Complainte d`un train de banlieue
Transcription
Complainte d`un train de banlieue
Complainte d’un train de banlieue Entrez donc, c’est parti ! Pas trop vite bien sûr. Foi de train, je vous dis : il faut que plaisir dure. Tirant péniblement ma file de wagons, J’avertis à présent : le trajet sera long. Le soleil brille fort ; quelle douce chaleur : Au moins trente dehors, cinquante à l’intérieur. Démarrant en retard aux premières stations, Je dois vous crier « gare ! », demander l’attention : « Un problème technique… », « suite à un incident… » ; L’annonce thématique vous fait grincer des dents. Soudain, la sonnerie siffle la fermeture : Cinq secondes et demie pour monter en voiture ! Et mes portes qui claquent à deux doigts de vos fesses, Mieux qu’un coup de matraque pousse dans l’allégresse Votre corps contre ceux qui, déjà ruisselants, Odorants ou crasseux, se serrent dans les rangs . Le bout du nez démange ? Pas moyen de bouger. Les voisins vous dérangent, essayant de passer Afin d’aller s’asseoir sur mes sièges feutrés Ou de tenter de voir, par mes vitres rayées Les murs noirs du tunnel qui prolongent leur nuit Dans un silence tel qu’on entend tous mes bruits. On s’exprime sur moi depuis que je circule ; Voyez sur mes parois : les graffitis pullulent ! Comme vous semblez être fatigués, joue collée Contre un bord de fenêtre ; c’est pour vous réveiller Que je freine et je glisse : vous partez en avant Pendant que mes roues crissent et crèvent vos tympans. Le matin est bien calme mais en fin de journée, Je décerne la palme à certains passagers : Les uns, tant excédés, racontent leurs misères A d’autres, si blasés, que leur vie indiffère. Et là, une guitare ou un harmonica Jouent un air très bizarre qu’on ne reconnaît pas. Le public, en liesse, boude ces mains quêtant Une petite pièce, un ticket restaurant. A dix huit heures cinquante, tous les portables sonnent. Des musiques stridentes sortent des téléphones. Et vous fouillez vos sacs, ensemble répondez Bien fort, du tac au tac :« chéri, viens me chercher ! ». Déjà le terminus ! tout le monde descend. Craignant manquer le bus, eux sortent en courant. Ô, je vous plains beaucoup malheureux banlieusards. Fuyez-moi et surtout, devenez campagnards !