le couteau corse - Olivier ARSANDAUX

Transcription

le couteau corse - Olivier ARSANDAUX
S avoir - f air e
S avoir - f air e
d’exception, de collection ou simplement usuel,
le couteau
corse
est objet de
passion.
Depuis des générations, la Corse, à travers son maquis aux
senteurs exaltantes, au cœur de ses villages de pierres, le
long de ses côtes frangées par une mer ciseleuse
omniprésente, cultive l’art ancestral de la coutellerie.
Whether part of a personal collection or used on a daily basis,
Corsican knives are exceptionally desirable objects.
For generations the ancient art of knife making has
been cultivated in Corsica – in the heart of the old stone
villages amidst the fragrant gorse of the 'maquis' and
surrounded by the omnipresent sea.
Renowned throughout the world, and regarded as the ultimate
multi-function knives by the inhabitants of this beautiful island,
the art of the Corsican knife is passed down from generation to
generation - a sure sign of a deeply rooted way of life. Through
the years, Corsican cutlers have perfected a unique technique
whereby the rugged, hardwearing qualities of certain materials
are combined with more precious materials to produce works of
arts, which last forever. But Corsican knives, which have their
origins in the agricultural way of life, are above all personal
objects used - both in the past and to this day - by peasants and
shepherds in the course of their daily lives.
At a bend in the road, in the village square, or even amongst the
overgrown maze of the green and fragrant 'maquis', the
craftsmen carry on their love affair with this object.
Today these craftsmen have become highly skilled technicians,
who have been able to adapt the old traditional manufacturing
methods to meet both the demands of current trends and those
of collectors forever on the look out for rare pieces. Alexandre
Musso, whose workshop dominates the spectacular bay of
Ajaccio, was awarded the first prize for best Damascus at the
International Milan knife Fair. The unique technique of Damascus
steel has been known for ages and owes its name to the town of
Damascus which in ancient times had the best ironworks in the
world and made blades out of imported steel from India.
TEXT BY PIERRE-ETIENNE VINCENT
PHOTO GRAPHS BY OLIVIER ARSANDAUX
Mondialement reconnu, l’art du couteau corse est pour tout habitant de l’ «île de Beauté» l’objet pluri-utilitaire par excellence, porteur de
génération en génération d’un savoir-faire, certes, mais par-dessus tout d’une véritable appartenance à une identité bien ancrée. À travers un
objet usuel, les couteliers corses ont apporté au fil des ans une technicité incomparable dans des réalisations où la rudesse et la rusticité de
certains matériaux côtoient artistiquement la main de l’homme et les matières précieuses, pour de véritables œuvres d’art
toujours
intemporelles. Puisant ses origines dans la civilisation agropastorale, le couteau corse est avant tout un objet très personnel, qui accompagnait
et accompagne encore la vie des paysans et des bergers corses. C’est au détour d’un chemin, au fond d’une cour de village ou dans l’entrelacs
verdoyant et odorant du maquis que souvent les artisans filent le parfait amour avec cet objet. Aujourd’hui ces artisans sont devenus de
véritables techniciens à taille humaine et ont su adapter les méthodes ancestrales de fabrication aux exigences d’évolution du monde moderne,
mais aussi à celles des collectionneurs, sans cesse à la recherche de pièces uniques. Alexandre Musso dont l’atelier domine majestueusement
la baie d’Ajaccio, ne vient-il pas d’obtenir le premier prix pour le meilleur damas au salon international de la Coutellerie d’art de Milan ?
90
les meilleures forges du monde dans lesquelles était travaillé l’acier de bas fourneaux arrivant d’Inde par la route des caravanes.
lemagazine
lemagazine
Le damas étant une technique particulière de travail de la lame qui doit son nom à la ville de Damas, et qui dans des temps reculés, possédait
91
S avoir - f air e
S avoir - f air e
Imaginez, un pain de fer et acier, chauffé à 1 200 °C, étiré, martelé, plié jusqu’à obtenir quelquefois
2 000 couches. Apparaît alors le damas, vagues successives décrivant dessins et mouvements au
cœur de la structure composite. Alexandre Musso arrive lui, grâce à un travail incroyable en trois
dimensions, à créer un damas qui lui est propre. Le fameux damas à explosion qui laisse apparaître
Pour s’entendre conter l’histoire du couteau corse, il faut atteindre le petit village de Cutulie
Curtichjatu et aller à la rencontre de Paul Biancucci, mémoire vivante du bel objet.
Ebéniste de passion, Paul Biancucci continue à travailler les manches en jujubier, olivier, bruyère
ou cœur de chêne… et doit sa passion du couteau et de son histoire à Christian Moretti, maître
incontesté qui fabriquait son propre acier.
Mais celui qui abat ses arbres à la pleine lune et aux périodes de dormance, travaille aussi à faire
revivre le couteau corse traditionnel et réédite grâce à une collection importante de croquis et
gravures de couteaux anciens, quelques exemplaires d’exception sur commande. Ainsi, le niolu, le
ghjunssani, le filasorma, ou encore l’ascu, petit couteau du Monté Cinto, sont à l’identique réédités,
à l’image du stylet (arme d’estoque) qui remonte au XVe siècle, ou du temperinu, petit couteau de
gousset qui servait à affûter la plume d’oie pour l’écriture. Mais Paul Biancucci c’est aussi la
création, avec le cursina et son manche en forme de corne de chèvre avec sur le dos de sa lame
galbée un tarabiscot qui servait aux ébénistes à façonner les moulures. Création à l’image du liner
lock, importé des États-Unis qui est encore une particularité, offrant la sécurité à l’utilisateur de ne
lemagazine
pas voir la lame, coupante comme un rasoir, se refermer sur ses doigts. Puis, il y a aussi en Corse
92
l’exception ; celle de Kevin Muzikar qui, à 29 ans, sur la tortueuse route de Piana bordée
d’eucalyptus et brodée d’arbousiers, s’est installé pour vivre sa passion.
