Genre du bébé et trouble de la personnalité borderline maternel
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Genre du bébé et trouble de la personnalité borderline maternel
Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 Article original Genre du bébé et trouble de la personnalité borderline maternel : quel impact sur l’interaction mère-bébé à 3 mois du postpartum ? Infant gender and maternal borderline personality: What impact on mother-infant interaction at 3 months postpartum? V. Garez a,b , G. Apter a,b , M. Valente a , B. Golse c,d,e,f , E. Devouche a,g,∗ a RePPEr, unité de recherche en psychiatrie et psychopathologie périnatale, EPS Erasme, 14, rue de l’Abbaye, 92160 Antony, France b EPS Erasme, 7e secteur de psychiatrie infanto-juvénile du sud des Hauts-de-Seine, unité PPUMMA, 92160 Antony, France c Inserm, U669, hôpital Necker–Enfants-Malades, université René-Descartes (Paris 5), Paris, France d UMR-S0669, Paris, France e LPCP, EA 4056, université Paris Descartes, Paris, France f CRPMS, EA 3522, université Paris Diderot, Paris, France g LPPS EA 4057, université Paris Descartes, 71, avenue Édouard-Vaillant, 92100 Boulogne-Billancourt, France Résumé But de l’étude. – Cette recherche a pour objectif l’étude des interactions mère-bébé à 3 mois, au cours du Still-Face, en comparant des dyades au sein desquelles la mère présente un trouble de la personnalité borderline (TPB) à des dyades témoins. Nous émettons l’hypothèse que les interactions entre une mère et son bébé présentent des différences dès 3 mois selon que la mère présente un trouble de la personnalité borderline ou non, et que ces différences prennent une forme différente selon que le bébé est une fille ou un garçon. Patients et méthode. – Les interactions de 19 dyades mères borderline-bébé et de 41 dyades témoins sont filmées dans le cadre de la situation du paradigme du Still-Face. Les comportements des deux partenaires sont étudiés à l’aide d’une micro-analyse basée sur deux grilles : le Maternal et l’Infant Regulation Scoring System (Weinberg et Tronick, 1994). Résultats. – Aucune différence significative ne ressort en fonction du genre du bébé ou du TPB maternel si l’on ne prend pas en compte les temps du Still-Face dans l’analyse, autrement dit de la perturbation induite. Relativement au groupe témoin, les bébés du groupe TPB manifestent moins d’attention visuelle, les filles se régulent plus tandis que c’est l’inverse pour les garçons, et les mères TPB présentent davantage de stimulations tactiles. Conclusion. – Notre recherche met en évidence qu’il existe dans notre échantillon des mécanismes d’adaptation différents en fonction de la pathologie maternelle et le genre du bébé. Ces différences suggèrent que, dès 3 mois postpartum, les bébés sont déjà en train de s’adapter par le biais de mécanismes de régulation aux dysfonctionnements maternels, et invitent à explorer plus finement et longitudinalement les échanges précoces tout au long de la petite enfance. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Interaction mère-bébé ; Genre du bébé ; Trouble de la personnalité borderline Abstract Background and aim. – This research aims to study mother-infant interactions at 3 months postpartum using the Still Face Face-to-Face Paradigm comparing two groups, mothers with borderline personality disorder and controls. We hypothesized that dyadic interactions with mothers afflicted with the disorder would be significantly different from those without psychopathology, and that these differences would vary according to infant gender. Methods. – Nineteen dyads of mothers with Borderline Personality Disorder and 41 with control mothers were filmed using the Still Face Paradigm. Behaviors of both partners were studied using microanalytic coding with the Maternal and Infant Regulation Scoring System. ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (V. Garez), [email protected] (G. Apter), [email protected] (M. Valente), [email protected] (B. Golse), [email protected] (E. Devouche). 