Gérard Raymond (AFD)€: «Pas d`inféodation à

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Gérard Raymond (AFD)€: «Pas d`inféodation à
Industrie Associations de patients
Gérard Raymond (AFD) :
« Pas d’inféodation
à la pharma »
DR
Accompagner les patients en dehors du cabinet du médecin est la principale
mission de l’Association française des diabétiques. Son président, Gérard Raymond,
revendique haut et fort l’indépendance vis-à-vis de l’industrie, de l’Etat et des
professionnels de santé.
GÉRARD RAYMOND, PRÉSIDENT DE
L’AFD, APPELLE À PLUS DE TRANSPARENCE DANS LES RELATIONS ENTRE LES
DIFFÉRENTS ACTEURS DE SANTÉ.
Quel est le positionnement de l’Association française des diabétiques ?
● L’AFD est avant tout une fédération d’associations qui, depuis 2003,
est dirigée par des patients. Elle veut
être un acteur de santé dans deux directions : la gouvernance et les actions
d’entraide et de solidarité de proximité. Notre place dans la gouvernance de la santé est réaffirmée par la
nouvelle loi Hôpital, Patients, Santé
et Territoires (HPST). Nous sommes
aussi un acteur de santé de proximité :
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PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009
nos associations locales constituent
un véritable réseau nous permettant
de développer des actions pour améliorer la qualité de vie des patients.
Le diabète ne se traite pas que par la
prescription et l’observance d’une ordonnance. L’équilibre d’une personne
atteinte par le diabète repose aussi sur
son environnement, son milieu social,
ses conditions de vie, sa connaissance
de son diabète… nombre d’éléments
qui ne sont pas ou peu traités dans le
cadre de la relation avec le médecin.
Avant 2003, l’association récoltait des
fonds pour financer la recherche sur la
maladie et les traitements, aujourd’hui
ces collectes sont plus utilisées pour
lutter contre les complications du
diabète ou pour défendre le système
de santé fondé sur la répartition et la
solidarité.
Quelles actions menez-vous dans
l’accompagnement des patients,
notamment dans le cadre de votre
partenariat avec l’assurance maladie
pour le programme Sophia1 ?
● Depuis l’an dernier, nous développons un programme d’accompagnement des personnes atteintes de
diabète par des pairs. Nous formons
à l’accueil, à l’écoute, et à l’animation
de groupes des personnes que nous
appelons « patients experts ». Le programme Sophia, qui se concentre sur
l’accompagnement par téléphone et
l’information écrite à destination des
patients, présente des complémentarités avec notre propre programme.
L’assurance-maladie nous a fait l’honneur de nous inclure dans ce dispositif
dès son origine : on peut lui rendre
hommage d’avoir compris l’intérêt
d’associer précocement une grande
association de patients. Sophia est un
programme innovant et très intéressant, parce qu’il s’agit d’accompagnement et pas d’éducation thérapeutique, il permet de réfléchir à la façon
d’accompagner le patient en dehors
du cabinet médical.
Que pensez-vous de la loi Hôpital,
Patients, Santé et Territoire, qui crée
par son article 84 un nouveau volet
portant sur l’éducation thérapeutique du patient ?
● L’éducation thérapeutique est une
notion complexe, chacun proposant
sa propre définition. Dans l’article 84
de la loi HPST, le législateur semble
rétrécir à la thérapie le champ des
programmes d’éducation thérapeutique, ceux-ci devant être proposés par
le médecin prescripteur et réalisés par
des professionnels de santé. Puisque
ces programmes d’éducation thérapeutique devront être personnalisés,
on peut se demander s’ils ne seront
pas exclusivement développés dans
le cabinet du médecin. On pourrait
alors voir apparaître une « consulta-
Le diabète et l’AFD en chiffres
La France compte plus de trois millions de diabétiques, dont 10 % de
diabétiques de type 1 dit insulinodépendant.
Les remboursements de l’assurance-maladie liés à cette pathologie ont
atteint 15 milliards d’euros en 2008. La moitié de cette somme est
consommée par 10 % des diabétiques, qui sont ceux ayant subi de graves
complications. 10 000 amputations par an sont liées au diabète.
Le coût moyen annuel par patient s’élève à 6 000 euros, avec un reste à
charge (incombant aux mutuelles) de 500 euros.
Créée en 1938, l’AFD fédère aujourd’hui 125 associations locales et
compte au total plus de 130 000 membres.
Son budget global se montait à 3 250 000 euros en 2008.
Avec 147 080 euros versés en 2008 (selon les chiffres publiés par l’association), Sanofi-Aventis est, parmi les industriels du médicament, le plus
gros contributeur au budget de l’AFD, devant Novo Nordisk (63 000
euros) et Abbott Diabetes Care (55 000 euros). Les compagnies spécialisées dans le diagnostic ou les dispositifs médicaux sont également d’importants contributeurs.
