Des « petits trucs (…) » géniaux au «(grand) truc magique de l
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Des « petits trucs (…) » géniaux au «(grand) truc magique de l
Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Denise AEBERSOLD Des « petits trucs (…) » géniaux au «(grand) truc magique de l’inversion… » Dans Louis-Ferdinand Céline vous parle et plusieurs interviews – à Robert Sadoul de« Radio Suisse Romande » en 1955, à Albert Zbinden en 1957, entre autres 1, Céline décrit les « petits trucs » techniques et astuces de son style émotif particulier, donnantun prolongement à la parabole ferroviaire du métro du bout de la nuit des Entretiens avec le Professeur Y 2. Notre étude s’intéresse à ces métaphores qui ajoutent une précision importante aux termes « d’émotion » et de « style » : celle du bâton courbé, vu droit dans l’eau par réfraction, relayant celle des rails biseautés « qui ne sont droits que dans l’émotion », des phrases « déplacées (…) légèrement de leur sens habituel (…) sorties des gonds pour ainsi dire 3 », subvertissant les grans symboles du Verbe et de la porte. Elle propose une relecture d’images parfois connues, dans un éclairage différent, et signale leurs échos dans l’ensemble de l’œuvre. Céline mentionne aussi son « labeur » de styliste devant la « chose », en d’autres termes, l’image chargée d’affects, confondue avec l’objet animiste dans toute sa puissance envoûtante. Il évoque le réel qu’il recrée par l’écriture, à la fois « antimatérialiste »et substantiel, selon des critères « papussiens ». (Entretiens avec Zbinden). Cette nouvelle façon de « travailler la chose »est aussi géniale, précise-t-il à Sadoul, que l’invention du « bouton de col à bascule » ou de « l’aiguille de Revers » – du nom estropié du docteur Reverdin – évoqués entre « Monsieur Prudhomme à l’envers » et les pots defeurs retournés. Abordant Rembrandt qui, dix fois de suite, dessinait son autoportrait – donc par réflexion dans un mioir – il conclut : « Il faut dire qu’en naissant, si vous ne voyez pas à l’envers, les pots de fleurs, ’est-ce pas, en naissant, vous ne les verrezjamais (…) C’est l’histoiredes peintres » – et desécrivains dignes de ce nom, en sous-entendu 4. Quoique prétende l’auteur, cette vision n’est pas native. Elle vient de l’occultisme . Nous rappelerons, pour finir, comment Céline l’a enrichie par des habillages et des transformations imprévues selon les étapes de son œuvre. 1. « Louis Ferdinand Céline vous parle », exposé enregistré, octobre 1957, RO II, pp. 931-936; Entretien avec Albert Zbinden diffusé par « Radio Lausanne », juin 1957, RO II, pp. 336- 345 ; Interview de Céline par Robert Sadoul, mars 1955, « Radio Suisse Romande », L’Année Céline 1990, Du lérot, IMEC, pp. 39-59. 2. Entretiens avec le Professeur Y, 1955, RO IV, p. 512. 3. EY, RO IV, p. 933. 4. « Interview par R. Sadoul », op. cit., p. 42. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Anne BAUDART Céline : Trois transpositions libres de l’oeuvre du dramaturge, du peintre et du musicien Le style « transposé » de Céline, s’il est – comme celui de Joyce – difficilement traduisible, invite par son principe même à la transposition dans d’autres formes d’expression. L’intensité dramatique de ses récits appelle une représentation théâtrale, la puissance de sa vision fascine les peintres et sa relation particulière à la musique inspire les écrivains-musiciens. Il a lui-même établi dans son œuvre des correspondances multiples avec tous les autres domaines de l’art, ouvrant le roman à la modernité en faisant éclater la notion de genre. Le rendu des faits « au réel » l’intéressait moins que le « ton juste », « la note exacte ». Photographier, fixer c’était « pourrir… illico ! », comme il le rappelle dans Rigodon. Il voulait du vivant, que ça palpite. Parmi tous ceux qui ont transposé tout ou partie de ses romans ou de sa vie – qui est en soi tout un roman – certains semblent avoir retenu son conseil et choisi de retenir ce qui fait la singularité du ton et du style de cet écrivain plutôt que de s’attacher à rendre le contenu littéral de ses récits. Nous en analyserons trois exemples : – la mise en scène de Semmelweis par une compagnie de marionnettes (dans le cadre du festival du Marto) qui a su rendre le climat tragique du combat du médecin hongrois contre le mal et la mort en montrant que c’est d’abord dans le mouvement même de son écriture que Céline rejoue cette danse macabre. – Anselm Kiefer, le grand peintre allemand, a dédicacé une des « maisons » de son exposition Monumenta au Grand Palais, en juin 2007, au Voyage au bout de la nuit, renvoyant les sombres tableaux de son immense polyptique à la vision hallucinante que Céline donne de la guerre dans son premier roman. La présence d’un bateau dans chaque tableau ramène aussi à l’univers célinien. Un lien est ainsi établi entre deux pensées de l’Histoire, deux œuvres sur le devoir de mémoire. Enfin l’écrivain suédois Sture Dahlström a pris Céline comme personnage central de son récit intitulé Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline (lu et mis en musique de jazz au Centre culturel suédois en octobre 2007 dans le cadre de « Lire en fête ») Pour l’aider à passer une frontière, un musicien imagine de le cacher dans son instrument et découvre qu’il rend maintenant