0222-9617/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.11.003 148 V. Garez et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 Results and conclusion. – Our analysis shows that both partners react to the stress induced by the Still Face episode (the paradigm is divided in three phases, 2 minutes of spontaneous interaction face-to-face, 2 minutes of maternal Still Face per se, and 2 minutes of reuniting interactive play). Infants of mothers with Borderline Personality Disorder show less gaze focused on mother than their control counterparts; infant girls regulate themselves more than boys and mothers with psychopathology demonstrate more tactile stimulation of their infants (touch, tickle, etc.). Our research illustrates how different dyadic adaptive mechanisms exist according to maternal psychopathology and infant gender, and suggests that as early as 3 months postpartum, infants are already trying to adapt to maternal functioning and dysfunctional interactions through self-regulatory mechanisms. This begs for further research exploring as precisely as possible interactive mechanisms both early in life and in longitudinal studies. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Mother-infant interactions; Borderline personality disorder; Gender 1. Introduction 1.1. Des attitudes parentales différenciées en fonction du sexe du bébé Filles et garçons évoluent dans des univers différents dès la naissance : les stimulations précoces, les conduites pro-sociales, les sollicitations, les réponses, les jeux semblent largement indexés sur l’identité sexuée du jeune enfant [1]. De nombreuses recherches mettent en effet en avant que les parents ont des attitudes différenciées envers leur bébé selon que celui-ci est une fille ou un garçon [2,3], attitudes différenciées qui s’enracinent dès avant la naissance [4]. Lewis [5] et Moss [6] observent qu’à la naissance, les garçons sont davantage touchés et portés, tandis qu’à 3 mois, ce sont les filles qui sont surtout stimulées tactilement. Moss [6] a également montré que les garçons pleurent davantage et dorment moins que les filles pendant les trois premiers mois. De ce fait, chez les filles, l’intervention de l’adulte est moins fréquente. Brody [7] relève à propos du maternage en situation de pleurs et des conduites d’auto-apaisement, que les garçons pleurent davantage, sont moins autonomes pour s’apaiser et font l’objet d’un maternage plus proximal, la mère les prenant plus dans les bras. En ce qui concerne les conduites pro-sociales, les filles sont plus regardées que les garçons, les parents leur parlent davantage et passent plus de temps à susciter chez elles des vocalises, des sourires et des interactions [5,6]. Robinson et al. [3] expliquent que les mères travaillent à créer cette différence entre les genres. Ainsi, les filles sont sollicitées depuis la petite enfance à faire l’expérience d’un soi en relation avec les autres, tandis que les garçons sont amenés à faire l’expérience d’un soi autonome. Les mères interviennent donc pour socialiser leurs filles et leurs fils via des expériences interpersonnelles différentes. Clearfield et Nelson [2] ajoutent que les mères transmettent des informations différentes à leurs filles et à leurs fils tant en termes de langage que dans les interactions. Ceci pourrait contribuer au développement des différences de genres chez les enfants. Kitamura et Burnham [8] soulignent également que la différence majeure qui ressort entre les filles et les garçons est que les mères expriment plus d’affection face à leur fille, et que cette différence ne fait que se confirmer avec l’âge. Notons enfin que les pères jouent eux aussi un rôle dans ce processus de différenciation fille-garçon, en stimulant davantage les garçons sur un plan visuel et tactile [6] et sur un plan moteur [9]. 1.2. Des profils comportementaux différenciés en fonction du sexe du bébé La littérature met également en évidence des différences dans les comportements que manifestent précocement filles et garçons. Certains auteurs ont montré au moyen de l’échelle d’évaluation du comportement néonatal de Brazelton, que les nouveau-nés garçons sourient moins que les nouveau-nés filles, sont plus irritables, pleurent davantage et sont plus labiles dans leurs états émotionnels [7,10]. Ces données s’ajoutent aux observations de Brazelton et al. selon lesquelles les nouveau-nés garçons ont plus de difficultés que les filles à s’autoréconforter [11]. En 1999, Tronick et al. [12] se sont intéressés aux différences de comportement entre filles et garçons à 6 mois en recourant au paradigme du Still-Face1 . Leur étude met en évidence que les garçons ont plus de difficultés que les filles pour réguler leurs affects : ils présentent plus d’affects négatifs que les filles pendant le temps de la rupture, montrent davantage d’expressions faciales de colère, essayent de s’échapper de leur siège en bougeant et