Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
9 MAI 2011
S.10.0117.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.10.00117.F
J.C. DECAUX BELGIUM PUBLICITÉ, société anonyme dont le siège
social est établi à Bruxelles, Allée Verte, 50,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de
domicile,
contre
V. K. R.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de
domicile.
9 MAI 2011
I.
S.10.0117.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 19 mars 2010
par la cour du travail de Bruxelles.
Le président Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général délégué Michel Palumbo a conclu.
II.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 4 et 101 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de
travail
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt reçoit les appels, déclare l’appel principal non fondé et l’appel
incident très partiellement fondé, confirme le jugement entrepris en toutes ses
dispositions, y compris quant aux dépens, sous les émendations que le montant
de l’indemnité compensatoire de préavis est porté à 116.425,53 euros,
l’indemnité d’éviction à 44.779,05 euros, et que les intérêts sont dus sur le
montant brut. En outre, l’arrêt condamne la demanderesse aux dépens d’appel.
En ce qui concerne plus particulièrement la décision quant au droit à
l’indemnité d’éviction, l’arrêt appuie sa décision sur les motifs suivants :
« 6.1. La qualification professionnelle [du défendeur]
Les textes
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L’article 4, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de
travail définit le contrat de travail de représentant de commerce comme le
contrat par lequel un travailleur, le représentant de commerce, s’engage
contre rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la
négociation ou la conclusion d’affaires, hormis les assurances, sous l’autorité,
pour le compte et au nom d’un ou de plusieurs commettants ;
L’article 88 précise que peut seul invoquer le bénéfice des dispositions
du titre où il est inséré le représentant de commerce engagé en vue d’exercer
sa profession de façon constante ;
Leur interprétation
Le statut de représentant de commerce n’est applicable qu’à l’employé
qui exerce ses fonctions de représentant en ordre principal et de manière
continue ;
La notion de représentation commerciale doit faire l’objet d’une
interprétation restrictive ;
(…) Il est actuellement bien établi, avec la doctrine et la jurisprudence
aujourd’hui majoritaires, que la définition doit englober non seulement la
prospection ou la visite de la clientèle mais encore la négociation d’affaires
avec cette clientèle ;
La prospection est une action de départ et la visite une action de
continuité ; l’exercice de l’une et de l’autre justifie la qualification de la
représentante commerciale. Mais il faut en sus pouvoir conclure des affaires ;
L’employé qui ne dispose pas du pouvoir de conclure ou, à tout le
moins (cf. infra), de négocier des affaires n’est donc pas un représentant de
commerce ;
La négociation d’affaires implique des démarches, des discussions, des
pourparlers pour arriver à un accord. Elle implique des actes matériels et
juridiques (…) ;
Leur application en l’espèce
La (demanderesse) place et fabrique du mobilier urbain qui est pour
(très petite) partie vendu aux autorités publiques mais qui est essentiellement
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installé via des concessions, accordées par les autorités publiques dans le
cadre de marchés publics à la suite d’un appel d’offres, et en contrepartie
desquelles (la demanderesse) dispose du droit de placer des publicités sur ce
mobilier urbain ;
Le fait qu’accessoirement, il arrivait (au défendeur) de vendre aussi du
matériel directement ne peut permettre de qualifier son activité de
représentation commerciale. Il faut en effet tenir compte de l’activité
principale ;
L’activité principale exercée par (le défendeur) consiste essentiellement
à négocier avec les villes et communes afin d’obtenir d’elles qu’elles ouvrent
des appels d’offres relatifs à la livraison, au placement et à l’entretien de
mobilier urbain ;
Dès lors, il n’y a pas par (le défendeur) de conclusion d’affaires. En
effet, les villes et communes procèdent par appel d’offres et le marché ne sera
conclu avec (la demanderesse) que si l’offre de celle-ci est retenue ;
La question posée est s’il y a négociation en vue de la conclusion
d’affaires ;
La réponse est positive dans la mesure où la mission (du défendeur) a
précisément été de tenter de convaincre les villes et communes de s’ouvrir à ce
type de marchés dans lequel les deux parties ont tout à gagner ;
La commune ou la ville dispose d’un mobilier urbain gratuitement mis
à sa disposition et qu’elle ne doit pas entretenir et, de son côté, (la
demanderesse) dispose d’un espace publicitaire dont elle peut bénéficier à sa