un nouveau son… original. Une métaphore de la musique comme ultime refuge pour Céline… Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Johanne BÉNARD Échos de théâtre La transposition chez Céline : que n’a-t-on pas déjà dit sur le passage de la langue parlée dans l’écriture célinienne, que n’a-t-on pas déjà dit sur la transformation des données de l’expérience dans les romans ? Études sur la poétique célinienne et ses métaphores filées ou rabâchées, analyses linguistiques des différents procédés de la langue célinienne, lectures (autobiographiques) des passages de la vie aux textes. Aurait-on épuisé le sujet? La reprise de ce thème pour le colloque de 2007 nous invite à en explorer d’autres aspects. Travaillant depuis quelques années sur le théâtre contemporain et ayant fréquenté plus particulièrement les œuvres de Duras, Beckett, Sarraute et Pinget, je me suis demandée si l’on pouvait, chez Céline, trouver une voix qui, comme chez ces auteurs, puisse être « transposée » du roman au théâtre. Certes, on chercherait en vain dans L’Église ou dans Progrès, aux dialogues des plus conventionnels, la richesse des modulations de la voix narrative des romans subséquents. Il faudra donc préciser qu’à la différence de ces quatre auteurs, Céline n’a pas lui-même effectué ce passage, en proposant des textes pour la scène qui auraient donné à entendre sa petite musique. Ce sont plutôt dans les « transpositions théâtrales » de l’œuvre célinienne (celle de Luchini parmi d’autres) que la voix célinienne passe au théâtre. Là, par le biais d’une double transposition, la parole plutôt que de donner l’illusion du naturel, se révèle comme simulacre: comme théâtrale. Mais n’était-ce pas déjà chez Céline? En analysant quelques scènes du Voyage et de Guignol’s band, je voudrais montrer comment ce passage du texte célinien au théâtre avait été en quelque sorte préfiguré par Céline lui-même qui, lorsqu’il fait intervenir le théâtre dans ces romans, pourrait être plus sérieux qu’il n’y paraît à première vue. Le théâtre qui est représenté dans la scène de la « frémissante récitante » de la Comédie-Française (engagée pour jouer l’héroïsme guerrier), dans la tragédie que joue la mère assistant à l’agonie de sa fille mourant d’un avortement (deux scènes du Voyage) et dans les monologues aux accents shakespeariens de Delphine à la mort de Van Claben (dans Guignol’s band, I), programme les spectacles-collages des dernières décennies qui font « vibrer » (l’expression est de Delphine) le texte de Céline, en lui donnant une place sur les scènes contemporaines. Voix célinienne à la fois reconnaissable et méconnaissable. Inquiétante étrangeté qui nous ramène ultimement au cœur même de la transposition célinienne… Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Isabelle BLONDIAUX Du corps verbal au corps verbal dans Mort à crédit À partir de la lecture de la scène de dépucelage de Ferdinand dans Mort à crédit, nous proposons d’analyser et d’approfondir la notion de corps verbal. Pour étayer notre propos, nous nous référerons à un article de Jacques Derrida consacré à la scène de l’écriture et à l’essai de Dominique Maingueneau sur la littérature pornographique. Tandis que Jacques Derrida nomme « corps verbal » la dimension vivante du signifiant qui résiste à toute traduction et dont la réinstitution, lorsqu’elle s’opère, signe l’œuvre de poésie, Dominique Maingueneau souligne l’existence d’un hiatus impossible à combler entre littérature et pornographie, « dans la mesure où pour se légitimer, la littérature doit mettre au premier plan le corps verbal, alors que le texte pornographique est voué à subordonner le langage à la monstration de corps sexuellement actifs. » Notre intention est de mettre en évidence de quelle manière s’effectue dans l’extrait évoqué de Mort à crédit le travail de transposition qui rend possible le passage du corps verbal au corps verbal. La comparaison de la version censurée de ce passage, telle qu’elle est accessible en collection « Folio », avec la version non censurée de l’édition de la « Pléiade » sera l’occasion de repréciser le statut de ce texte, littéraire ou pornographique. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Olga CHTCHERBAKOVA « Rien à chiquer pour les coupures. Monstrueux outrage 1 ! » ou le Voyage en russe dans les années 30 Elsa Triolet, désireuse de faire connaître Céline aux Soviétiques, entreprit la traduction de Voyage au bout de la nuit et la termina en moins d’un an. Souhaitait-elle l’achever avant la date fatidique du 17 août 1934 à laquelle devait se tenir le Congrès des écrivains soviétiques ? C’est fort possible. Dans le climat idéologique extrêmement pesant de l’entre-deux-guerres, la traduction de Triolet devait être immanquablement sélective pour devenir conforme aux habitudes éditoriales soviétiques des années trente; elle ne pouvait qu’être le reflet de l’autocensure que la traductrice exerçait sur elle-même et qui conduisit à l’inévitable disparition de certains passages, s’agissant de l’évocation des toilettes publiques de New York ou des fourmis rouges et – paradoxalement – de toutes les descriptions « trop réalistes » au goût de ce qui s’intitulait pourtant le « réalisme socialiste ». En analysant la traduction de Triolet, on constate avant tout le raccourcissement des