en tentant de se tourner, et pleurent plus que les filles. Tronick et al. [12] observent par ailleurs que les garçons sont davantage orientés « socialement » : ils regardent plus leur mère, vocalisent davantage en utilisant des vocalisations de types neutres-positives et manifestent plus d’expressions faciales de joie. En comparaison, les filles passent plus de temps que les garçons à explorer les objets et elles manifestent davantage d’expressions faciales de désintérêt. Les auteurs trouvent qu’à 3, 6 et 9 mois, les dyades mère-fils sont davantage dans un état de coordination que les dyades mère-fille. Ils observent que les dyades mère-fils à 6 et 9 mois ont des scores de synchronie plus élevés que les dyades mère-fille. Ces résultats suggèrent qu’il existe des formes différentes de régulation au sein des dyades mère-fils et mère-fille. La recherche de Tronick et al. [12] révèle d’une part qu’il existe des différences entre filles et garçons au cours de la première année, et d’autre part que très tôt filles et garçons ne suivent pas le même rythme de développement. Farris et al. 1 Le paradigme du Still-Face a été développé par Cohn et Tronick (1983) pour étudier l’effet d’une interruption volontaire et inattendue de l’interaction sociale. Il est composé de 3 temps différents : un temps d’interaction libre (temps du face-à-face), suivi d’un temps où la mère montre un visage impassible face à son bébé (temps de la rupture), puis un dernier temps des retrouvailles (temps des retrouvailles), où la mère reprend l’interaction. V. Garez et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 [13] observent qu’à 2 mois les filles sourient davantage à un étranger, tandis qu’à 3 mois cette différence disparaît, suggérant que les filles développent plus rapidement des comportements de sociabilité que les garçons. Tronick [14] souligne que l’existence de différences de régulation et d’accordage au sein des dyades mère-bébé selon que celui-ci est une fille ou un garçon n’est pas sans conséquence sur les réponses émotionnelles du bébé. Cette littérature rejoint celle sur l’interaction perturbée dans laquelle la plupart des résultats convergent vers un effet délétère sur le développement du bébé au sens large. 1.3. Interaction précoce mère-bébé et trouble de la personnalité borderline Plusieurs recherches ont montré l’effet d’une perturbation induite au niveau de la contingence de l’interaction (par une procédure telle que le double téléviseur) sur la qualité de l’interaction entre la mère et son bébé [15]. D’autres études s’appuient sur le paradigme du Still-Face pour révéler la sensibilité du bébé et ses attentes vis-à-vis de son partenaire dans l’interaction [12,16]. Ces recherches visent toutes à mettre en scène artificiellement une perturbation à laquelle un bébé peut se trouver naturellement confronté lorsque sa mère présente des troubles psychopathologiques tels une dépression [17,18] ou un trouble de la personnalité [19]. Toutefois, si l’impact de la dépression maternelle sur la qualité des échanges précoces a été exploré par de nombreuses recherches, l’impact d’un trouble de la personnalité borderline demeure encore très peu étudié. Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est un trouble psychopathologique qui touche essentiellement les femmes. Il est décrit dans le DSM-IV selon 9 critères regroupés en 3 domaines principaux : l’affect, l’identité et l’impulsivité. Ainsi, le diagnostic de TPB, bien que difficile à poser, est basé sur une constellation de critères cliniques dont le noyau comporte une instabilité et impulsivité chroniques dans les relations interpersonnelles du sujet. La maternité est souvent souhaitée par les femmes présentant un TPB, en partie du fait de l’extrême dépendance du bébé envers elle, perçue comme un engagement interpersonnel rassurant. Cependant, ces mères expriment une grande ambivalence vis-à-vis de leurs bébés et des dysfonctionnements interactifs sont susceptibles d’apparaître. Selon Le Nestour et Apter [20], lorsque la mère présente un trouble de la personnalité borderline, les interactions mèrebébé sont marquées par la discontinuité et l’alternance entre des rapprochés trop « excitants » et des retraits intempestifs. Ces mères borderline peuvent avoir elles-mêmes vécues des relations dans leur enfance émaillées de traumatismes répétitifs que ce soit avec leur propre mère, ou un représentant parental. Crandell et al. [19] ont étudié 8 mères témoins et 12 mères