Le dernier concert de Gnawa diffusion à Alger : La musique qui

Transcription

Le dernier concert de Gnawa diffusion à Alger : La musique qui
Le dernier concert de Gnawa diffusion à Alger : La musique qui
transcende la douleur par Semmar Abderrahmane
On les attendait depuis longtemps. Leur nom évoque à lui seul la liberté, l’originalité et
l’insoumission. Gnawa diffusion, c’est plus qu’un mythique groupe de musiciens car
pour des millions de jeunes fans algériens, ils sont le symbole même d’une Algérie qui
ose espérer. Depuis 1992, date de la création du groupe à Grenoble, Amazigh et sa
clique a sillonné le monde pour chanter la liberté, la justice et la dignité. L’esprit
rebelle, le style rasta, le langage reggae et le cœur qui dit sans cesse basta à la
hoggra, tels sont les ingrédients qui ont fait la gloire et le mythe de Gnawa diffusion.
La verve révolutionnaire, les mots qui disent les vérités qui blessent et l’audace d’aller
jusqu’au bout de ces engagements, tel est le caractère que Gnawa diffusion s’est
forgé avec le temps.
Génération Gnawa, le qualificatif n’est pas fortuit. Loin de toutes exagérations, l’engouement
populaire qu’a suscité la musique de Gnawa diffusion se mesure sur l’échelle de Richter. Le
style Gnawi était le séisme salutaire d’une jeunesse algérienne en quête d’un mode
d’expression capable de traduire ses hantises et ses ambitions.
Gnawa diffusion ont toujours chanté la diversité, la richesse du métissage et l’africanité que
l’Algérie tentait de lui tourner le dos. Gnawa diffusion ont mis en relief le patrimoine musical
et la culture d’un peuple si méconnu et injustement ignoré : le peuple Gnawas. Avec
Amazigh et ses amis, une certaine Algérie, celle des vagabonds, des insouciants et des
esprits libres, a retrouvé ses lettres de noblesse. « L’essentiel est de rester libre », disait à
chaque fois Amazigh Kateb. Mais pour leurs innombrables fans, l’essentiel c’est qu’ils
continuent à chanter comme ils ont toujours fait. Chanter malgré les drames, les déchirures
et l’exil.
Cependant, le jeudi (du 19 avril) soir à la coupole, il fallait aussi chanter après une semaine
où l’horreur a plané sur la capitale comme un nuage ô combien taciturne. Ce jeudi soir,
Gnawa diffusion ont donné, au grand plaisir de leur fidèle public, un concert exceptionnel. Un
concert qui s’inscrit dans leur dernière tournée en Algérie. Après Annaba, c’est à Alger
qu’Amazigh avec sa troupe se sont produits sur scène pour la dernière fois. C’est dire donc
toute l’importance de ce rendez-vous qu’il ne fallait pas rater sous aucuns prétextes.
Des 17 H, la coupole- ce temple qui a abrité les transes de l’adieu- est pris d’assaut par des
centaines de fans impatients de voir défiler sur la scène leurs idoles de toujours. « Ce soir, il
y aura de la folie à la coupole. Je m’attends vraiment à un concert extraordinaire. Â vrai dire,
moi et mes potes nous sommes venus ici pour défouler et extérioriser notre rage contre les
lâches dont nos frères étaient victimes la semaine dernière », nous confie d’emblée Khaled,
un jeune aficionado de la musique Gnawi. « Ce soir, nos les jeunes on va dire basta aux
terroristes. Vous ne nous faites pas peur. On va s’amuser, danser et chanter comme des
fous. Et ça sera notre réponse à ces lâches de criminels », nous affirme de son côté Rym,
look Gnawi et cheveux frisés avec boucles d’oreille et collier sahraouis autour du cou.
« Ce soir ça sera vraiment très chaud »
18 H 00. L’affluence du public est de plus en plus importante. Tous munis de leur ticket,
sésame de la soirée, ils affichent un enthousiasme illimité. « Je suis quand même triste car
on ne va plus les revoir sur scène. Mais je vais positiver toute de même puisque ce soir ça
sera vraiment très chaud », nous annonce Ryad, 22 ans. Les minutes s’égrènent et
l’ambiance s’allume comme un feu qui s’affermit petit à petit. Â l’intérieur de la coupole, on
n’attend guère le début du concert pour commencer à faire la fête. De petits groupes se
forment alors et des danses folkloriques s’improvisent. Chechs et gandouras, la tenue du
Gnawi, ornent le décor de la majestueuse salle et la transforme en une superbe oasis.
18 H 30. La salle est archi-complet. Les fans s’impatientent. « Gnawas, Gnawas,
Gnawas… », S’écrient-ils. Les spots publicitaires énervent encore plus les jeunes.
