Une étoile sous toile « Ce soir dans votre ville, rires, étonnements

Transcription

Une étoile sous toile « Ce soir dans votre ville, rires, étonnements
Une étoile sous toile
« Ce soir dans votre ville, rires, étonnements, acclamations vous attendent au cirque
Pandira. Petits et grands ne manqueront pas de passer une agréable soirée en
compagnie de toute la troupe…. »
Un petit encart mentionnait la gratuité pour les enfants de moins de 3 ans. Il
regarda l’affiche colorée d’un air sombre. Elle y serait, sans aucun doute et cela lui
permettrait de la voir, de l’avoir à lui, rien qu’à lui. Un homme le bouscula, pesta et
continua sa marche. La pluie continuait de tomber en trombe et il ne put s’empêcher
de sourire face à l’inconscience de l’inconnu. Oui, ce soir l’étoile serait en lui…
Le cirque avait prit place sur un terrain désaffecté à la périphérie de la ville.
Un endroit pratique pour parquer les gens du voyages et autres nomades afin que le
spectacle ne soit pas dérangeant pour les citadins. Une petite foule commençait déjà à
se presser devant l’entrée. Les rires trahissant l’impatience des enfants lui donnaient
la nausée. Toute cette façade de bonheur, d’illusion, cette image de famille si proche
et si unie. La rousse trentenaire, qui avait fait un effort vestimentaire remarquable,
était à mille lieues de se douter que son macho de mari était encore en train de
procréer une heure auparavant avec une de ses assistantes. Le vieil homme au veston
d’un autre âge pensait que sa femme le regardait de là-haut, qu’elle était ravie qu’il
continue de sortir avec ses petits enfants. L’idiot… Il ne connaissait rien de l’après.
La scène dura encore une dizaine de minutes, multipliant les exemples variés de
l’idiotie humaine, la file se rétrécissant au fur et à mesure. Il arriva devant la
guichetière, une bonne femme d’une quarantaine d’années, mal vieillie, maquillée
comme un clown.
_ Une place? Lui demanda-t-elle d’une voix transformée par un tabagisme ancestral.
_ Je ne vais pas payer pour le reste de ces guignols… Pensa-t-il avant d’acquiescer
d’un petit hochement de tête. Il n’attendit pas qu’elle lui demande la somme et lui
déposa un billet de 20 € par la petite ouverture prévue à cet effet. La femme n’eut pas
le temps de chercher après de la monnaie, il avait déjà prit sa place et était entré.
Presque l’intégralité de la foule était déjà installée à l’intérieur du grand
chapiteau, et le brouhaha était de plus en plus dérangeant. Dans le fond de l’arène, en
contrebas, on pouvait voir un grand rideau rouge bouger, les premiers artistes à passer
effectuant leurs tous derniers préparatifs avant de rentrer sous le feu des projecteurs.
Ce serait surement un numéro de jonglage, ou de montreur d’ours, à ce que les gens
autour de lui racontaient, mais ce n’était pas important, rien n’était important mis à
part elle.
C’est ainsi que le spectacle commença, accompagné de roulements de
tambours et d’applaudissements. Le chef de la troupe, dans son costume blanc et
rouge entra le premier sur la piste pour une traditionnelle annonce promettant du rêve
et de la magie. A en juger par sa dégaine, il ne devait pas vraiment être sobre et cela
devait faire plusieurs années qu’il vomissait les mêmes débilités. Dès qu’il eut quitté
la piste, deux jeunes hommes entrèrent en effectuant des sauts périlleux et un numéro
d’acrobatie s’en suivi. Il regarda autour de lui, c’était là qu’était le vrai spectacle.
Dans la pénombre, on pouvait clairement distinguer les expressions de cette foule
populaire. La majorité des spectateurs avaient moins de quatorze ans et les réflexions
ne volaient pas plus haut que ce niveau de maturité. Il esquissa un léger sourire
lorsqu’il vit l’homme de la file sortir son téléphone discrètement pour envoyer un
message à sa deuxième maitresse et ainsi prévoir la fin de sa soirée pendant que sa
femme s’occuper de moucher le plus petit de la famille.
