LA PROTECTION DES MINORITÉS DANS LE DROIT COMPTABLE

Transcription

LA PROTECTION DES MINORITÉS DANS LE DROIT COMPTABLE
P RATI Q U E C O M PTAB LE
HANSPETE R BAU MAN N
STE PHAN SPICH IG E R
LA PROTECTION DES MINORITÉS DANS
LE DROIT COMPTABLE
Prise en compte particulière des sociétés non cotées *
Le nouveau droit comptable a introduit des mesures de protection complémentaires
très efficaces pour les participations minoritaires. Selon les différents points de vue,
ces dispositions sont considérées comme gênantes ou tout à fait bienvenues.
Jusqu’à présent, ces nouvelles dispositions de protection des minorités n’ont quasiment pas été perçues du public.
1. LA PROTECTION DES MINORITÉS DANS
L’ANCIEN DROIT DE LA SOCIÉTÉ ANONYME
1.1 Introduction. La démocratie des actionnaires est basée sur
le principe de l’égalité de traitement de tous les actionnaires.
La règle générale veut que chaque action a une voix et que la
majorité des voix décide. Mais ce principe s’applique pour l’essentiel aussi en cas de restrictions statutaires en matière de
droits de vote. Certaines sociétés ont divisé le capital-actions
en deux valeurs nominales différentes, appelées actions à
droit de vote privilégié, et certaines décisions requièrent un
quorum légal ou statutaire qualifié. Toutefois, la plupart des
votes sont décidés par la majorité des voix attribuées aux actions. Ce principe est incontesté et constitue le fondement
de la formation de la volonté dans les entreprises. Mais les
­décisions de la majorité ne sont pas toujours «dénuées de problèmes» et peuvent donner lieu à des divergences de points
de vue.
Dans les sociétés cotées, les actionnaires minoritaires ont
la possibilité de vendre leurs parts à la Bourse en cas de divergence d’objectifs. Dans les sociétés anonymes privées, les
parts sont souvent immobilisées en raison de restrictions de
transmissibilité (négociabilité limitée); leur vente est alors
difficile, voire matériellement impossible. Ceci est notamment le cas dans les sociétés familiales. Pour cette raison, les
détenteurs de parts minoritaires sont fortement tributaires
d’un traitement équitable par le ou les détenteurs de parts
majoritaires. Un tel traitement a évidemment souvent lieu
(mais pas toujours). Il arrive que les actionnaires minoritaires
soient systématiquement mal informés, mis en minorité ou
même «mis à sec financièrement».
Les nouvelles dispositions de protection des minorités
qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2013, avec un délai
transitoire, en application du nouveau droit comptable sont
­exposées ci-après. A noter que le nouveau droit comptable
n’est qu’une réforme partielle mise en œuvre dans le cadre
de la ­réforme du droit de la société anonyme. Reste à voir
quelles nouveautés et améliorations des droits des propriétaires la troisième partie de la réforme apportera. Commençons par un bref récapitulatif de l’ancien droit des actionnaires.
1.2 Anciens droits à la protection des minorités. L’ancien
droit de la société anonyme comprenait aussi des droits étendus à la protection des minorités. Il s’agissait essentiellement des droits d’information et de contrôle, des droits de sociétariat
et des droits de recours. Ainsi, chaque actionnaire pouvait et
peut participer à l’assemblée générale (AG) et exercer son droit
de vote. Il a par ailleurs droit à un dividende partiel, pour autant qu’un tel dividende soit décidé, et à une part du produit
de liquidation proportionnel à sa participation. Il est autorisé
à demander des renseignements au conseil d’administration
ou à l’organe de révision lors de l’assemblée générale (art. 697
du code des obligations, CO). Selon l’art. 697a ss CO, tout actionnaire minoritaire qui représente au moins 10% du capital-actions peut exiger un contrôle spécial. Le texte qui suit fait en
premier lieu référence aux sociétés non cotées.
HANSPETER BAUMANN,
STEFAN SPICHIGER,
ÉCONOMISTE D’ENTRE­
EXPERT-COMPTABLE
PRISE ESCEA, EXPERT
DIPLÔMÉ, PARTENAIRE,
FIDUCIAIRE DIPLÔMÉ,
MEMBRE DE LA COMMIS-
PARTENAIRE MEMBRE
SION PRÉSENTATION DES
DU GROUPE DE PRODUITS
COMPTES DE LA CHAMBRE
CHAMBRE FIDUCIAIRE
FIDUCIAIRE, BDO SA
BDO SA, LIESTAL/BL, HANS
AARAU/AG, STEPHAN.