passages où le narrateur de Voyage se livre à de longues introspections: « je traduis en condensant au passage » écrit Elsa à sa sœur. Le souci de clarté est toujours présent à l’esprit de Triolet, ce qui correspond à sa vision de l’écriture : « …une certaine banalité dans l’expression ne me déplaît pas. Je continue à penser qu’une prose où chaque mot vaut son pesant d’or est illisible 2. » La traductrice désarticule également les énoncés compliqués, recourt plus facilement aux phrases nominales. Elle préfère, à la différence des trois derniers traducteurs, à savoir Korneev (1994), Iounko et Gladiline (1995), la parataxe à la subordination, ce qui lui permet de créer des phrases plus rythmées et rend la syntaxe de sa traduction russe moins lourde que celle de ces trois traducteurs. À qui finalement, de la censure soviétique ou de la traductrice, imputer la responsabilité de l’altération du texte original? Pour Céline la réponse est claire: toute la faute revient à Triolet, sa traductrice « tripatouilleuse », aux manipulations de laquelle il attribue le caractère extrêmement lacunaire de la version russe de son Voyage. Sans connaître cette langue, Céline dut forcément se rendre compte en feuilletant la version imprimée de cette traduction qu’une main coupable avait largement taillé dans l’original: le texte russe ne contenait que cinquante-cinq pour cent du texte original, le reste ayant été escamoté… 1. Lettre à Jean Paulhan du 18 novembre 1954, Lettres À La N.R.F., Paris, Gallimard, p. 256. 2. Elsa Triolet, « Ouverture », in Oeuvres romanesques croisées d’Elsa Triolet et Aragon. Paris: Robert Laffont, 1964, tome 1, pp. 19-20. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 David DÉCARIE Rhétorique et roman dans Voyage au bout de la nuit Le roman a donné lieu à d’exceptionnelles études théoriques (Bakhtine, Girard, Lukacs, Robert), mais l’aspect rhétorique de l’écriture romanesque a été plutôt négligé par la critique : les caractéristiques du genre dans le vaste domaine des figures restent en effet virtuellement inexplorées. Les figures, pourtant, jouent un rôle essentiel dans le roman moderne et tout particulièrement dans l’écriture de Céline. Une étude approfondie du roman Voyage au bout de la nuit permet de mieux comprendre la spécificité des figures romanesques. Je chercherai, plus précisément, à montrer le rôle de premier plan joué par les figures dans la constitution des catégories fondamentales du roman, soit la narration (le discours d’Arthur Ganate, dans l’incipit, ne fait guère place aux figures tandis que celui de Bardamu en est saturé) et le point de vue (la vision différente de Bardamu et de Lola se traduit par une série de figures antithétiques), l’espace (Noirceur-sur-la-Lys est un nœud de figures), la temporalité (les figures peuvent servir d’analepses ou de prolepses) et les personnages (Madelon est une personnification). Je soulignerai par ailleurs le caractère dynamique et relationnel des figures: loin d’être des monades autonomes ayant une fin en soi, cellesci constituent le matériau de constructions rhétoriques élaborées qu’il faut étudier. Je chercherai notamment à comprendre comment s’assemblent les figures, et comment elles s’articulent en unités d’un rang plus élevé. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Véronique FLAMBARD-WEISBART Remédiation / Réinvention: Voyage au bout de la nuit Afin de donner suite à un sujet déjà partiellement exploré dans le contexte de Féerie pour une autre fois (Prague 2000, « Céline entre ciel et terre, ou l’écriture du transport »), je propose, pour le colloque de Milan 2008, de me remettre à l’écoute de la petite musique célinienne, mais cette fois dans le contexte de la re-médiation (Bolter/ Grusin) ou réinvention théâtrale et musicale de Voyage au bout de la nuit par Claudia et Romeo Castellucci (Societas Raffaello Sanzio) créée pour le festival d’Avignon en 1999. Dans Voyage au bout de la nuit, Céline retrace sa vie à travers la fiction, sous le nom de Bardamu. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, devenu médecin, Bardamu décide de partir à l’aventure en Afrique, puis aux États-Unis, pour finir en banlieue parisienne. Céline fait de ce voyage initiatique un récit dont l’expression vraie et crue est le symbole. Le personnage de Bardamu est célèbre pour sa façon de parler, violente, radicale, et verte. Selon les Castellucci, « il est impossible d’imaginer quelque chose de plus sonore dans la littérature du xxe siècle : là où l’écriture même, qui compose cette traversée dans la partie cachée du monde, se fond en une petite musique, précipitée de façon à être consubstantielle au cri de douleur du monde entier en flammes ». Leur remédiation / réinvention de Voyage est une tentative de « créer les architectures sonores déjà présentes dans le roman, non pas en vertu d’une illustration acoustique mais comme l’on voyage à l’intérieur de sensations nocturnes ». C’est à la musicalité de la langue de Céline – et non pas au sens des mots – que s’intéressent les Castellucci, et bien que leur travail sur l’architecture de voyage reprenne des scènes familières du roman, seules certaines phrases sont extraites et mises en voix. Les paroles étant avant tout des musiques et des sons, les Castellucci traitent l’écriture célinienne comme une technologie du mot. