Mort de Patrick Edlinger

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Mort de Patrick Edlinger
Mort de Patrick Edlinger
Extrait du Marc Le Menestrel
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Mort de Patrick Edlinger
- Easy Pieces -
Date de mise en ligne : Friday 30 November 2012
Marc Le Menestrel
Copyright © Marc Le Menestrel
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Mort de Patrick Edlinger
Texte paru sur le site Kairn
Photos de Stephan Denys
La dernière fois que j'ai grimpé avec Patrick, c'était à Fontainebleau. Nous avions diné avec Stephan Denys, dont
l'amitié commune nous avait aidés à dépasser notre méconnaissance mutuelle. On s'était régalés dans des blocs
faciles et des blocs plus durs avec amis et familles, sensibles à cette vérité de l'escalade qui fait que l'on partage
tous le même plaisir dans des lieux magiques.
Je venais de réussir Coup de fil, un 8a vraiment exigeant. Comme Stephan voulait prendre des photos, on y est allé
le seul jour qui restait disponible: un dimanche matin ! Quelle erreur ! Le temps de s'échauffer, et au moins 30
grimpeurs étaient là autour de nous, au pied du bloc. Patrick, qui détestait cela (il aimait être « tranquille »), essayait
de se faire le plus discret possible. En fait, je n'ai même pas réussi à faire le premier mouvement : je n'ai pas pu
décoller du sol ! Je me rappelle Thierry Ducrot lancer un « au moins ce n'est pas trop dur pour la parade », et nous
tous essayant de rire, un peu jaune quand même (surtout moi) d'une situation aussi loufoque que difficile à sublimer.
De ces derniers moments d'escalade avec Patrick, je me rappellerai les mots de ma femme Sybille « en voilà un qui
aime passionnément grimper ».
Il y a des gens qui pensent que la nature humaine est ainsi faite que nos faiblesses nous isolent. Pour ma relation
avec Patrick, ce sont nos faiblesses qui nous ont rapprochés. Je me rappelle des discussions sur la gentillesse (la
sienne) et les mauvaises manières (les miennes) où je me retrouvais une fois de plus en « sale gosse ». J'ai souvent
préféré brusquer les gens qui s'adressaient à mon image plus qu'à moi-même, recherchant une relation vraie quitte à
être mal perçu. Je crois que Patrick, qui était bien plus humble, se sentait profondément redevable envers les autres
et surtout envers ceux qui le portaient. C'était comme si il était prisonnier de la chance qui lui avait été donné. Par
respect pour ceux qui l'avait aidé à devenir une star, il semblait se sentir obligé de continuer à être à la hauteur.
J'aurais aimé que la reconnaissance de ses pairs pour son talent et sa passion de grimpeur suffisent à le persuader
de sa valeur d'homme.
Sa mort me fait ressentir toute cette difficulté d'être soi-même lorsque l'on est « connu ». Quelqu'un de connu, c'est
quelqu'un qui rencontre tous les jours des gens qui ne le connaissent pas et qui croient le connaître. Alors que notre
société du spectacle propose une vision positive de la notoriété, « être connu » peut aussi être d'une difficulté
formidable. Je ne l'oublierai pas.
Copyright © Marc Le Menestrel
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