[email protected]
[email protected]
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Aujourd’hui, la plupart de ces droits des minorités, comme
le droit de participation à l’assemblée générale ou le droit à
une part correspondante du dividende décidé, paraissent
tout naturels. La convocation à l’assemblée générale doit avoir
lieu 20 jours au moins avant la date de la réunion (art. 700 CO)
et mentionner les points à l’ordre du jour ainsi que les demandes du conseil d’administration (CA). Le rapport de gestion
doit, avec les comptes annuels et le rapport de révision (dans
la mesure où les comptes annuels ont été contrôlés), être
remis aux actionnaires ou exposé au siège de la société pour
consultation (droit de communication du rapport de gestion,
art. 696 CO). Ces attentes paraissent elles aussi évidentes et
sont essentielles pour permettre à l’actionnaire de faire valoir
ses droits lors de l’AG.
Le contrôle spécial n’a pas réussi à s’imposer et ne revêt quasiment pas d’importance dans la pratique. L’art. 678 CO mérite ici d’être mentionné. Selon cet article, les actionnaires
et les membres du conseil d’administration, ainsi que les parties qui leur sont liées, qui ont perçu indûment et de mauvaise foi des dividendes, des tantièmes ou d’autres parts de
bénéfice sont tenus à restitution dans la mesure où ces valeurs sont en disproportion évidente avec leur contre-prestation et la situation économique de la société. Les actions à
l’encontre de la société anonyme ou de ses organes engendrent
toujours des coûts importants et de grands risques, et le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Les plaintes ne sont
prometteuses qu’en présence d’indices univoques que la loi
a été violée. Il ne reste donc essentiellement que les droits
d’information et de contrôle.
De prime abord, la possibilité de demander des renseignements
à l’organe de révision et au président du conseil d’administration lors
de l’assemblée générale (art. 697 CO) paraît intéressante. Le salaire du CEO, l’état et de la variation des réserves latentes et,
par conséquent, le bénéfice effectif de la société ou l’ampleur
exacte des pertes qui ont été engendrées par une mauvaise
décision de la part du CA ou de la direction, pourraient en
effet être des informations utiles.
L’obligation de l’organe de révision de fournir des renseignements
concerne exclusivement sa propre activité, c’est-à-dire l’exécution et le résultat du contrôle ainsi que les constatations
et réserves éventuelles. Ces questions d’ordre plutôt technique ne présentent généralement pas d’intérêt. Il incombe
au CA de fournir des renseignements sur tous les sujets
concernant la société tout en sauvegardant le secret professionnel et les intérêts dignes de protection de la société. En
règle générale, l’assemblée générale apporte rarement des réponses aux questions portant sur ce thème. Etant donné que
les actionnaires n’ont pas de devoir de loyauté envers la société, il ne serait pas judicieux et, suivant les circonstances,
serait même fatal pour la société si les actionnaires minoritaires avaient un droit de réponse à toutes les questions à l’occasion de l’assemblée générale.
Le nouveau droit comptable ne comble pas toutes les lacunes, tant réelles que supposées. Ainsi, un droit légal à un
dividende ne nous paraît pas pertinent. A court ou moyen
terme, l’obligation de distribuer un dividende pourrait
mettre en danger une entreprise. Par ailleurs, il n’est pas pratiquement pas possible de légiférer sur toutes les circons-
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tances et exceptions imaginables. Un droit légal à un dividende viderait de surcroît les droits des actionnaires majoritaires. En principe, c’est la majorité des voix qui décide dans
une société anonyme.
2. LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME
DU DROIT COMPTABLE
Les objectifs majeurs de la réforme liée au nouveau droit
comptable étaient d’augmenter la transparence des comptes annuels, de renforcer les droits des actionnaires et d’améliorer la protection des minorités.