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 David FONTAINE Le français, « langue de traduction » : un spectre célinien Se posant comme seul contre tous, – en guerre contre les écrivains contemporains, mais aussi contre le cinéma ou la publicité, – Céline prétend, par la révolution du style qu’il prône et pratique, se dresser contre la décadence du français devenu selon lui une langue morte, figée dans la syntaxe précieuse de l’écrit, coupée de la source vive de l’émotion du langage parlé. En somme, une langue seconde, écrasée sous l’héritage gréco-latin; une langue irréelle, vain substitut à la vraie vie extérieure; une langue de traduction, affadie, plate, avortée… Ce thème récurrent et identifiable, qui se trouve au centre de son art poétique négatif, réactif, polémique, se cristallise autour de la question de l’invasion des traductions littéraires, venues en particulier de l’anglais, dans le champ littéraire national. Dans cette perspective agressive, Céline intente au lecteur français contemporain une sorte de procès patriotique en haute trahison littéraire, qu’il instruit de loin en loin, au sein même de ses œuvres et dans leurs marges. Un procès fait au « troulecteur » de traductions, et aux « trouducteurs », agents stipendiés, qui prend, comme souvent chez Céline, un caractère injurieux et anal… D’une page célèbre de Féerie pour une autre fois (1952) à la fameuse interview-préface « Rabelais, il a raté son coup » (1959), il s’agira de mettre au jour les tenants et aboutissants de cette question critique sensible de la traduction et du rejet affiché des littératures étrangères. Sans se priver de faire le lien avec une série de séquences centrales de Bagatelles pour un massacre (1937), qui constituent une version première de ce même thème, développée en un sens résolument antisémite. « Traduction » diffusant une « langue de robots » contre « transposition » lyrique réveillant un élan verbal créateur ; entreprise (juive) de « standardisation littéraire » contre « rythme émotif propre » (aryen): cette opposition raciale manichéenne montre en effet que l’antisémitisme célinien présente d’emblée une composante linguistique et littéraire, et inversement que les théories artistiques d’après-guerre comportent un sous-texte biologique tu mais cohérent. Le texte littéraire étranger, à la source de traductions françaises par essence dégradées, est à son tour une pâle copie: un « plagiat », un « postiche », témoin de l’« imposture » universelle. Car sous les dehors de la littérature étrangère traduite, c’est un fonds littéraire français maquillé (réaliste, naturaliste) qui est, selon Céline, revendu le plus souvent au lecteur traître et trahi, doublement (dé)possédé. Les écrivains américains, c’est du Zola adapté et dégénéré… Au terme d’un retournement dialectique caractéristique, la traduction révèle le dégoût du Même sous l’exécration de l’Autre. Par un effet de miroir ou de double classique chez Céline, sous la hantise de l’invasion étrangère, ressurgit, peut-être, la haine de soi Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Marie HARTMANN Transposition de Chateaubriand chez Céline La mélancolie romantique n’est pas un registre célinien. Pourtant, dans les dernières années de sa vie, Céline se livre à une transposition étonnante des Mémoires d’outretombe de Chateaubriand. Lisant ce texte en exil au Danemark, il n’a pu qu’être frappé par les coïncidences de situations et certaines communautés de points de vue. Par exemple le fait de se placer à postériori en « observateur-spectateur » de l’époque dans laquelle en fait, ils ont tous deux été acteurs. Des années plus tard, Céline s’estime lui aussi d’outre-tombe, oublié par la nouvelle génération, et volontairement à l’écart. Il joue de cette position d’observateur privilégié pour accumuler dans ce qu’il appelle comme Chateaubriand, ses « mémoires », les souvenirs transformés, et souvent faussés, d’une période historique non moins remarquable dans ses excès que celle à laquelle vécut Chateaubriand. Il reprend à l’imprécateur romantique sa « rancune » et son sens de la description féroce des travers et des mesquineries humaines. Il propose des portraits-charges, et à charge, de ses contemporains dans de courtes scènes dont l’horreur est amplifiée par l’humour noir. Comme chez Chateaubriand, outre les politiques, les cibles visées sont souvent les écrivains. La présentation partisane de l’époque en « Terreur » fait également écho aux visions d’épouvante de la Révolution procurées par Chateaubriand. Par ailleurs, Céline déplace dans les châteaux de l’Allemagne en guerre, les clair obscurs de celui de Combourg. Il y rencontre des bohémiens diseurs de bonne aventure comme Chateaubriand après le siège de Verdun. Et, tandis que le maître romantique, devenu ambassadeur, passe d’un château à l’autre, Céline raconte lui une fuite, d’un château l’autre, vers le Nord. Enfin Céline traduit la thématique de la fuite du temps, motif structurant du retour en arrière qui caractérise les Mémoires, en images de dérive. Les deux auteurs apparaissent comme des navigateurs aux bords d’autres rivages. En effet, Céline propose en contre point à la mélopée d’outre-tombe, une fugue où il paraphrase dans sa propre tonalité la présence dominante de la mort et l’imminence de la sienne. En jouant sur les accords et les désaccords de ces deux grands inventeurs d’une nouvelle langue, on montrera donc comment Céline emprunte et détourne la prose chateaubrianesque, comment tout à la fois, il le traduit, le transpose et l’embarque dans son dernier voyage. