Chef de poste en Indochine.
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Chef de poste en Indochine.
Chef de poste en Indochine. Pour le commun des mortels, la guerre d'Indochine, ce sont les interventions parachutistes, les combats des groupes mobiles, en un mot c'est NASAN, CAOBANG, LANGSON, la Rivière des Parfums, la Plaine des Joncs et bien sûr DIEN BIEN PHU! Et bien non! Sans vouloir minimiser tout l'héroïsme et le tragique qui se cachent derrière ces noms, je me permets de dire et même d'affirmer que ce sont les postes qui ont été la cheville ouvrière du maintien de la présence française en Indochine. Rôle ingrat et périlleux que celui de chef de poste et de ses hommes dans la jungle laotienne, au Nord Tonkin, dans les calcaires du Day, au milieu des forêts des Hauts Plateaux ou des rizières tonkinoises ou cochinchinoises. En tout plusieurs centaines de postes, du plus petit au plus grand, les premiers commandés le plus souvent par un sergent à le tête d'un fort groupe de réguliers ou de partisans, servant le plus souvent de sonnettes aux abords des villes ou à proximité des plus grands postes. Ces derniers, véritables îlots de résistance et d'occupation d'une zone, commandés par un officier (capitaine ou lieutenant ancien, en principe assisté de sous-officiers confirmés) dont la mission essentielle était la destruction du Viêt ou son annihilation. Enfin les plus nombreux, les postes de moyenne importance commandés chacun par un adjudant ou adjudant-chef (le plus souvent de la Coloniale) assisté d'un sergent -chef adjoint et implantés à chaque point stratégique (carrefour d'arroyos, de pistes, points dominants, passages obligés, etc.). Ce sont deux de ces postes que j'ai commandés durant 24 mois en Cochinchine. Mon premier poste (mars 1950 à mars 1951) se trouvait en région rizicole, par conséquent inondable et inondée effectivement (20 cm d'eau dans le poste 6 mois de l'année).J'avais sous mes ordres une section de Sénégalais et un groupe de partisans cambodgiens. Garnison solide, sans problèmes ni rivalités de races malgré la présence des femmes des partisans, présence indispensable ne serait-ce que pour monter la garde, la nuit, à coté de leurs partisans de maris, roupillant comme des seigneurs, à leurs emplacements de sentinelles! Mon second poste (mars 51 à fin 51), se trouvait dans le secteur des Vaicos, en bordure de la Plaine des Joncs, en bordure d e deux grands canaux et proche d'un village important, au milieu d'anciennes plantations d'ananas parsemées de zones forestières, cadre idéal de refuge des bandes Viêt-Minh. J'avais sous mes ordres une forte section de réguliers Vietnamiens (parfois Viêts) et 40 ou 50 partisans des unités catholiques pas toujours très francs du collier. Un sergent-chef et 5 ou 6 soldats français (moitié Antillais, moitié métropolitains) complétaient l'effectif. Dans ces deux postes ma tâche principale était de contrôler la population, de contrer la présence Viêt et d'interdire, autant que possible, le passage de ces mêmes bandes Viêt en transit à destination de la grosse agglomération de Saïgon-Cholon. Il est coutumier de dire qu'en Indochine le jour les Français étaient les maîtres et que la nuit était le royaume des Viêt. Le chef de poste qui tolérait cette répartition des rôles condamnait son poste, à plus ou moins brève échéance, à l'asphyxie et à la mort.(Il ne faut pas oublier que chaque jour, ou plutôt chaque nuit, voyait la disparition d'un poste avec anéantissement de la garnison et perte de tout l'équipement, aux 4 coins de l'Indochine.)Le dilemme était le suivant: ou bien le chef de poste sombrait dans la routine et causait tôt ou tard la perte du poste, ou bien il réagissait et disputait le terrain, la nuit, aux Viêt. Dans chacun de mes deux postes j'avais adopté cette attitude, au prix de beaucoup de peine et aussi de sang versé. Dans mon deuxième poste, le tiers de mon effectif, dont moi-même, avons été blessés en 8 mois. Mon premier poste fut construit par mes soins, bâtisseur le jour, guerrier la nuit, pour empêcher le V.M.de détruire de nuit ce qui avait été construit le jour. Poste