Néanmoins, eu égard à la possibilité de constituer des réserves latentes quasiment illimitées, la transparence de
comptes annuels selon le CO est très relative. Les états financiers conformes au CO constituent non seulement la base des
décisions prises lors de l’AG, mais encore sont déterminants
pour les impôts (principe de déterminance); cependant, des
états financiers selon le CO ne peuvent que partiellement être
considérés comme une source d’information fiable sur la situation économique d’une société ou d’un groupe. En contrepartie, il a été accordé à une minorité qualifiée la possibilité
d’exiger des états financiers conformes à une norme reconnue.
Le Conseil fédéral considère la protection des minorités et
l’élargissement des droits de l’actionnaire comme judicieuses, arguant qu’«on assiste ainsi fréquemment à un glissement de fait du pouvoir des propriétaires de la société vers
la direction de l’entreprise» [1]. Les personnes à protéger sont
en premier lieu les actionnaires qui ne participent pas à la
gestion de l’entreprise car, en tant que tels, ils ne disposent
que de bien moins d’informations sur la marche des affaires
et sur la situation actuelle de l’entreprise. En outre, comme
nous l’avons déjà évoqué, les parts de sociétés non cotées sont
souvent immobilisées.
Du fait que le nouveau droit comptable ne se limite pas à
la société anonyme mais que ses dispositions sont indépendantes de la forme juridique (art. 957 CO), ces dernières ont
un grand impact et s’appliquent non seulement à la société
anonyme, mais aussi à la Sàrl, à la société coopérative, aux
­sociétés individuelles et aux sociétés de personnes, aux associations et aux fondations.
3. L’ÉLARGISSEMENT DE LA PROTECTION
DES MINORITÉS DANS LE NOUVEAU DROIT
COMPTABLE
Le nouveau droit comptable [2] renforce considérablement la
position des membres de la minorité. Or ceci n’a jusqu’à présent
pratiquement pas été perçu par le grand public des actionnaires.
3.1 Réserves latentes et transparence. Jusqu’à maintenant,
l’un des problèmes majeurs était la dissimulation du résultat
effectif par la constitution de réserves latentes.
Selon le nouveau droit comptable, des réserves latentes peu­
vent encore être constituées (cf. p. ex. art. 960e, al. 3 et 4, CO).
Cette procédure peut représenter un avantage concurrentiel décisif pour les entreprises suisses car elle permet d’influencer
la charge fiscale et de générer des réserves disponibles en cas
d’échecs ou de périodes creuses.
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L’augmentation de transparence était l’un des grands objectifs
de la réforme. En effet, le législateur considérait que les petits actionnaires et les actionnaires minoritaires ne disposaient jusque-là que d’une protection insuffisante. Le législateur a défini l’objectif de la présentation des comptes dans
l’art. 958, al. 1, CO:
«Les comptes doivent présenter la situation économique de l’entreprise de façon qu’un tiers puisse s’en faire une opinion fondée.»
Il est cependant illusoire de croire qu’il serait possible de
rendre compte de l’état du patrimoine, de la situation financière et des résultats de la société ou du groupe conformé-
« En fonction de la forme juridique
de la société, le législateur a accordé des
droits à la protection des minorités
aux minorités qui représentent 10% ou
20% du capital-actions.»
ment aux dispositions du législateur si des réserves latentes
pouvaient être constituées. L’administration des contributions peut certes reprendre des réserves latentes excessives.
Cependant, en termes de droit commercial, il est possible de
constituer des réserves latentes d’un volume quasiment illimité.
Le principe de la majorité dans une société anonyme présente le risque qu’un actionnaire majoritaire, qui assume
souvent aussi la direction de l’entreprise, fasse arbitrairement prévaloir ses propres intérêts sur ceux des actionnaires
minoritaires, d’autant plus que le fait de constituer des réserves latentes est une pratique courante en Suisse. Jusqu’à
ce jour, les actionnaires minoritaires n’avaient aucune possibilité de connaître l’état et les variations des réserves latentes,
hormis leur dissolution nette, si le CA refusait de répondre à
cette question. Le législateur s’en est aperçu et, pour cette raison, a optimisé la protection des minorités. Les actionnaires
représentant, individuellement ou ensemble, une part de
10% ou 20% du capital-actions sont en droit d’obtenir des informations supplémentaires. Suivant la situation, diverses
options sont proposées (cf. tableau).
En fonction de la forme juridique de la société, le légis­
lateur a accordé des droits à la protection des minorités aux
minorités qui représentent 10% ou 20% du capital-actions. Si
un actionnaire répond personnellement des dettes de l’entreprise ou est soumis à une obligation de faire des versements supplémentaires, une seule part suffit pour pouvoir
exercer les droits à la protection des minorités.