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Tomohiro HIKOÉ Céline à travers Ôé Kenzaburô Ôé (1935-), lauréat du Prix Nobel de littérature en 1994, est un écrivain connu tout d’abord pour son interrogation sur la possibilité du rétablissement de l’humanité blessée après tant d’événements désastreux du xxe siècle. Il mérite pourtant toute une attention pour ses procédés littéraires très particuliers. D’un côté, depuis la naissance de son premier fils atteint d’un handicap mental, Ôé construit son univers littéraire en ayant recours systématiquement à l’autofiction; au cœur de la plupart de ses romans se trouvent l’écrivain lui-même et sa famille. De l’autre côté, l’une des couches très importantes de sa littérature est constituée par le dialogue avec de grands textes littéraires, dont par exemple Dante, William Blake, Yeats, Cervantes ou Céline. Ôé a mis deux romans sous le signe de Céline : Une existence tranquille (1990) et Adieu, mes livres ! (2005 ; dans ce roman, il s’agit de Voyage au bout de la nuit). Mais qu’est-ce qui a mené Ôé vers Céline ? Selon Une existence tranquille, c’est sa vie avec le fils handicapé. En effet, dans ce roman, Ôé se réfère volontiers à Rigodon: « Donc Céline, qui erre d’un côté, de l’autre, dans le seul but de sauver sa vie et celle de ses compagnons au milieu des désastres de la guerre, en éructant des mots de haine et de malédiction, ne peut rester indifférent au bébé ou aux “petits crétins” dont le hasard lui fait croiser la route. Cela devrait paraître artificiel, et c’est écrit avec une mélancolie poignante. Voilà pourquoi je [= la fille de l’écrivain qui est narratrice du roman] suis attirée par Rigodon »(Une existence tranquille, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1990, p. 177). Intéressé ainsi par le côté « mélancolie poignante » de Céline, Ôé reconnaît sans aucun doute à travers les « petits crétins » de Rigodon un double de son fils, voire une métaphore de l’humanité tout entière abattue mais quand même optimiste. On pourrait donc confronter Céline et Ôé en examinant leurs visions sur les hommes et l’Histoire; ce qui jetterait d’ailleurs une nouvelle lumière sur l’épisode des « petits crétins » de Rigodon. Or, le personnage de fils handicapé n’est pas une simple métaphore chez Ôé. Il est une sorte de dispositif pour cristalliser la fiction. Le chapitre d’Une existence tranquille dans lequel il s’agit de Céline peut être d’ailleurs lu comme une réflexion sur le roman (il est significativement intitulé « Tristesse du roman »). Lire Céline à travers Ôé nous permettra donc de remettre en cause également la frontière de la fiction. En partant ainsi de Ôé, nous examinerons diverses possibilités de lecture de Céline Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Pascal A. IFRI Voyage au bout de la nuit en anglais : d’une traduction l’autre L’impact de la première traduction anglaise de Voyage au bout de la nuit, signée John H. P. Marks en 1934, a été considérable, aux États-Unis notamment. Elle a en effet énormément influencé plusieurs générations d’écrivains, de Henry Miller à Norman Mailer, en passant par Jack Kerouac, William Burroughs, Kurt Vonnegut, Charles Bukowski et bien d’autres. Pourtant, cette traduction était très imparfaite, si bien que les éditions New Directions ont demandé à Ralph Manheim d’en réaliser une nouvelle qui est sortie à New York en 1983 et qui est à ce jour considérée comme la traduction anglaise définitive du chef-d’œuvre de Céline. Notre propos ici ne sera pas de raconter l’histoire de la traduction anglaise (ou américaine) de Voyage, ce qui a été fait par Alice Y. Kaplan et Philip Watts dans un excellent article, également consacré à la traduction de Mort à crédit, paru dans L’Année Céline de 1996, mais plutôt, à travers quelques extraits représentatifs, de comparer les traductions et de Marks et de Manheim et de voir en quoi la seconde est supérieure à la première. Nous nous proposons en même temps d’évaluer celle de Manheim en la comparant au texte français, et de voir, également à partir de quelques extraits représentatifs, dans quelle mesure son auteur est parvenu à rendre le français si particulier de Céline. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Suzanne LAFONT Les tribulations du guéridon Louis XV de Mort à crédit à Rigodon Dans Mort à crédit le « guéridon Louis XV », seul objet authentique de la boutique familiale, fait l’objet d’une séquence mémorable. Prêté à de riches clients, le meuble sert de décor à une pièce de théâtre donnée à des fins charitables et, après la représentation, devient table de jeu quand ces mêmes riches misent leur fortune, puis l’hôtel où ils se trouvent – et où se trouve aussi le fameux guéridon. La mère sauve in extremis la table transmise en héritage. « La partie du guéridon » deviendra objet de souvenirs et de récits différents selon les affects du trio familial. Dans la trilogie allemande, depuis le départ précipité de la rue « Girardon » (comme un écho au « guéridon » qui y trônait peut-être), le