Le spectacle continua, et des animaux entrèrent en scène, du cheval à l’ours,
en passant par le tigre et le lion. Cette majesté si particulière correspondant à l’animal,
à l’homme en version simpliste et pourtant si parfaite comparée à la race dite
dominante. Cela l’avait toujours fasciné et continuerait à le faire aussi longtemps que
son existence se poursuivrait. La loyauté aveugle du cheval lorsque son cavalier se
dressait droit comme un I sur son dos, les précautions prisent par les tigres afin de ne
pas blesser leur maitre. Le lion, roi de tous et pourtant acceptant les ordres d’une
femme toute de cuir vêtue. Toutes ces expressions et démonstrations bien au-dessus
des volontés et ambitions de l’homme.
*
Un nouveau roulement de tambour annonça le prochain numéro. Son cœur
s’arrêta de battre, c’était elle qui allait apparaitre, il pouvait le sentir.
Automatiquement, il leva les yeux vers le sommet du chapiteau, alors que tout le
monde scrutait les alentours pour voir qui pouvait bien sortir de derrière le rideau. Les
projecteurs envoyèrent une lumière bleutée vers le ciel, sortant de l’ombre une jeune
femme. Un pied posé sur le long fil relié entre les deux poteaux principaux de
l’édifice éphémère, elle regardait en face d’elle. Lorsqu’elle leva les bras pour prendre
son équilibre, tout le monde reteint son souffle. Pour le plus petit jusqu’au plus âgé,
elle inspirait la beauté incarnée, alors que la gente féminine ruminait une certaine
jalousie. Une petite fille, deux rangs plus bas que lui, souffla à sa mère qu’elle venait
de voir une princesse et qu’à partir de maintenant elle voulait devenir comme elle.
Elle ne se doutait pas que sa mère ne l’écoutait pas, mais se sentait heureuse de
pouvoir partager un projet futur.
La jeune femme fit un pas en avant, désormais en équilibre sur son fil. Son
costume scintillait avec la lumière et son regard fixait toujours un point en face d’elle.
Un pas de plus et d’un geste gracieux, elle effectua un saut, puis un autre et en
enchaina encore d’autres pendant une bonne minute. La totalité de la foule était
conquise. Il régnait une sorte de silence monastique pendant l’exécution de son
numéro.
_ Tellement envoûtante… Pensa-t-il.
Contre toute attente, la jeune femme se décala dans le vide et tomba de trois
bons mètres, atterrissant gracieusement sur un autre fil jusqu’alors masqué par la
pénombre. On passa de la stupéfaction à un tonnerre d’applaudissement. Même si la
péripétie avait fait éclater en sanglot quelques uns des plus jeunes de l’assistance.
Elle effectua une nouvelle série de saut, avant de prendre une pose délicate et
de disparaitre avec la lumière des projecteurs. La foule se leva dans un nouveau
tonnerre d’applaudissements. Même les membres de la troupe étaient encore troublés
en voyant le numéro de la jeune femme. Elle était de loin l’ange de la troupe.
Les applaudissements continuèrent pendant quelques minutes encore,
accompagnant le rappel de la troupe et le chapiteau commença à se vider. Malgré les
aprioris et les médisances de la plupart des gens, ce soir là, tout le monde reparti chez
lui la tête pleine de rêves. Chacun avait trouvé chaussure à son pied et les familles en
ressortaient un peu plus unies. L’homme n’irait pas voir sa maitresse, il coucherait ses
enfants, pour une fois dans l’année. Le vieux monsieur ne dormirait pas seul, sa
femme l’accompagnerait. La rousse se sentirait aimée, pour une fois.
Il regarda la foule disparaitre et l’endroit se plonger progressivement dans le
noir. Il leva les yeux au ciel et une larme coula le long de sa joue gauche. Ce soir, son
étoile était en lui car le monde lui avait montré dans la plus grande simplicité, un
instant de bonheur que la fortune ne pouvait égaler.