3.2 Revendication de droits à la protection des minorités. Les actionnaires minoritaires peuvent en principe présenter à tout moment une demande pour chacune des options
souhaitées les concernant. Cette demande ne requiert ni justification ni condition, à l’exception du quorum exigé. Elle
peut être présentée de manière informelle, la forme écrite
étant cependant recommandée. Les actionnaires minori-
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taires ne peuvent pas imposer l’application d’une norme reconnue particulière. Ce choix revient à l’organe supérieur de
direction et d’administration de la société, qui est dans le cas
présent le CA [3].
Il ne sera pratiquement pas possible, dans la pratique, de
présenter une telle demande à court terme ou en temps inopportun. Si le souhait de transparence accrue survient par
exemple en novembre, il ne sera pratiquement pas possible
de l’exaucer rétroactivement au 1er janvier de l’année en cours:
en effet, l’introduction de comptes annuels selon le principe
de l’image fidèle implique un travail considérable, avec une
phase préparatoire relativement longue.
Compte tenu du fait que bon nombre de petites sociétés
de révision ne sont pas en mesure d’effectuer des contrôles
­ordinaires ou des révisions d’états financiers selon une
norme comptable reconnue, un nouvel organe de révision
doit éventuellement être nommé. Un expert-réviseur agréé
doit procéder au contrôle ordinaire ou à un audit des états financiers conformément à une norme comptable reconnue.
Pour mieux comprendre ces nouvelles options, nous prendrons un exemple réaliste.
4. LA PROTECTION DES MINORITÉS
DANS UN CAS CONCRET
Heiniger Maschinenbau AG
Il y a de nombreuses années, Hans Heiniger a repris l’entreprise familiale de son père. Ses trois frères et sœurs ne
participent pas à l’exploitation de l’entreprise et détiennent chacun 15% des actions. Hans Heiniger possède
les 55% restants et est l’unique membre du conseil d’administration de la société. La famille a jadis opté pour
cette répartition des actions afin de mettre en œuvre le
règlement de la succession, la fortune des parents étant
principalement placée dans l’entreprise.
Une fois par an, Hans Heiniger convoque ses frères et
sœurs à l’assemblée générale. La pertinence des comptes
annuels présentés était faible jusqu’alors. Hans Heiniger
a toujours affirmé qu’il n’y avait pas de réserves latentes
importantes et qu’il n’était pas possible de distribuer de dividendes puisque la société ne dégageait pratiquement pas
de bénéfices. Les trois membres de la minorité n’étaient
pas satisfaits de ces réponses, mais devaient se contenter
de ces informations car, en tant que tiers, ils ne pouvaient
pas consulter les chiffres effectifs.
La société Heiniger Maschinenbau AG a deux filiales
qui sont toutes deux soumises au contrôle restreint. La
maison mère Heiniger Maschinenbau AG compte 45 employés et est elle aussi assujettie au contrôle restreint. Les
critères de taille applicables n’étant pas atteints, des
comptes consolidés ne sont pas établis.
En date du 1er janvier 2014, soit un an avant le dernier
délai de changement obligatoire, l’entreprise s’est con­
vertie au nouveau droit comptable. Les trois frères et
sœurs ont décidé d’exiger de Hans Heiniger une transparence maximale.
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4.1 Dispositions de protection des minorités dans le cas
concret de la société Heiniger Maschinenbau AG. Dans
le cas présent, les trois actionnaires minoritaires n’ont aucune influence sur la présentation des comptes des filiales
puisqu’ils détiennent uniquement des parts de la maison
mère, Heiniger Maschinenbau AG. Les actionnaires minoritaires possèdent conjointement 45% des actions et atteignent
ainsi largement le quorum de 10% ou 20%. Ils peuvent imposer six exigences:
loir ses intérêts de manière arbitraire vis-à-vis des actionnaires minoritaires. En revanche, si les droits des minorités
sont plus vastes, il y a lieu de craindre que ces minorités détournent des possibilités légales pour défendre leurs intérêts
« Un expert-réviseur agréé doit
procéder au contrôle ordinaire ou à
un audit des états financiers
conformément à une norme comptable
reconnue.»