nouvellement implanté je n'héritais d'aucune conjoncture néfaste et créais par mon action quotidienne une situation sans ambiguïté. Par contre mon 2ème poste était d'implantation ancienne et dans un état de vétusté assez avancée nécessitant une remise en état urgente du mur d'enceinte. Le précédent chef de poste (un Métro), sortait probablement peu et le V.M. avait piégé tous les accès sur un quart du pourtour, interdisant par conséquent tous les mouvements de la garnison du poste dans ce secteur. Je réagis immédiatement et attaquais le déminage au cours duquel je fus blessé par l'éclatement d'une grenade "Ananas" (d'un même volume que ce beau fruit!) qui avait échappé à la vigilance de mon équipe, non spécialisée, je dois le reconnaître, dans ce genre d'opération. Je restais absent près de 2 mois, après transport à l'Hôpital 415 de Cholon que je ne pus rejoindre que 3 jours après avoir été blessé. Réaffecté au même poste après guérison, je poursuivis mon action de nettoyage et surveillance dans un périmètre le plus large possible, seule méthode garantissant la vie ou la survie de moi-même et de mes hommes. Le V.M., il faut le savoir, ne se risquait pas dans des actions de harcèlement s'il ne se sentait pas en position de force. Les postes qui tombaient étaient ceux qui laissaient la voie libre à l'adversaire. Pourtant avec une garnison Vietnamienne le Viêt avait un oeil dans la place, ce qui nécessitait des mesures de sécurité sans failles, telles que la désignation au dernier moment des sentinelles pour la garde de nuit ou les sorties nocturnes, ainsi que des rondes incessantes des gradés européens (nous étions 2 sous-officiers!) Enfin méfiance et surveillance constante du cuisinier vietnamien qui confectionnait les repas des Européens. Combien de chefs de poste et de troupes européennes ont payé de leur vie la non observation de cette rè gle dans ce domaine (du bambou haché menu dans les aliments provoque une mort certaine dans d'atroces souffrances en peu de temps). Pour se faire une idée sur le rythme de vie d'un chef de poste et de son adjoint, il faut réaliser que l'un des deux devait toujours être présent au poste et l'autre presque toujours dehors. Le jour cela ne posait pas de problèmes, mais la nuit c'était autre chose! Avec l'accomplissement du quart de veille au poste, les sorties en patrouille ou embuscades, aucun des 2 ne pouvait espérer passer plus de 3 ou 4 heures sur sa planche de tek ou son lit de camp par nuit. A ce rythme là l'usure nerveuse et physique était inévitable. Et pourtant il fallait bien tenir puisque le séjour était de 27 ou 30 mois. Pour ma part, à la fin de mon séjour, j'avais perdu 10 bons kilos et n'en pesais plus que 56!C'était cela ou la mort à peu près certaine. Dans les postes à garnison Vietnamienne, en particulier, le Viêt savait tout ce qui s'y passait, je l'ai déjà dit. Le moindre relâchement, la routine installée au quotidien, ne pouvait qu'amener la catastrophe. Un petit poste, voisin du mien, commandé‚ par un sergent, fut attaqué en pleine nuit, pris d'assaut et totalement brûlé, il n'y eut pas un survivant. Et le célèbre Vanderberghe, chef du commando qui portait son nom au Tonkin, fut froidement assassiné, la nuit, au poste qui lui servait de base arrière. Pourquoi? Parce qu'il y vivait avec une Vietnamienne (repos du guerrier oblige) qui le vendit aux Viêt. Les Viêt, quand ils s'intéressaient à un poste, patientaient parfois de nombreux mois pour étudier dans le détail, la vie, les habitudes des occupants. Ils ne passaient en principe à l'action que lorsqu'ils étaient sûrs de réussir leur coup. Au fond, Dien Bien Phu n'était qu'un poste énorme avec s es sonnettes avancées. Et D.B.P. tomba parce que la garnison, faute de moyens suffisants, dut se laisser enfermer dans son périmètre défensif. Une seule fois Bigeard fit une sortie de jour au cour de laquelle il récupéra des armes et des prisonniers. Une f ois en 50 jours et nuits! Je salue donc ici la mémoire de tous les chefs de poste qui ont réussi l'exploit de tenir pendant 27 mois, dans des conditions matérielles et morales très pénibles. ADC BARRIO Mai 1993.