
l’influence de la fille du général Aung San. C’est essentiel car cela rappelle que
l’avenir de la Birmanie - Myanmar ne dépend pas d’une femme providentielle,
aussi exceptionnelle soit le prix Nobel de la Paix de 1991. En outre, l’attractivité
de La Dame ne doit pas occulter et faire injustice à tous les autres parcours
politiques féminins, aussi divers soient-ils idéologiquement, et qui n’ont pas cessé
de scander l’histoire de la Birmanie comme l’a rappelé l’historienne de la Rutgers
University Chie Ikeya dans un ouvrage diffusé au début de la décennie [10].
Une première en français !
Depuis plus de deux siècles, des Birmaniennes réformatrices se sont employées à
réfléchier et à agir comme l’a conté la chercheuse singapourienne Nilanjana
Sengupta dans les portraits de quelques-unes d’entre elles [ 11 ]. Autant de
données qui permettent d’esquisser les particularismes de l’autorité féminine
dans l’histoire de la Birmanie [12]. A sa manière, Mme Sylvie Brieu permet de
mieux comprendre la place des femmes dans la société birmanienne de ce début
du XXIème siècle. Une première en français ! Son travail ne départ pas pour
autant parmi les nombreuses odes éditées depuis un quart de siècle sur le travail
et l’influence de la leader charimastique de la Ligue nationale pour la démocratie
mais il est bien plus que cela. Son enquête sur les femmes militantes, élaboratrice
des chemins de paix, dépeint des portraits des plus humbles à quelques
personnages de premier plan depuis de nombreuses années (ex.les Frères
Moustaches, Lahpai Seng Raw, Dr Ma Thida). Ce livre se lit comme un journal de
voyage. Il en a la forme, l’écriture fluide, le sens du détail des personnalités et des
atmosphères des lieux parcourus . Il nous entraine aux quatre coins du pays.
Grâce notamment aux réseaux de l’Eglise catholique, il permet d’aller là où cela
est encore interdit. Certains de ces séjours dans les contrées les plus excentrées
n’auraient pas été possibles sans l’intermédiation d’hommes d’Eglise dont
quelques-uns s’avèrent très liés à la France, à l’image du père Philip Za Hei Lian,
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un religieux chin récemment décédé.
Le périple de Mme Sylvie Brieu est fait de multiples rencontres sollicitées et
fortuites. Un patchwork qui permet d’aborder des groupes ethniques dont on
parle bien peu tels les Inthas, les Pantays, les Pa-os, les Karennis, les Kachins ou
encore les Chins auxquels sont accordés de longs développements. Toute la quête
de la journaliste montre ô combien le champ associatif et politique birmanien
demeure profondément morcelé. Certaines haines recuites pourraient bien être
beaucoup plus profondes encore que l’auteure ne le croie. Une des personnalités
rencontrées, Mme Cheery Zahau ne cache pas toutes ses rancœurs contre la
Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi. Depuis son échec aux
dernières élections législatives, elle s’exprime avec la plus grande dureté pour
dénoncer les manœuvres dont elle a été l’objet et l’instrumentalisation de la
situation des Rohingyas à son encontre.
Le combat des femmes sera de longue haleine au sein du monde politique et
associatif, au sein des organisations ethniques, communautaires, religieuses
et parmi les leaders.
Pleine d’empathie pour les faiseuses de paix, S. Brieu oublie aussi que de
nombreuses organisations féminines des mouvements ethniques n’étaient et ne
sont encore rien d’autres que des façades sans réelles influences des mouvements
de luttes armées. En Birmanie comme ailleurs en Asie du Sud et du Sud-Est, des
femmes prirent aussi les armes et commirent bien des crimes de guerre. Dans un
tel contexte, on comprend qu’il soit si difficile de produire des dialogues interethniques et religieux efficients. Le combat des femmes sera donc de longue
haleine au sein du monde politique et associatif, au sein des organisations
ethniques, communautaires, religieuses et parmi les leaders. N’oublions pas que
lors des dernières élections législatives de 2015, les femmes n’ont représenté que
6% des élus et 13% des candidats. Le reportage de Sylvie Brieu rappelle et
documente tous ces faits mais il ouvre aussi des réflexions plus profondes sur
l’éthique touristique, l’accès à l’éducation pour tous et le combat contre les
rumeurs diffusées sur Internet et les réseaux sociaux dans toute démocratie
(re)naissante. Un vrai travail d’enquête et de réflexions politiques.
On regrettera toutefois que quelques erreurs factuelles se soient glissées dans le
manuscrit, sur le nom du ministre français des Affaires étrangères qui remis
début 2012 la Légion d’honneur à Daw Aung San Suu Kyi ou encore sur Pablo
Néruda qui fut un authentique diplomate et non un consul honoraire du Chili en
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Birmanie.
Copyright Octobre 2016-Guilbert/Diploweb.