guise ;
Il y a donc négociation (du défendeur) en vue de la conclusion
d’affaires, conclusion qui dépend tout d’abord de l’ouverture d’un appel
d’offres, fruit du travail (du défendeur), qui a dû convaincre la ville ou la
commune de l’intérêt de recourir à ce service. Le fait que la conclusion
n’intervienne qu’ultérieurement, après l’appel d’offres formulé par la ville ou
la commune et après que les services de (la demanderesse) ont répondu à cet
appel en déposant une offre, n’enlève rien à la négociation réalisée par (le
défendeur) ;
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Par ailleurs, les villes et communes sont bien des clients de (la
demanderesse) ;
Pour pouvoir exercer son activité, (la demanderesse) doit bénéficier de
deux réseaux de clients : ceux qui acceptent les supports et ceux qui s’en
servent à des fins publicitaires. Il importe peu que les premiers n’achètent rien
à (la demanderesse), voire bénéficient d’une contrepartie (mobilier gratuit,
redevances en complément). La conclusion d’affaires n’implique pas
obligatoirement paiement d’un prix par le client au fournisseur. Il suffit que,
pour réaliser son objectif social, l’entreprise ait besoin d’un réseau de clients,
que l’entreprise va valoriser ;
(La demanderesse) tire un profit immédiat de la conclusion d’un
contrat portant sur le placement de mobilier urbain à la suite d’un appel
d’offres. Elle va en effet pouvoir vendre ses espaces publicitaires sans que les
villes et communes n’interviennent. Il y a donc une démarche qui, à l’issue du
travail de négociation qui est l’essence même du travail d’un représentant de
commerce, va amener la ville ou la commune à retenir l’idée de l’acquisition
d’un mobilier urbain à des conditions qu’elle fixe dans l’appel d’offres, la
contrepartie étant pour l’entreprise qui sera retenue après l’appel d’offres le
bénéfice tiré des espaces publicitaires ;
L’employé dont le travail consiste à démarcher les villes et communes
et à les convaincre d’accepter de procéder à un appel d’offres pour installer
du mobilier urbain à des fins publicitaires est donc un représentant de
commerce nonobstant l’absence de rétribution directe à la société qui place ce
mobilier ;
(…) 6.4. Le droit à l’indemnité d’éviction
Les textes (…)
Leur application en l’espèce
(La demanderesse) conteste devoir l’indemnité d’éviction sur la base de
deux arguments tirés des textes susvisés : le licenciement pour motif grave est
justifié et [le défendeur] n’a pas la qualité de représentant de commerce ;
Ces deux moyens ont été examinés et écartés ;
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L’indemnité d’éviction est due : elle s’élève à 8.955,81 euros x 5 =
44.779,05 euros. L’appel incident est très partiellement fondé tandis que
l’appel principal ne l’est pas ».
Griefs
Aux termes de l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative
aux contrats de travail, le contrat de travail de représentant de commerce est
le contrat par lequel un travailleur, le représentant de commerce, s’engage
contre rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la
négociation ou la conclusion d’affaires, hormis les assurances, sous l’autorité,
pour le compte et au nom d’un ou de plusieurs commettants.
La représentation commerciale, ainsi définie, suppose nécessairement
que celui qui exerce cette activité visite des personnes ou des organismes qui
sont ou peuvent devenir des clients de son commettant.
La négociation ou la conclusion d’affaires se rapporte à des ventes, des
locations, des prestations de services. L’activité du représentant de commerce
doit avoir comme objectif final la conclusion d’affaires entre le client et le
commettant.
Comme le constate l’arrêt, en l’espèce, l’activité principale du
défendeur consistait à négocier avec les villes et communes afin d’obtenir
d’elles qu’elles ouvrent des appels d’offres relatifs à la livraison, au placement
et à l’entretien de mobilier urbain.
Pertinemment, l’arrêt en déduit qu’ainsi il n’y a pas, par le défendeur,
de conclusion d’affaires, puisque les villes et communes procèdent par appel
d’offres et que le marché ne sera conclu avec la demanderesse que si l’offre de
celle-ci est retenue.
À tort, l’arrêt estime cependant qu’il y avait négociation en vue de la
conclusion d’affaires dans la mesure où la mission du défendeur a précisément
été de tenter de convaincre les villes et communes de s’ouvrir à ce type de
marchés, dans lequel les deux parties ont tout à gagner.
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Par le fait, pour une ville ou une commune, de décider de procéder à un
appel d’offres relatif à la mise à disposition de l’espace public en vue de la
livraison et du placement de mobilier urbain, cette ville ou commune
n’acquiert pas la qualité de client à l’égard de l’employeur de la personne qui
a négocié afin d’obtenir cet appel d’offres.