Pour en savoir plus : www.afd.asso.fr
tion d’éducation thérapeutique » rémunérée comme telle. Parallèlement,
le texte de loi mentionne des « actions
d’accompagnement », qui font partie
de l’éducation thérapeutique, et dont
le champ pourrait être le nôtre. Nous
espérons que les décrets d’application
iront dans ce sens. Il est aussi normal
que l’industrie pharmaceutique ait
un rôle à jouer. Mais il faut que tout
ceci soit réglementé, pour éviter tout
conflit d’intérêt. Il faut obliger tous les
acteurs quels qu’ils soient – y compris
les structures professionnelles de santé
et pas seulement les associations de
patients – à une stricte transparence
quant aux contrats et conventions
sur le développement de programmes
d’éducation thérapeutique, d’actions
d’accompagnement ou de programmes d’observance. Nous organiserons
en octobre prochain une table-ronde
publique, en partenariat avec SciencesPo, sur la place de l’industrie pharmaceutique dans le système de santé.
ne pourvoit plus à notre développement comme acteur de santé, qui le
fera ? La générosité du public a ses limites. Si la part de l’Etat devient trop
importante, et si demain celui-ci décide d’abandonner la prise en charge à
100 % des affections de longue durée,
par exemple à travers le bouclier sanitaire, que pourra-t-on faire si nous
dépendons financièrement de lui ? Les
interrogations sur l’indépendance des
associations de patients sont normales.
Nous savons très bien que l’industrie
pharmaceutique souhaiterait avoir ses
propres associations de patients, qu’elle
financerait par le biais de fondations.
Nous, nous refusons d’apporter notre
caution à des projets élaborés par des
industriels sur lesquels nous n’aurions
qu’à apposer notre logo, même en
échange d’un financement important.
C’est à l’AFD de concevoir de A à Z
une action, une campagne, et d’aller
demander ensuite un soutien aux financeurs, Etat ou industrie.
Comment l’AFD peut-elle garantir
son indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique ?
● Nos sources budgétaires sont équilibrées : 10 % voire moins proviennent des pouvoirs publics, moins de
30 % viennent de nos partenaires industriels, et le reste essentiellement de
donations et d’adhésions Cet équilibre nous permet d’être indépendants.
Si demain l’industrie pharmaceutique
Etiez-vous dans votre rôle en prenant publiquement position l’été
dernier sur le cas de Lantus® de
Sanofi-Aventis2 ?
● Prendre position était plus que notre rôle, c’était notre devoir. Pas scientifiquement puisque nous ne sommes
pas des professionnels de santé, mais
en nous appuyant sur l’expertise des
professionnels. En France, ce n’est pas
Diabetologia qui fait référence, c’est
l’Afssaps. Après avoir été informés de
la publication des études, nous avons
décidé de nous donner trois jours de
réflexion et d’attendre l’avis des agences du médicament. Dans l’intervalle,
nous avons reçu des courriels de patients nous accusant d’être « vendus » à Sanofi-Aventis puisque nous
ne réagissions pas ! Ce sont bien les
patients qui nous ont demandé de
prendre position. Nous avons appuyé
les recommandations de l’Afssaps et
de l’EMEA. Ce qui est curieux, c’est
qu’on mette en cause l’indépendance
des associations, mais que personne
n’aille accuser les médecins d’avoir
prescrit Lantus® !
Comment vous positionnez-vous
par rapport aux professionnels de
santé ?
● Dans les années 80, les associations
de patients diabétiques se sont développées à l’initiative des professionnels de
santé. Ce n’est qu’en 2003 que l’AFD,
désormais dirigée par les patients, a acquis son indépendance vis-à-vis du milieu médical, de la même façon qu’elle
est indépendante des financeurs. On
peut regretter le manque d’évaluation
de certaines pratiques médicales. Pourquoi, par exemple, certains médecins
ne prescrivent jamais des examens
pourtant recommandés par la HAS ?
Les CAPI (Contrats d’amélioration
des pratiques individuelles) pourraient
améliorer certaines pratiques médicales, mais il faut se montrer prudent.
Il faudrait que le métier de médecin
généraliste évolue vis-à-vis de la prise
en charge des pathologies chroniques.
Dans le cadre du suivi d’un patient
tout au long de sa vie, il n’est pas certain que la rémunération à l’acte soit la
bonne solution.
Propos recueillis
par Julie Wierzbicki
(1) Le programme Sophia d’accompagnement des patients diabétiques a été
lancé en mars 2008 par la CNAM dans
dix départements. Voir Pharmaceutiques
n°156.
(2) Fin juin, Diabetologia, revue médicale
de l’Association européenne pour l’étude
du diabète, faisait état d’un possible lien
entre la prise d’analogues de l’insuline –
notamment Lantus® (insuline glargine) –
et un risque de cancer.
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