présentent un trouble de la personnalité borderline avec leurs bébés âgés de 2 mois, au cours du Still-Face. Leur recherche a montré que les mères borderline étaient plus « insensibles/intrusives » avec leur bébé au cours des 3 temps du Still-Face. Delavenne et al. [21] ont comparé l’organisation 149 temporelle de l’interaction vocale de 17 mères borderline et de 17 mères « tout-venants » et de leurs bébés de 3 mois. Les auteurs observent que les interactions entre les bébés et les mères présentant un trouble borderline sont caractérisées par moins de phrases prosodiques, par des pauses plus longues et que les bébés des mères troublées vocalisent moins que ceux du groupe témoin. Deux autres recherches [22,23] ont également étudié des dyades mères borderline-bébé à 3 mois, mais selon des méthodologies qui ne permettent pas de tirer des conclusions sur l’impact du trouble borderline à cet âge précoce (cf. Genet et al. [24] pour une revue de la question). Dans cette recherche, nous proposons d’étudier l’impact de la personnalité borderline de la mère sur l’échange précoce avec son bébé de 3 mois en prenant en compte le facteur sexe du bébé, jusqu’à présent non-étudié, y compris au cours des rares travaux sur les interactions des mères présentant des troubles borderline cités plus haut. En effet, les travaux de Apter et Le Nestour suggèrent que l’impact des différences imputées au trouble de la personnalité borderline durant le premier trimestre de vie est susceptible d’être modéré ou exacerbé selon que le bébé est une fille ou un garçon [20]. 2. Méthode 2.1. La population L’échantillon total représente 60 femmes âgées de 30,7 ± 4,2 ans (étendue 19–41), dont 42 % de multipares. La majorité de ces femmes vit en couple (94 %, maritalement [43,7 %], mariées [41,5 %] ou pacsées [4,8 %]). Le niveau d’études est élevé (67 % ont un niveau bac + 3 ou plus), et 87 % mères exercent un emploi. Toutes les femmes sont de langue maternelle française. Les femmes ne diffèrent pas du point de vue des caractéristiques sociodémographiques selon le sexe de leur enfant. 2.2. Procédure La population de l’étude a été recrutée en maternité dans la période périnatale, soit au cours du dernier examen prénatal, soit pendant le séjour à la maternité, et dans un centre de suivi pédopsychiatrique mère-bébé. Notre population est de ce fait à la fois tout-venant et clinique, en cohérence avec les objectifs de la recherche. Pour chaque dyade incluse, un consentement éclairé a été recueilli et signé. Les critères d’exclusion retenus ont été : toxicomanie aiguë, gestation inférieure à 35 semaines, poids de naissance inférieur à 2000 g, pathologies génétiques congénitales, grossesses multiples. Nous avons utilisé le paradigme du Still-Face pour étudier l’interaction entre la mère et le bébé au 3 mois du bébé. L’enregistrement de l’échange s’est déroulé dans les locaux de l’unité de recherche afin de favoriser une standardisation de la situation. Le Still-Face a été analysé par un codage micro-analytique : le Maternal Regulation Scoring System (MRSS) et l’Infant Regulation Scoring System (IRSS [25]). Le codage a été effectué 150 V. Garez et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 en image par image grâce au logiciel The Observer XT2 . Les enregistrements vidéoscopiques ont été cotés par deux psychologues indépendants aguerris à l’observation de l’échange précoce mère-bébé et maîtrisant parfaitement le logiciel. Tous les deux étaient aveugles quant au diagnostic maternel. Les deux grilles MRSS et IRSS comprenant de nombreux comportements, nous nous sommes focalisés dans cet article sur 4 groupes : les regards du bébé à sa mère, les vocalisations positives du bébé, les comportements de régulation du bébé (auto-étreinte et auto-oralité) et les stimulations tactiles maternelles. Ces comportements ou groupes de comportements ont été convertis en pourcentage de temps total pour chacun des 3 temps du Still-Face afin de les rendre comparables entre chaque temps et entre chaque dyade. 