narrateur célinien tente à tous égards de « sauver les meubles », relevant le geste de la mère dans Mort à crédit : la fortune en lingots d’or déposée au Danemark, la réputation de grand auteur du patrimoine (faisant « partie des meubles » qu’on le veuille ou non), l’héritage classique dont l’auteur se sent le dépositaire et le continuateur, tant pour l’art de conter que de mettre en scène. La trilogie, particulièrement Rigodon – titre qui est la quasi anagramme de guéridon – ne manque pas de références au siècle de Louis XIV dont le narrateur porte le prénom, comme il ne se prive pas de le rappeler. Il s’agit moins, pour le Céline de la trilogie, d’écrire l’histoire que d’en enregistrer les secousses – ce que faisait de façon prémonitoire le guéridon Louis XV qui avait vu « tous les châteaux s’envoler » dans Mort à crédit. Le narrateur entreprend d’en écouter et transmettre les bruits, y compris les « bruits » silencieux d’une page d’histoire qui se tourne, ou encore les bruits qui brouillent tout espoir de transmission du sens. De ce point de vue, on peut compter comme un des avatars du guéridon la plateforme tressautante des trains qui transportent le narrateur et son lecteur d’un bout à l’autre de la trilogie. Si, dans un geste célinien, on ouvre le Littré à l’entrée « guéridon », on y trouve consigné un véritable roman du mot. Littré fait appel à diverses éminences pour émettre des hypothèses étymologiques fantasques, notamment à Tallemant des Réaux rapportant qu’il connaissait « un homme qui avait mis la Bible en vaudevilles qu’on appelle guéridons »… On connaît le calambour farceur « si tu es gai, ris donc », le calembour pouvant être considéré comme une richesse du patrimoine à laquelle Céline donne des lettres de noblesse littéraire. Ainsi Céline sauve-t-il, en même temps que le patrimoine maternel, le fonds hybride de la langue, point de départ de toutes les fictions, de toutes les histoires et écritures de l’histoire. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Éric MAZET Un traducteur de Céline : John Hugo Marks De John Hugo Marks, le premier traducteur anglais de Céline, nous ne savons pas grand chose. Sauf qu’il avait été élevé dans l’admiration de Cervantès et de Shakespeare, partageait son temps entre l’Espagne et l’Angleterre, et connaissait assez la langue de Molière ou de Rabelais pour s’éprendre de Voyage au bout de la nuit. Marks sera l’un des rares traducteurs de Céline à rencontrer et à fréquenter son auteur. Dès 1933, Céline lui rend visite à Londres, répond à ses questions, et le conseille dans son travail. Mais en Marks, très vite, Céline voit plus un complice qu’un traducteur. « Appelez-moi Totor, Destouches, Ami, Salaud, mais pas maître » lui écrit-il. Aux confidences d’ordre personnel succèdent les conseils paternels qui nous en apprennent autant sur les hantises passées de l’écrivain que sur les difficultés présentes de son ami. La correspondance s’étale entre 1933 et 1947 avec un trou entre 1938 et 1947 et se compose de 84 lettres de Céline, mise en vente en avril 1982 à Londres chez Sotheby, rachetée et partagée par deux marchands parisiens, puis dispersée à l’unité. Nous avons pu en collationner vingt-et-une intégralement et copier des extraits d’une quarantaine d’autres. Nous essaierons d’en dégager quelques grandes lignes ou d’y trouver une certaine unité. Nous ne jugerons pas des qualités et des défauts des traductions de Marks, mais nous essaierons d’éclairer sa biographie à travers la correspondance de Céline et en évoquant les amis de Marks, alors à l’aube de leur notoriété. Peter Fleming servira de modèle à James Bond, cet agent secret inventé par son frère ; Graham Greene deviendra le célèbre romancier ; Eric Fraser, déjà connu comme peintre s’affirmera comme illustrateur ; Ian Parsons deviendra un grand éditeur et le directeur de Chatto and Windus ; Alister Cooke, l’un des plus célèbres journalistes de la bbc et une voix de l’Amérique. Par l’entremise de Marks, Céline a rencontré certains de ces amis. Leurs noms apparaissent parfois sous sa plume. Nous parlerons donc un peu de ces gloires anglaises. Et il ne nous semble pas inintéressant de savoir que Marks fut également traducteur de Jean Malaquais et de Camilo José Cela – dont les œuvres ne sont peut-être pas sans points communs avec celles de Céline. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Olivier MONCHARMONT Transposition du mythe du « Péril jaune » dans Bagatelles pour un massacre : les fonctions de l’analogie La diatribe antisémite sous couvert de pacifisme, fil conducteur de Bagatelles pour un massacre, est ponctuée d’anathèmes inattendus à l’encontre des Chinois, Mongols, Tartares, Kirghizes, Huns ou encore Mandchous. Ces véhémentes incises, remarquables par leur fréquence et leur diversité référentielle, dépeignent par petites touches la menace fantasmée par Céline que ces populations exotiques, à l’instar des juifs, feraient peser sur l’intégrité de la nation et la pureté de la « race aryenne »; menace tout à la fois sanitaire, démographique et politico-militaire. Tandis que les travaux de genèse relèvent les nombreux emprunts de l’antisémitisme de l’auteur à l’orthodoxie des officines de l’ultra-droite parisienne d’avant-guerre, les sources de « l’anti-asiatisme » demeurent floues. Pourtant