« Ramenez-nous Gnawas, on veut que ça commence. Qu’est-ce qu’on attend encore ? »,
Renchérit un jeune visiblement déçu par une organisation défaillante. En attendant, la
coupole succombe doucement au vacarme des dizaines de cliques qui se sont crées pour
mettre de l’ambiance. Assis par terre, formant un cercle et savourant quelques joints en
buvant des sodas, des chants ainsi que des couplets typiquement gnawis sont entonnés
avec force et vigueur. A l’extérieur, une foule immense fait toujours la queue en passant par
une série de stricts contrôles qui nous rappellent encore que le temps sécuritaire s’est bien
gâté de nos jours.
Un concert inoubliable
19 H 30. Djmaoui Africa, le groupe qui assure la première partie du concert, fait enfin son
apparition sur scène. La soirée commence sur une ambiance de folie. « Hey Mama, Hey
Mama », « Salam Alikoum », et d’autres morceaux agrémentent et pimentent encore plus le
début d’une soirée qui s’annonce envoûtante. La musique transporte les esprits dans un
ailleurs indéfinissable. Le public uni sous les mêmes litanies, crie, s’écrie, danse et fait la fête
sans que le moindre débordement soit signalé. Au bout d’une heure, Djamaoui Africa ont
réussi à redonner du tonus à un public qui n’en demandait pas mieux. Vienne alors le tour de
Gnawa diffusion, les stars de la soirée.
Des qu’on a annoncé leur nom, un mouvement d’hystérie s’est emparé soudainement de
toute la salle. Aucun des fans n’a cessé des cet instant de scander le nom de ce groupe qui
s’apprêtait à faire de ce show un spectacle inoubliable. Inoubliable est en effet très faible
pour qualifier l’ambiance de folie qui bouillonnait dans les têtes de tous les fans. Plus rien
n’est comme avant. S’en est fini de l’angoisse sécuritaire et de toutes les lourdeurs de la
semaine.
« Gnawas, vous êtes les héros de ce pays. Vous êtes sa fierté. Je vous aime et je ne
cesserai jamais de vous aimer », hurle un fan enflammé par sa passion pour le groupe. La
fougue de d’autres fans s’est exprimée tantôt par des clameurs à la gloire de leurs artistes
adorés, tantôt par des danses qui font pâlir les transes.
Amazigh met encore de la poudre au feu avec le dialogue qu’il engagea volontiers avec son
public. « Djina, Djina… » Étrenne-t-il. « Djina, Djina ndiro Tchaklala, Tchaklala… » Ajoute-t-il.
Inutile de décrire des lors la réaction déchaînée d’un public entièrement acquis au maestro
de la soirée. Mais Amazigh a su toutefois convaincre des fans aux ardeurs affichés
d’observer une minute de silence en souvenir des victimes des attentats du 11 avril. Après le
silence en mémoire des morts, c’est le fascinant verbe des vivants qui reprend le dessus.
« Â Al-Qaida, nous disons que nous, nous sommes Al-Waqifa.
Nous leur disons aussi qu’ils ne nous auront jamais. Ce soir on leur répondra par la
musique », a-t-il décrété. Après Al-Qaida, c’est l’Oncle Sam qui en prend gros sur la figure.
« Imaginez un instant que le visage de Bush, Blair, et les visages de tous ceux que vous
n’aimez pas ici dans cette salle sont sous vos pieds. Que feriez-vous alors ? », Demande le
Ché du soir. La réponse des fans n’a naturellement pas tardé puisque des milliers de petits
bonds ont fait vibrer la coupole donnant l’impression que c’est une secousse sismique qui
ébranla les lieux.
La suite de la soirée a donné le vertige à celui qui essayait de la relater. Ya laimy, Algéria,
Douga Douga, Ouvrez les stores, Charlatan, Match Bétikh, tête avec Baghdad, sont les
quelques chansons prises parmi tant d’autres qui ont fait basculer ce jeudi soir dans le
paradis artificiel. « Celui qui ne souffre pas avec nous, qui ne goûte pas la misère avec nous,
qui ne chante avec nous et qu’il nous aime pas, on lui dit… », Lance Amazigh à des fans
survoltés. « On t’emmerde… », Répondent-ils avec inspiration.
De l’hystérie, certes il y en avait à la coupole ce jeudi soir. Mais c’est le bonheur qui
canalisait cette hystérie le temps d’une soirée enchanteresse. Oui, c’est le bonheur du gnawi
qui savoure sa liberté avec les siens. C’est le bonheur d’une victoire de la joie de vivre sur
l’obscurantisme. Vers minuit, les lumières de la coupole ont été rallumées. Le message des
autorités était clair : il est temps que ce manège se termine. Gnawas diffusions nous ont
offert alors un majestueux « Salam Alikoum ».
Et les fans leurs avaient bien rendu la pareille. « Nous étions contents d’être là parmi vous. A
la prochaine Alger et bravo les algérois… », Conclut Amazigh. A la sortie, tout le monde
remerciait dieu d’avoir pu assister à ce concert historique. Les jeunes ont prouvé leur amour
pour leurs idoles.
Mais ils ont surtout prouvé, et c’est ce qu’il faut certainement retenir, qu’on peut être jeune
en Algérie sans devenir pour autant un Kamikaze….
le 08/05/2007