2.3. Constitution du groupe clinique Nous avons utilisé le Structured Interview for DSM-IV Personality Disorders [26] (SIDP-IV) pour établir les diagnostics maternels. Il s’agit d’un instrument validé et très utilisé dans la littérature sur les troubles de personnalité et en particulier ceux du cluster B : narcissique, borderline et histrionique [27]. Au total 19 mères ont été diagnostiquées comme présentant un trouble de la personnalité borderline selon les critères du DSM-IV, suite à la passation du SIDP-IV. Par commodité, nous parlerons de groupe TPB pour désigner les dyades dont la mère présente un trouble de la personnalité borderline. Les bébés de ce groupe sont composés de 8 garçons et 11 filles. Dans une précédente recherche, nous avons pointé la comorbidité importante (44 %) entre trouble de personnalité borderline et trouble de l’humeur dans les premiers mois du postpartum [28]. De ce fait, nous avons décidé de ne pas exclure les mères TPB diagnostiquées déprimées. L’évaluation des troubles de l’humeur a été réalisée au moyen de la Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (MADRS [29]). L’échelle comporte 10 items à coter de 0 à 6 dans le cadre d’un entretien clinique. La note seuil de dépression est fixée à ≥ 15 points. Sur les 19 mères TPB, 11 présentent un score à la MADRS ≥ 15 points (moyenne = 22 ± 4,47 [0–32] ; 6 filles et 5 garçons). Le groupe témoin est constitué des 41 mères ne présentant ni trouble de personnalité ni trouble de l’humeur (score MADRS < 14). Ce groupe comporte 17 garçons et 24 filles. Nous parlerons de groupe témoin pour désigner les dyades dont la mère ne présente ni trouble de personnalité ni trouble de l’humeur. significativité est fixé à 0,05 et chaque test F est accompagné d’un indicateur de la taille de l’effet (Eta2 partiel ou η2 p ). 3. Résultats En ce qui concerne l’indice d’attention visuelle à la mère, les analyses révèlent une interaction entre Temps et Groupe dans le sens d’une attention plus élevée chez les bébés du groupe TPB durant le premier temps relativement au groupe témoin (59,1 % vs. 48,3 %). Cette attention visuelle chute de moitié et devient plus faible pour les bébés de mère TPB que celle des bébés du groupe témoin durant la rupture (29,5 % vs. 40,0 %) et demeure en dessous du groupe témoin au moment des retrouvailles (39,5 % vs. 42,8 % ; F(2,112) = 3,17, p = 0,048, η2 p = 0,053 ; cf. Fig. 1). L’étude des comportements de régulation révèle un effet d’interaction entre les facteurs Temps, Groupe et Genre (F(2,112) = 3,15, p = 0,047, η2 p = 0,051). En effet, la Fig. 2 montre que filles et garçons ont des profils très différents : chez les filles du groupe témoin, les taux de comportements de régulation sont plus importants que chez les filles du groupe TPB dès le premier temps du Still-Face et cet écart se maintient sur les temps suivants ; chez les garçons on retrouve un taux plus élevé pour le groupe témoin durant le face-à-face mais la différence Fig. 1. Attention visuelle du bébé à la mère. Graphe d’interaction entre les facteurs Temps et Groupe. 2.4. Statistiques Pour chaque indice comportemental retenu, nous avons réalisé une Anova (modèle mixte) avec deux facteurs, le facteur Groupe à 2 modalités (TPB vs. témoin) et le facteur Genre (fille vs. garçons), et une mesure répétée Temps (les 3 temps du Still-Face : face-à-face, rupture, retrouvailles). Le seuil de 2 www.noldus.com. Fig. 2. Comportement de régulation du bébé. Graphe d’interaction entre les facteurs Temps, Groupe et Genre. V. Garez et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 s’inverse et de manière importante durant la rupture et continue à l’être de manière plus modérée durant les retrouvailles. Aucun effet significatif n’est ressorti de l’Anova effectuée sur les vocalisations positives du bébé. L’analyse réalisée sur les stimulations tactiles maternelles en revanche met en évidence un effet d’interaction entre Temps et Groupe (F(1,56) = 4,62, p = 0,036, η2 p = 0,076). En effet, si les mères TPB manifestent une proportion moins importante de stimulations tactiles que les mères témoins durant le faceà-face (42,1 % vs. 47,7 %), cette tendance s’inverse durant les retrouvailles (54,1 % vs. 44,6 %). Enfin, ce qui nous semble être le résultat le plus important est que pour tous les indices étudiés, tous temps du Still-Face confondus, nous n’observons aucun effet du facteur Groupe ou Genre. En revanche, si l’on tient compte du facteur Temps, autrement dit de l’effet de l’induction d’un micro-stress, certains effets du facteur Groupe ou du facteur Genre apparaissent. C’est le perturbateur qui va induire des changements observables. 