et sans exclure une originalité poétique proprement célinienne, l’ensemble des représentations négatives que l’Occident s’est formé de l’Orient au cours des siècles semble être implicitement convoqué par l’écrivain comme pour en réactiver le mot d’ordre à l’esprit du lecteur de 1937: l’imminence d’un « Péril Jaune » dont la Russie communiste serait le signe avant-coureur. Cette rhétorique n’est pas sans rappeler celle développée au tournant du xxe siècle dans des récits mettant en scène la décadence de l’Europe en proie aux foules barbares d’Asie. En reconnaissant l’incertitude qui préside à l’entreprise de rattachement des digressions de Bagatelles sur « l’Invasion Jaune » à des références littéraires précises, il est possible d’éclairer la confusion de ce langage métaphorique à la lumière de sa fonction argumentative: celle de simplifier le message principal du pamphlet dont Céline se fait le prédicateur forcené, l’avènement d’un « Péril Juif ». Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Christine SAUTERMEISTER Entre histoire et politique: Céline en allemand La dernière traduction allemande de Voyage au bout de la nuit amène à poser la question des conditions historiques et politiques de toute transposition d’un texte dans une autre langue. Ainsi se trouve poursuivie une réflexion amorcée dans deux de mes communications précédentes à propos de la première traduction de Voyage en allemand ainsi que de « l’adaptation » allemande de Bagatelles pour un massacre. Comme l’a dit Friedrich Nietzsche, « on peut juger du degré de sens historique que possède une époque d’après la manière dont elle fait des traductions et cherche à s’assimiler les époques et les livres du passé » (Le Gai Savoir). La réception des premiers ouvrages de Céline en Allemagne est contemporaine de l’implantation et de l’expansion du nazisme et la traduction de ces ouvrages répond à l’esprit de cette époque: il s’agit d’une « traduction ethnocentrique » pour parler comme le traductologue Antoine Berman (L’Épreuve de l’étranger) ou, pour employer l’expression du linguiste Henri Meschonnic, d’une « traduction-annexion » (Poétique du traduire). Cette dernière manière de traduire qui s’oriente sur les attentes du lecteur en négligeant l’originalité du texte-source s’oppose à la « traduction-décentrement » ou encore à la « traduction-dépaysement », centrée, elle, sur l’auteur du texte étranger, une traduction longtemps pratiquée en Allemagne et célébrée en particulier par les Romantiques de ce pays pour qui traduire signifiait aller vers l’autre culture, établir un rapport d’échange avec l’autre. Le mode de « traductiondécentrement » semble avoir correspondu aux visées du premier traducteur de Voyage au bout de la nuit, Isak Grünberg, correspondant du Berliner Tageblatt à Paris où il finit par s’exiler tandis que son éditeur transformait son texte en adaptant le style célinien au goût de l’époque. La récente mise à jour du fond Grünberg ainsi que des archives des éditeurs Piper et Kittl fournit des détails significatifs à ce sujet (Cf. Rudolf von Bitter, « Ein wildes Produkt », Louis-Ferdinand Céline und sein Roman Reise ans Ende der Nacht im deutschsprachigen Raum. Eine Rezeptionsgeschichte, Bonn 2007). D’autre part l’adaptation de Bagatelles pour un massacre transformé par ses traducteurs nazis en instrument de propagande hitlérienne est un autre exemple révélateur de cette appropriationannexion du texte étranger. Ces manipulations jointes au scandale Céline seront d’autant plus fatales pour la réception critique de l’auteur français telle qu’on la trouve dans une Allemagne d’après-guerre traumatisée par son passé récent. La dernière traduction de Voyage datant de 2003, accompagnée d’une préface explicative de son traducteur, pose à nouveau la question de la transposition de Céline en allemand, évoquant les problèmes du premier traducteur. Une courte étude linguistique de ce texte sera suivie du parcours de la (nouvelle ?) réception de Céline occasionnée par cette récente traduction. Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Anne SEBA-COLLETT Mon Bard à moi : Shakespeare et Céline Céline aurait-il écrit sous l’égide de Shakespeare ? On s’en serait douté peut-être étant donné les propos de Céline au sujet d’Élizabeth Craig, dédicataire de son premier roman Voyage au bout de la nuit. Mais laissons de côté pour l’instant l’influence de cette femme sur l’écrivain pour cerner les liens entre le « Chantre d’Avon » et Céline: ceuxci existaient bel et bien ; mieux, ils devaient perdurer durant la vie littéraire entière de l’écrivain jusqu’à sa mort en 1961. Bien qu’en filigrane, les traces de Shakespeare se décèlent à partir du premier ouvrage célinien, s’accumulant de fil en aiguille jusqu’au point culminant de Guignol’s Band, dont la toile de fond est l’Angleterre, et le milieu anglais pendant la Première Guerre mondiale: et dans ce milieu, à Londres, le point de convergence du récit n’est rien de moins que la statue de Shakespeare érigée dans Leicester Square. C’est autour de ce point central que les événements du roman « londonien » se déroulent – sur fond de citations de Macbeth, la pièce shakespearienne la plus hantée par la peur. Bien qu’en filigrane, les traces de Shakespeare se décèlent à partir du premier ouvrage célinien, s’accumulant