Plus
. Sylvie Brieu : « Birmanie, les chemins de la liberté », Paris, Albin Michel,
2016, 377 p., 22 €
Sylvie Brieu : « Birmanie, les chemins de la liberté
», Paris, Albin Michel
4e de couverture
Après un demi-siècle de dictature militaire, la Birmanie s’ouvre enfin au monde
dans un contexte d’euphorie et de grands bouleversements. À l’issue d’élections
historiques, le parti d’Aung San Suu Kyi, l’icône de la résistance, a été propulsé à
la tête d’un nouveau gouvernement entré en fonction en avril 2016. Malgré cette
victoire fulgurante, l’armée continue de peser lourdement sur la vie politique et
économique. Guérillas ethniques, discours de haine de bonzes extrémistes et
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tragédies humanitaires fragilisent les bases d’une démocratie balbutiante.
Bravant divisions et enjeux, des hommes, et surtout des femmes, de milieux
différents, innovent dans tous les domaines – lutte contre la montée des
intégrismes, justice sociale, égalité des genres, préservation des cultures, etc. –
pour transformer une société traumatisée et construire une paix durable. C’est à
travers leurs regards incisifs et leurs actions courageuses que Sylvie Brieu, grand
reporter reconnue pour son travail en immersion avec les peuples autochtones du
monde, s’est engagée à découvrir leur pays méconnu, riche de potentiels devenus
objets de convoitises internationales. Son récit captivant nous fait partager le
quotidien de ces résistants qui, tout en embrassant des problématiques
universelles, nous confronte à nos responsabilités. Entre doute et espoir, tous
rêvent de liberté.
Le livre de Sylvie Brieu : « Birmanie, les chemins de la liberté » sur le site
des éditions Albin Michel
Notes
[1] Alors que la langue anglaise distingue par deux mots la citoyenneté de
l’ethnicité, le français amalgame les deux. Pourtant tous les ressortissants de la
Birmanie ne sont pas des Birmans au sens ethnique du terme. Pour éviter cette
confusion terminologique lourde de conséquences politiques et sociales depuis
bien des décennies, nous devrions faire l’effort d’user d’un vocable
discriminant d’où le néologisme de Birmanien pour désigner tout ressortissant
de l’Union.
[2] Land of Jade, Kiscadale – White House, Bangkok, 1990 ; The Rise and Fall of
the Communist Party of Burma (CPB), Cornell University, Ithaca, 1990 ; The
Kachin Lords of Burma’s Northern Frontier, Teak House Books, Chiang Mai,
1997 ; Burma in Revolt : How Burma Became The World’s Biggest Heroin
Producer, Westview Press, Boulder, 2000.
[3] Burma : Insurgence and the Politics of ethnicity, Zed Books, Londres, 1991.
[4] Behing Bamboo Fences : Forms of Violence Against Women in Myanmar in
L. Manderson – L. Rae-Bennett : Violence Against Women in Asian Societies,
Routledge, Londres, 2003.
[5] Burma’s Excluded Majority, Women, Dictatorship and the Democracy
Movement, CIIR Briefing, Londres, 2000
[6] Renunciation and Empowerment of Buddhist Nuns in Myanmar-Burma,
7
Building a Community of Female Faithful, Brill, Leiden, 2013.
[7] Women in Modern Burma, Routledge, Londres, 2014.
[8] A titre d’exemple, on pourrait citer les travaux sur la prostitution d’Asia
Watch (Trafficking of Burmese Women and Girls into Brothels in Thailand, New
York, 1993) ou sur l’avortement du Dr. Suzanne Belton (Violence, Poverty and
‘Weakness’. Interpersonnal and Institutional Reasons Why Burmese Women on
the Thai Border Utilise Abortion in Aandrea Whittaker (ed.) : Abortion in Asia.
Local Dilemmas, Global Politics, Berghahn Books, New York, 2010 – Borders of
Fertility : Unwanted Pregnancy and Fertility Management by Burmese Women
in Thailand, Thèse de doctorat de l’université de Melbourne, 2005) et le monde
du travail de Ruth Pearson et Kyoko Kusakabe (Thailand’s hidden workforce :
Burmese Migrant Women Factory Workers, Zed Books, 2012).
[9] Thin Thin Aung – Susan H. Williams : Women in the Constitutional Drafting
Process in Burma in Susan H. Williams (ed.) : Constituting Equality. Gender
Equality and Comparative Constitutional Law, Cambridge University Press,
Cambridge, 2009.
[10] Refiguring Women, Colonialism and Modernity in Burma, University of
Hawaiʻi Press, Honolulu, 2011.
[11] The Female Voice of Myanmar : Khin Myo Chit to Aung San Suu Kyi,
Cambridge University Press, 2016.
[12] Jessica Harriden : The Autority of Influence : Women and Power in
Burmese History, NIAS, Press, 2012.
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