4. Discussion Cette recherche met tout d’abord en évidence qu’aucune différence significative ne ressort en fonction du genre du bébé ou du TPB maternel si l’on ne prend pas en compte les temps du Still-Face dans l’analyse, autrement dit de la perturbation induite. En revanche, la prise en compte des différents temps du paradigme du Still-Face révèle des différences. Ceci suggère que filles et garçons d’une part, et mère TPB et témoin d’autre part réagissent différemment à la rupture. Ainsi, chez une mère présentant une sensibilité exacerbée à la discontinuité, nous avons pu observer l’impact d’une rupture environnementale et la manière dont elle tentera ou non de compenser cette « perte ». Du côté des bébés, nous avons pu ainsi analyser les différentes réactions face à cette rupture, en fonction de leur différence de sexe et des différents modes d’interactions qu’ils ont déjà intégrés à trois mois. Les résultats mettent en évidence que les bébés de mères TPB accordent plus d’attention visuelle à leur mère durant le face-à-face que ceux de mères témoins, mais que cette attention chute durant le temps de rupture et demeure inférieure pendant les retrouvailles relativement au groupe témoin. Lors d’une interaction « normale », les bébés de mère borderline semblent attirés par leur mère, comme dans l’attente d’un comportement qu’ils ne peuvent prévoir, puisque celles-ci sont moins prévisibles dans leur reproductibilité de leurs comportements que les mères témoins. Face à la rupture, ces derniers réagissent plus rapidement que les bébés témoins par le détournement comme mécanisme d’adaptation. Parallèlement, les mères TPB manifestent moins de stimulations tactiles que les mères témoins durant le temps initial du face-à-face puis davantage durant les retrouvailles. Ces résultats font écho à ceux d’Apter [30] qui pointaient que les mères borderline étaient plus intrusives et stimulantes avec leur bébé lors d’une interaction « normale ». Lors d’une situation de stress, elles arriveraient plus difficilement à s’adapter aux besoins des bébés suite à un probable envahissement émotionnel plus important que les mères témoins. Nos résultats ne rejoignent pas en revanche ceux de Crandell et al. 151 [19] qui avaient pointé les dimensions « intrusive et insensible » des mères TPB, en recourant au même paradigme mais avec toutefois une grille de cotation différente. En effet, les auteurs ont analysé les interactions en s’appuyant sur la grille de FioriCowley et Murray [31] et non celle de Tronick [25]. Notons également le plus faible nombre de mères TPB et l’âge plus précoce des bébés (2 mois). Les comportements d’auto-étreinte et d’auto-oralité sont les seuls à avoir révélé des différences entre filles et garçons, en interaction avec le TPB et les temps du Still-Face. De manière générale, les filles du groupe TPB s’autorégulent moins que les filles du groupe témoin, et les deux sous-groupes de filles réagissent proportionnellement de la même façon à la rupture. Pour les garçons en revanche, l’autorégulation varie peu et tend à diminuer durant la rupture puis durant les retrouvailles dans le groupe témoin, tandis que la perturbation induite par la rupture génère une augmentation très marquée dans le groupe TPB. Il serait utile de voir si ces comportements de régulation sont compensés par les comportements de dysrégulation et quels sont ces marqueurs de dysrégulation. Les réactions des bébés de mères borderline face à un stress ne sont pas prévisibles chez les bébés de mères témoins, notamment chez les garçons qui manifestent davantage d’autorégulation durant les retrouvailles. Ainsi, les mères borderline doivent faire face, en plus de leur stress, à une chute de l’autorégulation chez les filles et à une augmentation chez les garçons. Cette imprévisibilité des bébés de mères borderline est-elle en lien avec l’imprévisibilité de leur mère ? Notre recherche ne révèle pas de différence en fonction du genre du point de vue du seul indice relatif au comportement maternel. Comme la plupart des études quantitatives sur la dépression ou les troubles de la personnalité maternels, elle ne prend pas en compte les éléments d’anamnèse d’avant la grossesse. Il est pourtant difficile d’exclure qu’une mère avec troubles borderline n’interagira pas de la même manière avec un bébé fille ou garçon en fonction de sa propre histoire infantile, plus ou moins traumatique, qu’elle aura eu avec ses « caregivers » de quelque sexe qu’ils soient. Les projections maternelles sur le bébé seront alors teintées de leurs vécus [32]. Nous n’avons pas observé d’effets significatifs avec l’indice des vocalisations positives du bébé. Ce résultat ne fait pas écho aux observations de Delavenne et al. [21] qui avaient choisi de coder la