En outre, la décision de procéder à un appel d’offres relatif à la mise à
disposition de l’espace public en vue de la livraison et du placement de
mobilier urbain ne constitue pas une affaire au sens dudit article 4, alinéa 1er,
de la loi du 3 juillet 1978. Cette décision ne constitue qu’un acte unilatéral,
n’engendrant aucune obligation commerciale, ni pour une société qui pourrait
avoir un intérêt à répondre à l’offre, ni pour l’autorité publique qui lancerait
cette offre. Non seulement, en premier lieu, l’autorité publique doit décider de
procéder à un appel d’offres, en outre, la société commerciale éventuellement
intéressée doit ensuite décider de répondre à cette offre et, finalement,
l’autorité publique doit décider d’accorder le marché à cette société, parmi, le
cas échéant, d’autres sociétés concurrentes.
Bien que la commune ou la ville puisse ainsi finalement disposer d’un
mobilier urbain gratuitement mis à sa disposition et qu’elle ne doit pas
entretenir et que, de son côté, la société commerciale, en l’espèce la
demanderesse, puisse disposer d’un espace publicitaire « dont elle peut
bénéficier à sa guise », cet ensemble d’actes préparatoires ne constitue pas
une affaire au sens dudit article 4, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978, seule
l’exploitation commerciale de cet espace publicitaire pouvant être qualifiée
ainsi.
Bien que l’arrêt ait pu considérer que la conclusion d’affaires « dépend
tout d’abord de l’ouverture d’un appel d’offres, fruit du travail (du défendeur),
qui a dû convaincre la ville ou la commune de l’intérêt de recourir à ce
service », et qu’ainsi il y a eu négociation, il n’a pu légalement décider que
cette négociation avait pour objet la conclusion d’affaires.
À ce sujet, l’arrêt n’a pu légalement considérer qu’il importait peu que
les villes et communes qui, après un appel d’offres, acceptent les supports
« n’achètent rien à (la demanderesse), voire bénéficient d’une contrepartie
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(mobilier gratuit, redevances en complément) ». L’activité commerciale
consiste précisément en la valorisation des espaces publicitaires, activité à
laquelle est étrangère la ville ou la commune et à laquelle ne procède, à ses
risques, que la société qui a obtenu le marché pour lequel un appel d’offres a
précédemment été formulé.
L’arrêt n’a dès lors pu légalement conclure que « l’employé dont le
travail consiste à démarcher les villes et communes et à les convaincre
d’accepter de procéder à un appel d’offres pour installer du mobilier urbain à
des fins publicitaires est donc un représentant de commerce nonobstant
l’absence de rétribution directe à la société qui place ce mobilier » (violation
de l’article 4, notamment alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux
contrats de travail) et n’a partant pu allouer au défendeur, à charge de la
demanderesse, une indemnité d’éviction, réservée, dans les conditions fixées
par la loi, aux représentants de commerce (violation de l’article 101 de ladite
loi du 3 juillet 1978).
III.
La décision de la Cour
Aux termes de l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative
aux contrats de travail, le contrat de travail de représentant de commerce est le
contrat par lequel un travailleur, le représentant de commerce, s’engage contre
rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la négociation ou
de la conclusion d’affaires, hormis les assurances, sous l’autorité, pour le
compte et au nom d’un ou de plusieurs commettants.
Cette disposition requiert que le représentant de commerce prospecte ou
visite des personnes ou des établissements qui sont des clients ou qui peuvent
le devenir et qu’il conclue ou, à tout le moins, négocie avec eux des affaires.
L’arrêt constate que « la [demanderesse] place et fabrique du mobilier
urbain […] qui est essentiellement installé via des concessions accordées par
les autorités publiques dans le cadre de marchés publics à la suite d’un appel
d’offres, en contrepartie desquelles [elle] dispose du droit de placer des
publicités sur ce mobilier », et que « l’activité principale exercée par [le
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défendeur] consiste essentiellement à négocier avec les villes et les communes
afin d’obtenir d’elles qu’elles ouvrent des appels d’offres relatifs à la livraison,
au placement et à l’entretien de mobilier urbain », sa « mission [étant] de tenter
de convaincre les villes et communes de s’ouvrir à ce type de marchés dans
lequel les deux parties ont tout à gagner ».
Dès lors que la décision d’une ville ou d’une commune d’ouvrir un
appel d’offres ne fait naître aucun lien entre elle et la demanderesse, l’arrêt n’a
pas légalement déduit de ces constatations que le défendeur négociait au nom
et pour le compte de celle-ci des affaires avec sa clientèle.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’indemnité d’éviction, sur
les intérêts dus sur celle-ci et sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt
partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Christine Matray,
Martine Regout, Alain Simon et Mireille Delange, et prononcé en audience
publique du neuf mai deux mille onze par le président Christian Storck, en
présence de l’avocat général délégué Michel Palumbo, avec l’assistance du
greffier Marie-Jeanne Massart.
9 MAI 2011
S.10.0117.F/10
M.-J. Massart
M. Delange
A. Simon
M. Regout
Chr. Matray
Chr. Storck

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