SI DIEU EXISTE, POURQUOI LE MAL ? Cette question est à la fois

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SI DIEU EXISTE, POURQUOI LE MAL ? Cette question est à la fois
SI DIEU EXISTE, POURQUOI LE MAL ?
Cette question est à la fois lucide et difficile. Lucide parce qu'elle part du principe que le mal n'est
pas une illusion mais une réalité. Nous vivons effectivement dans un monde rempli de mauvaises
choses même si, comme le chantait Louis Armstrong, ce monde est aussi rempli de belles choses
(What a Beautiful World). Difficile parce que, sur le plan personnel, vous avez peut-être déjà été
confronté à la souffrance vous-même (votre propre souffrance ou celle des autres). Et si vous n'avez
pas encore souffert, le mal finira « malheureusement » par frapper à la porte de votre vie. Tôt ou
tard. Je tiens donc à faire preuve de sensibilité en évitant de répondre à cette question avec légèreté.
La question du mal est aussi une question difficile car, sur le plan intellectuel et théologique, il s'agit
sans doute de l'un des arguments les plus forts contre l'existence de Dieu, le « rocher de l'athéisme »
comme diraient certains.
Pour nous aider à réfléchir et à répondre à cette question, j'aimerais donc poser quatre
questions :
-De quel mal parlons-nous exactement ?
-Qui est vraiment responsable du mal dans le monde ?
-Mal pas rapport à quoi exactement ?
-De quoi avons-nous vraiment besoin ?
•
De quel mal parlons-nous exactement ?
C'est une question que l'on ne pose pas souvent mais à laquelle il est important de répondre avant de
rentrer dans le vif du sujet. De quel mal parlons-nous exactement ? Derrière cette question, il y a
une distinction fondamentale entre le mal que je subis et le mal que je fais 1. À moins d'estimer que
je n'ai jamais fait de mal à personne et que je suis donc parfait ! La réalité de ma vie témoigne que
je suis certes victime de nombreux préjudices mais aussi responsable, voire coupable, de
nombreuses situations. D'où la deuxième question que j'aimerais nous poser.
•
Qui est vraiment responsable du mal dans le monde ?
Je suis conscient que vous n'avez peut-être pas le sentiment d'être particulièrement responsable ou
coupable de quoi que ce soit (vous n'êtes pas Hitler, me direz-vous), mais c'est pourtant l'état dans
lequel nous sommes aux yeux de Dieu et ce que semblait avoir compris Albert Camus, écrivain et
philosophe français athée (1913-1960) : « II est trop facile, sur ce point, d’accuser seulement Hitler
et de dire que la bête étant morte, le venin a disparu. Car nous savons bien que le venin n’a pas
disparu, que nous le portons tous dans notre cœur même et que cela se sent dans la manière dont les
nations, les partis et les individus se regardent encore avec un reste de colère »2. Autrement dit, le
cœur du problème, c'est le problème du cœur, diagnostic que le Christ avait déjà établi à son époque
: « Car c'est du dedans, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, prostitutions,
vols, meurtres, adultères, cupidités, méchanceté, ruse, dérèglement, regard envieux, blasphème,
orgueil, folie » (Marc 7.21-22). « Mais je n'ai jamais tué personne ou commis l'adultère », me direzvous ! Soit. Le problème, c'est que les critères sur lesquels je me base pour juger ce qui est mal ne
sont pas du tout les mêmes que ceux de Dieu : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu
ne commettras pas de meurtre, celui qui commet un meurtre sera passible du jugement. Mais moi, je
vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement (…) Vous avez
entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde
une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur » (Matthieu 5.21-22 ;
27-28). Autrement dit, je suis mal barré ! Si je veux être honnête avec moi-même, avec vous et avec
1 Merci à Charles Nicolas de m'avoir aidé à comprendre l'importance de cette distinction.
2 Tiré de La crise de l'homme, conférence donnée à New-York en 1946 : https://www.nazioneindiana.com/wpcontent/2013/10/la-crise-de-lhomme-camus.pdf (site consulté en septembre 2016).
Dieu, je dois bien avouer que j'ai déjà fait preuve de colère, de convoitise, mais aussi de
méchanceté, d'orgueil et d'égoïsme dans ma vie. Sans parler du mal que j'ai fait aux autres en actes
ou en paroles sans même m'en rendre compte. Si notre réponse à la question du mal est aussi lucide
et honnête que la question posée, nous devons donc reconnaître que nous faisons tous partie du
problème que nous dénonçons. Dans la plupart des cas, qui est vraiment responsable du mal dans le
monde ? La réponse est évidente : c'est nous, c'est vous, c'est moi. Ainsi, au lieu de remettre en
question l'existence de Dieu ou de l'accuser d'être l'auteur du mal, le mal devrait plutôt nous inciter
à nous remettre en question nous-mêmes. Serons-nous assez humbles pour accepter cette remise en
cause individuelle ?
•
Mal par rapport à quoi exactement ?
