Makers et retour du Do It Yourself - MSHS Sud-Est

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Makers et retour du Do It Yourself - MSHS Sud-Est
Présentation pour la journée d’études
« Do It Yourself : nouvelles formes de production et d’engagements dans la cité »
MSHS, Nice, 6 novembre 2014
Makers et retour du Do It Yourself :
l’esprit renouvelé de l’autonomie ?
Yannick Rumpala
Université de Nice / Faculté de Droit et de Science politique
Equipe de Recherche sur les Mutations de l'Europe et de ses Sociétés (ERMES)
rumpala [at] unice.fr
Comme état d’esprit et comme ensemble de pratiques, le Do-It-Yourself semble bénéficier
d’un attrait renouvelé. Certes, les pratiques visant à (essayer de) faire par soi-même ne sont pas
neuves et il y a une longue tradition d’investissement amateur dans des activités manuelles de
fabrication. Mais, récemment, ces activités se sont trouvées réinterprétées et, pour certaines (les
plus technophiles notamment), tendanciellement inscrites dans un mouvement à part entière (celui
des « makers »). Un changement semble intervenu et de nouvelles potentialités sont apparues grâce
à l’environnement numérique dans lequel baignent et sur lequel s’appuient ces pratiques (avec un
fort attrait pour les imprimantes 3D et les promesses associées 1). Une partie s’agrège dans des lieux
dédiés (sous différents labels : makerspaces, fab labs…), qui sont autant d’espaces contribuant à
leur développement.
Cette contribution a pour ambition d’aller au-delà d’une analyse des dynamiques qui animent ces
communautés. Elle vise en effet à explorer et analyser les débouchés de ces activités et leurs enjeux
sociaux et politiques : réappropriation des objets, des outils, des matériaux et de savoirs, vision
alternative de la consommation, support d’apprentissages… De nouveaux enjeux émergent-ils ? Des
enjeux déjà existants sont-ils réaffirmés ?
Ces pratiques qui semblent en développement ne peuvent être réduites à des activités de loisir (a
fortiori pratiquées de manière plutôt individuelle). Elles s’inscrivent aussi dans des espaces et des
réseaux de relations qui contribuent à diffuser des possibilités renouvelées de fabrication pour une
part plus large de la population. Quel crédit accorder aux analyses qui annoncent une
démocratisation de la fabrication des objets et selon laquelle « [nous] sommes tous des créateurs à
présent »2 ? Quelles capacités ces formes de Do-It-Yourself (re)donnent-elles ? Peut-on aller
jusqu’à y voir presque un mode de production à part entière ? Quel potentiel de transformation ont
ces activités ? Dans quelle mesure amènent-elles ou réactivent-elles des formes d’autonomie ?
Changent-elles alors les logiques de consommation ?
Pour retravailler cette idée d’autonomie, l’hypothèse de cette contribution est que ces activités sont
une manière de renégocier et de reconfigurer pratiquement le sens et les réseaux dans lesquels
s’insère la vie courante. Ces activités peuvent en effet être appréhendées comme des formes plus ou
1
Cf. Yannick Rumpala, « L'impression tridimensionnelle comme vecteur de reconfiguration politique », Cités 3/2013
(n° 55), pp. 139-162.
2
« Chapter 4: We Are All Designers Now », in Chris Anderson, Makers. The New Industrial Revolution, New York,
Crown Business, 2012 (tr. fr. : Makers. La nouvelle révolution industrielle, Pearson, 2012).
1
moins conscientes de prise de position par rapport à un ordre socio-économique. Elles déplacent
aussi des relations parmi celles qui trament la vie quotidienne. S’agissant de celles qui se
développent actuellement, ce ne sont pas des activités simplement individuelles ou domestiques.
Elles s’inscrivent de fait souvent dans des communautés et des réseaux pour partie « virtuels », mais
pas seulement, qui peuvent offrir des espaces de rencontres (plus ou moins stabilisés et formalisés 3)
et de nouvelles ressources. Ces activités paraissent ainsi contribuer à (re)construire des espaces
d’autonomie.
Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, il faut donc étudier les rationalités sous-tendant les
activités déployées et distinguer dans quelle mesure elles retrouvent un idéal d’autonomie ou, au
moins, portent une forme d’éthique. Il faut aussi étudier les ressources qu’elles offrent, tout en
repérant les formes de relations à la fois matérielles et sémiotiques auxquelles elles participent, ainsi
que les réseaux qui sont eux-mêmes le support et l’expression de ces dernières. On peut
conjointement considérer qu’il est aussi possible de trouver des formes d’innovations dans ces
espaces sociaux, même si elles paraissent plutôt locales et communautaires.