vocalisation dans le cadre de l’échange vocal et selon une approche narrative, mais uniquement en situation standardisée sans stress provoqué. Il est possible qu’une micro-analyse davantage basée sur les qualités acoustiques comme celle utilisée par Gratier et Devouche [33] que sur l’appréciation en positif/négatif apporte plus de précisions pour mettre en évidence des différences subtiles durant le face-à-face qui précède le temps de la rupture. Nous avons pu pointer que plus que l’analyse des différences de comportement de façon générale, c’est la discontinuité induite qui produit l’apparition de différences de compensation face à cette rupture. Il existe des mécanismes d’adaptation différents en fonction de plusieurs paramètres ; la pathologie maternelle, le genre du bébé, les caractéristiques propres du bébé. Il serait 152 V. Garez et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 147–153 intéressant d’explorer ces résultats en cherchant à mettre en évidence plus finement les effets d’une perturbation ainsi que les difficultés qu’elle entraîne, peut-être en découpant les différents temps du paradigme du Still-Face en sous-parties. En effet, il est possible que davantage de différences puissent être observées en se focalisant sur les 30 premières secondes de la rupture ou des retrouvailles. 4.1. Limites de l’étude Nos résultats nécessiteraient d’être vérifiés au sein d’une population plus grande et de poursuivre l’analyse de cette population sur un suivi longitudinal afin d’observer l’évolution de ces différences. Par ailleurs, bien que notre groupe clinique soit défini du point de vue du trouble de la personnalité borderline, il est apparu que plus de la moitié des mères TPB présentent également une dépression, une comorbidité que nous avons mis en évidence dans une précédente recherche [28]. Il serait intéressant de distinguer parmi les mères TPB non déprimées de celles qui le sont, afin de déterminer si les profils interactifs diffèrent, et de les comparer aux profils interactifs de mères déprimées sans trouble de personnalité. 5. Conclusion Notre étude est une première approche dans la compréhension des interactions mère-bébé chez des mères présentant un trouble de la personnalité borderline et ce point mériterait d’être exploré plus en avant au sein d’un échantillon plus grand et plus homogène. Ce qui a nous semblé pertinent lors de l’analyse de nos résultats fut de percevoir un effet de genre chez les bébés de mères borderline différent que celui observé chez les mères témoins. De plus, les résultats tendent à prouver que dès 3 mois les bébés des deux sous-groupes manifestent des différences face à une situation de rupture et que cela impliquerait que le bébé est déjà en train de s’adapter par le biais de mécanismes de régulation aux dysfonctionnements maternels. Ce point s’il se vérifiait, permettrait de soutenir des prises en charge de ces mères borderline dès la grossesse et ce de façon intensive et d’être repensé en tant que priorité en matière de santé publique. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Nous remercions toutes les femmes qui ont accepté de participer à cette recherche. Nos remerciements s’adressent également à Rozenn Graignic pour sa participation active au projet de PHRC dont sont issus les données de cet article, et à toutes les collègues de l’Aubier et de RePPEr qui ont participé à la cotation des enregistrements vidéo. Financements : cette recherche a été financée par le ministère de la Santé (PHRC 98/001) et par EPS Erasme. Éthique : cette recherche a été approuvée par le Comité consultatif de protection des personnes en recherche biomédicale (CCPPRB no 2025-12/00). Références [1] Pomerleau A, Bolduc D, Malcuit G. Pink or blue: environmental gender stereotypes in the first two years of life. Sex Roles 1990;22(5-6):359–67. [2] Clearfield MW, Nelson NM. Sex differences in mothers’ speech and play behavior with 6, 9 and 14-month-old infants. Sex Roles 2006;54(1/2):127–37. [3] Robinson J, Little C, Biringen Z. Emotional communication in mother-toddler relationships: evidence for early gender diffrenciation. Merrill-Palmer Quarterly 1993;39(4):496–517. [4] Devouche E, Apter G. Les représentations maternelles prénatales. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2012;60:481–6. [5] Lewis J. State as an infant-environment interaction: an analysis of mother-infant interaction as a function of sex. 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