La troisième question qu'il faut nous poser pour répondre au problème du mal est la suivante : mal
par rapport à quoi exactement ? En d'autres termes, quand nous posons la question du mal, à quoi le
comparons-nous ? Au bien naturellement. Mais d'où vient cette idée de bien ? C.S. Lewis pose cette
question de manière pertinente : « L'argument que je retenais contre Dieu était que l'univers
paraissait si cruel et si injuste ! Mais d'où pouvait bien me venir cette idée de juste et d'injuste ? (…)
À quoi comparais-je cet univers quand je l'appelais injuste ? (…) Naturellement, j'aurais pu
abandonner mon idée de justice en disant que ce n'était qu'une idée personnelle, mais me résoudre à
cela annulait mon argument contre Dieu de la même façon. Car mon plaidoyer tenait à l'opinion que
le monde était réellement injuste et non qu'il ne se plaisait pas à mes fantaisies. (…) De ce fait,
l'athéisme se révélait trop simple »3. Autrement dit, quand je reconnais l'existence du mal, je
présuppose celle du bien. Mais sur quel fondement moral absolu nous basons-nous pour dénoncer le
mal ? Si Dieu n'existe pas, ce fondement n'existe pas et la morale devient toute relative. Relativité
confirmée par Jean-Paul Sartre : « L'existentialiste, au contraire, pense qu'il est très gênant que Dieu
n'existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de trouver des valeurs dans un ciel intelligible ; il
ne peut plus y avoir de bien a priori puisqu'il n'y a pas de conscience infinie et parfait pour le penser
; il n'est écrit nulle part que le bien existe, qu'il faut être honnête, qu'il ne faut pas mentir, puisque
précisément nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes »4. Ainsi, l'indignation
morale ou le sentiment d'injustice que nous éprouvons quand nous posons la question du mal ne
trahit-il pas notre conscience de l'existence de Dieu ou tout du moins de l'existence d'une loi, d'une
norme, d'une règle morale absolue que je n'ai pas définie moi-même mais que tous les hommes
devraient respecter indépendamment de la culture à laquelle ils appartiennent et de leurs convictions
personnelles ?
•
De quoi avons-nous vraiment besoin ?
Mais en posant la question du mal, je me demande si nous cherchons une réponse simplement
théorique, intellectuelle ou théologique. Je me demande si nous n'aspirons pas à autre chose.
Imaginez : vous vous cassez la jambe. Vous avez mal. Très mal. Direction les urgences. Un médecin
arrive. Sa présence soulage légèrement vos souffrances. Il vous examine et commence... à vous
expliquer pourquoi vous avez mal : la lésion des tissus, le message nerveux transmis au cerveau, la
douleur qui en résulte... Effaré, vous hurlez : « Je me fiche de savoir pourquoi j'ai mal. Tout ce que
je veux, c'est ne plus avoir mal ! Faites quelque chose ! ». Vous voyez où je veux en venir ? Quand
j'ai mal, je n'ai pas tant besoin de savoir pourquoi j'ai mal, mais de ne plus avoir mal. Quand je
souffre, je n'ai pas tant besoin d'explications, mais de guérison. Et c'est précisément ce que le Dieu
de la Bible nous offre. Au lieu de nous donner une explication théorique au problème du mal, il s'est
donné lui-même. Car si Dieu s'était simplement contenté de nous révéler pourquoi nous souffrons,
un peu comme la solution d'un problème mathématique, nous aurions été les premiers à lui
reprocher le caractère désincarné, impersonnel et froid de sa réponse : « Je me fiche de savoir
3 C.S. Lewis, Les fondements du christianisme (Ligue pour la lecture de la Bible, 2006), p. 54.
4 Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme (Gallimard, Folio/Essais,1996), p. 38-39.
pourquoi j'ai mal. Tout ce que je veux, c'est ne plus avoir mal ! Fais quelque chose ! ». Et c'est
précisément ce qu'il a fait en s'incarnant dans la personne du Christ, pleinement homme et
pleinement Dieu. Et dans son humanité, le Christ a eu mal. Il a connu la faim, la soif, la trahison de
ses amis, les railleries, les insultes, les coups et l'humiliation publique de la crucifixion, supplice
entraînant la mort par suffocation. Ayant donc lui-même souffert, le Fils de Dieu est non seulement
capable de compatir à nos souffrances, de souffrir avec nous, mais aussi de nous guérir. Le jour où il
reviendra pour établir son règne, il promet à tous ceux qui lui font confiance d'essuyer « toute larme
de leurs yeux », car « la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur »
(Apocalypse 21.4). Ainsi, le Dieu de la Bible ne nous a-t-il peut-être pas donné une réponse
théorique à la question du mal, mais il s'est donné lui-même dans la personne de son Fils pour nous
assurer de sa présence, de sa compassion et de sa guérison qu'il est même capable de nous accorder
aujourd'hui si telle est sa volonté. N'est-ce pas cela dont nous avons le plus besoin ?
Jonathan Chaintrier
Septembre 2016