Notice internet nantes - Musée des Beaux

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Notice internet nantes - Musée des Beaux
Alexandrine Delaval, Malvina ; Chant de douleur sur la perte de
son cher Oscar , 1810, huile sur toile, 92,5 x 114 cm, Nantes, musée
des Beaux-arts
Texte par Saskia Hanselaar, historienne de l'art
Cette huile sur toile récemment acquise par le musée des Beaux Arts de Nantes fait
rentrer pour la première fois dans une collection publique une œuvre d’Alexandrine Delaval.
Femme artiste faisant partie des nombreuses peintres à exposer au Salon dans les premières
décennies du XIXe siècle, elle est active de 1808 à 1838. Issue d’une famille d’artisans, elle
devient l’élève de Jean Baptiste Regnault, peintre d’histoire reconnu et contemporain de
Jacques Louis David, ayant accueilli de nombreuses femmes dans son atelier des années 1790
aux années 1810. Ainsi, ses élèves parmi lesquelles Henriette Lorimier ou Angélique Mongez
auront une carrière remarquable au Salon. Quant à Delaval, elle se spécialise dans les genres
du portrait et de l’anecdote historique. Elle exécute également des sujets inspirés de la Bible,
en raison de ses liens avec les milieux religieux parisiens. Par cet intermédiaire, des copies lui
sont commandées par le gouvernement, montrant une reconnaissance administrative et
artistique. Le portrait de l’Amiral Willaumez, d’après Pierre Louis Delaval, est conservé à la
mairie de Belle-Ile-en-Mer et atteste de ses talents de portraitiste. Ces choix montrent
clairement la volonté d’Alexandrine Delaval d’être considérée comme une artiste de premier
choix en s’attaquant au Grand Genre, considéré le plus noble dans la hiérarchie des genres.
Le succès d’Ossian autour de 1800
L’œuvre qu’elle présente au Salon, au Louvre, en 1810 s’intitule Malvina ; chant de
douleur sur la perte de son cher Oscar. Le thème est inspiré des poésies d’Ossian, très en
vogue en France et en Europe dès leur apparition dans les années 1760. Premiers poèmes
gaéliques en prose retrouvés et traduits en anglais par James Macpherson (ils s’avéreront en
réalité écrits de sa main et inspirés par les chants traditionnels des Highlands), ils incarnent
l’antiquité septentrionale mystérieuse, exotique et inédite face à l’antiquité méditerranéenne
classique et solaire. La modernité et la nouveauté de ces chants occasionnent de nombreuses
critiques dithyrambiques provenant de la République des Lettres. Leur succès est tel que des
opéras, des pièces de théâtre, des parodies, des écrits, de nouvelles traductions en vers et en
prose, des pièces musicales font leur apparition. En Angleterre, au Danemark et en
Allemagne, Ossian, barde-guerrier du IIIe siècle après Jésus-Christ, inspire une peinture
héroïque et historique propre à mettre en scène un passé glorieux. En France, les artistes
commencent à représenter le barde aveugle dans les années 1790. Des peintres reconnus tels
François Gérard et Anne Louis Girodet diffusent une peinture fantastique et fantasmagorique
inspirée de la geste ossianique.
Alexandrine Delaval, jeune artiste en quête de reconnaissance au Salon, s’insère donc
dans une tendance établie en France depuis quelques années. D’autres femmes avaient
également abordé ce sujet : Lucile Franque en 1802 (Gaul et Evirchoma, œuvre non localisée)
et Elisabeth Harvey en 1806 (Malvina pleurant la mort de son cher Oscar, Paris, musée des
Arts Décoratifs). Tout comme cette dernière, Delaval choisit comme héroïne Malvina, amante
d’Oscar, fils d’Ossian. Lorsqu’Oscar meurt, Malvina est en proie au plus sombre des
désespoirs, faisant ainsi tristement écho aux nombreuses femmes françaises ayant perdu leur
bien-aimé durant les guerres napoléoniennes.
Un traitement inédit
Dans un intérieur composé d’éléments médiévaux (une statuette religieuse sur un
chapiteau, un arc trilobé qui laisse découvrir un paysage verdoyant et ensoleillé, les arcs
rythmant l’arrière-plan et des meubles d’inspiration gothique), Malvina, somptueusement
vêtue d’une robe blanche, est dans les bras d’une de ses compagnes. En face d’elle, Cromla
joue de la musique afin de la réconforter. Les yeux tournés vers l’embrasure de la fenêtre,
Malvina semble perdue et mélancolique. Son regard posé sur le ciel fait référence en la
croyance calédonienne selon laquelle les fantômes des êtres chers disparus pouvaient
communiquer avec les vivants. Les couleurs délicates et la touche précise de l’artiste
soulignent l’harmonie de la composition et le sentiment de douleur de la jeune veuve. Ce
tableau d’une belle facture s’insère dans la production des sujets de genre anecdotique, c’està-dire des sujets s’inspirant de l’Histoire mais leur donnant une résonnance plus intime. Par la
représentation de la lamentation mélancolique de cette femme pleurant son amant mort,
Alexandrine Delaval enrichit la peinture inspirée d’Ossian par une nuance intime,
sentimentale et vertueuse, mettant au premier plan l’héroïne féminine.
Toutefois, l’artiste apporte aussi une nouveauté inédite au traitement de son tableau.
En effet, elle est la seule des artistes traitant Ossian à interpréter l’antiquité calédonienne à la
manière gothique. A l’image des héroïnes nationales, représentées dans les tableaux des
années 1800 et 1810, Malvina devient une figure du passé national. Le choix du décor
gothique confirme la volonté d’interpréter les chants calédoniens comme faisant partie de
l’histoire française. Une telle appropriation s’explique par les confusions existant à l’époque
sur la question du peuple celte. Jusque dans les années 1820, les poèmes d’Ossian
représentent une source textuelle unique et sérieuse, permettant de croire que les Gaulois sont
liés traditionnellement aux peuples dits celtes. Peu d’éléments archéologiques étant connus de
l’Antiquité septentrionale, il ne paraît donc pas improbable de décider d’un décor qui semble
convenir à cette période. Delaval place donc volontairement son personnage dans un
environnement historique reconnaissable, grâce au musée des Monuments français, créé par
Alexandre Lenoir au lendemain des vandalismes révolutionnaires.
Ce choix, montrant l’érudition historique d’Alexandrine Delaval, est un exemple
unique dans les tableaux inspirés d’Ossian autour de 1800. Mettant volontairement en avant
Malvina, amante du héros Oscar et bardesse sous l’égide d’Ossian, la peintre donne une
vision fantasmée de la tristesse féminine et érige sa douleur en tant qu’élément héroïque et
vertueux. En outre, cette œuvre est la première de cette artiste à intégrer les collections
françaises malgré une présence récurrente aux Salons dans les premières décennies du XIXe
siècle. Elle est ainsi représentative du nombre non négligeable des femmes artistes, qui ont
participé à la création de l’art au début de ce siècle.

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