Les options dans le cas de Heiniger Maschinenbau AG (quorum requis)
1. Etablissement de comptes annuels conformes aux
normes de présentation des comptes applicables aux
grandes entreprises (comptes individuels, participation de 10%, art. 961d, al. 2, ch. 1, CO)
2. Comptes individuels selon une norme comptable reconnue (p. ex. Swiss GAAP RPC, participation de 20%,
art. 962, al. 2, ch. 1, CO)
3. Contrôle ordinaire des comptes individuels (participation de 10%, art. 727, al. 2, CO)
4. Etablissement de comptes consolidés (participation de
20%, art. 963a, al. 2, ch. 2, CO)
5. Comptes consolidés selon une norme comptable reconnue (participation de 20%, art. 963b, al. 4, ch. 1, CO)
6. Contrôle ordinaire des comptes consolidés (participation de 10%, art. 727, al. 2, CO)
particuliers au détriment de la majorité ou lancer une «action
punitive». La limite des dispositions de protection des minorités est tracée par l’interdiction d’abus de droit. Cependant,
dans la pratique, la limite entre le fait de faire valoir systématiquement ses droits et celui d’abuser du droit est difficile à
tracer.
La revendication de tels droits des minorités peut être particulièrement ardue pour certains types d’entreprise, notamment pour les petites entreprises qui ne disposent que de
ressources limitées et dans lesquelles la direction est uniquement constituée d’un nombre restreint de personnes, voire
d’une seule gérante ou d’un seul gérant.
Les propriétaires d’une société anonyme comptant
par exemple huit emplois à plein temps pourraient avoir recours à l’opting-out. Si tous les actionnaires acceptent cette
procédure, la société peut se passer de désigner un organe de
révision. Mais un actionnaire minoritaire peut à tout moment exiger l’élection d’un organe de révision au plus tard
dix jours avant l’assemblée générale, et ce même s’il ne détient qu’une seule action (art. 727a, al. 4, CO).
Si l’actionnaire minoritaire représente une participation de
10% ou s’associe avec d’autres actionnaires, il est en droit
d’exiger une présentation des comptes conforme aux dispositions applicables aux grandes entreprises. Cette présentation demande alors des indications supplémentaires dans
l’annexe, un tableau des flux de trésorerie et un rapport annuel écrit. A ce propos, certains affirment que ceci n’est possible qu’en relation avec l’art. 961d, al. 1, CO.
Pour la première fois, les trois frères et sœurs Heiniger qui ne
participent pas à la gestion de l’entreprise ont la possibilité non
seulement d’exiger la transparence, mais aussi de l’imposer.
5. L’IMPORTANCE DES NOUVEAUX DROITS
À LA PROTECTION DES MINORITÉS DANS LA
PRATIQUE
Il est très délicat pour le législateur de trouver le juste équilibre entre les dispositions de protection des minorités, d’une
part, et les droits du détenteur de parts minoritaires, d’autre
part. Le cas échéant, l’actionnaire majoritaire peut faire va-
Tableau: APERÇU DES NOUVELLES DISPOSITIONS DE PROTECTION DES MINORITÉS
Associés
SA Sàrl
en %
Membres soc.
coopérative
en %
Membres
association
en %
Associés/membres répondant des
dettes/soumis à l’obligation de faire
des versements supplémentaires
Présentation des comptes des grandes
entreprises
10
10
20
X
Comptes individuels établis selon
une norme reconnue
20
10
20
X
Comptes consolidés
20
10
10
X
Comptes consolidés établis selon
une norme reconnue
20
10
20
X
Contrôle ordinaire
10
10
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L’actionnaire minoritaire peut par ailleurs exiger la vérification des comptes annuels sous la forme d’un contrôle ordinaire. Ce dernier est sensiblement plus étendu que le contrôle
restreint et prévoit la vérification de l’existence d’un système
de contrôle interne (SCI) dans la société. Ce système doit évidem-
« Le nouveau droit comptable
renforce considérablement la position
des membres de la minorité.»
ment être établi par écrit par la société avant le contrôle ordinaire car, dans le cas contraire, il ne peut pas être vérifié.
Si l’actionnaire minoritaire détient 20% des voix attribuées
aux actions ou arrive à mobiliser des actionnaires qui représentent ensemble 20% au total du capital-actions, il est en
­mesure d’exiger des comptes individuels selon une «norme
comptable reconnue», et ces comptes individuels sont alors
soumis au contrôle ordinaire.