Comme il était difficile de mener une enquête simultanément sur des terrains multiples et
rhizomatiques, l’étude a davantage été construite en tirant parti des possibilités d’observations à
distance. Bon nombre de ces initiatives foisonnantes se présentent et se mettent en scène sur
Internet, tout en en faisant un vecteur de diffusion 4. Elles offrent ainsi un accès à leurs motivations
et à leurs arguments. Elles peuvent aussi donner des descriptions des activités engagées. Leurs
réflexions, leurs travaux, les débats qui les animent, peuvent aussi être suivis à distance, de manière
diachronique, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, listes de diffusion, forums de discussion,
wikis, etc., fréquemment mis en place pour en assurer le fonctionnement et les avancées. Sur ces
bases, qui peuvent être recensées et classées pour former un corpus de matériaux documentaires,
l’enquête peut alors repérer et caractériser les justifications et promesses avancées, donc
commencer à accéder à des rationalités, suivre les gammes d’activités 5 et faire le lien entre elles,
tout en veillant à tenir compte de l’ensemble de contraintes et de ressources qui les sous-tendent.
Toutes les traces laissées permettent de suivre des réseaux 6 qui, de fait, assurent le déploiement de
ces initiatives et expérimentations, et dont la nature et la forme vont variablement assurer la stabilité
et la durabilité 7.
À partir d’expériences variées allant du bricolage technique innovant (tel celui expérimenté dans les
fab labs et makerspaces) à la production alimentaire hors-sol (par des systèmes hydroponiques
d’intérieur, etc.), cette contribution éclairera d’abord les accroches motivationnelles et justifications
qui peuvent être associées à ce retour du DIY. Elle montrera ensuite comment ces activités et les
espaces où elles cherchent à se déployer participent à la restauration de prises et de capacités,
notamment de choix. Elle donnera enfin des éléments pour évaluer les débouchés, notamment en
termes de potentialités ainsi construites (autoproduction, résilience, etc.), et les effets sociaux que
ces gammes d’activités peuvent avoir si elles se développent.
3
Cf. Yannick Rumpala, « Fab labs, makerspaces : entre innovation et émancipation ? », Revue internationale de
l’économie sociale (RECMA), 2014.
4
Ce qui peut donc être un apport important en matériaux empiriques (textes, photos, vidéos, etc.), pour peu que la
méthodologie soit correctement adaptée. Sur ce point, voir par exemple Christine Barats, Manuel d'analyse du web en
Sciences Humaines et Sociales, Paris, Armand Colin, 2013.
5
Cf. Alexandra Bidet, « Activité », in Antoine Bevort, Annette Jobert, Michel Lallement, Arnaud Mias (dir.),
Dictionnaire du travail, Paris, PUF, 2012, pp. 6-12.
6
Cf. Bruno Latour, Changer de société - Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006.
7
Sur cet angle d’analyse, voir également Michel Callon, « Réseaux technico-économiques et irréversibilités », in
Robert Boyer, Bernard Chavance, Olivier Godard (dir.), Les figures de l'irréversibilité en économie, Paris, Ed. de
l’EHESS, 1991 et Yannick Rumpala, « La connaissance et la praxis des réseaux comme projet politique », Raison
publique, n° 7, octobre 2007, pp. 199-220.
2
1) Promesses, accroches motivationnelles et justifications
1.1) Prolégomènes : l’autonomie comme (re)conquête et comme enjeu
1.2) Faire plutôt que faire faire
- Objections au faire faire
- Promesses et attraits de l’autosuffisance
1.3) Possibilités de construction de sens et production de motivations
2) Restauration de capacités
2.1) Une réimbrication de la production et de la consommation
2.2) Restauration de prises sur les vies individuelles
2.3) Une (re)valorisation des capacités manuelles
2.4) Des dispositifs de facilitation de l’apprentissage
3) Débouchés
3.1) Le DIY comme réappréhension de la technique et créativité « low tech »
3.2) Le DIY comme liant communautaire : du Do It Yourself au Do It Together
3.3) De l’extension des possibilités d’autoproduction à la résilience
Conclusion : entre potentialités et ambiguïtés
3

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