Sheets of iron and steel are heated at 1 200 °C, then drawn, hammered and finally folded many times
until reaching as many as 2 000 layers - and that is how a Damascus blade comes to life - bearing
intricate patterns on its surface. Alexandre Musso, who works in three dimensions, has succeeded in
manufacturing a unique blade - known as 'Explosion Damascus' - displaying inlayed slivers all along
the various layers. But to hear the whole history of Corsican knives one must go to the village of
Cutulie Curtichjatu and meet Paul Biancucci, the living memory of this remarkable object.
Despite being a cabinetmaker, Paul Biancucci also makes knife handles in olive tree and jujube wood,
heather or oak. He owes his passion for knives, and their story, to Christian Moretti - the undisputed
master who used to make his own steel. But besides cutting down trees during the full moon, or
during the dormant period, Paul Biancucci also contributes to the revival of the traditional Corsican
knife, thanks to a wide collection of sketches and etchings of ancient knives from which he draws his
inspiration to recreate exclusive pieces to order. Such is the case for the niolu, the ghjunssani, the
filasorma, or even the ascu, a small knife from Monté Cinto, which are all reproductions based on
weapon knives dating back to the 15th century, or the temperinu, a small pocket knife used for
sharpening quills pens.
However Paul Biancucci has also created his own pieces such as the 'cursina' knife with a handle
shaped like a goat's horn and a curved blade featuring a 'tarabiscot' (object used by cabinetmakers
in former times to shape mouldings). Each of his pieces features the famous American liner lock
system. But Corsica also has other exceptional people: like Kevin Musikar for example. This 29-yearold man, with sky-blue eyes and a lot of courage and talent, has set up his workshop amongst the
eucalyptus and strawberry trees on the winding road to Piana. He is undoubtedly the rising Corsican
cutler of the moment.
lemagazine
des éclats au détour des circonvolutions créées dans ce mille-feuilles d’acier et de fer.
93
S avoir - f air e
S avoir - f air e
Avec son atelier dans les arbres, son regard bleu azur, son courage et son talent, Kevin
Hors du commun, Franck Thomas, mondialement reconnu pour ses œuvres rares et uniques !
Muzikar est bien le jeune coutelier corse qui monte. Deux passions l’animent, la corne de
Ce dernier travaille les matières nobles : l’or, les pierres précieuses, les incrustations de corail,
chèvre et le ressort des suspensions à lames des anciennes Land Rover. Étonnant ! À partir de
l’ébène, le rostre de narval, l’os de girafe fossilisé ou encore les défenses de mammouth de
ce dernier produit, brut de forge, il exécute des lames traitées par trempe sélective et recuites,
Sibérie. Maître formateur, il aime l’esprit de la forge et son respect. Avec lui, d’une ligne pure
pour plus de souplesse. Quant aux cornes de chèvre, elles proviennent de troupeaux du cap
naît une mécanique tout naturellement sophistiquée sur laquelle le temps n’a pas de prise. De
Corse à Porto-Vecchio, et sont, tour à tour, découpées, cuites dans l’huile d’olive, puis
son atelier du Lotus Bleu sortent de véritables œuvres d’art pouvant atteindre 7 622 euros pièce.
redressées entre deux plaques de bois, pour enfin être stockées pendant un an, assurant à leur
possesseur une grande longévité. Un artisan dans tous les sens du terme dont l’innovation et
La reconnaissance de l’artisanat du couteau corse à travers le monde est grande. De véritables
la véritable passion donnent naissance à de superbes pièces très recherchées.
pièces de collection sortent ainsi chaque année des ateliers et offrent l’occasion de découvrir
le talent et le savoir-faire inégalé d’hommes d’exception.
Another unusual character is Franck Thomas – known worldwide
for his rare and exclusive work in noble materials ranging from,
gold, precious stones, coral, and ebony to narwhal horn,
fossilised giraffe bone or Siberian mammoth tusks. Being a
master trainer, he loves the whole spirit of forging and the
respect linked to it. From the simplest line he creates a most
sophisticated object made to last forever. True works of art come
from his 'Lotus Bleu' workshop – at prices, which can reach 7
622 euros for a single knife!
The craftsmanship of Corsican knives is world famous. Each year
exclusive collectors' items are brought out offering the
opportunity to discover the talent and expertise of these
exceptional craftsmen.
lemagazine
lemagazine
His two passions are goats' horns and old Land Rover suspension springs: amazing! From
the latter he uses the rough steel to make blades, which are then tempered to give them
flexibility. The horns come from goat flocks on the cap Corse at Porto-Vecchio. First they are
cut, then cooked in olive oil and set to stand between two planks of wood for one year to
ensure they have a long life span. A master craftsman in every sense of the word, whose
innovation and passion bring to life exclusive pieces, which are highly sought after.
94
95