Böckli constate que l’on peut s’interroger sur le fait qu’il
n’existe pas de disposition d’exception pour les PME, notamment pour les petites sociétés comptant au maximum dix
emplois à plein temps [4]. Il affirme par ailleurs:
«Du fait que de telles demandes sont matériellement possibles
sans conditions et que, en particulier, aucun motif ne doit être indiqué, la menace paraît être considérable.»
Les frais en résultant sont élevés et constituent une charge
pour la société. En outre, une petite société est quasiment incapable d’établir elle-même un SCI et des comptes annuels
en conformité avec une norme comptable reconnue [5] et doit
par conséquent acheter ces prestations. De plus, les dirigeants doivent investir un temps considérable.
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Si des comptes supplémentaires sont établis selon une norme
reconnue, ils doivent être contrôlés par un expert-réviseur
agréé. Contrairement aux comptes annuels conformes au
droit commercial, ces comptes supplémentaires ne doivent
pas être approuvés par l’AG. Ils doivent seulement lui être
présentés pour qu’elle en prenne connaissance. Il existe un
seul cas dans lequel des comptes supplémentaires conformes
à une norme reconnue ne doivent pas être présentés à l’AG: il
s’agit d’états financiers internes établis à titre volontaire.
6. RECOMMANDATION POUR LES DÉTENTEURS
DE PARTS MINORITAIRES DANS LES PME
Dans de nombreuses sociétés, il existe des détenteurs de
parts majoritaires et de détenteurs de parts minoritaires.
Bien souvent, les actionnaires majoritaires participent à l’exploitation de l’entreprise tout en étant aussi membres du
conseil d’administration. Ils sont donc très bien informés. De
telles sociétés existent dans la plupart des cas pendant des
années, voire des décennies, et il n’y a pas de divergences fondamentales entre les propriétaires. Cependant, les problèmes
et discordes sont de plus en plus fréquents dans la pratique,
donnant naissance à des litiges et à des procédures légales
qui représentent de fortes contraintes temporelles et souvent
aussi psychiques pour les personnes impliquées, et génèrent
des coûts considérables. Dans les petites entités, cette situation peut entraîner une véritable paralysie de l’entreprise.
Elle risque même, dans les sociétés familiales, de diviser la famille en plusieurs camps.
Si les minorités revendiquent tous les droits auxquels elles
pourraient prétendre selon le nouveau droit comptable, la direction de l’entreprise est alors contrainte de travailler à une
présentation des comptes éventuellement inadéquate pour
cette taille d’entreprise, au lieu de résoudre les problèmes qui
se dessinent à l’horizon. De l’avis des actionnaires minori-
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taires, les divergences d’opinion proviennent généralement
de l’action peu prévisible et opaque des actionnaires majoritaires et de la perte de confiance en découlant.
Or cette confiance n’est pas réduite à néant en quelques
jours; le conflit est précédé d’une crise de confiance longue,
sournoise et s’aggravant au fil du temps. Il est possible de pré-
« Les actionnaires minoritaires
peuvent en principe présenter à tout moment une demande
pour chacune des options
souhaitées les concernant.»
venir de telles crises en prenant suffisamment tôt des mesures qui favorisent la confiance et en veillant à une communication transparente. Les petites entreprises sont particulièrement sensibles aux omissions ou violations qui nuisent à
une «good Corporate Governance», c’est-à-dire à une gouvernance d’entreprise transparente et conforme à la loi. Le
choix des remèdes judicieux dépend de la situation concrète.
Que peut-on conseiller aux actionnaires majoritaires?
6.1 Sept recommandations
1. «Affamer» les actionnaires minoritaires est, à long terme, une
mauvaise stratégie. Dans la mesure où la situation financière
de la société le permet sans difficulté, chaque détenteur de
capital doit se voir distribuer un dividende comme compensation pour le risque lié à la propriété des actions et pour l’engagement de capital.
2. L’indemnisation des actionnaires majoritaires ou du présidentdirecteur général donne régulièrement lieu à des dissensions.
Il est par conséquent recommandé de passer des accords
clairs et écrits sur les compensations et les rémunérations variables, ainsi que sur les frais et les coûts salariaux.