de fil en aiguille jusqu’au point culminant de Guignol’s Band, dont la toile de fond est l’Angleterre, et le milieu anglais pendant la Première Guerre mondiale: et dans ce milieu, à Londres, le point de convergence du récit n’est rien de moins que la statue de Shakespeare érigée dans Leicester Square. C’est autour de ce point central que les événements du roman « londonien » se déroulent – sur fond de citations de Macbeth, la pièce shakespearienne la plus hantée par la peur. Si Guignol’s Band est l’ouvrage où prime Macbeth, Féerie pour une autre fois passe le relais à Hamlet, la pièce shakespearienne qui incarne l’hésitation, exprimée dans la répétition des diverses variations de la célèbre citation « Être ou ne pas être » qui parcourent l’ouvrage. Cependant, dans cette œuvre de Céline, il y a autant de références implicites à La Tempête, le dernier ouvrage de Shakespeare, qu’il y en a d’explicites à Hamlet. En effet, La Tempête y est représentée dans le comportement des locataires d’un bâtiment de la rue Girardon sous les bombardements. Le lecteur y est le témoin d’êtres humains qui sont disloqués par la force d’un déluge de feu fortement ambigu qui leur assomment des hauteurs du ciel. Un Déluge qui est d’autant plus saugrenu qu’il est dirigé par Jules, le Double le plus diabolique de tous les narrateurs céliniens. Dans cette lutte suprême pour la restitution de l’honneur de l’écrivain, Céline règne sur la Butte comme ce fut aussi le cas pour Prospéro, le magicien et sosie de Shakespeare dans La Tempête. Bien que la présence du dramaturge élisabéthain ne se fasse plus ressentir explicitement dans les œuvres céliniennes de la trilogie, elle n’a jamais cessé de hanter l’esprit de Céline. Car il s’agit aussi de la magie. Celle-ci est commune au dramaturge anglais et à l’écrivain français: dans le geste du narrateur des Entretiens avec le professeur Y sachant casser son bâton afin de produire de la magie de son métro émotif, ne décèle-t-on pas l’image inversée du soliloque de Prospéro dans La Tempête, lorsque celui-ci abjure sa magie en cassant sa baguette. Ce parcours résume assez bien le génie de Céline, qui réussit à traverser l’enfer des humains en compagnie de Shakespeare, tout comme Dante, autrefois guidé par Virgile Traduction et transposition Actes du XVIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline Milan, Centre culturel français 4 - 6 juillet 2008 Alice STASKOVÁ Céline chez Hrabal Tout lecteur célinien qui connaît l’écriture de Bohumil Hrabal, l’un des prosateurs majeurs tchèques d’après 1950, ne s’étonnera pas d’entendre Hrabal citer Céline parmi ses « grands maîtres ». La communication envisagée se propose d’étudier les modes de transposition de cette admiration constante dans l’œuvre hrabalienne. De façon quelque peu surprenante, la création célinienne ne s’y retrouve pas à travers des marques stylistiques tels que les fameux trois points ou par l’intermédiaire d’une dénonciation universelle du monde comme c’est le cas chez quelques autres écrivains tchèques amateurs de Céline. Il y est question plutôt d’un regard très précis sur le monde et d’une écoute particulièrement fine de la langue qui, paradoxalement, n’aboutissent pas aux techniques naturalistes mais à une nécessité de créer pour un imaginaire insolite une langue nouvelle. Aussi le fait n’est pas négligeable que Hrabal se réfère au personnage de Céline dans des circonstances politiques précaires, en se refusant, au désespoir de ses admirateurs, à toute attitude héroïque mais aussi à tout parti pris univoque par rapport à son passé. Il s’agira donc d’abord de relever les nombreuses références à Céline dans les écrits et des documents hrabaliens (outre les romans, nouvelles et récits, la correspondance, les interviews et propos rapportés). À cette occasion seront évalués les « voisinages littéraires » de Céline dans l’univers hétéroclite des lectures hrabaliennes. Ce compte rendu apporterait à la réception de Céline en dehors de la francophonie tout en ouvrant d’autres possibilités de contextualiser son œuvre dans l’histoire de la littérature mondiale. Ensuite, les propos de Hrabal ainsi que sa poétique seront confrontés à la création de Céline. La comparaison contrastive met en relief aussi quelques aspects de l’œuvre de Céline elle-même qui bien que connus de ses lecteurs seront parfois négligés dans la vue d’ensemble de sa réception: ainsi par exemple l’aspect essentiellement « urbain » de son intellectualité, les tendances lyriques l’emportant sur les catégories épiques du genre romanesque ou bien le caractère spécifique de son humour. Il n’est pas sans intérêt que Hrabal estimait avant tout Mort à crédit et qu’il se référait à D’un château l’autre dans le contexte d’une réflexion sur le rôle de l’individu dans l’histoire. Enfin, la qualité et le caractère des traductions de Céline en tchèque jouent un rôle dans sa réception intense en Tchécoslovaquie. Il s’agira donc d’étudier des incidences de la langue célinienne transposée en tchèque sur celle de Hrabal. Ainsi, Hrabal étant assez explicite sur la façon dont il a transposé la poétique et l’imaginaire de ses maîtres dans son propre univers, une étude approfondie de ce cas privilégié de la réception de Céline met en évidence certains aspects du roman européen du vingtième siècle.