3. Des dispositions de protection en faveur d’actionnaires
­minoritaires peuvent être conclues dans le cadre d’un pacte
d’actionnaires qui contient aussi éventuellement des dispositions à propos de la distribution des bénéfices. En outre, certains droits des minorités tels que la représentation de
groupes d’actionnaires dans le CA peuvent être définis dans
les statuts.
4. L’information des actionnaires minoritaires, même au-delà du
cadre légal, est généralement judicieuse et favorise la con­
fiance. Il est préférable d’informer les personnes concernées
de manière proactive et transparente des développements actuels de l’entreprise, de sorte que les actionnaires qui ne participent pas à l’exploitation puissent se faire une idée de la situation.
Notes: * Traduction de l’article paru dans l’EC 14/10.
1) Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2007
concernant la révision du code des obligations,
page 1425. 2) Le nouveau droit comptable est entré
en vigueur le 1er janvier 2013. Le délai de transition
pour l’application des nouvelles dispositions est de
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5. L’exécution ponctuelle et diligente de l’AG renforce la
confiance. Elle inclut une convocation conforme à la loi, le
respect de toutes les prescriptions légales afférentes et la rédaction soigneuse du procès-verbal (art. 699 ss CO).
6. Naturellement, le principe de l’égalité de traitement des actionnaires doit être suivi (art. 717, al. 2, CO). Ceci ne signifie pas
que chaque actionnaire doit être traité de la même manière
que les autres, mais que les actionnaires qui se trouvent dans
la même situation doivent être traités de la même manière.
7. Les sociétés de capitaux ne dépassant pas dix emplois à
plein temps ne doivent pas élire d’organe de révision. Si plusieurs actionnaires ou associés détiennent des participations dans une société, il est conseillé de désigner un organe
de révision qualifié et de faire vérifier les comptes annuels.
En effet, ces mesures contribuent à instaurer un climat de
confiance.
7. CONCLUSION
Jusqu’alors, le détenteur d’une participation minoritaire
n’était pas sans droits, mais il était, de fait, impuissant dans
de nombreux domaines et souvent mal informé sur la marche
véritable des affaires de l’entreprise. Comme nous l’avons expliqué, l’actionnaire minoritaire ne dispose certes toujours
pas d’un droit légal à un dividende, ni d’un droit de renseignement complet et illimité. Cependant, son statut juridique
s’est fortement amélioré avec le nouveau droit comptable et,
suivant la situation et en supposant que le quorum requis
est atteint, il est en mesure d’exiger un contrôle ordinaire
des comptes annuels, des comptes consolidés ou encore une
présentation des comptes selon une norme comptable reconnue.
Les droits à la protection des minorités stipulés dans le
nouveau droit comptable permettent aux actionnaires qui ne
collaborent pas dans l’entreprise de contrebalancer l’avance
en termes d’informations et l’hégémonie des gérants de l’entreprise, mais ils présentent aussi un certain potentiel d’abus.
Si les actionnaires minoritaires font valoir les nouveaux
droits sans aucun compromis, ils infligent à la société des
coûts et des charges considérables. C’est la raison pour laquelle il convient de peser minutieusement les coûts et les
avantages au cas par cas.
Dans la pratique, une grande partie du bénéfice effectif de
l’exercice est thésaurisée, donc retenue dans la société, ou des
réserves correspondantes sont constituées. Une partie du bénéfice effectif est transmise aux principaux dirigeants sous
forme de rémunération variable. Il ne faut alors pas oublier
les actionnaires minoritaires qui, en Suisse, sont souvent plutôt négligés dans les sociétés non cotées en bourse. Une distribution régulière et adéquate des bénéfices constitue l’une
des mesures de confiance les plus efficaces pour les PME. n
deux ans pour les sociétés individuelles et de trois
ans pour les sociétés appartenant à un groupe.
3) Ordonnance du Conseil fédéral du 21 novembre
2012 sur les normes comptables reconnues (ONCR),
art. 962a, al. 5, CO. 4) Peter Böckli, Neue OR-Rechnungslegung (Nouveau droit comptable selon le
CO), page 261, ch. 1157. 5) Ordonnance du Conseil
fédéral sur les normes comptables reconnues
(ONCR). Dans la pratique, seules les Swiss GAAP
RPC devraient entrer en ligne de compte pour les
petites sociétés.
L’ E X P E R T - C O M P TA B L E S U I S S E 2015 | 1–2